2010


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Contributions des intervenants et associations

Impact du travail en réseau de la médecine de ville

Microstructures : outil de réduction des risques infectieux

Contexte

La réduction des risques est inscrite dans la loi de santé publique depuis 2004 grâce à trois nouveaux articles qui y ont été ajoutés. C’est par décret que l’État a donné la définition de la politique de réduction des risques et en a déterminé les actions, indiquant que cette politique a pour objet de prévenir :
• la transmission des infections ;
• la mortalité par surdose ;
• les dommages sociaux liés à la toxicomanie.
Depuis, ce sont principalement les Csapa (Centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie) et les Caarud (Centres d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues) qui ont pris en charge la mise en place de la politique de réduction des risques. Or, en 2007, environ 130 000 patients ont bénéficié de traitements de substitution aux opiacés, 58 000 étaient pris en charge par les Csapa, les médecins de ville voyant également un grand nombre d’usagers qui suivent un traitement de substitution (OFDT, 2010renvoi vers). De plus, les médecins généralistes sont en position de recours auprès des patients qui débutent leur consommation de drogues (Mildt, 2010), moment à fort risque de contamination des maladies infectieuses. C’est pour cela que les médecins généralistes s’avèrent être des acteurs majeurs de la politique de réduction des risques, bien que souvent oubliés. C’est dans ce contexte que s’est développé le réseau des microstructures médicales.

Principe de la microstructure

La microstructure repose sur un principe simple : elle vise à la constitution d’une équipe de soins au sein du cabinet du médecin généraliste pour répondre aux difficultés rencontrées par les personnes pharmacodépendantes comme par les médecins généralistes.
L’équipe est constituée par le médecin, un psychologue et un travailleur social.
Pour assurer le suivi des patients, le psychologue et le travailleur social reçoivent ces derniers au cabinet du médecin généraliste à des plages horaires hebdomadaires fixes. Le pharmacien d’officine peut, au cas par cas, être sollicité en raison de son travail de délivrance des produits prescrits. Régulièrement, l’équipe de la microstructure se réunit en synthèse, moment fort du fonctionnement de la microstructure : c’est là que sont analysées les situations des patients suivis, et qu’est élaborée la stratégie thérapeutique adaptée à chacun d’eux.
L’originalité de cette pratique tient à la réunion dans un seul lieu, le cabinet du médecin généraliste, d’intervenants qui, jusque-là, étaient dispersés dans diverses institutions.
En trouvant chez leur médecin les compétences nécessaires, la démarche des patients s’en trouve grandement facilitée.

Impact de la microstructure en terme de réduction des risques

Grâce à ce dispositif, les médecins généralistes peuvent éviter de fonctionner comme de simples prescripteurs. Ainsi, connaissant la difficulté du dépistage et de l’accès au traitement pour le VHC chez les usagers de drogues, les 15 microstructures d’Alsace, en partenariat avec le pôle de référence hépatites du CHU de Strasbourg, ont mis en place, dès 2003, un dispositif sanitaire de prise en charge des hépatites C visant l’amélioration des pratiques de dépistage, de diagnostic, et d’accès au soins.
Ce dispositif sanitaire reposait sur trois volets : formation, enquête épidémiologique, consultation-expert. Après avoir formé les médecins généralistes, les psychologues et les travailleurs sociaux, le réseau a organisé des consultations-expert (3 à 4 par an). Lors de cette consultation-expert, l’hépatologue hospitalier se déplace pour rencontrer les acteurs des différentes microstructures du réseau. L’équipe de chaque microstructure présente à l’hépatologue des situations cliniques nécessitant un avis diagnostique ou thérapeutique (initiation ou suivi du traitement antiviral). En cas d’initiation d’un traitement, la primo-prescription est effectuée par l’hépatologue hospitalier expert, et le suivi immédiat du patient est effectué avec son accord par l’équipe de la microstructure. L’hépatologue peut être consulté à tout moment par la suite par l’équipe de la microstructure. Ces consultations-expert, grâce au déplacement de l’hépatologue hospitalier extra-muros, ont pour but de faciliter l’initiation et le suivi des traitements des patients usagers de drogues pris en charge dans le réseau.
En parallèle, le réseau a développé deux enquêtes épidémiologiques VHC, l’une en 2005 et l’autre en 2007, afin d’évaluer l’impact de son dispositif sanitaire sur le dépistage et l’accès au traitement anti-VHC.
Ainsi, les microstructures médicales d’Alsace ont effectué un dépistage du VHC chez 80 % des patients usagers de drogues suivis. La comparaison des deux études a montré que si 57 % des usagers de drogues étaient séropositifs en 2005, seuls 39 % l’étaient en 2007. De même, la séropositivité variait avec l’âge : elle est passée sous les 7 % chez les moins de 30 ans versus 80 % chez les plus de 45 ans, probablement liée à la politique de réduction des risques. En effet, si la pratique de l’injection était majoritaire chez les plus âgés, les moins de 30 ans semblaient l’abandonner au profit du sniff. Dans 90 % des cas, la sérologie était complétée par le dosage de l’ARN du VHC. La prise en charge thérapeutique a pu être effectuée chez 43 patients soit 40 % des patients ARN-VHC positif (Di Nino et coll., 2009renvoi vers).
Ces résultats, plus favorables que ceux rapportés dans la littérature, montrent que le dispositif en réseau des microstructures médicales a un impact sanitaire favorable dans le dépistage, le suivi, le traitement de l’hépatite C chez les patients qui y sont suivis.
Dès à présent, le travail en équipe au sein du réseau des microstructures améliore la prise en charge des usagers de drogues contaminés par le VHC.

Coordination nationale des réseaux de microstructures : CNRMS

Au réseau des microstructures d’Alsace se sont ajoutés un réseau de microstructures dans la région Paca, et d’autres plus récemment en Languedoc-Roussillon, en Midi-Pyrénées ainsi qu’en Lorraine pour former la Coordination nationale des réseaux de microstructures. À ce jour, plus de 50 médecins généralistes, 10 travailleurs sociaux et 20 psychologues y participent pour suivre plus de 1 000 patients.
Actuellement, en collaboration avec le pôle de référence hépatites du CHU de Strasbourg et l’unité d’hépato-gastro-entérologie de l’Hôpital St-Joseph de Marseille, la CNRMS met en place un dispositif sanitaire VHB, ayant pour but de relancer la vaccination et le dépistage des hépatites B chez les usagers de drogues. Ce dispositif reposant sur la formation des équipes de microstructures est également soutenu par une étude nationale visant à mesurer l’impact du dispositif en comparant notamment la couverture vaccinale des usagers de drogues suivis avant, et 18 mois après la formation. Les résultats préliminaires montrent que seul 29 % des 906 usagers de drogues suivis ont une vaccination complète VHB avant la formation des équipes.
En conclusion, au vu du nombre d’usagers de drogues suivis par les médecins généralistes, et de leur rôle jusque là oublié dans la politique de réduction des risques, il apparaît judicieux de s’appuyer plus et mieux sur les réseaux comme outil de réduction des risques. Les microstructures médicales, par la mise en place de mini-équipes thérapeutiques et la transversalité du suivi des patients ont d’ores et déjà apporté la preuve de leur impact sanitaire contre les maladies infectieuses. Ainsi, les réseaux de microstructures constituent de fait un dispositif de réduction des risques et de prises en charge des patients concernés, loin d’être négligeable.

Bibliographie

[1] di nino f, imbs jl, melenotte gh, le reseau rms, doffoel m. Dépistage et traitement des hépatites C par le réseau des microstructures médicales chez les usagers de drogues en Alsace, France, 2006-2007. BEH. 6 octobre 2009; 37:400-404Retour vers
[2]ofdt. Drogues, Chiffres clés. OFDT; Juin 2010; Retour vers

Fiorant Di Nino

Chargé de recherche, Coordination nationale des réseaux de microstructures (CNRMS)

Contribution de l’association Charonne

Réduction des risques et migrants

Depuis son ouverture en 1998, le centre Beaurepaire (devenu depuis lors Caarud) reçoit une population constituée majoritairement de migrants (recrutement de proximité, mais la Boutique devait être primitivement située sur la quartier des Halles) présentant des conduites de consommations de substances psychoactives (usagers d’alcool et drogues et médicaments détournés de leur usage).
Parmi eux, par exemple, se trouvent des ressortissants polonais en errance à Paris, ceci étant confirmé par une enquête diligentée par la Ddass. Une « permanence polonaise » a été mise en place sur le centre Beaurepaire afin d’entrer en contact avec ces publics, caractériser leurs besoins, favoriser leur accès aux soins et aux droits... ce qui supposait un contact dans leur langue ; une bonne partie de ces personnes, néo-arrivants ou de longue date en errance sur Paris ne maîtrisant pas le français. D’où la création du réseau expérimental d’intervention psychosocial Bociek.
Le même constat a été fait avec d’autres groupes. Par exemple, celui des personnes originaires de l’Inde, en errance sur le 10e arrondissement, fréquentant le centre pendant plusieurs années, avant que la compréhension ne s’établisse réellement de part et d’autre, sur l’offre de soutien et d’accompagnement (au-delà des services directement visibles), et sur les problématiques et les besoins spécifiques de ces groupes.
Les questions suivantes se posent pour les publics du Caarud Beaurepaire :
• la prévention en terme de réduction des risques alcool, médicaments, substances psychoactives en général non injectées, et la nécessité de développer des savoir-faire concernant la réduction des risques et l’alcool ;
• la prévention des conduites à risques (sociales, délinquantes, sexuelles...) liées aux consommations de substances psychoactives.
La caractérisation transversale des actions de réduction des risques vis-à-vis de publics spécifiques porte sur :
• le fait d’« aller vers » ;
• dans leur langue ;
• la médiation auprès de l’environnement ;
• l’accompagnement actif dans les démarches sociales, administratives et de soins ;
• le réseau de partenaires sur le soin.

Réduction des risques en direction des femmes

L’espace Femme du Caarud 18 reçoit des usagères de crack et en situation de prostitution.
La réduction des risques auprès de ces femmes « crackeuses » rejoint la réduction des risques dans le champ de la prostitution, en plus de la réduction des risques liés aux consommations.
Les notions de prévention semblent à peu près intégrées pour ce qui concerne le travail sexuel... sauf tout de même dans le cas de besoins de plus d’argent pour plus de produit... En revanche, les risques sexuels liés à la vie « personnelle » ne sont pas du tout intégrés par ces femmes. Il s’agit d’une difficulté particulière pour les femmes en « couples », qui n’appliquent pas aux relations « personnelles » les principes de prévention qu’elles ont pu intégrer par ailleurs du fait de la question de confiance ou de non acceptation des mesures de prévention par le partenaire, l’ambivalence désir de maternité/croyance en une « non-fertilité » du fait de la fréquente absence de règles... Cette difficulté constitue une cible majeure du travail de prévention concernant :
• les contaminations (virales, infections sexuellement transmissibles) ;
• le suivi gynécologique de prévention comme chez toute femme en période de vie sexuelle ;
• le recours à une contraception fiable ;
• la prévention des « risques de grossesse » (perçue souvent comme « rédemptrice ») : diagnostic précoce des grossesses, accès à l’IVG dans les délais règlementaires, accès aux suivis des grossesses ;
• la sensibilisation et l’orientation vers des lieux d’accompagnement à la parentalité (afin d’éviter la répétition de situations, une culpabilité inextricable, des échecs et abandons répétés...).

Association Charonne

Contribution de Médecins du Monde

Projet ERLI : éducation aux risques liés à l’injection

Problématique

Nous savons désormais que la mise à disposition de matériel stérile et sa distribution ne suffisent pas pour contrer la transmission du VHC, alors que cela l’a été pour la transmission du VIH. Les dispositifs actuellement en place apparaissent comme insuffisamment adaptés face aux risques de transmission de l’hépatite C. Lorsque l’injection se poursuit, il s’agit d’inventer et d’expérimenter de nouveaux outils et stratégies de soins et d’éducation pour la santé. Ces dispositifs doivent tenir compte des réalités des consommations, des usages, des contextes de vie des personnes. Nous devons nous situer au « cœur » des consommations, aller vers les personnes qui prennent des risques, et toucher notamment les plus jeunes avant qu’ils ne se contaminent.1

Avis d’experts

Le 1er juin 2005, lors d’une Journée d’animation de la recherche organisée par l’ANRS dédiée aux « Recherches en santé publique sur les hépatites virales », plusieurs chercheurs d’horizons divers ont préconisé eux aussi « l’expérimentation de programmes pilotes d’éducation à l’injection dans des lieux sécurisés » associée à une démarche évaluative. Ces dispositifs permettraient aux usagers de drogues par injection « d’apprendre à manier l’injection en maîtrisant l’ensemble des risques infectieux ». Ils pensent que ces dispositifs « pourraient réduire les risques de transmission du VHC. Ces dispositifs, ambitionnant une véritable éducation à « l’injection propre » dans un environnement sécurisé, pourraient s’appuyer sur des lieux d’accueil de toxicomanes actifs.

Inscription dans les textes législatifs qui encadrent la réduction des risques

Décret du 14 avril 2005 approuvant le référentiel national des actions de réduction des risques en direction des usagers de drogues et complétant le Code de la santé publique.
« Les équipes de réduction des risques peuvent participer à l’évaluation de nouveaux outils ou stratégies de prévention contribuant à améliorer la prévention et à l’adapter à l’évolution des usages, des substances consommées et de leurs associations ou de la population des consommateurs ».
Décret du 19 décembre 2005 relatif aux missions des Caarud et modifiant le Code de la santé publique (dispositions réglementaires).
Circulaire DGS du 2 janvier 2006, document n°2 « nomenclature des activités RDR relative à la structuration du dispositif de réduction des risques, à la mise en place de Caarud et à leur financement par l’assurance maladie ».

Objectifs

Objectif principal

Réduire la mortalité et la morbidité liées à la consommation de drogues par voie intraveineuse en milieu urbain en Ile-de-France.

Objectifs d’intervention

Renforcer la capacité des usagers à adopter des comportements de prévention (non partage et non réutilisation du matériel d’injection), c’est-à-dire :
• améliorer les connaissances des consommateurs concernant les risques liés à l’injection ;
• agir sur leurs représentations et faire évoluer leur perception des risques ;
• promouvoir l’utilisation d’autres modes de consommation à moindre risque que l’injection (renoncement à l’injection, recours au sniff, à l’inhalation, accompagnement de l’usager à l’arrêt de sa consommation, inscription dans un traitement de substitution non injecté...) ;
• repérer les pratiques à risques et les facteurs de vulnérabilité, en assurant une veille sur les pratiques, les produits et les modes de consommation ;
• favoriser le recours aux soins ;
• entrer en contact avec les usagers les plus à risque : les injecteurs nouveaux ou récents, et les injecteurs les plus marginalisés qui sont peu ou pas en lien avec des structures médico-sociales et favoriser l’ouverture d’un dialogue sur les risques liés à la pratique de l’injection ;
• témoigner de l’utilité d’une éducation pratique aux risques liés à l’injection à partir d’une évaluation issue de l’expérience de terrain.

Modalités d’intervention : un programme d’éducation à la santé

Une approche éducative individuelle théorique et pratique au cours d’un nombre déterminé de séances (6 séances) où l’usager utilise le produit qu’il consomme habituellement sur la base d’un protocole explicite avec les usagers (procédure d’inclusion, règles à observer, acceptation du processus d’évaluation). Un travail éducatif réalisé auprès de différentes populations d’usagers sur des territoires d’intervention variés, à partir de dispositifs existants (Caarud Sida Paroles dans le 92, Caarud et CSST Gaïa Paris, Mission Rave & Squat Paris) et ce pour des raisons de couverture territoriale et de santé publique.

Concrètement

La personne pratique son injection devant deux intervenants (binôme composé d’un infirmier et d’un éducateur à la santé qualifié aux gestes de premier secours).
Les intervenants analysent la pratique, soulignent les risques à chaque étape et rappellent les bonnes pratiques.
Les intervenants n’injectent pas (ne poussent pas sur le piston, n’introduisent pas l’aiguille dans la veine de l’usager et ne posent pas ou ne tiennent pas le garrot ni aucun autre matériel), disposent d’un brevet de secouriste et de moyens d’intervention rapide.

Marie Debrus

Médecins du Monde

Contribution de Aides

Sur la base des actions de santé communautaire avec les personnes consommatrices de produits psychoactifs menées par Aides en France, notamment dans les trente dispositifs Caarud que nous gérons, nous tenons à mettre l’accent sur les trois enjeux suivants.

Prises de sang

Un obstacle très concret qui complique toujours l’accès aux soins (surtout les dépistages et autres bilans médicaux) est lié à l’état des veines des usagers de drogues injectables et aux difficultés pour être prélevé. Cette difficulté est souvent rapportée par les usagers de drogues injectables auprès des intervenants communautaires de Aides. Ainsi, lors d’une consultation structurée avec 20 personnes consommatrices de drogues injectables organisée par la délégation de Aides à Toulouse en 2007 : 
• plusieurs personnes témoignent de « la galère de se faire charcuter les veines par un(e) infirmièr(e) qui s’y reprend 4 ou 5 fois avant d’en trouver une correcte » ;
• plusieurs personnes expliquent qu’elles fuient et refusent d’être soignées par les infirmiers qui ne les écoutent pas lors des prises de sang. Cette attitude des infirmiers est vécue par les personnes comme du mépris, un déni du savoir-faire des personnes qui s’injectent, une attitude discriminante et stigmatisante ;
• certains n’osent pas aborder la question de l’auto-prélèvement du fait qu’ils pensent (à tort) que ce n’est pas autorisé ;
• « Passer le pas de faire son dépistage n’est déjà pas chose facile... Si en plus le sang ne remonte pas dans la veine et qu’au bout du 5e pansement, l’infirmière appelle le docteur qu’il va falloir attendre une heure pour une ponction artérielle douloureuse et non sans risque pour la santé. » Le recours à la prise de sang artériel est mal vécu par plusieurs usagers.
Ces freins à l’accès à la prise de sang sont particulièrement dommageables car cela entraîne à la fois des retards dans les dépistages (pour le VIH et les hépatites) et nuit au suivi médical (bilans réguliers à faire pour le VIH et les hépatites). Nous souhaitons donc que les infirmiers soient :
• explicitement autorisés à permettre aux personnes ayant un capital veineux abîmé à s’insérer elles-mêmes l’aiguille dans la veine (sous la supervision de l’infirmier, qui terminera le prélèvement) ;
• formés sur les spécificités de la prise en charge des personnes consommatrices de produits psychoactifs.

Accompagnement à l’injection

La distribution de matériel d’injection stérile a produit des résultats probants quant à la possibilité de réduire les risques liés à certaines pratiques d’injection, diminuant considérablement le nombre de contaminations par le VIH chez les injecteurs de produits psychoactifs. Elle n’a cependant pas permis de résoudre le problème des dommages liés à l’injection et d’endiguer la progression constante du virus de l’hépatite C (VHC).
Concernant les dommages liés à l’injection tels que les abcès, plaies, infections et dégradations du capital veineux, plusieurs facteurs sont en jeu parmi lesquels l’environnement dans lequel sont pratiquées les injections et le manque d’explications concrètes sur l’usage du matériel, sur les points d’injection et sur les règles d’asepsie. Concernant la forte prévalence du VHC, plusieurs hypothèses sont aujourd’hui retenues : le partage du petit matériel (récipient, eau, filtre, produit), la pratique « sauvage » du piercing et du tatouage, le partage d’objets du quotidien, ou l’absence de matériel stérile d’injection, de piercing et de tatouage dans les prisons françaises. La première hypothèse, celle du partage du petit matériel, est la plus documentée, aussi bien par nos observations de terrain que par les études réalisées à ce sujet. Ces constats nous révèlent ainsi que la distribution de matériel n’atteste pas son bon usage : il s’agit désormais d’aller au plus près des pratiques et habitudes d’injection, aussi bien pour penser avec les personnes la notion de risque que pour observer directement les hypothèses que nous formulons. C’est en cela que l’accompagnement à l’injection constitue un pas de plus sur la voie de la réduction des risques : il se rapproche du risque pour mieux le prévenir. L’accompagnement à l’injection pour Aides implique l’organisation de sessions éducatives avec des personnes consommatrices de produits psychoactifs par voie injectable demandeuses d’un soutien sur leur pratique de l’injection comprenant à la fois :
• un échange pédagogique sur les pratiques d’injection de la personne et les questions qu’elle se pose ;
• l’auto-injection par la personne d’une substance qu’elle consomme habituellement en présence d’acteurs associatifs formés. Ces sessions ont pour objectif principal de permettre à la personne d’apprendre à s’injecter d’une façon plus sûre en vue de pouvoir mieux gérer les risques associés à la pratique de l’injection (notamment les infections virales et les dommages veineux).
L’utilité de cette action est confirmée par les travaux de recherche menées dans les salles de consommation qui la pratiquent (les publications de Woodrenvoi vers et Treloarrenvoi vers sur des actions éducatives respectivement menées dans les salles de consommation de Vancouver et de Sydney).

Limites du cadre légal français

Nous constatons encore aujourd’hui que la simple fréquentation des Caarud met parfois les personnes en difficulté vis-à-vis des forces de l’ordre (fouilles assidues qui apparaissent comme étant dues au simple fait d’avoir sur soi du matériel d’injection). Les lois françaises sur les produits stupéfiants, surtout la pénalisation de la simple consommation et l’interdiction de présenter certains produits « sous un jour favorable », ne sont souvent pas compatibles avec les actions de promotion de la santé.
Cela fait déjà 8 ans qu’au Portugal (avec la loi 30/2000 adoptée en novembre 2000, appliquée à partir du 1er juillet 2001), « aucune sanction pénale [n’est] appliquée pour usage privé de substances illicites » (source : rapport 2001 de l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies). Une évaluation récente menée par l’Institut Catorenvoi vers fait apparaître que suite à cette réforme légale :
• la prévalence de la consommation de produits psychoactifs parmi les 15-19 ans a baissé ;
• le nombre des nouveaux cas reportés de VIH et de sida parmi les personnes injectrices a substantiellement diminué, de même que la mortalité liée à la consommation de drogues ;
• les professionels médicaux et les responsables politiques portugais s’accordent pour reconnaître que la dépénalisation a facilité l’accès à la prévention et aux soins des personnes consommatrices de drogues.
En outre, nous questionnons l’utilité de nos politiques et pratiques françaises sur la lutte contre la toxicomanie du point de vue du rapport coût-efficacité. Quels sont donc les résultats (sur le niveau de consommation de produits, sur la réduction des trafics, en terme de droit et de santé des personnes, vis-à-vis de la réduction des dommages et infections liés à la consommation de produits illégaux...) qui justifient le maintien en l’état du volet répressif, fort coûteux, de la « lutte contre la drogue » ?
Pour ces raisons, Aides appelle à ce qu’un bilan soit effectué sur le dispositif légal français de lutte contre la toxicomanie, notamment concernant les enjeux touchant à la santé et au respect des droits fondamentaux des personnes.
Nous considérons enfin évidemment comme essentiel un accès à des services de santé et de réduction des risques dans les prisons françaises qui soit effectivement équivalent à ce qui est mis en place à l’extérieur des prisons. Notamment, de multiples expériences internationales ont démontré la faisabilité et l’utilité de permettre aux personnes incarcérées de pouvoir se procurer du matériel d’injection stérile.

Bibliographie

[1]cato institute. Drug Decriminalization in Portugal: Lessons for Creating Fair and Successful Drug Policies. 2009; Retour vers
[2] treloar c, laybutt b, jauncey me, van beek ia, lodge m, et coll. Broadening discussions of ‘safe’ in hepatitis C prevention: A close-up of swabbing in an analysis of video recordings of injecting practice. Int J Drug Policy. 2008; 19:59-65Retour vers
[3] wood e, tyndal mw, stoltz ja, smalla w, zhan r, et coll. Safer injecting education for HIV prevention within a medically supervised safer injecting facility. Int J Drug Policy. 2005; 16:281-284Retour vers
[4] wood e, tyndall m w, stoltz j-a, small w, lloyd-smith e, et coll. Factors associated with syringe sharing among users of a medically supervised safer injecting facility. American Journal of Infectious Diseases. 2005; 1:50-54Retour vers
[5] wood ra, wood e, lai c, tyndall mw, montaner js, kerr t. Nurse-delivered safer injection education among a cohort of injection drug users: Evidence from the evaluation of Vancouver’s supervised injection facility. Int J Drug Policy. 2008; 19:183-188Retour vers

Arnaud Simon

Association Aides

Contribution de l’association Safe

Usagers problématiques et accessibilité aux seringues

Nombre d’usagers de drogues problématiques

Si nous pouvons comprendre que l’OFDT recueille les informations selon les modes de calcul préconisés par l’OEDT, nous aurions souhaité que l’expertise propose un mode de calcul critique des usagers réellement problématiques, le mode de calcul actuel étant trompeur sur l’ampleur du phénomène (il nous semble en effet surprenant de considérer que tous les usagers en traitement de substitution par la méthadone ou la buprénorphine restent des usagers problématiques).

Recours versus accessibilité

L’association Safe s’étonne que le groupe d’experts puisse conclure à une bonne accessibilité aux seringues en France.
L’explication donnée est basée sur le nombre de seringues diffusées corrélativement au nombre d’usagers actifs de drogue par injection, or cela donne une indication du recours à la seringue et non pas de l’accessibilité aux seringues.
Même si le recours à la seringue est quantifié, aucun élément ne nous permet d’évaluer qu’il est satisfaisant et correspond à une bonne pratique (1 injection=1 seringue).
Nous n’avons pas retrouvé le mode de calcul indiquant comment l’OFDT parvient au chiffre de 81 000 d’usagers de drogue par injection actifs par mois.
Mais, si nous considérons ce chiffre de 81 000 usagers de drogue ayant injecté au moins une fois, il ne nous renseigne pas pour autant sur la fréquence de la pratique d’injection ; certains injectent occasionnellement, certains tous les jours voire plusieurs fois par jour. Donc le recours à 15 millions de seringues par an environ n’est pas forcément suffisant.
D’ailleurs, nous relevons que la réutilisation des seringues reste très fréquente.
Une enquête sur le contenu des fonds de seringues menée par Safe à Paris en 2009 démontre qu’au moins 1/3 des seringues sont réutilisées, compte tenu de la présence de produits qui n’ont pu être injectés simultanément.
Plusieurs enquêtes démontrent que les seringues sont réutilisées (enquête 2001 à Mulhouse : au moins 3 fois, enquête d’Apothicom à Perpignan en 2001 et Ivry-sur-Seine en 2004 : en moyenne réutilisées 2 à 4 fois).

Deux facteurs sont déterminants pour expliquer le niveau de recours : le prix et l’accessibilité géographique

Dans le cadre d’une enquête réalisée par Safe en 2009 sur le don de matériels d’injection en pharmacies, il apparaît que le prix du matériel d’injection est un frein à la prévention et que le passage d’un mode d’accès payant à un mode d’accès gratuit démultiplie fortement la délivrance de seringues.
Or, l’accès gratuit (associations et pharmacie) représente à peine un tiers de la diffusion de seringues.

Répartition géographique de l’accès gratuit

Les enquêtes nationales menées par Safe en 2006 et 2009 démontrent que :
• à peine plus de 300 communes disposent d’un programme d’accès au matériel gratuit ;
• seules 2 % des pharmacies sont impliquées dans un programme de don de matériel d’injection (alors que le Baromètre santé de 2003 faisait état de 6 % des pharmaciens engagés dans un tel programme).

Répartition géographique de l’accès payant

La délivrance payante de matériels d’injection pourrait être effectuée dans 85 % des officines puisque selon le Baromètre santé de 2003, 85 % des pharmaciens reçoivent au moins une fois par mois des usagers de drogues ; dans cette même étude, 78 % des pharmaciens déclarent délivrer de la substitution.
Nous nous interrogeons sur la couverture territoriale de l’accès payant en 2010. Les résultats intermédiaires d’une enquête déclarative que nous menons à Paris montrent aujourd’hui que : 65 % des pharmacies délivrent des seringues (44 % le stéribox, 43 % des seringues à l’unité) et seules 47 % délivrent les traitements de substitution (42 % le Subutex, 30 % la Méthadone).
Au final, nous pensons que le recours au matériel d’injection n’est pas satisfaisant, car se cumulent à la fois un problème d’accessibilité (inégalité territoriale) et l’insuffisance de distribution gratuite de matériels.

Travaux sur les outils de prévention

Safe pilote un groupe de travail « Kit 2cc », qui vise à diversifier l’offre de matériels d’injection en proposant une nouvelle trousse de prévention adaptée aux usagers consommateurs de produits nécessitant une injection avec une seringue 2 ml.
Ce groupe est composé de partenaires associatifs et de deux scientifiques, un chercheur en biologie moléculaire, et un docteur en pharmacie.
Le groupe de travail propose une analyse critique des matériels actuellement proposés.

Problème de l’hygiène

Pour assurer la meilleure prévention possible, la question de l’hygiène est fondamentale. Or, dans les trousses actuellement proposées, il n’y a pas de possibilité de se laver les mains ni de possibilité de préparer le shoot sur une surface propre. Le groupe préconise de donner une lingette nettoyante et un champ de soin.

Problème de l’adaptation des outils : quelle pertinence, quelle performance ?

Les lingettes désinfectantes (point d’injection)

L’utilisation d’alcool n’est pas satisfaisante d’une part parce que les usagers utilisent régulièrement le produit pour chauffer et non pour l’usage prévu au départ, et d’autre part parce qu’il n’est pas le mieux adapté à la peau déjà abîmée des usagers. Il est parfois utilisé pour comprimer le point d’injection, ce qui nuit également à la cicatrisation et à l’arrêt du saignement. Le groupe a mis en expérimentation un produit alternatif à l’alcool (digluconate de chlorhexidine).

L’eau PPI

L’hypothèse du groupe est que l’utilisation par les usagers de fioles d’eau PPI (eau pour préparation injectable) de contenance 5 ml peut conduire à des contaminations par le VHC.
Une étude menée par Thorpe et coll. (2002) à Chicago, entre 1997 et 1999 auprès de 353 usagers de drogues, montre que le partage du « petit matériel » de préparation de l’injection et notamment des fioles d’eau PPI est fortement impliqué dans la transmission du VHC.
Le travail de terrain auprès des usagers montre d’une part que les usagers rincent très fréquemment leur seringue après l’injection et d’autre part que l’eau restant dans la fiole est conservée pour une ou plusieurs utilisations ultérieures (1 à 4). Et nous savons que même si les partages de seringues sont de plus en plus rares, le partage des cupules, de l’eau ou la préparation commune de produits dans une même cupule sont encore fréquents.
Actuellement, il n’existe aucune étude virologique (en laboratoire) prouvant la présence de VHC dans ces flacons. Cependant plusieurs articles scientifiques font état de transmissions nosocomiales du VHC liées à l’utilisation de flacons multidoses. Nous avons produit une synthèse bibliographique qui apporte la preuve que le partage de flacons multidoses est un important facteur de risque de transmission du VHC et également d’infections bactériennes en milieu hospitalier. Il est évident alors que si des professionnels de santé qualifiés rencontrent ce genre de problème dans des établissements de santé, il y a de grands risques pour que les usagers de drogues injecteurs, dans leurs conditions les plus précaires, subissent ce type de transmission du VHC à travers le partage des fioles d’eau PPI de 5 ml distribuées dans les trousses ou à l’unité.

Le tampon sec post-injection

Les retours des usagers indiquent que le tampon sec (du Kit+) est actuellement très peu utilisé, notamment en raison de sa petite taille (peu pratique, vite souillé, surtout chez ceux qui se piquent plusieurs fois avant de trouver leur veine).

Le filtre

Cet outil est déterminant en matière de réduction des risques, en raison des conséquences de santé liées aux excipients contenus dans les médicaments injectés mais aussi en raison des contaminations par bactéries et mycoses.
Le groupe estime que le filtre doit être un outil efficace pour lutter contre les principales bactéries et mycoses pathogènes pour les usagers, les abcès, les poussières, les excipients et les risques respiratoires.
À ce jour, aucun des filtres proposés en France (y compris sterifilt) n’apporte ces garanties, alors que de tels filtres (toupies par exemple) sont diffusés dans certains pays étrangers.
L’équipe de Safe reste à disposition pour vous fournir tout autre complément d’information.

Catherine Duplessy-Garson

Directrice de l’association Safe

Contribution de Asud

La substitution aux opiacés : le point de vue des usagers

Qu’est-ce que la substitution ?

Ce sont des traitements mis à disposition des usagers dépendants aux opiacés pour réduire les risques liés à la consommation d’opiacés illicites. Réduire les risques voulant dire ici, soit arrêter ou baisser la consommation de produits illicites, arrêter ou diminuer l’injection, ou aider à gérer l’usage de drogues. Au final, c’est pour aider ces usagers à aller mieux et à pouvoir gérer leur vie.
Il y a en effet deux types de substitution : la substitution « sevrage », qui à plus ou moins long terme vise l’abstinence de toute drogue, y compris parfois des traitements de substitution, et la substitution « maintenance » qui permet aux usagers de gérer leur consommation de produits illicites.
La première est surtout connue en France, y compris par les professionnels du soin. La deuxième est plus utilisée par les usagers qu’on peut le croire... Ce qui peut être la source de tensions et de malentendus entre usagers et professionnels du soin, comme nous le verrons plus tard. Elle est pourtant très pratiquée comme telle dans les pays anglo-saxons. Il faut aussi noter que les usagers ne se cantonnent pas à l’une ou l’autre, mais font des aller et retour entre les deux.
Au niveau des produits de substitution proprement dit, il y en a 4 en France, 2 officiels, 2 officieux. Les officiels sont bien sûr la buprénorphine haut dosage (BHD) et la méthadone, et les officieux sont la morphine (Skénan® et Moscantin®) et la codéine (Néo-codion®, Codoliprane®...). Les chiffres sont de 120 000 pour la BHD (avec 30 % de générique), de 20 000 pour la méthadone, de 5 à 10 000 pour la codéine et de 3 000 pour la morphine, ce qui n’est pas négligeable.

Pourquoi ces substitutions officieuses ?

Avant d’expliquer cela, il faut rappeler le cadre de prescription de la buprénorphine haut dosage et de la méthadone. La buprénorphine (BHD) peut s’obtenir chez tout médecin généraliste, pour 28 jours maximum, sans contrôle urinaire. La méthadone ne peut être primo-prescrite que dans les centres de soin, pour une période de 14 jours maximum, avec un cadre souvent très strict, qui comprend les contrôles urinaires et parfois des « punitions » si l’usager consomme des produits illicites.
Les substitutions officieuses ont perduré parce qu’il n’y a pas adéquation entre l’offre de soin et la demande des usagers.
L’avantage de la codéine est qu’elle est en vente libre en France, et qu’elle sert à une catégorie d’usagers qui ne sont pas prêts (ne peuvent pas ou ne veulent pas) à rentrer dans le système de soin. Elle sert au coup par coup, pour combler le manque entre deux arrivages d’héroïne, comme dans les années 1980. Mais elle sert aussi à de vieux usagers des années 1980 qui avaient créé leur substitution avec le Néo-codion et qui n’ont pas arrêté depuis. Son principal inconvénient est que les comprimés (mis a part le Néo-codion) sont souvent associés à du paracétamol, ce qui peut provoquer des hépatites fulgurantes à hautes doses (4 g). Pour la morphine, qui peut être prescrite par les médecins généralistes, principalement sous forme de Skénan®, c’est très différent. Ce sont des usagers, qui ne trouvent pas leur compte ni dans la buprénorphine (BHD), qui n’est pas assez « forte » pour eux, ni dans la méthadone, dont le cadre est trop strict.

Qu’est-ce que la substitution apporte aux usagers d’opiacés et à la société ?

Obtenir un traitement de substitution, c’est arrêter de dépenser son temps et son argent pour l’obtention d’opiacés illicites, c’est arrêter de prendre des risques avec la loi, c’est diminuer les injections et prendre moins de risque de contamination VIH/VHC, c’est pouvoir avoir accès au soin.
C’est pourquoi la substitution en France a été un succès pour la santé publique : une réduction des overdoses de 80 % en quelques années, une diminution de la consommation d’héroïne, les injecteurs ne se contaminent plus avec le VIH (moins de 3 % de taux de prévalence), la durée de vie des usagers a augmenté, les usagers ont pu rentrer dans le système de soin. Sur ce dernier point, il faut rappeler qu’au début des années 1990, les usagers d’héroïne n’avaient pas accès au soin, puisque les soignants, en particulier à l’hôpital, leur demandaient de faire un sevrage avant d’être pris en charge pour n’importe quelle maladie. La substitution a changé complètement la donne.
Mais ce n’est pas qu’un succès de santé publique, c’est aussi un succès économique et social. Non seulement, les usagers travaillent plus et vont moins en prison, mais ce qui n’est pas dit souvent, c’est que la substitution fait économiser à la société française des centaines de millions d’euros (voir la conférence de consensus sur les traitement de substitution, FFA et Anaes, 2004renvoi vers) : moins de maladie ou d’overdose, moins d’infractions à la législation sur les stupéfiants pour héroïne et de prison, plus de travail et plus d’impôts payés...

Le cas de la buprénorphine haut dosage

Le Subutex a beaucoup été décrié ces dernières années, mais c’est grâce à lui que la substitution a été un succès en France. Son cadre libéral a permis aux usagers d’avoir accès à la substitution en nombre et de rentrer massivement dans le système de soins. Dans d’autres pays comme au Canada, qui n’ont pas accès à une substitution libérale, les taux de prévalence VIH et les overdoses à l’héroïne baissent beaucoup moins vite que chez nous.
Mais ce cadre libéral à des effets secondaires.
Premièrement, la buprénorphine a remplacé l’héroïne dans la rue, prouvant s’il le fallait, que la buprénorphine est bien une drogue avec des effets psychoactifs. Si on peut le déplorer, notamment parce que cela peut mettre en danger le dispositif, il faut analyser pourquoi et différencier le trafic, qui doit être combattu, de ce que les usagers peuvent trouver au marché noir. C’est le cas par exemple, des usagers qui ne peuvent pas ou ne veulent pas rentrer dans le système de soin et qui peuvent trouver de la buprénorphine au marché noir. Il peut en effet être très dur d’aller voir un médecin et un pharmacien, et cela peut être vécu comme une épreuve. Ceci plaide pour la multiplication des bus à bas seuil d’exigence, type Gaia à Paris, pour aller à la rencontre de l’usager sur son lieu de consommation. C’est aussi le cas des usagers que le médecin a sous-dosé par méconnaissance ou par punition qui peuvent ainsi compléter leur traitement.
Deuxièmement, la buprénorphine est « mésusée » que ce soit en injection, en sniff ou en la fumant. Nous n’appelons pas cela mésusage, très connoté péjorativement, mais « usage alternatif » de la substitution. En effet, pour nous, si des usagers s’injectent ou sniffent de la buprénorphine, c’est que leurs besoins ne sont pas en phase avec l’offre de substitution. Ainsi, si le Subutex est injecté, c’est qu’il n’existe pas en France de traitements de substitution injectables contrairement à la plupart des pays européens voisins, pour répondre aux besoins des usagers qui ne peuvent pas arrêter l’injection.
Troisièmement, c’est la question de la primo-dépendance à la buprénorphine. Des usagers qui n’ont jamais goûté l’héroïne se retrouvent dépendants à la buprénorphine issue du marché noir. Si encore une fois, on peut le déplorer, est-ce qu’il ne vaut pas mieux que ces nouveaux usagers commencent par la buprénorphine, beaucoup moins dangereuse que l’héroïne ? Il sera en outre plus facile pour eux d’entrer dans le système de soin parce que le produit auquel ils sont dépendants est le même que celui qui est proposé dans ce système.

La question du sevrage

Contrairement aux idées reçues, la substitution ne s’oppose pas au sevrage. Ce sont deux outils différents pour aider les usagers. La question est de savoir quand le faire, qui décide de le faire et comment le faire.
Sur le terrain, nous voyons souvent des usagers ayant arrêté leur traitement de substitution, reprendre de l’héroïne en prenant le risque de l’overdose, puisqu’ils ne sont plus aussi tolérants. De même, de nombreux usagers sont devenus dépendants à l’alcool après avoir arrêté leur traitement. De plus, le commentaire d’Andrew Byrnrenvoi vers sur l’étude « Loss of tolerance and overdose mortality after inpatient opiate detoxification: follow up study » prouve que les héroïnomanes sevrés de tout opiacé, y compris des traitements de substitution, ont une durée de vie plus courte que les personnes sous substitution. Ceci nous confirme que le traitement de substitution ne doit pas être arrêté à la légère. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas se sevrer des traitements de substitution, mais surtout que c’est aux usagers et non aux médecins de prendre la décision de baisser et d’arrêter les traitements.
Enfin, il y a un vrai problème sur les sevrages des traitements de substitution en France. Il n’y a pas de clinique du sevrage des traitements de substitution. Le dispositif est adapté pour le sevrage à l’héroïne mais pas pour la substitution, dont le sevrage est plus progressif et dure plus longtemps. Les usagers qui sortent du sevrage au bout de 10 jours n’en ont pas encore terminé et la rechute n’est pas loin. C’est aussi ce qui explique que beaucoup d’usagers vont tenter leur chance dans la clinique du Dr Waissman en Israël avec son sevrage NRO ultrarapide à 8 000 euros. Il faut redéfinir en urgence une clinique du sevrage.

Les relations médecin-usager et pharmacien-usager

On ne peut pas affirmer que les relations usagers-soignants vont mal. Mais, à cause de la différence entre le besoin de l’usager et l’offre de soin, et parce que les soignants sont mal formés (voire pas formés du tout) à la toxicomanie, elles sont souvent un dialogue de sourd. Une étude sur les représentations qu’ont les usagers de leur médecin traitant fait ressortir quatre types de représentations : le dealer en blouse blanche, le médecin paternaliste et autoritaire, le médecin focalisé sur les dosages, et le spécialiste focalisé sur la personne (Guichard et coll., 2007renvoi vers). La conclusion de l’étude montre que dans tous les cas, quand il y a rechute ou « usage alternatif », il est très difficile d’en parler à son médecin. Nous pouvons affirmer la même chose pour le pharmacien, ce qui laisse les usagers seuls face à leurs problèmes puisque le médecin et le pharmacien sont souvent les seules personnes à qui ils peuvent parler de leur traitement.
Dans ce dialogue de sourd, on peut néanmoins souligner deux types de problèmes qui témoignent d’une conception différente des addictions. Il y a des médecins qui veulent à tout prix baisser le traitement dès que l’usager a commencé. Cela conduit l’usager à la rechute, ou à aller compléter son traitement au marché noir. Inversement, certains médecins ne veulent pas baisser le traitement, même si l’usager en a envie, considérant que de toute façon celui-ci va rechuter. Ceci conduit l’usager à tenter tout seul de décrocher, sans pouvoir s’appuyer sur les compétences du corps médical.
Ces deux exemples montrent bien à quel point les pratiques sont hétéroclytes et surtout à quel point parfois le traitement n’est pas négocié avec l’usager. Or, la négociation du traitement doit être au cœur de la prescription du médecin. Pour responsabiliser l’usager autant que pour répondre à ses besoins.
En conclusion, la substitution à la française a été un succès sanitaire, économique et social, en particulier grâce au cadre libéral de la prescription de la buprénorphine (BHD). Ce succès a néanmoins oublié des usagers aux bords de la route, notamment les plus précarisés, parce que leurs besoins ne sont pas en adéquation avec l’offre du système de soin et parce que les professionnels du soin ne sont pas assez formés. Certaines mesures à prendre sont simples : élaborer une clinique du sevrage, pouvoir prescrire de la méthadone en médecine de ville comme le font les belges, légaliser la prescription de morphine, inclure des formations sur l’usage de drogues dans les cursus de pharmaciens ou de médecins. D’autres mesures restant plus compliquées, plus à cause de tabous qui résistent que de questions techniques, comme mettre sur le marché un subutex injectable pour ceux qui ne peuvent se passer de l’injection ou élaborer un protocole d’héroïne médicalisée.
Dans tous les cas, il est nécessaire d’écouter les besoins des usagers si l’on veut diminuer les dysfonctionnements du système, comme le marché noir et les « usages alternatifs».

Bibliographie

[1] byrne a. Commentaire sur l’étude : Loss of tolerance and overdose mortality after inpatient opiate detoxification: follow up study. strang j, mccambridge j, best d, beswick t, bearn j, et coll. BMJ. 2003; 326:959-960Retour vers
[2] emmanuelli j. Tendances en matière de réduction des risques chez les usagers de drogues par voie IV. InVS; 2001; Retour vers
[3]federation française d’addictologie (ffa), anaes.Conférence de consensus : Stratégies thérapeutiques pour les personnes dépendantes des opiacés : place des traitements de substitution (23 et 24 juin 2004, Lyon); Retour vers
[4] guichard a, lert f, brodeur jm, richard l. Buprenorphine substitution treatment in France: drug users’ views of the doctor-user relationship. Soc Sci Med. 2007; 64:2578-2593Retour vers
[5] morel a, couteron jp. Les conduites addictives. Edition Dunod; 2008; Retour vers

Pierre Chappard

Chef de projet à Asud (Autosupport des usagers de drogues)

Contribution du collectif « Asud, Anitea, Act Up Paris, Safe, Gaïa, SOS Hépatites Paris, salledeconsommation.fr »

Expérimentation d’un dispositif de salles d’accueil et de consommation à moindre risque à Paris

Contexte

Depuis de nombreuses années, Paris est confronté à la problématique de l’usage de drogues de rue. Ces regroupements d’usagers appelés « scènes », augmentent en nombre et provoquent des nuisances à l’ordre public malgré le renforcement de l’application de la loi et le développement de programmes de première ligne (boutiques, hébergement pour usagers actifs, Caarud, automates). La population d’usagers de drogues en errance du Nord-Est parisien présente de nombreuses problématiques sociales et médicales, notamment au niveau des risques de contaminations ou de transmissions des maladies infectieuses (VIH/VHC) amplifiées par la consommation dans les espaces publics. Le travail quotidien réalisé par des équipes dans le cadre des programmes en place permet d’apporter des réponses (prévention des contaminations par le VIH, accès aux soins, aux droits...) mais la persistance de certaines problématiques (VHC, errance, désaffiliation sociale, lieux insalubres, tensions avec les riverains) incite à rechercher de nouveaux types d’intervention. Il serait à ce titre pertinent d’envisager la création d’un espace d’accueil et de consommation contrôlée pour usagers de rue où ils pourraient consommer par injection ou inhalation dans des conditions sanitaires appropriées et bénéficier d’orientations sociales et médicales. Ces salles de consommation ont pour objectif de cibler une catégorie spécifique de risques et les expériences internationales dont les premières remontent à plus de vingt ans, avec des résultats maintenant reconnus, nous ont amenés à considérer sérieusement ce dispositif.

Objectifs

Les salles de consommation à moindre risque permettent :
• d’entrer en contact avec les populations d’usagers de drogues les plus marginalisés afin de restaurer leur santé et leur situation sociale ;
• de réduire les risques d’overdoses fatales et la mortalité des usagers de drogues ;
• de réduire les comportements à risques en matière de transmissions des maladies infectieuses, en particulier VIH, VHC et VHB ;
• d’améliorer l’accès à la prévention et à l’éducation à la santé et en particulier aux pratiques d’injection sécuritaires ;
• d’améliorer l’accès aux traitements en addictologie et aux sevrages ;
• d’améliorer l’accès aux droits sociaux et aux circuits de réinsertion ;
• de faciliter l’accès à un hébergement adapté ;
• de réduire les nuisances liées à l’usage de drogues dans l’espace public.
Le public visé à Paris :
• les jeunes en errance (moins de 30 ans), souvent accompagnés de chiens, « sans chez soi », sans ressources, sans soutien familial, sans protection sociale, injecteurs de Skénan®, de cocaïne et de crack, consommateurs d’alcool, dont l’état de santé est souvent dégradé avec dénutrition, dermatoses, infections pulmonaires à répétition, troubles psychiatriques mal évalués et non traités ;
• les 30-50 ans, présentant une forte prévalence de l’hépatite C et souvent porteurs d’atteintes hépatiques sévères, plus ancrés dans la précarité et dans la polyconsommation en particulier d’alcool et de produits de substitution détournés, qui fréquentent les Caarud parisiens ;
• les injecteurs de skénan®, d’héroïne et de méthadone, sans droit, présentant une forte prévalence de l’hépatite C, souvent originaires des pays de l’Est, le plus souvent hébergés à l’hôtel, dans un cadre familial d’où une consommation dans l’espace public ;
• les consommateurs de crack, très précarisés, soit très ancrés dans la consommation, plutôt fumeurs, de la communauté afro-antillaise, soit consommateurs plus occasionnels injecteurs et/ou fumeurs.
Toutes précautions prises, compte tenu du caractère innovant et expérimental de ce projet, et après étude des différentes populations fréquentant les Caarud/Csapa et rencontrées sur le terrain, nous pouvons estimer une file active de 600 personnes par an.

Prestations

Les prestations proposées dans ces lieux d’accueil, composés d’au moins quatre espaces (accueil, salles de consommation à moindre risque injection/sniff, inhalation et soins) sont :
• l’accueil comme prestation sociale de base, en vue d’améliorer la situation des usagers de drogues par une contribution au maintien du lien social pour des personnes en forts risques de marginalisation ;
• un espace supervisé pour les consommations (injections, inhalation, sniff) qui a pour but de réduire les risques liés à la consommation de produits psychoactifs (transmission de maladies infectieuses, overdoses mortelles, infections, septicémie, endocardite) ;
• la participation au système d’alerte sur les produits dangereux et un lien avec l’OFDT pour échantillonner les produits consommés ;
• une pause-café, collations ;
• une information sociale et une orientation vers les structures de soins permettant d’offrir des possibilités d’accompagnement en vue d’entreprendre des démarches. La structure dispose d’une méthode d’orientation vers les traitements de l’addiction et le sevrage ;
• une attention particulière à la prévention des contaminations, au dépistage et à l’accès au soin pour l’hépatite C ;
• un espace d’élaboration collectif de certains thèmes concernant directement les usagers de drogues est favorisé au sein du lieu d’accueil. Une « charte de bonne conduite » doit être élaborée par les usagers et remise à chaque nouvel usager de la salle ;
• un atelier d’élaboration individuel pour travailler sur les pratiques de consommation à moindre risque. Nous proposons des conseils et un cadre sécurisant permettant de travailler sur la gestion de la consommation et sur une amélioration des pratiques de consommation, en valorisant les savoirs et les potentiels des usagers de drogues ;
• des soins de santé primaire proposés par le personnel infirmier du lieu d’accueil ainsi que des prestations médicales de premier recours et des capacités de réanimations en cas d’overdose. Tout doit être mis en œuvre pour un accès aux soins : il s’agit d’initier des démarches de soins afin que la personne soit en mesure de poursuivre un suivi dans les structures de droits communs ;
• la mise à disposition de matériel de consommation (seringue, eau stérile, tampon alcool, cupules, filtres, acide ascorbique, containers, pipe à crack, roule ta paille, bicarbonate de soude...) et échange contre matériel usagé ;
• l’éducation par les pairs est encore embryonnaire dans notre pays. Le cadre proposé par la salle de consommation à moindre risque s’avère particulièrement adapté au développement de ce mode d’intervention. L’éducation par les pairs est une technique de développement de la réflexion de l’usager pour lui-même et pour son groupe. Ce processus d’acquisition de compétences et de connaissances est nommé auto-habilitation (empowerment). Il permet aux usagers de drogues de prendre conscience de leur capacité à influer rationnellement sur leur mode de vie, d’exercer un contrôle sur des aspects importants de leur environnement.

Pilote

Le collectif « Asud, Anitea, Act Up Paris, Safe, Gaïa, SOS Hépatites Paris, salledeconsommation.fr »

Partenaires

Mairie de Paris, associations de quartiers, DGS

Calendrier

2010 : étude des besoins pour les usagers et la communauté
2011 : mise en place du dispositif de salle de consommation à moindre risque
2012 : évaluation

Indicateurs de résultats

• apprentissage des gestes de consommation à moindre risque par les usagers ;
• évolution de la file active ;
• quantification des orientations sociales, accès aux droits ;
• responsabilisation des usagers par rapport à leur santé ;
• nombre de demandes d’accès au soin en addictologie et sevrage ;
• acceptation du dispositif par la communauté ;
• évaluation de la réduction des nuisances perçues par la communauté.

Source des indicateurs

• les salles de consommation en Europe, revue de la littérature (OFDT) ;
• résultats de l’évaluation du centre d’injection supervisée de Vancouver, Projet pilote Insite ;
• conduites addictives, errance et prostitution à l’intérieur et aux abords des gares du Nord et de l’Est, Paris ;
• 10e arrondissement (GRVS-ORS-IDF) ;
• évaluation de l’espace d’accueil et d’injection « Quai9 » à Genève, première phase et deuxième phase ;
MSIC Evaluation Committee, Final report on the evaluation of the Sydney Medically Supervised Injecting ;
• Centre, Sydney, 2003;
• Autres sources : http://www.salledeconsommation.fr rubrique « Littérature ».

Collectif « Asud, Anitea, Act Up Paris, Safe, Gaïa,
Sos Hépatites Paris, salledeconsommation.fr »

Consultation avancée d’hépatologie du Csapa Villa Floreal à Aix-en-Provence

Depuis 1997, suite à un petit financement de la Ddass, nous avons mis en place une consultation d’hépatologie au CSST, maintenant Csapa hospitalier d’Aix en Provence. Le coordinateur du réseau SHA (sida, hépatites, addictologie) sous la supervision du service de hépato-gastro-entérologie de l’hôpital général, reçoit tous les mardis après-midi les personnes concernées de notre file active. Ce dispositif a créé une véritable dynamique dans le service, favorisant la proposition systématique du dépistage et l’accompagnement au soin. Un staff hépatite C avec les hépatologues et l’équipe du Csapa se tient tous les deuxièmes jeudi du mois.
Les infirmiers sont prêts à exécuter les prélèvements chez les patients même les plus difficiles à piquer, et se sont formés à la prise en charge des hépatites C, aux consultations d’observance, à l’accompagnement des risques liés à l’injection.
Le laboratoire de notre hôpital assure tous les examens sanguins : bilans initiaux et suivis (il y a un financement pour assurer les gratuités des fibrotests).
Grâce à des partenariats étroits, nous avons des accès facilités au plateau technique de l’hôpital général (fibroscan, échographie), et aux services du réseau ville hôpital (activités, médecines douces).
La délivrance régulière, quotidienne si besoin de méthadone offre la possibilité de proposer aux patients de gérer leurs autres traitements lorsqu’ils sont en trop grande difficulté psychologique et sociale pour le faire correctement eux-mêmes. Ainsi, nous pouvons assurer des prises régulières de psychotropes ou d’antirétroviraux aux patients précaires ou souffrant de comorbidités psychiatriques. Certains ont ainsi soigné et guéri leur hépatite C en prenant de la Ribavirine tous les jours au centre et en recevant leur injection d’interféron toutes les semaines par leur infirmière référente.
Dans le même temps, en partenariat avec le Caarud, nous gérons un distributeur récupérateur de seringues installé devant le portail et nous mettons à disposition tout matériel d’injection stérile (stérifit compris) pour tous les patients du centre. La relation de confiance permet aux usagers même sous traitement de substitution de parler de leurs pratiques d’usage et de demander des kits. Les infirmiers sont formés à cette relation, abordent les problématiques d’injection, de prises de risques, de contamination à travers le don de matériel, les messages de prévention et les soins cutanés.
La réduction des risques et l’accès facilité aux tests et aux soins se trouvent donc réalisés dans le même lieu par la même équipe. La prochaine étape sera, après une formation, la délocalisation du fibroscan dans le centre pour y tester les patients volontaires.

Description de trois cas pris en charge dans la consultation avancée d’hépatologie

Cas n°1

Emile, 20 ans, vit dans la rue et s’injecte de l’héroïne. Inquiet sur ses conduites à risques, il se présente spontanément au centre. Il est rapidement mis sous méthadone et est testé pour le VIH, VHB et VHC. Il est positif au VHC, génotype 3 et forte virémie. L’anamnèse ainsi que les examens hépatiques évoquent une primo-infection. En galère depuis plusieurs mois, il n’a plus de droits ouverts. Pendant que le médecin complète les examens, l’assistant social lance les démarches pour récupérer les droits sociaux, trouver un « lit halte soins santé ». Trois semaines après le premier contact, Emile commence son traitement, accompagné par l’équipe infirmière, suivi par la psychiatre. Dès le premier mois, la charge virale est indétectable. Au bout de 6 mois, il est guéri. Il va par la suite faire une formation et occupe aujourd’hui un poste à responsabilité en CDI dans l’informatique.

Cas n°2

Grégoire, 40 ans, ancien héroïnomane/cocaïnomane injecteur, chauffeur livreur est substitué en ville par buprénorphine. Mal stabilisé, il nous est adressé par son généraliste, membre du réseau ville hôpital. À l’examen, il surconsomme en permanence son traitement, il pèse 140 kg, est diabétique, a constitué 38 000 € de dettes de jeu au casino et est positif à l’hépatite C, génotype 1.
À l’issue de tous ses bilans, la nécessité de traiter malgré le poids et le diabète est posée (stade F2/F3). Son traitement est revu avec adjonction de normothymiques qui stabilisent l’humeur et le TSO.
Une tutelle avec plan de surendettement est mise en place.
Deux traitements (30 mois en tout) seront nécessaires. L’état physique et psychique de Grégoire imposent un accompagnement important, des visites à domicile, une hospitalisation psychiatrique en urgence. Malgré une virémie nulle au 3e mois, le premier traitement n’apporte pas la guérison, mais soutenu par l’équipe du Csapa, du réseau et du service d’hépato-gastro-entérologie, le patient se motive pour un deuxième traitement. Le jour où il vient chercher les résultats définitifs, Grégoire est en larmes dans la salle d’attente. L’annonce de sa guérison est une explosion de joie partagée par tous. Aujourd’hui, Grégoire commence une formation rémunérée pour retravailler dans un autre domaine.

Cas n°3

Léo, 38 ans, travaillait comme cadre VRP et « carburait » à la cocaïne/héroïne injectées. Un jour, il fait une décompensation maniaque aiguë qui l’amène aux urgences psychiatriques. De là, il nous est adressé, mis sous méthadone et traitement psychiatrique. L’assistant social l’aide à vendre son appartement pour payer ses dettes, il part en post-cure puis intègre un appartement thérapeutique. Mais Léo est toujours hanté par la consommation de cocaïne, s’en procure et se contamine au virus de l’hépatite C. Le diagnostic est fait lors d’un contrôle systématique, génotype 3, et le traitement est immédiatement instauré. Le suivi est très difficile car Léo présente des manifestations dépressives majeures, mais son lien fort avec notre structure lui permet de tenir. Bien qu’originaire de Lyon, où il a toujours sa mère, il préfère rester sur Aix pour que nous poursuivions sa prise en charge. Il vient de guérir, ce dont il est très fier, il a réussi à se débarrasser des coordonnées de son dealer. On commence à parler de l’avenir.

Béatrice Stambul

Responsable du Csapa Villa Floreal à Aix en Provence

Contribution de l’Association nationale des intervenants en toxicomanie et addictologie (Anitea)

Evaluation de la réduction des risques

À la demande de la DGS, l’Inserm a réuni le 3 février 2009 une soixantaine d’intervenants, représentants institutionnels (DGS, Mildt, OFDT, Drassif...), chercheurs et scientifiques (Inserm, InVS...), têtes de réseau associatifs et acteurs de terrain avant le démarrage d’une expertise collective sur la réduction des risques chez les usagers de drogues, demandée par Roselyne Bachelot, Ministre de la Santé, de la Jeunesse et des Sports. Cette rencontre visait notamment à faire le point sur les expériences validées et sur la littérature. La DGS souhaitant identifier les voies de progrès au regard de la politique actuelle de réduction des risques, dans un souci de pragmatisme et d’efficacité.
L’Anitea était représentée par Jean-Michel Delile (CEID) vice-président, Martine Lacoste (association Clémence Isaure), vice-présidente, et Karlheinz Cerny (Espace du Possible, ADNSEA) commission RDR.
Jean-Michel Delile a argumenté l’intérêt d’une politique de réduction des risques inscrite dans la globalité des champs d’action et de formation de l’association, témoignant d’expériences évaluées et réussies dans le domaine de traitement des hépatites, comme la mise en place d’un protocole Fibroscan dans un Caarud au CEID à Bordeaux.
Au nom de la commission réduction des risques de l’Anitea, Martine Lacoste a défendu :
• la diversification des outils de la réduction des risques et en particulier des traitements de substitution, jusqu’à des programmes expérimentaux d’héroïne injectable ;
• la nécessité d’une conférence de consensus au regard de l’extrême difficulté à mettre en place une politique de réduction des risques en prison, qui aurait le mérite d’associer tous les acteurs dans un objectif de progrès ;
• le développement des hébergements pour usagers de drogues actifs afin de faciliter l’accès aux traitements contre le VHC, mais aussi pour répondre à des besoins d’hébergements « alternatifs ». Ces réponses « alternatives » seront particulièrement utiles pour des publics vulnérables tels que les jeunes, voire très jeunes, usagers en errance.
Dans le cadre des Csapa, la commission réduction des risques de l’Anitea avec la F3A promeut le développement des pratiques de réduction des risques liées aux usages d’alcool.
Un regard particulier doit être porté sur les femmes enceintes et encore consommatrices d’alcool afin qu’elles puissent accéder sans craintes de jugement aux structures de soins.
L’Anitea s’est félicité de l’institutionnalisation de la réduction des risques avec l’instauration des Caarud tout en soulignant quelques effets pervers : difficultés d’embauche de salariés non diplômés (pourtant experts des pratiques de réduction des risques), obligation du Dipec (Document individuel de prise en charge) qui irait à l’encontre de l’accueil inconditionnel.
Karlheinz Cerny souligne l’inquiétude des acteurs de terrain quant à la précarisation, l’augmentation des comorbidités psychiatriques et la chronicisation des personnes fréquentant les Caarud. Il y voit le signe d’une situation générale qui se dégrade, et la difficulté de construire des réponses sanitaires et sociales articulées dans les dispositifs de droit commun.
Enfin, l’Anitea a réaffirmé sa position sur la nécessité d’un débat sur la loi de 1970 et sa position en faveur de la dépénalisation de l’usage simple et privé.

Association nationale des intervenants en toxicomanie et addictologie (Anitea)


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