2010


ANALYSE

1-

Concept de la réduction des risques

Afin de minimiser le risque d’infections en lien avec l’usage de drogues, une politique de réduction des risques a été mise en œuvre dans de nombreux pays industrialisés (Des Jarlais et coll., 1998renvoi vers; Marlatt, 1998renvoi vers; Kleinig, 2004renvoi vers; Jauffret-Roustide, 2004renvoi vers; Moore et Fraser, 2006renvoi vers). Dans plusieurs pays européens, cette politique a été mise en place dans un contexte d’urgence, marqué par l’épidémie de sida au milieu des années 1980, dont l’usage de drogues par voie intraveineuse constitue un facteur de risque majeur. Le dispositif de réduction des risques a fait la preuve de son efficacité sur la diminution de la transmission du VIH chez les usagers de drogues et doit actuellement faire face à l’épidémie d’hépatite C (Jauffret-Roustide et coll., 2006renvoi vers).
L’objet de ce chapitre est de poser le cadre de la réduction des risques en décrivant les fondamentaux qui constituent ce référentiel de santé publique, son champ d’application, ses techniques d’intervention et les débats en cours (Jauffret-Roustide, 2010renvoi vers).

Politique de réduction des risques : différentes acceptions politiques et philosophiques

Le concept de la réduction des risques, homogène en apparence, recouvre une diversité de conceptions philosophiques et politiques. Par ailleurs, ce concept a pu évoluer selon les contextes d’application locaux, nationaux et temporels. Il est soumis à des débats relatifs à son positionnement vis-à-vis de l’objectif d’abstinence, à la dimension de l’évaluation, et à la place de la morale, de la politique et de la loi.

Fondamentaux de la réduction des risques

La réduction des risques s’est développée depuis un peu plus d’une vingtaine d’années dans de nombreux pays d’Europe, en Amérique du Nord et en Australie. Le message anglo-saxon pragmatique de la réduction des risques est le suivant « Si vous le pouvez, ne vous droguez pas. Sinon, essayez de sniffer au lieu d’injecter. Sinon, utilisez une seringue propre. Sinon, réutilisez la vôtre. Au pire, si vous partagez une seringue, nettoyez la à l’eau de Javel »1 .
La politique de réduction des risques se caractérise par quelques fondamentaux du point de vue de la démarche. Elle s’inscrit dans le mouvement de la « nouvelle santé publique » des années 1970-80 qui valorise la capacité des individus à se prendre en charge et la nécessité des politiques de santé prenant en compte les besoins des individus concernés (Berridge, 1999renvoi vers; Rhodes, 2002renvoi vers). Ce courant de la nouvelle santé publique s’associe à un mouvement de reconfiguration du système social, politique et économique qui place l’individu au centre du dispositif. La réduction des risques consisterait ainsi à être plus attentif aux modes de vie et aux comportements des usagers de drogues afin de leur proposer des mesures de santé publique adaptées à leurs besoins, et non pas imposées de l’extérieur.
La réduction des risques fait appel à une dimension pragmatique de santé publique (Lert, 1998renvoi vers) qui prend en compte la trajectoire de l’usager de drogues (Coppel, 1996renvoi vers) et ses conditions d’existence pour répondre à ses besoins (Jauffret-Roustide, 2004renvoi vers). Du point de vue philosophique, la réduction des risques opère un changement paradigmatique fondamental qui romp avec l’idéal d’éradication des drogues et propose plutôt d’apprendre à « vivre avec les drogues » tout en promouvant la notion de mesure à la place de l’abstinence (Ehrenberg, 1996renvoi vers). Ce changement permet ainsi de dépasser une vision moralisatrice des drogues et de mettre en œuvre une approche fondée sur le non jugement2 (Stafford, 2007renvoi vers), mais contribue à une vision sanitaire et médicale de l’usage de drogues3 . La réduction des risques postule la responsabilité des usagers de drogues et invoque leur capacité à modifier leurs comportements si on leur en donne les moyens (Jauffret-Roustide, 2004renvoi vers; Moore et Fraser, 2006renvoi vers), c’est-à-dire l’accès à des outils leur permettant de limiter les risques liés à la consommation de drogues. Ce postulat signifie une représentation spécifique de l’usager de drogues et du rapport aux drogues à partir des notions de responsabilité individuelle, d’autonomie, de rationalité des comportements et de participation citoyenne aux politiques publiques (Fraser et Moore, 2008renvoi vers; Jauffret-Roustide, 2009renvoi vers). La réduction des risques contribue ainsi à la promotion d’un discours spécifique autour de l’individu, du rapport au corps, et à la place accordée aux usagers de drogues dans la société.

Champ d’application, techniques d’intervention et objectifs diversifiés

Derrière une apparente homogénéité promue par l’International Harm Reduction Association (IHRA), le référentiel de réduction des risques recouvre une diversité de conceptions. La mise en œuvre de la réduction des risques peut se restreindre à la réduction du risque de contamination par le VIH ou par les virus des hépatites et se confondre strictement avec les mesures d’accessibilité aux seringues. Il peut s’élargir à la réduction de l’ensemble des risques que sont censés courir les usagers de drogues de par leur pratique de consommation : risques sanitaires élargis (overdoses, infections diverses, comorbidités psychiatriques) ; risques économiques ; risques sociaux (ruptures familiales, délinquance, marginalisation) ; risques relationnels (désaffiliation, mise à distance des relations sociales antérieures et restriction de la sociabilité à l’univers des drogues) ; et risques légaux de par la prohibition de l’usage et des conduites délictueuses associées à cet usage (Jauffret-Roustide, 2004renvoi vers).
Concernant ses finalités, la politique de réduction des risques peut se réduire à l’aide à la survie ou s’élargir aux questions de qualité de vie et de bien-être de l’usager de drogues (Le Moigne, 2008renvoi vers). La réduction des inégalités sociales et sanitaires au sein de la population des usagers de drogues peut également être posée de manière centrale dans la réduction des risques. Cette politique peut, toutefois, se centrer exclusivement sur l’usager de drogues en tant qu’individu, s’élargir au réseau de l’usager de drogues comme appartenant à une « communauté », voire s’inscrire plus globalement dans une attention portée à l’environnement global dans lequel évolue l’individu à savoir son positionnement dans la société. Pour certains, la finalité reste à terme l’objectif d’abstinence, mais obtenu de manière graduelle, pour d’autres, cet objectif n’est plus à atteindre, sauf si l’usager le désire expressément.
Ainsi, l’approche de réduction des risques peut être plus large que celle qui est appliquée en France comme l’accès aux seringues et aux traitements de substitution aux opiacés (TSO) (méthadone, buprénorphine). Elle englobe à la fois des stratégies appartenant à la prévention des usages de substances psychoactives (prévention du passage à l’injection), à la prise en charge de la dépendance sous toutes ses formes (sevrage, psychothérapie, divers traitements...), à la réduction du risque infectieux par l’accès à du matériel stérile pour consommer des drogues par injection (seringues, filtres, récipients/cupules, eau stérile...), par sniff (pailles), ou par voie fumée dans le cadre de l’usage du crack (doseurs en verre ou pyrex et embouts). Elle a également comme objectifs la mise en place de dispositifs dits à bas seuil d’exigence, ou allant à la rencontre des individus, et n’attendant pas que les usagers de drogues soient prêts à faire la démarche.
Les techniques d’intervention de la réduction des risques recouvrent donc dans une version minimale l’accès aux seringues (pharmacie, PES, automates), et aux TSO (buprénorphine, méthadone). Concernant les TSO, se posent les questions de la diversité des molécules disponibles (sulfates de morphine, héroïne médicalisée...), des modalités de dispensation (extension au dispositif bas-seuil, primoprescription de la méthadone en médecine de ville, horaires d’ouverture des structures élargis) et des voies d’administration (injectable, sniffable...). Concernant les seringues, on doit considérer leur accessibilité pour les usagers de drogues (pharmacies, automates, distribution secondaire du matériel), et leur acceptabilité par les usagers de drogues (adéquation du matériel aux pratiques des usagers de drogues) et par la population (récupération du matériel de consommation). Le contexte d’injection peut être ou non pris en compte dans l’application des politiques de réduction des risques par la mise en place de salles d’injection, et de programmes d’éducation ou d’accompagnement à l’injection. La réduction des risques peut enfin s’élargir à tout ce qui relève de l’amélioration de l’accès au dépistage ou au traitement du VIH et des hépatites et à la vaccination VHB, d’autant plus que la littérature a mis en évidence qu’une baisse de la charge virale du VIH peut diminuer le risque de transmission du VIH par voie sexuelle (Castilla et coll., 2005renvoi vers). Ce modèle plus complet commence à être envisagé pour la réduction du risque de transmission du VIH par la pratique d’injection (Wood et coll., 2009renvoi vers). Au-delà de l’infection par VIH et les hépatites, tout ce qui relève de l’amélioration de la situation sanitaire et sociale des usagers de drogues peut faire partie intégrante de la réduction des risques : les alertes sanitaires sur les produits (risques toxiques, risques infectieux...), l’accès aux soins somatiques, psychiatriques et à l’hygiène, l’accès aux droits sociaux (et en particulier à l’hébergement), la transition vers le dispositif de soins spécialisé et l’accès au dispositif de droit commun (sanitaire et social).
Dans le sillage de la réduction des risques, se sont développées de nouvelles approches d’intervention, dont certaines ont pu préalablement être utilisées dans des champs autres que l’usage de drogues. Le travail de proximité, dit outreach work, peut être défini comme une activité dirigée vers des groupes sociaux particuliers non atteints par les circuits traditionnels, avec pour objectif de proposer des actions de réduction des risques (diffusion de matériel et de messages de prévention) à la fois au niveau des individus et des groupes d’usagers de drogues (Korf et Mougin, 1999renvoi vers). Ces nouveaux modes d’intervention visant à aller au-devant des usagers de drogues (bus d’échange de seringues, équipes de rue, bus méthadone) s’efforcent de mieux prendre en considération la diversité de leurs demandes (substitution, échange de seringues, accès aux droits sociaux, lieux d’hébergement...). C’est dans le cadre de ce processus qu’ont été créées les structures bas-seuil comme les Programmes d’échange de seringues (PES), lieux fixes ou mobiles de distribution de matériel d’injection stérile, boutiques, lieux d’accueil de jour et les sleep-in, centres d’hébergement d’urgence pour usagers de drogues. Les dispositifs de réduction des risques mettent au centre de leur intervention la notion de « bas seuil d’accès » ou « bas seuil d’exigence ». Ces nouveaux dispositifs partent du principe que les seuils d’accès et d’exigence des dispositifs traditionnels (centres de soins et de post-cure) sont trop élevés et qu’ainsi, ils laissent de côté toute une partie de la population qui ne se sent pas capable (à ce moment de sa trajectoire) d’abandonner l’usage de produits psychoactifs. Les dispositifs bas-seuil proposent donc de partir de la demande de l’usager de drogues et de s’y adapter. Ils proposent ainsi un accueil ouvert sans exigence explicitement formulée auprès des usagers de drogues. Ainsi, les usagers de drogues peuvent s’y rendre en étant sous l’emprise de produits, mais il reste, toutefois, interdit de consommer ou de vendre des produits sur place. Si l’accueil des usagers de drogues reste informel en apparence, c’est parfois dans ces structures bas-seuil que leurs trajectoires peuvent connaître un véritable tournant et être l’occasion d’aller ensuite vers d’autres structures dites à plus haut seuil.
Pour exercer ce travail de proximité, les intervenants de rue et les médiateurs embauchés peuvent être des usagers de drogues « anciens » ou « actifs » qui connaissent les codes de l’usage et ont plus facilement accès à ces réseaux peu visibles (Korf et Mougin, 1999renvoi vers; Jauffret-Roustide, 2005renvoi vers et 2009renvoi vers). Ce mode d’intervention reconnaît une forme d’expertise aux usagers de drogues de par leur connaissance des pratiques d’usage et des scènes de consommation. La réduction des risques peut en effet mettre en œuvre des actions d’éducation par les pairs. Ces actions partent du principe que la prise de risque est liée au groupe de pairs et que pour modifier les comportements à risque, il est nécessaire de connaître et de prendre en considération la subculture du groupe concerné (Rhodes, 1994renvoi vers; Rhodes et coll., 1994renvoi vers). Selon Tim Rhodes et Gerry Stimson, pour obtenir des modifications durables de comportements, les nouvelles normes ne doivent pas être introduites de l’extérieur par le biais de professionnels, mais elles doivent être définies par les usagers eux-mêmes. La nécessité d’agir sur le collectif pour modifier les pratiques des individus (Rhodes, 1994renvoi vers) renvoie également à la dimension de l’auto-support des usagers de drogues qui constituent une formalisation politique de l’éducation par les pairs et se définit par l’empowerment de la population concernée (Friedman et coll., 2006renvoi vers; Jauffret-Roustide, 2009renvoi vers).

Registres sémantiques variés selon les contextes d’application

Depuis les années 1990, la réduction des risques (sous la forme minimale d’accès aux seringues et aux TSO) constitue le paradigme dominant des politiques publiques liées à l’usage de drogues en Europe, en Amérique du Nord et en Australie. Il existe une grande diversité des contextes locaux d’application en Europe et dans le monde, mais dans l’ensemble de ces pays, la réduction des risques a été mise en œuvre dans un contexte marqué par l’urgence, liée à l’épidémie de VIH et au risque des overdoses. La mise au point des tests de dépistage du VIH en 1985 constitue le repère pour situer et qualifier les contextes locaux vis-à-vis de l’application de la réduction des risques. La menace de la transmission du VIH à la population générale via les usagers de drogues est centrale dans la mise sur agenda des politiques de réduction des risques, cette population étant perçue comme l’un des vecteurs de transmission privilégiés vers la population hétérosexuelle. La préoccupation de l’amélioration de la santé et du bien-être de l’usager de drogues officiellement affichée par les pouvoirs publics ne constitue pas toujours une priorité selon les contextes d’application. Certains pays peuvent être qualifiés de précurseurs dans la mise en œuvre des politiques de réduction des risques et se démarquent par leur pragmatisme, d’autres pays sont plutôt novateurs et tentent l’expérimentation de nouveaux programmes4 .
Les Pays-Bas sont souvent présentés comme un modèle concernant la mise en place de la réduction des risques. En effet, cette politique a été appliquée dès les années 1970 avant même l’apparition du VIH, par le biais de la prévention de l’hépatite B. Les associations d’auto-support d’usagers de drogues (les Junkies boundsou syndicats de junkies) ont joué un rôle déterminant dans l’impulsion de ces programmes de prévention. Les Pays-Bas ont reconnu la réduction des risques comme le paradigme officiel de leur politique en matière d’addictions dès 1986 (soit près de 10 à 20 ans avant la France, si on on prend en compte le discours de Simone Veil en 1993, ou l’inscription de la réduction des risques dans le Code de Santé Publique en 2005). Les Pays-Bas se caractérisent également par un processus de normalisation de l’usager de drogues qui tend à reconnaître l’usage de drogues comme une pratique acceptable pour la société (Marlatt, 1998renvoi vers). Le Royaume-Uni constitue également un pays précurseur vis-à-vis de l’application de la réduction des risques et se caractérise par une dimension historique de l’accès aux TSO (méthadone/héroïne) dès les années 1920. L’expérience de Liverpool a souvent été mise en exergue, comme l’une des réussites de la réduction des risques. Les anglais se sont également adaptés à l’évolution des pratiques des usagers de drogues en prenant en compte l’usage des stimulants dans la réduction des risques. La Suisse peut être qualifiée de pays novateur dans la mesure où elle se caractérise par une volonté d’expérimentation de programmes de réduction des risques tels que les programmes d’héroïne médicalisée et les sites d’injection supervisée. L’implantation des dispositifs de réduction des risques dépend de raisons politiques, morales, économiques, liées à l’acceptation sociale et à l’organisation du système de soins (Dagmar et coll., 2008renvoi vers). Les enjeux politiques et idéologiques sur la conception des drogues et des enjeux professionnels de position et de légitimité peuvent également constituer un frein dans l’implantation des programmes de réduction des risques, comme cela a pu s’illustrer en France dans les années 1980 et 1990 (Jauffret, 2000renvoi vers; Bergeron, 2002renvoi vers; Jauffret-Roustide, 2004renvoi vers).
Le registre sémantique utilisé pour qualifier la politique de réduction des risques est différent selon les pays : le vocable de la réduction des méfaits est plutôt utilisé au Canada et en Suisse, celui de la réduction des risques en France. Selon Pierre Brisson (1997renvoi vers), l’utilisation du vocable « risques » renvoie à la notion immédiate de danger alors que celle de « méfaits » renvoie plus globalement aux notions de dommages, préjudices, problèmes. La question des « méfaits » englobe à la fois les risques pour soi autres que les infections virales, et les conséquences de l’usage de drogues pour l’environnement social dans lequel vivent les usagers de drogues et leurs relations avec le reste de la population. La réduction des dommages renverrait donc de manière plus fidèle que la réduction des risques à la dimension originelle anglo-saxone de harm reduction5 .
La réduction des risques constitue donc un concept ayant évolué dans le temps, dont les définitions peuvent varier selon les contextes d’application, et les conceptions juridiques, philosophiques, ou politiques. L’International Journal of Drug Policy constitue à la fois une revue scientifique et une tribune pour les chercheurs et les militants de la réduction des risques. Dans le cadre de cette revue, des alliances entre chercheurs et militants de la réduction des risques ont donné lieu à la production collective d’articles, centrés sur la dimension pragmatique de cette politique et l’identification de leviers d’action pour favoriser son implantation et son développement.

Débats en cours autour de la politique de réduction des risques et ses conditions d’application

La réduction des risques est traversée par des débats en interne concernant sa mise en application, ses finalités, et les valeurs qui doivent lui être attachées. L’analyse de la littérature sur la question fait ressortir trois débats récurrents qui ont fait l’objet de controverses dans l’International Journal of Drug Policy ou d’autres revues internationales sur les addictions. Certains de ces débats ont, par ailleurs, pu être relayés dans le contexte français par les acteurs de la réduction des risques.
Tout d’abord, la réduction des risques est amenée à s’interroger sur son rapport à l’abstinence. Ainsi deux approches peuvent être distinguées, une approche intégrationniste selon laquelle l’abstinence n’est qu’une finalité ultime, versus une approche gradualiste qui crée un continuum entre les approches de réduction des risques et les approches thérapeutiques orientées vers l’abstinence (Kellogg, 2003renvoi vers). Comme le note Denning (2005renvoi vers), l’abstinence est présente dans certaines définitions de la réduction des risques : « At its heart, HR is a public health philosophy that uses a multitude of strategies to reduce drug-related harm, ranging from syringe exchange to drug substitution therapies to abstinence, to controlled use. These methods have proven effective in helping people make lasting changes in a variety of health related behaviors: nutrition, exercise, smoking cessation, weight control and preventive medical care. »
Un deuxième débat en cours concerne la dimension de l’évaluation. Le champ des professionnels du soin aux toxicomanes a longtemps été réticent à toute démarche évaluative dans les années 1970-1980. Avec la réduction des risques, il apparaît, au contraire, nécessaire de favoriser la dimension évaluative de cette politique face à ses détracteurs qui tendent à l’assimiler à une forme de prosélytisme. Le choix des indicateurs pertinents pour l’évaluation (diminution des overdoses, des maladies infectieuses, des interpellations en lien avec les produits, ...) (Emmanuelli et Desenclos, 2005renvoi vers; Carrieri et Spire, 2008renvoi vers) continue de susciter un débat, principalement à propos des limites de l’évaluation chiffrée. L’évaluation du soin aux toxicomanes ou de la réduction des risques renvoie à la définition d’indicateurs permettant de mesurer la qualité du lien entre les intervenants et les usagers de drogues. Il apparaît également nécessaire d’aller au-delà du simple indicateur d’implantation de la réduction des risques et de prendre en compte les dimensions de la qualité et de l’efficience des programmes, de la disponibilité, de l’accessibilité et de l’acceptabilité des interventions (Dagmar et coll., 2008renvoi vers).
Le troisième débat renvoie à la place que la réduction des risques accorde à la morale, à la politique et à la loi. Une vision neutre de la réduction des risques centrée uniquement sur sa dimension pragmatique (Keane, 2003renvoi vers) s’oppose en effet à une vision morale et politique de la réduction des risques (Hathaway, 2001renvoi vers). Certains auteurs tels que Samuel Friedman pointent la nécessité d’alliances avec des mouvements politiques de travailleurs pour inclure la réduction des risques dans sa dimension politique plus globale (Friedman et coll., 2001renvoi vers). Enfin, une distinction est établie par Hunt entre deux philosophies de la réduction des risques, une « weak rights version » qui ne pose pas la question légale comme une condition nécessaire à la réduction des risques versusune « strong rights version » qui considère que l’usage de drogues fait partie intégrante des droits de l’homme et fait de la question légale un préalable à la réduction des risques (Hunt, 2004renvoi vers).

Position particulière de la France : entre innovations et lenteurs

Contrairement à la Suisse, au Canada ou aux Pays-Bas, la France s’est centrée sur la question du risque infectieux et a promu une vision sanitaire et médicalisée de la réduction des risques qui laisse peu de place à la question des autres risques liés à l’usage de drogues que sont les risques légaux, sociaux, et relationnels et la dimension de l’environnement urbain. La conception française de la réduction des risques s’inscrit plutôt dans une version dite « faible » si l’on utilise la distinction introduite par Hunt (2004renvoi vers), dans la mesure où la question de l’interdit légal de l’usage est toujours en vigueur actuellement. La mise en application de cette version de la réduction des risques a également eu pour conséquence le choix d’une vision très médicalisée de la réduction des risques, centrée sur le traitement de la dépendance par les médicaments de substitution aux opiacés et dominée depuis quelques années par le paradigme de l’addictologie (Beck et coll., 2009renvoi vers; Jauffret-Roustide, 2009renvoi vers). Actuellement, la France fait figure d’exception dans le domaine des TSO (Emmanuelli et Desenclos, 2005renvoi vers; Carrieri et Spire, 2008renvoi vers) par le biais d’une large couverture en matière de médicaments de substitution dans la population des usagers de drogues, l’estimation du nombre d’usagers de drogues sous TSO en France étant d’environ 120 000 personnes en 2008. Deux molécules sont proposées en France, la méthadone et la buprénorphine). La méthadone est réellement mise en place comme TSO pour les usagers de drogues à partir de 19946 et le subutex en 1996. Contrairement à la plupart des autres pays européens, à l’Amérique du Nord et à l’Australie, la France se caractérise par un large accès à la buprénorphine haut dosage, facilitée par la dispensation en médecine de ville et la diffusion récente de molécules génériques au détriment de la méthadone.
Concernant l’accès au matériel stérile et aux conditions de réalisation des injections dans des conditions d’hygiène satisfaisantes, la situation est plus contrastée (Jauffret-Roustide, 2004renvoi vers). La première mesure d’amélioration de l’accessibilité aux seringues est tardive, elle date de 1987. Le décret n° 72-200 du 13/3/1972 restreignant la vente des seringues en pharmacie est suspendu par le décret n° 87-328 du 13/5/1987, à l’initiative de Michèle Barzach, Ministre de la Santé de l’époque, dans un contexte politique controversé. La mise en vente libre des seringues est proposée comme une expérimentation pendant un an, elle est reconduite en 1988. Et le décret n° 89-550 du 11/8/1989 modifie le décret de 1972. Cette première mesure constitue la mesure fondatrice de la réduction des risques, elle permet aux usagers de drogues d’acheter les seringues dans les pharmacies. Afin d’améliorer l’accessibilité au matériel stérile en dehors des pharmacies, les programmes d’échange de seringues (PES) sont expérimentés à partir de 1989, avec lenteurs et difficultés. Une évaluation positive de ces programmes sur l’évolution des pratiques des toxicomanes aboutit au développement des PES et à la circulaire de la DGS/311/sida du 11/5/1992 qui officialise la volonté du gouvernement de poursuivre cette politique de réduction des risques. Les PES ne se réduisent pas à une simple distribution de seringues, mais à un échange qui favorise l’implication des usagers de drogues dans la prévention. Les toxicomanes sont incités à ramener leurs seringues usagées, ce qui en fait une mesure de sécurité publique et de responsabilité vis-à-vis de la collectivité en limitant le nombre de seringues abandonnées dans l’espace public. L’échange de seringues est un programme de prévention globale du VIH qui comporte trois volets : l’information, la distribution de kits de matériel d’injection stérile et l’orientation vers les structures de soins, les structures sociales ou les structures de sevrage en cas de demande. En 1994, la mise en place des premiers distributeurs automatiques de seringues appelés « automates » constitue une étape supplémentaire dans l’amélioration de l’accès au matériel d’injection stérile.
Malgré l’accessibilité des seringues et la diffusion de messages de prévention ciblés, les prises de risque persistent encore aujourd’hui de manière importante dans la population des usagers de drogues, en particulier pour le partage du petit matériel (cuiller, filtre, eau de préparation) et la réutilisation de la seringue (Jauffret-Roustide et coll., 2004renvoi vers et 2009renvoi vers). Actuellement, les programmes d’éducation ou d’accompagnement à l’injection, et les salles d’injection supervisées sont présentés par une partie des professionnels de la réduction des risques comme le moyen de limiter la transmission du VHC dans la population des usagers de drogues, en agissant sur leur niveau de connaissance et le contexte de l’injection. Par ailleurs, la prise en compte de l’ensemble des pratiques à risque et de l’évolution des usages n’est pas encore véritablement considérée en France. La politique de réduction des risques construite autour de la figure de l’héroïnomane injecteur a créé des stratégies essentiellement limitées à l’injection (Jauffret-Roustide, 2004renvoi vers). Ces dernières années, l’augmentation importante de la consommation de cocaïne et de médicaments par voie injectable, et du crack par voie fumée nécessite de faire évoluer l’offre de prévention. De nouveaux outils de réduction des risques (tubes en pyrex pour fumer du crack, salles d’injection ou programmes d’éducation à l’injection) ne font l’objet actuellement que de réflexion ou d’’expérimentation en France.
En conclusion, afin d’être réellement efficace, la politique de réduction des risques doit prendre en compte les évolutions de pratiques (produits, modalités) et de profils des consommateurs et des contextes de consommation. Certains publics de consommateurs et contextes de consommation comportent une vulnérabilité spécifique face à l’exposition aux risques infectieux, tels que les jeunes usagers et plus particulièrement le moment de l’initiation aux drogues et à l’injection ; les femmes usagères de drogues en raison de leur dépendance à leurs partenaires usagers de drogues ; les personnes détenues en raison de la non accessibilité aux outils de réduction des risques en prison ; les usagers de drogues en situation de précarité sociale en raison de l’absence de logement pour réaliser leurs injections dans des conditions d’hygiène minimales. La vision néo-libérale de la réduction des risques tend à pointer la responsabilité de la prise de risque uniquement du côté de l’individu. Pour être efficace, une politique de réduction des risques doit s’inscrire plus globalement dans un objectif de réduction des inégalités sociales de santé et d’amélioration de la qualité de vie des usagers de drogues, d’où la nécessité d’agir sur la dimension structurelle du risque. L’évaluation des interventions de réduction des risques doit prendre en compte la dimension environnementale du risque qui comprend au niveau microsociologique, les normes de consommation, les conditions de vie et les relations sociales des usagers de drogues ; et au niveau macrosociologique, la dimension du contexte légal, économique et social et des politiques publiques.

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