III. Facteurs sociaux, culturels, économiques et inégalités sociales en matière de nutrition
2014
13-
Coût des produits et choix alimentaires
Parmi les différents facteurs qui conditionnent les choix alimentaires des individus, les facteurs économiques, notamment ceux résultant d’un choix sous contraintes financières, peuvent avoir une importance cruciale et pourraient être des vecteurs des inégalités sociales de nutrition et de santé.
L’analyse microéconomique de la consommation s’attache à étudier le rôle du budget et des prix sur les choix alimentaires. Le coût des produits alimentaires intègre les prix observés en magasin, mais également les contraintes d’approvisionnement en termes d’argent et de temps. Ce chapitre analyse l’impact du coût des produits alimentaires sur le choix des consommateurs et la variation de cette relation en fonction du revenu des ménages. Parce qu’influant sur l’approvisionnement, le rôle des caractéristiques de l’environnement, en particulier commercial, est développé dans un autre chapitre. La question des liens entre coût et qualité nutritionnelle de l’alimentation fait également l’objet d’un chapitre dédié.
Modélisation des choix alimentaires
Le modèle microéconomique représente le comportement d’offre et de demande sur un marché donné, en fonction des prix pratiqués. Dans la théorie de l’offre et de la demande, l’offre correspond à la quantité d’un produit offert à la vente et la demande à la quantité d’un produit demandée par les acheteurs.
Intuitivement, l’augmentation du prix d’un bien pourrait être associée à une diminution de la demande : la hausse du prix est susceptible de décourager certains utilisateurs potentiels, qui préfèreront renoncer à ce bien ou en réduire l’usage ; l’augmentation du prix peut aussi orienter certains consommateurs vers d’autres biens permettant une utilisation comparable. On s’attend donc à une relation inverse entre le prix d’un produit et les quantités demandées. Parallèlement, une hausse du prix d’un bien est en général de nature à entraîner un accroissement de l’offre pour ce bien (un prix trop élevé entraînant une surproduction), et donc une courbe croissante entre prix et quantités offertes.
Il existe un prix d’équilibre, pour lequel l’offre permet de satisfaire exactement la demande exprimée. Mais la plupart des biens ne sont pas échangés à ce prix d’équilibre, le prix des biens pouvant être fixé par les producteurs ou distributeurs, ou plus rarement par les demandeurs. Par ailleurs, les marchés sont difficilement isolés les uns des autres. C’est le cas des biens alimentaires, pour lesquels il faut raisonner dans le cadre d’une variété de produits concourant à une alimentation globale et d’une interaction entre offre et demande de produits différents.
L’étude microéconomique des choix du consommateur repose sur l’analyse de la demande. Elle postule qu’un consommateur rationnel a des préférences vis-à-vis des différents choix de biens possibles (paniers de biens
1
Panier de biens : toute liste des quantités de chacun des biens
). On modélise la demande de biens, par exemple d’aliments, dans le cadre d’une fonction d’utilité
2
En économie, l’utilité se réfère à la satisfaction obtenue par l’acquisition ou la consommation de ces biens.
. Cette demande est soumise à une contrainte budgétaire qui fait intervenir les prix des biens et les ressources financières du consommateur, et à une contrainte de temps (pour l’étude détaillée de ce cadre théorique, cf. Deaton et Muellbauer, 1980
). En disposant de données sur les choix effectués par le consommateur pour des niveaux de prix et de revenu fixés, on peut estimer empiriquement la fonction de demande avec des techniques statistiques adaptées. Cette estimation permet à son tour des prédictions sur les comportements futurs. Dans la mesure où l’on tient compte simultanément du marché de plusieurs produits alimentaires, le modèle de demande utilisera plusieurs fonctions estimées en système. Selon les formes fonctionnelles utilisées, la consommation pourra être exprimée en quantité, dépense, ou part de dépense (cf. Deaton et Muellbauer, 1980
).
Il est plus controversé de formuler une demande de nutriments, ce qui impliquerait un choix de l’individu pour sa consommation alimentaire en termes nutritionnels. Cependant, l’approche de Lancaster (1966
) a introduit l’analyse des choix en termes non plus de biens mais de caractéristiques de ces biens. On peut alors considérer que le contenu en nutriments fait partie de ces caractéristiques.
L’étude de la réponse (en termes de quantités consommées) à des variations de budget ou de prix est fondée sur l’estimation de tels systèmes de demande au moyen de méthodes économétriques (par exemple, Allais et coll., 2010
ou Huang et Lin, 2000
) et sur les travaux d’économie expérimentale qui effectuent une mesure directe sur de faibles échantillons (Epstein et coll., 2012
). Cette réponse du consommateur est mesurée par l’élasticité.
Outil d’analyse de la sensibilité au prix ou au revenu : les élasticités
L’élasticité mesure la fluctuation d’une variable en réponse à la fluctuation d’une autre variable. Elle permet de comprendre et d’anticiper la réponse des consommateurs en termes de quantités consommées (ou achetées) à la manipulation de diverses variables économiques, en particulier par rapport au prix des produits, au revenu et à la dépense de consommation (budget alimentaire ou global). L’élasticité-prix mesure la fluctuation de la réponse à des variations de prix, c’est-à-dire la variation de la quantité consommée (ou achetée) d’un bien, en réponse à une variation du prix de 1 %.
Pour les biens alimentaires, on s’attend à une baisse de la demande d’un bien lorsque son prix augmente (élasticité-prix négative) et à une augmentation lorsque le revenu ou la dépense de consommation croissent (élasticité-revenu ou élasticité-dépense positive). En ce qui concerne l’ordre de grandeur de la variation de consommation induite, la demande est dite inélastique (sensibilité faible aux prix) lorsque la valeur des élasticités-prix est inférieure à 1, donc que l’effet du changement de prix se répercute moins que proportionnellement sur la quantité de biens. Inversement, la demande est élastique (sensibilité aux prix élevée) si cette valeur est supérieure à 1, la répercussion du changement de prix sur la quantité consommée étant dans ce cas plus que proportionnelle.
Le calcul d’élasticités-prix est particulièrement stratégique : il permet de mesurer les variations des quantités demandées d’un bien par rapport aux variations de son prix (élasticité-prix directe), mais aussi du prix des autres biens (élasticité-prix croisée). Par ce biais, il permet de déterminer les substitutions ou complémentarités entre biens : l’augmentation du prix d’un produit, par exemple le café, tout en induisant une diminution de la quantité demandée de celui-ci, peut entraîner une augmentation de la quantité demandée d’un autre bien, par exemple le thé (effet de substitution) ou une diminution d’un bien dont la consommation lui est associée, par exemple le sucre dans le cas du café (effet de complémentarité).
En fournissant des ordres de grandeur de l’impact de diverses variables économiques, et notamment l’influence respective du prix et du revenu sur la demande de différents produits, la connaissance des élasticités permet d’orienter les choix de politique économique vers des interventions, en particulier publiques, plutôt sur l’offre – les prix – ou plutôt sur la demande – le revenu –, la dépense. Les élasticités permettent également de comparer la sensibilité de plusieurs segments de demande (par exemple, sous-populations de revenus différents) ou d’offre (par exemple, catégories de produits alimentaires) aux variables économiques.
Dans le cadre de l’alimentation, les élasticités sont calculées au niveau des aliments. L’utilisation de tables de conversion nutritionnelle permet de passer au niveau des nutriments, ce qui permet d’obtenir l’élasticité-prix de la calorie, des acides gras saturés (AGS), du fer… La relation au modèle de demande est indirecte. Lors de ses achats, le consommateur choisit-il des aliments ou des nutriments ? La question de l’articulation aliments/nutriments a de fortes implications méthodologiques pour l’estimation de la demande.
De très nombreux travaux ont calculé des élasticités de la demande alimentaire pour des populations très différentes, et dans des contextes et pour des produits très variés. Dans ce chapitre, sont analysées environ 80 études reliant les choix alimentaires au prix des produits. Parmi celles-ci, peu d’études abordent la question des inégalités sociales, qui se résume pour ces travaux aux variations de l’influence des prix sur la consommation en fonction des niveaux de revenus. Par ailleurs, on trouve peu d’études longitudinales qui permettraient de connaître les ajustements de la consommation alimentaire en fonction des fluctuations du niveau de vie et de revenu.
Revenu et consommation alimentaire
Indépendamment de leurs préférences, les consommateurs sont contraints dans leurs choix par leurs ressources en termes de budget et de temps. Ce dernier est lié à la fois au niveau de revenu (coût d’opportunité) et au mode de production des biens consommés (par exemple arbitrage entre degré d’élaboration des aliments achetés et temps passé à la préparation des repas).
Pour les plus pauvres, la contrainte accrue de budget s’exprime à la fois au niveau de la faiblesse du budget alimentaire en valeur absolue et de l’importance de la part alimentaire dans les dépenses totales. En effet, au-dessous d’un certain seuil de dépense, le budget peut se révéler insuffisant pour assurer une alimentation de bonne qualité nutritionnelle (cette question fait l’objet du chapitre « Coût et qualité nutritionnelle de l’alimentation »). En France, le budget alimentaire moyen d’un ménage du 1
er décile de revenu s’élevait à 5 €/jour/personne en 2006 (Insee, Enquête Budget de Famille 2006
). En termes relatifs, on sait que la part de l’alimentation dans le budget des ménages est plus importante pour les bas revenus que les hauts revenus. Les personnes du 1
er décile de revenus (corrigé par unité de consommation) consacrent à l’alimentation 18 % de leur budget contre 14 % pour le décile le plus riche. La contrainte de budget n’a donc pas le même poids pour des niveaux de vie différents.
Par ailleurs, la structure de la consommation alimentaire varie selon le revenu (Caillavet et coll., 2009
), en particulier en ce qui concerne la part budgétaire des repas pris à l’extérieur du foyer : 13,9 % du budget alimentaire total chez les ménages les plus pauvres (1
er décile) contre 30,1 % chez les ménages les plus riches (10
e décile). Pour les ménages du 1
er décile par rapport à ceux du 10
e décile, les postes sous-représentés en termes de part dans le budget alimentaire à domicile sont les poissons et les produits de la mer (3,0 contre 5,5 %), les boissons alcoolisées (7,2 contre 11,9 %), les fruits frais et transformés (6,8 contre 7,4 %). Les produits surreprésentés sont les produits céréaliers (16,3 contre 12,5 %), les produits sucrés (5,9 contre 5,2 %), les boissons non alcoolisées (5,9 contre 5,2 %), les corps gras (2,7 contre 2,1 %) et les viandes (21,4 contre 20,0 %).
L’augmentation du budget alimentaire entraîne une croissance inégale des achats selon les groupes d’aliments (élasticités-dépense). Dans le cas français (Insee, Enquête Budget de Famille 2006
), sur une nomenclature d’une vingtaine de postes, les aliments dont les quantités achetées augmentent le plus sont les produits d’origine animale (en particulier volailles, porc, poisson, produits laitiers autres que fromages, graisses animales), et les légumes (en particulier transformés). Aux États-Unis, les travaux de Huang et Lin (2000
) indiquent que les postes dont les achats s’accroissent le plus lorsque le budget alimentaire augmente sont les fruits et légumes, la volaille et les matières grasses. Mais une méta-analyse des études menées aux États-Unis montre que c’est surtout la consommation alimentaire hors domicile qui augmente lorsque le revenu s’accroît (3 fois plus sensible que la consommation au domicile) (Blaylock et coll., 1999
).
Les élasticités-dépense peuvent être calculées par catégories de produits selon différents groupes de revenu. Elles montrent que les ménages les plus pauvres ne sont pas forcément plus sensibles à une variation de leur budget alimentaire que les ménages les plus riches. Si l’on compare les ménages de niveau de revenus extrêmes dans le cas français, soit les 20 % des ménages les plus pauvres, par rapport aux 20 % des ménages les plus riches, on trouve des effets variés selon les groupes d’aliments. Ainsi pour les ménages les plus pauvres, une hausse du budget entraînera une augmentation des quantités achetées de produits sucrés, poisson, thé et café, charcuterie, boissons alcoolisées, dans de plus fortes proportions que pour les ménages les plus riches. En revanche, ce rapport s’inverse pour les autres groupes de produits.
Rôle des prix alimentaires
Plusieurs articles lient la hausse de la prévalence de l’obésité depuis un demi-siècle aux variations relatives des prix alimentaires. Il est vrai que les progrès en matière de production, transformation, conservation et distribution de l’alimentation ont permis une baisse du prix de la calorie, aux États-Unis comme en France (Lakdawalla et coll., 2005
; Combris, 2006
; Christian et Rashad, 2009
). Cette évolution n’est pas identique pour tous les produits. Le progrès technologique a favorisé le développement des produits transformés, dont le prix a baissé beaucoup plus vite que celui des produits bruts, et ce d’autant plus qu’ils contiennent des graisses et sucres ajoutés peu coûteux et permettant d’augmenter facilement leur palatabilité
3
La palatabilité est la caractéristique de la texture des aliments agréables au palais.
(Cutler et coll., 2003
; Finkelstein et coll., 2005
; Drewnowski, 2007
). Les prix ont donc joué un rôle clé dans la modification quantitative et qualitative de l’offre alimentaire, et par conséquent dans la transition nutritionnelle vers une alimentation riche en graisses et sucres rapides et une consommation de calories élevée.
Dans le cas français, au sein d’une tendance générale à la baisse des coûts de production par unité de produit, les produits frais ont enregistré une hausse par rapport aux produits industrialisés. Combris (2006
) montre la baisse tendancielle des prix alimentaires en France depuis 50 ans mais l’augmentation des prix des fruits et légumes frais. L’écart, important aujourd’hui entre coût d’une calorie de fruits et légumes et coût d’une calorie de graisse ou de sucre, s’est ainsi creusé au cours du temps.
Le prix tel qu’il est introduit dans les modèles de demande ne correspond pas exactement au prix affiché en magasin. Plusieurs biais (erreurs et omissions dans le relevé des données, écarts de prix attribuables à des différences de qualité choisie par l’individu pour un même bien) compliquent l’utilisation des données brutes de prix. Pour limiter ces biais, on calcule les valeurs unitaires en divisant les dépenses par les quantités achetées au niveau de chaque consommateur. Ces valeurs qui correspondent au prix payé par unité de produit incorporent encore un effet de taille des portions achetées, ainsi que l’influence du mode et du lieu d’approvisionnement. De ce fait, les valeurs unitaires constatées pour un produit alimentaire donné diffèrent selon les ménages.
Par exemple, en France, les personnes âgées s’approvisionnent à des valeurs unitaires supérieures à celles des autres classes d’âge, sans doute en raison d’une moindre mobilité – les magasins les plus proches étant souvent les plus chers – et l’absence d’économies d’échelle lorsque la personne vit seule. En ce qui concerne les ménages à bas revenu, les valeurs unitaires de la plupart de leurs aliments achetés sont moindres que celles des achats des personnes bénéficiant de revenus élevés (Caillavet et coll., 2009
). Ce résultat concorde avec l’étude de Beatty (2010
) au Royaume-Uni. Beatty a construit un indice de cherté du panier alimentaire et a constaté que cet indice est moins élevé chez les ménages à faibles revenus, en raison notamment des réductions de prix obtenues pour des achats en plus grandes quantités.
Variations de prix et choix alimentaires
L’impact d’une variation de prix sur les choix alimentaires peut être très différent selon les produits et le contexte (Blaylock et coll., 1999
). Aux États-Unis, Sturm et Datar (2011
) mettent en évidence l’influence des disparités régionales de prix dans les différences de consommation de fruits et légumes, viandes et produits laitiers des enfants. Par ailleurs, l’importance du goût peut, à long terme, supplanter celle du prix : Dellava et coll. (2010
) montrent que la croissance des prix de la viande, des produits laitiers et des corps gras en Russie sur 10 ans, a été associée à une diminution de la consommation des 2 premiers types d’aliments, mais ne constitue pas un frein à la consommation de graisses, après une période initiale de réduction de leur consommation.
On constate ainsi une certaine dispersion des élasticités-prix dans les travaux analysant les répercussions des variations de prix sur la consommation des différents produits alimentaires. Une revue systématique rassemble les élasticités-prix obtenues à partir des travaux américains en population générale (Andreyeva et coll., 2010
). La moyenne de ces valeurs, calculée par produit, est inférieure à 1 et désigne donc des biens « peu élastiques, voire inélastiques », dans la mesure où la variation de la consommation est moindre que la variation du prix. Cependant la dispersion peut être grande, due en particulier au fait que la période des travaux recensés (échantillons de données transversales s’étageant entre 1938 et 2007) est très hétérogène et marquée par une structure variable de la consommation. Parmi les produits favorables à la santé, la moyenne se situe à -0,70 pour les fruits (les élasticités-prix varient entre -0,16 et -3,02) et à -0,58 pour les légumes (entre -0,21 et -1,11) ; on relève une élasticité moyenne légèrement supérieure pour les jus de fruits (-0,76) ; pour le poisson, elle se situe à -0,50. Parmi les produits alimentaires peu recommandés, on trouve des élasticités-prix de l’ordre de -0,79 pour les boissons sans alcool, -0,34 pour les produits sucrés et la confiserie, -0,48 pour les graisses. Les données françaises se situent dans ces intervalles (Caillavet et coll., 2009
; Allais et coll., 2010
). Il faut souligner que les élasticités-prix sont très sensibles au niveau de désagrégation des produits. Par exemple, les résultats observés pour les fruits et légumes agrégés seront différents selon le degré de transformation des produits (frais, transformés).
Relations entre prix alimentaires et poids
Les études sur les liens entre prix alimentaires et poids ou obésité sont moins nombreuses. L’analyse des travaux américains (Powell et Chaloupka, 2009
) relève quelques relations intéressantes entre aliments plus ou moins caloriques et poids : chez les adolescents, Powell et coll. (2007
) constatent qu’une hausse du prix des
fast foods est associée à une augmentation des achats de fruits et légumes d’une part, et à une diminution de l’indice de masse corporelle (IMC) d’autre part ; Auld et Powell (2009
) trouvent qu’une diminution de l’IMC est associée à une hausse du prix des aliments denses en énergie, et à une baisse du prix des aliments à faible densité énergétique. Chez les adultes, à partir de données longitudinales, Sturm et Datar (2005
, 2008
) observent une relation positive entre le prix des fruits et légumes et l’IMC. Chou et coll. (2004
) relèvent une association négative entre prix de l’alimentation (restaurants, ainsi qu’alimentation au domicile) et l’IMC d’une part, et l’obésité d’autre part. D’autres études ne trouvent pas de lien (Kim et Kawachi, 2006
) ou bien celui-ci varie selon la méthode d’estimation utilisée (Han et Powell, 2011
). Dans le cas de la France, une étude relève une association positive entre l’IMC des femmes et le prix des fruits frais, et négative avec le prix des fromages, des huiles, des desserts, des plats préparés et des boissons sans alcool ; on retrouve ces deux derniers résultats chez les hommes (Boizot-Szantai et Etilé, 2009
).
Réponses au prix selon le niveau de revenu
La majorité des études segmentant les effets du prix selon le revenu portent sur la consommation. Les rares études sur la santé proviennent des États-Unis. Chez Beydoun et coll. (2008
), des indices de prix des fruits et légumes sont associés plus fortement avec des indicateurs de qualité nutritionnelle de l’alimentation dans la catégorie défavorisée au sein de 3 strates de revenu : un prix supérieur est associé à une meilleure qualité nutritionnelle et une réduction de la proportion d’obèses. En revanche chez Powell et Bao (2009
) sur un échantillon d’enfants, on ne trouve pas de relation significative entre le prix des fruits et légumes et l’IMC dans les différents quintiles de revenu, hormis chez les plus pauvres. Pour ces ménages, une hausse de l’IMC est associée à une hausse du prix des fruits et légumes et à une baisse du prix des
fast foods.
La partie suivante analyse les effets de la variation des prix alimentaires sur les achats, à travers les études d’élasticités-prix calculées selon différentes strates de revenu. Elles sont synthétisées dans le tableau 13.I
.
Élasticités-prix des aliments
Du fait d’une contrainte budgétaire plus forte (découlant en particulier d’une part plus importante du budget consacré à l’alimentation) pour les ménages à bas revenus, on s’attend à ce que ceux-ci développent une plus grande sensibilité aux variations de prix des aliments. Une récente analyse par méta-régression tente une synthèse des études estimant des élasticités-prix en prédisant des élasticités prix ajustées par les différences entre études selon 9 groupes d’aliments (Green et coll., 2013
). Cette étude conclut à une demande plus sensible au prix pour les pays de plus faible revenu (136 études), ainsi que pour les segments de population plus défavorisés (21 études) quels que soient les groupes alimentaires considérés.
Cette uniformité de résultats ne se retrouve pas forcément au niveau des études originales à un niveau plus désagrégé. Ainsi, une étude danoise sur 23 groupes d’aliments (Smed et coll., 2007
) constate pour la plupart des produits alimentaires une plus grande sensibilité aux prix pour les groupes les plus défavorisés par rapport aux catégories les plus aisées. Par exemple, l’élasticité-prix des légumes est de -1,47 pour les revenus les plus faibles et de -1,03 pour la classe la plus riche (tableau 13.I
), c’est-à-dire qu’une hausse de 1 % du prix des légumes entraîne une diminution des quantités achetées de 1,47 % chez les ménages les plus pauvres et de 1,03 % chez les ménages les plus riches. Mais ce n’est pas le cas pour toutes les catégories alimentaires. On trouve dans les travaux distinguant plusieurs classes de revenu une grande hétérogénéité des élasticités-prix significatives. Une généralisation sur la plus ou moins grande sensibilité des plus défavorisés au prix paraît difficile à ce niveau, comme le montre le tableau 13.I
. Dans le cas français, on relève également des résultats disparates : une élasticité-prix des légumes frais inférieure pour les revenus les plus faibles (-0,20
versus -0,44) chez Allais et coll. (2010
) avec des données de cohorte, supérieure (-1,22
versus -1,03) chez Caillavet et coll. (2009
) avec des données transversales.
Les écarts entre les différentes valeurs d’élasticités relevés dans la littérature reflètent des différences à de multiples niveaux : données, calcul des prix, modèle économétrique, méthode d’estimation…
En ce qui concerne les produits favorables à la santé, et en particulier les fruits et légumes, les données nord-américaines montrent que les ménages à faibles revenus sont dans l’ensemble moins sensibles au prix des fruits que les ménages aux revenus élevés. Pour les légumes, on trouve les deux cas de figure, les personnes disposant de faibles revenus pouvant être plus ou moins sensibles aux prix que les plus aisées (Park et coll., 1996
; Huang et Lin, 2000
; Dong et Lin, 2009
). Les travaux français rapportent, pour les populations aux revenus les plus faibles, des sensibilités au prix des fruits frais disparates : plus fortes que pour les ménages aisés dans les études de Caillavet et coll. (2009
) et Bertail et Caillavet (2008
), plus faibles dans les résultats d’Allais et coll. (2010
). Par ailleurs, une catégorie de ménages très défavorisés peut se révéler insensible aux variations de revenu pour les achats de fruits et légumes agrégés, et insensible (Bertail et Caillavet, 2008
) ou très peu sensible (Allais et coll., 2010
) aux variations de prix pour certains produits (légumes frais, légumes en conserves). Ce résultat est retrouvé en partie dans les données nord-américaines (Blisard et coll., 2004
).
Tableau 13.I Impact des variations de prix de l’alimentation sur les achats en fonction du revenu
Références
|
Pays
Années
|
Échantillon
|
Méthode estimation
|
Élasticité-prix directea
Revenu faible/élevé
|
Lin et coll., 2011
|
États-Unis
1998-2007
|
2 classes de revenu
|
Système demande partiel AIDS
Boissons sans alcool
|
Boissons sucrées : -0,95/-1,29
Boissons light : -0,70/-0,46
Jus : -1,02/-0,93
|
Zhen et coll., 2011
|
États-Unis
2004-2006
|
2 classes de revenu
|
Système demande partiel AIDS
Boissons sans alcool
|
Sodas : -1,45/-1,87
Sodas light : -1,51/-0,82
Jus : -1,01/-1,34
Boissons sucrées aux fruits : -1,98/-2,65
|
Allais et coll., 2010
|
France
1996-2001
|
4 classes de revenu
|
Système demande partiel AIDS
Alimentation à domicile
Matrice de conversion nutritionnelle
|
Fruits frais : 0/-0,36
dont vitamine C : 0,01/-0,10
Légumes frais : -0,20/-0,44
Beurre et fromages : -0,30/-0,25
dont AGS : -0,17/-0,17
Produits gras et sucrés : -0,48/-0,24
dont AGS : -0,18/-0,15
Plats préparés : -1,38/-1,39
|
Caillavet et coll., 2009
|
France
2006
|
Quintiles de revenu
|
Système demande AIDS
Alimentation à domicile
|
Fruits frais : -0,45/-0,53
Légumes frais : -1,22/-1,03
Graisses animales : -0,51/-0,89
Graisses végétales : -0,54/-0,78
Bœuf : -0,73/-0,75
Sucre : -1,39/-1,41
Boissons non alcoolisées (hors jus) : -0,94/-1,38
|
Dong et Lin, 2009
|
États-Unis 2004
|
3 classes de revenu
|
Fonction de demande
Fruits et légumes
|
Fruits : -0,52/-0,58
Légumes : -0,69/-0,57
|
Bertail et Caillavet, 2008
|
France
1997
|
6 clusters
|
Système demande AIDS
Fruits et légumes
|
Fruits frais : -1,73/-0,45
Légumes frais : 0/-0,81
|
Smed et coll., 2007
|
Danemark
1997-2000
|
5 classes sociales
|
Système demande AIDS
Alimentation à domicile
Matrice de conversion nutritionnelle
|
Fruits : -1,22/-0,37
Légumes : -1,47/-1,03
Bœuf : -1,80/-0,59
Porc : -2,00/-0,37
Margarine : -1,98/-1,86
Beurre : -1,55/-1,58
Sucre : -1,03/-0,87
|
Yen et coll., 2004
|
États-Unis 1996-1997
|
Bénéficiaires de programmes d’aide
|
Système demande Translog
Boissons sans alcool
|
Sodas : -0,80
Jus : -0,52
|
Huang et Lin, 2000
|
États-Unis 1987-1988
|
3 classes de revenu
|
Système demande AIDS
Alimentation à domicile
Matrice de conversion nutritionnelle
|
Fruits : -0,65/-0,75
Légumes : -0,70/-0,71
Poisson : -0,36/-0,24
Bœuf : -0,29/-0,41
Porc : -0,72/-0,67
Graisses : -0,51/-0,37
|
Park et coll., 1996
|
États-Unis
1987-1988
|
2 classes de revenu
|
Équation de Participation + Système demande LES
Alimentation totale
|
Fruits : -0,34/-0,52
Légumes : -0,32/-0,45
Bœuf : -0,45/-0,44
Porc : -0,49/-0,44
Graisses : -0,79/-0,58
Alimentation hors domicile : -0,93/-0,96
|
a Les élasticités-prix reportées s’entendent non compensées, c’est-à-dire à budget inchangé, et statistiquement significatives jusqu’au seuil de 10 %. Lorsqu’il y a plus de 2 classes de revenu, le rapport revenu faible/revenu élevé correspond aux 2 classes extrêmes.
AIDS : Almost Ideal Demand System ; AGS : Acides gras saturés ; LES : Linear Expenditure System, et Translog désignent des modèles économétriques utilisant des formes fonctionnelles différentes
Concernant les produits peu recommandés sur le plan nutritionnel, il n’y a pas plus de consensus sur l’impact d’une hausse de prix sur les achats. Les résultats américains opposent les boissons sucrées, pour lesquelles les ménages les plus riches modifient le plus leurs achats aux boissons
light, pour lesquelles les ménages les plus pauvres réagissent davantage à une hausse de prix (Lin et coll., 2011
; Zhen et coll., 2011
). En France, les ménages modestes sont moins sensibles au prix des boissons sans alcool (jus de fruits exclus) que les plus aisés (Caillavet et coll., 2009
). Comparés aux autres produits alimentaires, la consommation de boissons est relativement sensible au prix, dans un rapport à peu près proportionnel (élasticité autour de 1, voire supérieure), soit plus que la plupart des autres produits alimentaires « solides » dont la consommation se révèle plus stable face aux prix. Quant aux graisses, on obtient sur les données françaises des résultats disparates (Caillavet et coll., 2009
; Allais et coll., 2010
). Sur les données américaines, la sensibilité aux prix des graisses est plus forte dans les ménages à bas revenus (Park et coll., 1996
; Huang et Lin, 2000
).
Une étude d’économie expérimentale réalisée auprès d’adolescents nord-américains (Epstein et coll., 2006
) montre l’implication du niveau de revenu dans la réponse au prix des achats de produits, qu’ils soient bons pour la santé ou peu recommandés. Les personnes disposant de faibles revenus, comparées à celles bénéficiant de revenus supérieurs, sont relativement plus sensibles au prix des produits défavorables à la santé et légèrement moins sensibles au prix des produits favorables à la santé. Pour les revenus supérieurs, la sensibilité au prix est la même que les produits soient recommandés ou non. L’une des raisons en est la hiérarchie densité en énergie/coût des aliments qui privilégie des aliments peu recommandés pour atteindre la sensation de satiété à moindre coût (voir le chapitre « Coût et qualité nutritionnelle de l’alimentation »). En outre, des éléments de facilités de préparation et de palatabilité entrent en ligne de compte.
Élasticités-prix des nutriments
Seules trois études ont évalué la réponse au prix des nutriments selon le niveau de vie (Huang et Lin, 2000
; Smed et coll., 2007
; Allais et coll., 2010
), une seule a publié les valeurs des élasticités-prix (Allais et coll., 2010
). On sait que les élasticités-prix des nutriments sont bien plus faibles que celles des aliments, ce que confirme cette étude. En revanche, on ne connaît pas de fait stylisé
4
Fait stylisé : constat d’ordre empirique, généralement non quantifié, mais jugé représentatif du fonctionnement de l’économie
sur le sens des écarts entre les élasticités-prix des nutriments et le niveau de revenu (pas plus que pour les élasticités-prix des aliments). Dans cette étude française, à partir d’élasticités-prix différentes des aliments pour les 2 classes de revenu extrêmes, on obtient en revanche une élasticité-prix des acides gras saturés de même valeur (cas des acides gras saturés issus des beurres et fromages) ou de valeur très proche (cas des acides gras saturés issus des produits gras et sucrés). Au contraire, la différence est accusée pour la vitamine C issue des fruits frais. Cependant, l’ordre de grandeur reste très faible et traduit une demande totalement inélastique.
Perceptions des coûts et stratégies d’achat
La perception des prix et l’évaluation des autres coûts liés à l’approvisionnement (transport, temps passé…) peuvent différer selon les individus et la contrainte budgétaire, aussi les stratégies d’achat varient-elles en fonction du niveau de vie.
Perception de l’accessibilité financière et consommation
L’accessibilité financière est souvent évoquée dans les travaux sur les choix alimentaires des populations défavorisées, en particulier pour les achats de produits recommandés pour la santé. Dans la population française à bas revenus, la plupart des personnes relèvent le prix comme un obstacle important à l’achat de davantage de fruits et légumes (Bihan et coll., 2010
). Des résultats australiens rapportent une consommation de fruits des enfants inférieure lorsque les fruits sont perçus comme trop chers par les mères (Williams et coll., 2012
). Des données britanniques montrent que les consommateurs à faibles revenus limitent leurs achats de fruits et légumes car ils sont perçus trop chers (Dibsdall et coll., 2003
). Cependant, peu de travaux différencient la perception de cherté de la cherté réelle.
Une étude australienne a comparé les perceptions des prix par les participants dans les supermarchés qu’ils fréquentent et les prix objectifs (Giskes et coll., 2007
). Elle a calculé les différences de prix entre produits recommandés sur le plan nutritionnel et leur homologue standard (exemple : pain complet
versus pain blanc), pour 14 catégories alimentaires à la fois au niveau des prix objectifs et des prix perçus. Sur le plan objectif, les produits recommandés étaient en général plus chers que les autres, mais la majorité des participants n’a perçu de différence que dans le cas des légumes, des yaourts et du bœuf. Les choix d’achat des produits recommandés sur le plan nutritionnel se sont révélés associés plus fortement aux différences de prix perçus qu’à celles des prix eux-mêmes. Les groupes à plus bas revenu avaient une probabilité moindre d’acheter les produits recommandés. Cependant la différence des prix, en termes de prix objectifs comme de prix perçus, jouait un rôle similaire quel que soit le revenu et n’expliquait pas les disparités dans les choix d’achat.
Une enquête menée chez les consommateurs français montre un décalage entre prix perçu par le consommateur et prix réel du produit. Au sein de l’alimentation, une attention particulière est portée aux prix des fruits et légumes frais par les consommateurs. Or la perception de l’augmentation du prix de ces produits correspondrait mal à la réalité, en particulier en raison du rôle des variations saisonnières, du ralentissement du pouvoir d’achat, et du débat médiatique sur les prix (Hebel, 2007
).
Stratégies d’achat
Plusieurs travaux qualitatifs s’appuient sur des groupes de discussion (
focus groups) pour connaître les perceptions des prix et les stratégies d’achat mises en œuvre par les personnes ayant un budget très limité. Dans ce contexte, le prix est le critère principal, voire le seul critère de choix pour les populations à bas revenus, que ce soit aux Pays-Bas ou aux États-Unis (Wiig et Smith, 2009
; Waterlander et coll., 2010
; Webber et coll., 2010
). Des consommateurs américains à faibles revenus privilégient les achats en promotion et la consommation de conserves (Webber et coll., 2010
). Ils développent une stratégie pour les produits chers tout au long du mois : en début de mois, les fruits et légumes sont achetés frais, les achats privilégiés ensuite sont les surgelés puis les conserves. Les jus de fruits et les produits biologiques sont évités. Des économies sont réalisées sur les fruits et légumes, la viande et les produits laitiers (Waterlander et coll., 2010
). Des auteurs mentionnent le fait que des consommateurs évitent de faire les courses avec les enfants (Wiig et Smith, 2009
).
Prise en compte du coût complet incluant le temps
Les études concernant la perception confirment que l’alimentation non recommandée sur le plan nutritionnel est perçue comme moins chère, voire plus facile à trouver et à préparer, en particulier par les personnes à bas revenus (Giskes et coll., 2007
). Elles montrent par ailleurs que les consommateurs évaluent souvent le coût complet des achats alimentaires, c’est-à-dire incluant le coût d’approvisionnement, la qualité, les bénéfices perçus pour la santé et le coût d’opportunité
5
La notion de coût d’opportunité (économie) se rapporte au revenu sacrifié par unité de temps consommé. Elle permet de rendre compte du fait qu’en envisageant un choix, on renonce à d’autres choix qui avaient des gains associés.
du temps nécessaire pour acheter en promotion selon le mode de transport utilisé (Webber et coll., 2010
). De fait, les disparités dans l’accès à une alimentation saine peuvent être fortes : par exemple, Bertrand et coll. (2008
) constatent qu’à Montréal 40 % de la population a un accès limité en termes de distance à pied à l’offre de fruits et légumes. Laraia et coll. (2004
) trouvent un lien entre la proximité des supermarchés et la qualité nutritionnelle de l’alimentation pour des femmes enceintes. Les questions d’environnement commercial s’insèrent dans la problématique de l’influence de l’environnement alimentaire sur les comportements et nécessitent une approche en termes de zones de proximité géographique (Popkin et coll., 2005
).
Le temps de préparation des repas est également pris en compte par les consommateurs : une étude américaine auprès de femmes défavorisées indique qu’elles passent moins de temps à préparer les repas avec les ingrédients du plan national américain pour l’alimentation
Thrifty Food Plan que ce qui est prévu comme nécessaire (Rose, 2007
). Or, économiser 16 à 49 % du temps de préparation conduit à un coût supérieur du repas de 29 %. En effet, Blaylock et coll. (1999
) soulignent que les contraintes de temps sont un obstacle à une alimentation bénéfique pour la santé. Les préférences affectent l’arbitrage coût monétaire/temps pour la préparation des aliments. Le
Healthy Eating Index (HEI), score d’adhésion aux recommandations, est associé aux variables de préférence pour le futur
6
La préférence pour le futur (économie) se rapporte aux arbitrages des ménages orientés en faveur des consommations futures à l’inverse des arbitrages orientés en faveur des consommations présentes (préférence pour le présent).
. L’importance accordée au prix, qui est la première contrainte pour les bas revenus, est associée à un HEI inférieur (Huston et Finke, 2003
).
Coûts d’approvisionnement et localisation
Les coûts de l’approvisionnement font partie du coût complet qui guide les achats du consommateur. Ils peuvent varier selon le type de commerce fréquenté et le quartier de résidence. Plusieurs travaux testent l’hypothèse qu’une alimentation bénéfique pour la santé est plus chère, en termes de coût et d’accessibilité aux produits. Ces questions sont développées dans les chapitres « Coût et qualité nutritionnelle de l’alimentation » et « Environnement alimentaire et comportements alimentaires ». Les résultats des études sur l’importance éventuelle des effets contextuels sur l’alimentation sont très dépendants des situations du commerce alimentaire et de la législation. Or ceux-ci varient fortement par pays. Des études anglaises et américaines se concentrent sur le rôle des petits commerces locaux ou « dépanneurs » qui offrent moins de variété de produits : des prix supérieurs de 30 % par rapport aux supermarchés sont relevés dans le Sud du Derbyshire au Royaume-Uni (Barratt, 1997
), ceux-ci varient de -18 à +30 % par rapport aux prix nationaux à Rhode Island, États-Unis (Sheldon et coll., 2010
). Ce surcoût de l’alimentation est en partie compensé par l’absence de coûts de transport et fait partie de la stratégie d’approvisionnement des bas revenus (Barratt, 1997
; Wiig et Smith, 2008 dans le Minnesota, États-Unis). Ces coûts d’approvisionnement influent également sur la santé : dans une étude américaine (Powell et Bao, 2009
), la densité de petits magasins (
convenience stores) est associée positivement à l’IMC des enfants.
D’autres travaux comparent quartiers aisés et quartiers défavorisés, à travers l’assortiment des supermarchés. Dans une étude australienne, celui-ci ne se révèle pas différent entre quartiers (Vinkeles Melchers et coll., 2009
). En revanche, le coût du même panier d’aliments peut s’avérer significativement moins cher dans des zones à bas revenu en Californie (Cassady et coll., 2007
). Cependant, une étude récente constate que, même en ajustant sur la proximité des supermarchés, l’approvisionnement dans les supermarchés les moins chers (pour un même panier) est associé avec le risque d’obésité (Drewnowski et coll., 2012
).
Il est très délicat de transposer ces résultats à la situation française, dans laquelle la répartition des supermarchés sur le territoire semble meilleure que dans certaines zones des États-Unis, et le choix de fruits et légumes frais en général correct. Peu de données existent en France dans le domaine public sur la densité des divers types de sources d’approvisionnement alimentaire (supermarchés/commerces spécialisés) et leur fréquentation selon le niveau socioéconomique des consommateurs, et de ce fait les travaux sur cette question sont rares. Cependant, une étude récente à partir de la cohorte Record (
Residential Environment and CORonary heart Disease) trouve une association entre IMC élevé et approvisionnement dans certaines chaînes de supermarché, en particulier de
hard-discount (Chaix et coll., 2012
).
En conclusion, on sait que la contrainte du budget dédié à l’alimentation n’a pas le même poids pour des ménages de niveaux de vie différents. En France, les personnes du 1er décile de revenus consacrent à l’alimentation 18 % de leur budget contre 14 % pour le décile le plus riche. L’augmentation du budget alimentaire entraîne une croissance inégale des achats selon les groupes d’aliments et le revenu des ménages. Les réponses aux variations de prix, d’une manière générale, et en particulier calculées selon le niveau de revenu, attestent d’une grande diversité selon les études. Elles dépendent étroitement des groupes de population et des produits alimentaires considérés, ainsi que du degré de finesse de la nomenclature de ces produits remettant en cause l’idée répandue que les groupes socioéconomiques défavorisés sont plus sensibles au prix des produits alimentaires que les populations plus aisées. Outre les différences de méthode d’analyse, une des raisons de la diversité de réponse aux prix peut résider dans le fait que les stratégies d’achat tiennent plutôt compte des coûts complets, c’est-à-dire incluent les différentes contraintes qui pèsent sur le coût d’opportunité du temps. Ces contraintes appuient l’importance des questions d’environnement commercial et d’habitat, à travers l’accessibilité physique aux magasins offrant les produits alimentaires désirés. Ces questions ont été peu explorées dans le domaine français et les sources de données sont encore rares.
France Caillavet
Inra UR 1303 ALISS, Alimentation et sciences sociales, Ivry sur Seine
Bibliographie
[1] allais o,
bertail p,
nichele v. The effects of a fat tax on french households’ purchases: A nutritional approach.
Am J Agr Econ. 2010;
92:228
-245
[2] andreyeva t,
long mw,
brownell kd. The impact of food prices on consumption: a systematic review of research on the price elasticity of demand for food.
Am J Public Health. 2010;
100:216
-222
[3] auld cm,
powell lm. Economics of food energy density and adolescent body weight.
Economica. 2009;
76:719
-740
[4] barratt j. The cost and availability of healthy food choices in southern Derbyshire.
J Hum Nutr Diet. 1997;
10:63
-69
[5] beatty tkm. Do the poor pay more for food? Evidence from the United Kingdom.
American Journal of Agricultural Economics. 2010;
92:608
-621
[6] bertail p,
caillavet f. Fruit and vegetable consumption patterns: a segmentation approach.
Am J Agr Econ. 2008;
90:827
-842
[7] bertrand l,
therien f,
cloutier ms. Measuring and mapping disparities in access to fresh fruits and vegetables in Montreal.
Can J Public Health. 2008;
99:6
-11
[8] beydoun ma,
powell lm,
wang y. The association of fast food, fruit and vegetable prices with dietary intakes among US adults : is there modification by family income ?.
Soc Sci Med. 2008;
66:2218
-2229
[9] bihan h,
castetbon k,
mejean c,
peneau s,
pelabon l, et coll. Sociodemographic factors and attitudes towards food affordability and health are associated with fruit and vegetable consumption in a low-income French population.
J Nutr. 2010;
140:823
-830
[10] blaylock j,
smallwood d,
kassel k,
variyam j,
aldrich l. Economics, food choices, and nutrition.
Food Policy. 1999;
24:269
-286
[11] blisard n,
stewart h,
jolliffe d. Low-income households’ expenditures on fruits and vegetables. USDA ERS 833.
2004;
[12] boizot-szantai c,
etilé f. Le prix des aliments et la distribution de l’indice de masse corporelle Français.
Rev Economique. 2009;
60:413
-440
[13] caillavet f,
lecogne c,
nichele v. La consommation alimentaire : des inégalités persistantes mais qui se réduisent.
In: INSEE, editors.
Cinquante ans de consommation en France - Insee Références - Édition 2009.
Paris:INSEE-Institut;
2009.
p. 49
-62
[14] cassady d,
jetter km,
culp j. Is price a barrier to eating more fruits and vegetables for low-income families?.
J Am Diet Assoc. 2007;
107:1909
-1915
[15] chaix b,
kestens y,
bean k,
leal c,
karusisi n, et coll. Cohort profile: residential and non-residential environments, individual activity spaces and cardiovascular risk factors and diseases – The RECORD cohort study?.
Int J Epidemiol. 2012;
41:1283
-1292
[16] chou sy,
grossman m,
saffer h. An economic analysis of adult obesity: results from the Behavorial Risk Factor Surveillance System.
J Health Econ. 2004;
23:565
-587
[17] christian t,
rashad i. Trends in U.S. food prices, 1950-2007.
Econ Hum Biol. 2009;
7:113
-120
[18] combris p. Le poids des contraintes économiques dans les choix alimentaires.
Cah Nut Diet. 2006;
41:279
-284
[19] cutler dm,
glaeser el,
shapiro jm. Why Have Americans Become More Obese?.
The Journal of Economic Perspectives. 2003;
17:93
-118
[20] deaton a,
muellbauer j. Economics and consumer behavior.
Royaume-Uni:Cambridge University Press;
1980.
[21] dellava je,
bulik cm,
popkin bm. Price changes alone are not adequate to produce long-term dietary change.
J Nutr. 2010;
140:1887
-1891
[22] dibsdall la,
lambert n,
bobbin rf,
frewer lj. Low income consumers’ attitudes and behavior towards access, availability and motivation to eat fruit and vegetables.
Public Health Nutrition. 2003;
6:159
-168
[23] dong d,
lin bh. Fruit and vegetable consumption by low-income Americans. Would a price reduction make a difference?.
USDA, Economic Research Report n° 79;
2009;
[24] drewnowski a. The real contribution of added sugars and fats to obesity.
Epidemiologic Reviews. 2007;
29:160
-171
[25] drewnowski a,
aggarval a,
hurwitz pm,
monsivais p,
moudon av. Obesity and supermarket access : proximity or price ?.
Am J Public Health. 2012;
102:74
-80
[26] epstein lh,
handley ea,
dearing kk,
cho dd,
roemmich jn, et coll. Purchases of food in youth - Influence of price and income.
Psychol Sci. 2006;
17:82
-89
[27] epstein lh,
jankowiak n,
nederkoorn c,
raynor ha,
french sa,
finkelstein e. Experimental research on the relation between food price changes and food-purchasing patterns : a targeted review.
Am J Clin Nutr. 2012;
95:789
-809
[28] finkelstein ea,
ruhm cj,
kosa km. Economic causes and consequences of obesity.
Annu Rev Public Health. 2005;
26:239
-257
[29] giskes k,
van lenthe fj,
brug j,
mackenbach jp,
turrell g. Socioeconomic inequalities in food purchasing: the contribution of respondent-perceived and actual (objectively measured) price and availability of foods.
Prev Med. 2007;
45:41
-48
[30] green r,
cornelsen l,
dangour ad,
turner r,
shankar b,
mazzocchi m,
smith r. The effect of rising food prices on food consumption: systematic review with meta-regression.
BMJ. 2013;
346:f3703
[31] han e,
powell lm. Effect of food prices on the prevalence of obesity among young adults.
Public Health. 2011;
125:129
-135
[32] hebel p. Synthèse de l’étude sur la perception par les consommateurs des prix des produits frais.
CREDOC, colloque Espace Rungis;
25 septembre 2007;
[33] huang k,
lin b. Estimation of food demand and nutrient elasticities from household survey data.
USDA Economic Research Service Technical Bulletin;
n° 1887.
2000;
[34] huston sj,
finke ms. Diet choice and the role of time preference.
J Consum Aff. 2003;
37:143
-160
[36] kim d,
kawachi i. Food taxation and pricing strategies to «thin out» the obesity epidemic.
Am J Prev Med. 2006;
30:430
-437
[37] lakdawalla d,
philipson t,
bhattacharya j. Welfare-enhancing technological change and the growth of obesity.
The American Economic Review. 2005;
95:253
-257
[38] lancaster kl. A New Approach to Consumer theory.
J Polit Econ. 1966;
74:132
-157
[39] laraia ba,
siega-riz am,
kaufman js,
jones sj. Proximity of supermarkets is positively associated with diet quality index for pregnancy.
Prev Med. 2004;
39:869
-875
[40] lin bh,
smith ta,
lee jy,
hall kd. Measuring weight outcomes for obesity intervention strategies : The case of a sugar-sweetened beverage tax.
Econ Hum Biol. 2011;
9:329
-341
[41] park j,
holcomb r,
raper k,
capps jr o. A demand system analysis of food commodities by US households segmented by income.
Am J Agr Econ. 1996;
78:290
-300
[42] popkin bm,
duffey k,
gordon-larsen p. Environmental influences on food choice, physical activity and energy balance.
Physiology and Behaviour. 2005;
86:603
-613
[43] powell lm,
bao y. Food prices, access to food outlets and child weight.
Econ Hum Biol. 2009;
7:64
-72
[44] powell lm,
chaloupka fj. Food prices and obesity: evidence and policy implications for taxes and subsidies.
Milbank Q. 2009;
87:229
-257
[45] powell lm,
chaloupka fj,
bao y. The availability of fast-food and full-service restaurants in the United States: associations with neighborhood characteristics.
Am J Prev Med. 2007;
33:S240
-S245
[46] rose d. Food Stamps, the Thrifty Food Plan, and meal preparation: the importance of the time dimension for US nutrition policy.
J Nutr Educ Behav. 2007;
39:226
-232
[47] sheldon m,
gans km,
tai r,
george t,
lawson e, et coll. Availability, affordability, and accessibility of a healthful diet in a low-income community, Central Falls, Rhode Island, 2007-2008.
Prev Chronic Dis. 2010;
7:A43
[48] smed s,
jensen jd,
denver s. Socio-economic characteristics and the effect of taxation as a health policy instrument.
Food Policy. 2007;
32:624
-639
[49] sturm r,
datar a. Body mass index in elementary school children, metropolitan area food prices and food outlet density.
Public Health. 2005;
119:1059
-1068
[50] sturm r,
datar a. Food prices and weight gain during elementary school: 5-year update.
Public Health. 2008;
122:1140
-1143
[51] sturm r,
datar a. Regional price differences and food consumption frequency among elementary school children.
Public Health. 2011;
125:136
-141
[52] vinkeles melchers nv,
gomez m,
colagiuri r. Do socio-economic factors influence supermarket content and shoppers’ purchases?.
Health Promot J Austr. 2009;
20:241
-246
[53] waterlander we,
de mul a,
schuit aj,
seidell jc,
steenhuis ihm. Perceptions on the use of pricing strategies to stimulate healthy eating among residents of deprived neighbourhoods: a focus group study.
International Journal of Behavioral Nutrition and Physical Activity. 2010;
7:44
[54] webber cb,
sobal j,
dollahite js. Shopping for fruits and vegetables. Food and retail qualities of importance to low-income households at the grocery store.
Appetite. 2010;
54:297
-303
[55] wiig k,
smith c. The art of grocery shopping on a food stamp budget: factors influencing the food choices of low-income women as they try to make ends meet.
Public Health Nutr. 2009;
12:1726
-1734
[56] williams l,
abbott g,
crawford d,
ball k. Associations between mothers’ perceptions of the cost of fruit and vegetables and children’s diets: Will children pay the price?.
Eur J Clin Nutr. 2012;
66:276
-278
[57] yen st,
lin b,
smallwood dm,
andrews m. Demand for nonalcoholic beverages: the case of low-income households.
Agribusiness. 2004;
20:309
-321
[58] zhen c,
wohlgenant mk,
karns s,
kaufman p. Habit formation and demand for sugar-sweetened beverages.
Am J Agr Econ. 2011;
93:175
-193
→ Aller vers SYNTHESE