Inégalités sociales de santé

2014


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Synthèse, discussion et perspectives
La question des inégalités sociales de santé a fait l’objet de nombreuses recherches depuis quelques décennies en France comme à l’étranger et a conduit à des publications de qualité et diversifiées. Les connaissances issues de ces études sont difficilement exploitables de façon immédiate pour identifier des interventions efficaces et aider à définir des politiques de santé publique qui permettraient de réduire les inégalités sociales de santé, ou du moins de ne pas les aggraver.
Parmi les déterminants majeurs de l’état de santé à tous les âges de la vie, les consommations alimentaires et la pratique d’activité physique, désignées ici par le terme nutrition, sont considérées a priori comme des comportements de santé susceptibles d’être modifiés par des interventions.
C’est dans ce contexte qu’une expertise collective a été mise en œuvre pour présenter un bilan des connaissances scientifiques sur les déterminants et les mécanismes permettant de mieux comprendre les inégalités sociales de santé en lien avec l’alimentation et l’activité physique, et pour proposer une analyse des interventions envisageables dans ce domaine.
Les inégalités sociales de santé en lien avec la nutrition sont considérées ici dans la société dans son ensemble, faisant référence à l’existence d’un gradient social formant un continuum d’états de santé et de comportements le long d’une hiérarchie sociale. Cette conception diffère de la distinction habituelle binaire entre les personnes précaires très défavorisées et le reste de la population. Cependant, l’essentiel des travaux publiés porte sur des populations précaires, ce qui pose la question du transfert à la population dans son ensemble, des acquis de connaissances et d’efficacité de ces interventions menées auprès des populations marginales.
Les inégalités sociales analysées dans cette expertise peuvent être mesurées par différents indicateurs comme les revenus, le niveau d’études, la catégorie socioprofessionnelle ou d’autres caractéristiques socioéconomiques. L’inégalité de genre, si elle n’est pas traitée en tant que telle, sera présente partiellement dans la mesure où les femmes sont surreprésentées dans les catégories les plus défavorisées de la population.
Après la présentation du bilan sur les disparités socioéconomiques en matière de nutrition et sur les mécanismes associés à la différenciation sociale des comportements nutritionnels, seront examinées les politiques de prévention et les interventions, tant ciblées qu’universelles et les choix stratégiques auxquelles elles renvoient seront discutés.

Consommations alimentaires, activité physique et état de santé : observation des inégalités sociales

Des inégalités sociales de santé qui concernent l’ensemble de la population

Il existe généralement une relation linéaire entre la position socioéconomique des individus (estimée par le revenu, le niveau d’éducation, ou la catégorie socioprofessionnelle) et leur état de santé. Cette relation, parfois appelée « gradient social », est observée pour tous les indicateurs de santé, non seulement l’espérance de vie et la mortalité, mais aussi la plupart des pathologies chroniques, notamment celles directement liées à la nutrition, telles que le diabète, l’obésité, les maladies cardiovasculaires, l’hypertension, l’ostéoporose, la santé bucco-dentaire et certains cancers.
La différence de morbidité et de mortalité observée entre les groupes socioéconomiques constitue l’un des résultats les plus constants de la recherche en épidémiologie. Les caractéristiques socioéconomiques sont associées à la santé chez les hommes et les femmes, à tous les âges de la vie, y compris dans l’enfance. La mortalité a globalement diminué au cours des 40 dernières années mais certaines catégories de population en ont plus bénéficié que d’autres. Les comparaisons étendues à l’ensemble des classes d’âge et des catégories de diplôme montrent que, globalement, les inégalités liées au niveau d’études ont augmenté depuis 1968. Elles se sont accrues du fait d’une augmentation des écarts entre les actifs qui ont un emploi rémunéré et ceux qui ne travaillent pas.
En 2000-2008, les hommes cadres supérieurs de 35 ans ont une espérance de vie de 47 ans, soit 6 ans de plus que les ouvriers. À ces inégalités de mortalité s’ajoutent des inégalités dans la qualité de vie, conséquences de diverses incapacités. Sur les 47 années d’espérance de vie, un cadre supérieur de 35 ans peut espérer en vivre 34 sans aucune incapacité (difficultés visuelles, auditives, de la marche ou des gestes de la vie quotidienne), soit 73 % du temps qui lui reste à vivre. Un ouvrier vivra en moyenne 24 ans sans incapacité, soit 60 % du temps qui lui reste à vivre. Les différences persistent avec l’avancée en âge : à 60 ans, les problèmes fonctionnels courants concernent 45 % des années d’espérance de vie des cadres et 62 % de celles des ouvriers. Il existe donc pour les catégories de niveau social moins favorisé une « double peine » portant sur la durée de vie mais aussi sur les conditions de celle-ci.
Les inégalités sociales de mortalité sont plus importantes en France que dans d’autres pays d’Europe, particulièrement pour les hommes. Sur la période s’étendant de 1980 à 1989, le taux de mortalité des travailleurs manuels (hommes de 45 à 59 ans) rapporté à celui des travailleurs non manuels, était de 1,7 en France et de l’ordre de 1,4 dans onze autres pays européens. En France, la mortalité des hommes exerçant des métiers non manuels est comparable à celle de leurs homologues en Europe, mais celle des hommes de 45 à 59 ans exerçant des métiers manuels est plus élevée. Une décennie après ces premiers travaux, la position de la France ne s’est améliorée que par l’inclusion de pays d’Europe Centrale dans lesquels les inégalités sont encore plus marquées.
D’après l’étude Obépi publiée en 2012, le pourcentage d’adultes obèses en France est 3,65 fois plus élevé dans les ménages ayant un revenu mensuel net inférieur à 900 € par rapport à ceux dont le revenu est supérieur à 5 300 €/mois. Par ailleurs, des évolutions favorables pour l’ensemble de la population peuvent masquer un accroissement du gradient social de santé. Par exemple, une étude sur la santé des enfants scolarisés en classe de CM2 indique que la prévalence du surpoids chez l’enfant s’est stabilisée en France entre 2002 et 2005. Cependant, dans le même temps, les inégalités se sont creusées : le taux d’enfants obèses a été divisé par deux chez les enfants de cadres, alors que pour les enfants d’ouvriers, il est passé de 5,1 % à 6,1 %.
Les habitudes de vie, comme la consommation d’alcool et de tabac, l’alimentation et l’activité physique, sont reconnues comme des déterminants majeurs de morbidité et mortalité dans le monde, en particulier pour les maladies chroniques. En 2010, le tabagisme était responsable de 6,3 % de la charge mondiale de morbidité, l’alcool de 3,9 %, l’inactivité physique et l’alimentation déséquilibrée de 10,0 %. Une étude récente fondée sur des données provenant de 11 pays européens a estimé que 60 % des décès, toutes causes confondues, pourraient être attribués à des comportements défavorables à la santé. La prévalence plus élevée de comportements défavorables à la santé dans les groupes socioéconomiques les plus défavorisés est largement rapportée dans la littérature. Il existe un gradient social des comportements de santé qui se manifeste dès l’enfance et persiste jusqu’à la vieillesse. En outre, de nombreux éléments attestent de l’existence de cumuls entre les différentes habitudes de vie ayant des impacts négatifs sur la santé. Ainsi le tabagisme, la consommation trop élevée d’alcool, une alimentation déséquilibrée et un faible niveau d’activité physique sont fréquemment présents de façon concomitante dans les catégories socioéconomiquement défavorisées.

Disparités des consommations alimentaires selon la position socioéconomique

Les consommations alimentaires ont profondément changé au cours de la deuxième moitié du XXe siècle, ce qui s’est traduit, en particulier, par une forte diminution des apports en glucides complexes et une augmentation des apports en lipides. Pour autant, les apports énergétiques ont globalement chuté mais on note aussi une diminution importante de l’activité physique et une augmentation du temps passé à des activités sédentaires. Alors que certains groupes d’aliments ont vu leurs niveaux de consommation décroître (légumes secs, produits céréaliers et autres féculents), d’autres ont été consommés de façon plus importante (viandes/poissons/œufs, produits laitiers, fruits, légumes, produits sucrés). Les modalités d’achat et de consommation ont aussi été grandement modifiées, avec le recours plus fréquent à des produits transformés (plats préparés, biscuits sucrés, desserts lactés…) et à la restauration hors domicile.
Les variations de consommations alimentaires observées en fonction des indicateurs de position socioéconomique ne constituent pas nécessairement des « inégalités » en tant que telles. La diversité des comportements alimentaires entre les groupes de population n’est pas forcément préjudiciable pour la santé, y compris lorsqu’elle est analysée au regard de la position socioéconomique. La finalité de santé publique, s’agissant d’alimentation, ne devrait donc pas être d’inciter à une homogénéisation des consommations alimentaires dans l’ensemble de la population mais plutôt de rechercher, dans cette diversité, les différents leviers permettant d’atteindre une alimentation « globalement » favorable à la santé.

Disparités des consommations alimentaires chez les adultes

En France comme dans d’autres pays, les informations issues des enquêtes nationales en population générale montrent que les consommations alimentaires des adultes se situant au niveau socioéconomique le plus faible sont généralement moins favorables à la santé que celles des personnes de plus haute position socioéconomique, et sont donc vectrices d’inégalités de santé. L’alimentation des personnes de position socioéconomique défavorisée est en particulier caractérisée par de plus faibles apports en fruits et légumes, produits céréaliers complets, poissons, fibres, et en vitamines et minéraux. En revanche, les apports en énergie et en macronutriments (glucides, lipides, protéines) varient peu ou pas avec la position socioéconomique.
Lorsque l’on s’intéresse à l’alimentation de façon globale par un score permettant de la situer par rapport aux recommandations nutritionnelles, ces variations peuvent n’être significatives que pour des sous-groupes de population particuliers. Il existe également d’importants effets modificateurs de la génération, de l’âge et du genre, qui conduisent à ne pas retrouver les mêmes variations dans tous les sous-groupes.

Disparités des consommations alimentaires à la naissance et chez les enfants

Les bénéfices de l’allaitement maternel pour la santé de la mère et de l’enfant sont bien documentés. Ils ont conduit l’OMS et l’Unicef à l’échelle mondiale, et la HAS et le PNNS au niveau national, à promouvoir sa pratique de façon exclusive jusqu’à 6 mois, et sa poursuite pendant la période de diversification alimentaire. Or, la France se situe parmi les pays européens ayant les plus faibles taux d’allaitement. Pour autant, une évolution favorable se dessine, puisque entre 1995 et 2010 le taux d’allaitement exclusif à la maternité est passé de 40,5 % à 60,2 % (enquêtes nationales périnatales). En 2012, l’étude Epifane a par ailleurs montré que dès l’âge d’un mois les nourrissons n’étaient plus que 35 % à être encore allaités de façon exclusive.
Entre 1998 et 2003, le taux d’initiation de l’allaitement en maternité a augmenté dans l’ensemble des groupes sociaux mais l’enquête nationale périnatale de 2003 révèle des disparités sociales : 80 % des femmes cadres initiaient l’allaitement en maternité contre 50 % pour les ouvrières non qualifiées. Des facteurs sociodémographiques et socioenvironnementaux sont associés à un allaitement prolongé (3 voire 6 mois) dans différents pays industrialisés. Parmi eux, la durée longue du congé rémunéré est associée, dans les pays nordiques, à un taux d’allaitement à 6 mois parmi les plus élevés.
Chez les enfants et les adolescents, les consommations alimentaires sont également moins favorables à la santé chez ceux vivant dans des foyers dont les conditions socioéconomiques sont les plus basses par rapport à ceux dont l’environnement de vie est plus favorable. Les groupes d’aliments et les nutriments concernés diffèrent en partie de ceux mentionnés pour les adultes. Les apports en produits céréaliers complets ou poisson peuvent être en effet plutôt homogènes, car généralement faibles. Comme chez les adultes, les résultats montrent que les différences ne sont pas tant entre des groupes d’aliments très globaux, mais concernent plutôt les substitutions au sein d’un groupe d’aliments. Des variations selon les caractéristiques socioéconomiques sont mesurables pour les fruits et légumes, les boissons sucrées, pas toujours chez les enfants les plus jeunes cependant. Les différences se manifestent aussi au niveau des rythmes alimentaires, l’exemple emblématique étant l’absence plus fréquente de prise de petit déjeuner dans les populations de faible position socioéconomique, surtout chez les adolescents.

Disparités des consommations alimentaires chez les personnes âgées

Les personnes âgées constituent une population particulièrement vulnérable en termes alimentaires. Aux difficultés socioéconomiques que certaines d’entre elles peuvent connaître, s’ajoutent des besoins nutritionnels modifiés et des limitations fonctionnelles voire une morbidité limitant l’accessibilité à une alimentation favorable à la santé. Alors que les études de cohorte montrent généralement une amélioration sensible de la qualité de l’alimentation avec l’âge, les consommations alimentaires des personnes au-delà de 70-75 ans sont caractérisées par des apports insuffisants en féculents et en viandes/poissons/œufs au regard des recommandations, ainsi qu’en certains nutriments. Peu de données récentes sont disponibles en France sur les apports alimentaires dans la population âgée, notamment selon les conditions socioéconomiques.

Situation des personnes précaires et pauvres

En raison de leurs conditions de vie caractérisées par l’instabilité, la faiblesse voire l’absence de revenus et de certains biens matériels majeurs (logement, équipement…), les personnes précaires et pauvres (c’est-à-dire dont le revenu est inférieur au seuil monétaire de pauvreté) partagent une accessibilité financière à l’alimentation très réduite et sont particulièrement concernées par les risques nutritionnels qui y sont associés. Les consommations des groupes d’aliments considérés comme favorables à la santé, comme les fruits et légumes ou le poisson, sont souvent très faibles dans ces populations. Il faut y ajouter les produits laitiers, également peu consommés. Les profils sociodémographiques et économiques des personnes qui ont recours à l’aide alimentaire sont très divers et des variations importantes sont également retrouvées dans leurs consommations alimentaires.
Selon les définitions internationales, l’insécurité alimentaire est définie comme un accès réduit ou culturellement peu acceptable à des denrées alimentaires adéquates (en termes de qualité, quantité et sécurité sanitaire), ou à un risque anormal de perdre cet accès. Les facteurs liés à la situation d’insécurité alimentaire recoupent pour une large part les indicateurs de la pauvreté (revenu, indicateurs de niveau de vie : logement, voiture) ou de ses déterminants (éducation, statut d’activité, présence d’enfants...). Les résultats convergent sur le fait que l’insécurité alimentaire est associée à un état de santé altéré à tous les âges de la vie. Ces associations persistent généralement après ajustement sur des facteurs de risques eux-mêmes associés à l’insécurité alimentaire (faible revenu, consommation de tabac, surpoids…), ce qui suggère un « effet » spécifique de l’insécurité alimentaire sur la santé. Les quelques études chez les enfants sur le lien entre insécurité alimentaire et alimentation ou statut nutritionnel ne trouvent aucune relation significative. En France, l’insécurité alimentaire n’est pas corrélée à des différences mesurables d’apports énergétiques mais à une diminution, relativement faible mais significative, de plusieurs indicateurs de la qualité nutritionnelle de l’alimentation chez les adultes.

Variations géographiques

Les populations des départements d’Outre-mer connaissent une vulnérabilité nutritionnelle particulière. Les différentes zones ultramarines partagent des traits communs relatifs à des changements profonds observés sur les trois dernières décennies, en particulier chez les jeunes générations. Partant d’une alimentation centrée sur les féculents et comportant une part plutôt modeste de protéines d’origine animale, mais avec une place notable des produits de la mer, leur consommation a évolué vers une alimentation plus riche en aliments pourvoyeurs de lipides et de glucides simples, marqueurs d’une transition nutritionnelle rapide.
Plus globalement, les profils de consommation alimentaires varient au niveau local et régional, et permettent d’identifier de vastes ensembles régionaux recoupant des régions historiques et culturelles, indépendamment des caractéristiques sociales de la population ou du niveau d’urbanisation. Le régime alimentaire de l’Ouest de la France métropolitaine accorde une place plus importante aux poissons et fruits de mer, aux pommes de terre ou aux matières grasses animales quand celui du Nord est caractérisé par des apports plus élevés en produits carnés et boissons sucrées, et celui de l’Est comprend moins de fruits et légumes, produits laitiers et poissons. À l’inverse, les régions du Sud-Ouest et du pourtour méditerranéen sont surtout influencées par le régime méditerranéen, qui comprend une part plus importante d’huile végétale, de légumes, de soupe, de pâtes, d’œufs ou de riz. Ces tendances sont confirmées pour les consommations alimentaires des enfants, mais de façon plus atténuée. Compte tenu de ces ancrages régionaux, les disparités sociales ne se déclinent pas de manières identiques dans toutes les régions : par exemple, le niveau d’éducation constitue un facteur associé aux consommations alimentaires dans le Nord de la France métropolitaine mais ne l’est pas dans le Sud-Ouest.

Disparités de l’activité physique et de la sédentarité selon la position socioéconomique

Indépendamment de l’âge et du sexe, l’activité physique ou sportive est pratiquée différemment selon les profils socioéconomiques des personnes (revenu, diplôme, catégorie socioprofessionnelle). Les domaines d’activité physique et de sédentarité (loisirs, professionnel, transport, domestique) peuvent également différer selon les profils socioéconomiques.

Disparités des comportements d’activité physique et de sédentarité chez les adultes

Les résultats des études sur l’association entre la position socioéconomique et l’activité physique peuvent sembler contradictoires, que l’on considère l’activité liée au travail ou l’ensemble de l’activité physique (loisirs, professionnel, transport…). Certaines études montrent que les personnes qui ont un travail physique, de position socioéconomique plus faible, sont moins susceptibles de pratiquer une activité physique durant les loisirs mais pourraient avoir un niveau global d’activité plus élevé que celles avec un travail plus sédentaire. Il n’existe pas d’association cohérente entre la position socioéconomique et l’atteinte du niveau recommandé d’activité physique globale. Ainsi, ne s’intéresser qu’à ce seul objectif de suivi du niveau d’activité recommandé, peut masquer des différences socioéconomiques importantes.
Les adultes de position socioéconomique plus faible sont généralement moins actifs pendant leur temps de loisir que ceux de position socioéconomique plus élevée. Cette relation est retrouvée que l’on considère la fréquence de pratique, le niveau ou l’intensité (modérée ou vigoureuse) des activités physiques. Par exemple, la proportion de personnes qui déclarent une pratique sportive est plus importante pour les niveaux de diplôme et de revenu plus élevés. Ces différences se retrouvent également dans l’adhésion à une association ou une structure privée, la pratique d’une activité encadrée et la participation à des compétitions. Un lien entre position socioéconomique et activité physique de loisirs est notamment identifié pour les pratiques sportives lorsque celles-ci nécessitent un équipement coûteux ou des déplacements pour accéder aux lieux de pratique.
Concernant la sédentarité, des études montrent que le temps passé assis est plus important chez les personnes de position socioéconomique plus élevée. Une explication probable à cette observation pourrait être liée aux professions exercées, associées à des temps passés assis plus élevés. Cependant, une position socioéconomique plus faible est associée à un temps passé devant un écran plus élevé. Au final, si un gradient social différent est observé pour l’activité physique liée au travail et celle liée aux loisirs, des études complémentaires sont nécessaires pour vérifier si ce gradient social s’applique également aux activités sédentaires.

Disparités de comportements d’activité physique et de sédentarité chez les enfants et adolescents

Chez les enfants et les adolescents, les résultats, qui reposent principalement sur des études transversales, sont moins concluants. En effet, l’existence d’un lien entre la position socioéconomique et l’activité physique des enfants et des adolescents est encore en débat, ses effets paraissant plus marqués lors de la transition vers l’âge adulte. Chez les adolescents, les études suggèrent que le niveau d’activité physique n’est pas significativement affecté par la position socioéconomique. Toutefois, le contexte ou les modalités de la pratique seraient liés à cette position, les jeunes les plus favorisés participant plus fréquemment à des pratiques structurées. Globalement, la position socioéconomique de la famille n’influence pas ou très peu le niveau d’activité physique non organisée des adolescents, mais la participation à un sport organisé en dépend fortement. Les adolescents de position socioéconomique plus favorisée pratiquent plus de sport en club que ceux de position socioéconomique défavorisée.
Chez les enfants et les adolescents, le temps passé devant un écran (télévision, ordinateur, console de jeux) est une dimension importante du comportement sédentaire. Peu de travaux ont analysé les variations de comportement sédentaire en fonction de la position socioéconomique mais des études montrent que les enfants de milieu défavorisé sont plus susceptibles de passer du temps devant la télévision. D’autres aspects de la sédentarité (temps passé à discuter avec les copains, à écouter de la musique) sont actuellement moins pris en compte dans les études. En France, on note une association entre la position socioéconomique, le comportement sédentaire et le surpoids de l’enfant : une position socioéconomique plus faible est associée à des niveaux de sédentarité et de surpoids plus élevés. Des travaux ont montré que les enfants dont les parents limitent l’accès à l’écran et les enfants qui manifestent un intérêt pour l’activité physique sont moins sédentaires. La perception des parents sur la sécurité dans le voisinage joue également sur leur propension à laisser les enfants sortir. Le niveau de sédentarité est plus élevé chez les enfants dont les parents expriment une peur.
À ce jour, peu d’études ont eu pour objectif principal d’explorer l’impact des différences socioéconomiques associées à l’activité physique ou à la sédentarité sur la santé. Dès lors, si des inégalités sociales sont observées dans la pratique d’activité physique et le comportement sédentaire, il est encore difficile d’estimer leur part dans l’apparition des inégalités sociales de santé. Cependant, il est important de souligner l’effet cumulatif d’une situation socioéconomique faible tout au long de la vie se traduisant par une augmentation progressive avec l’âge du risque d’avoir un faible niveau d’activité physique et un niveau de sédentarité élevé.

Mécanismes des inégalités sociales de santé en lien avec l’alimentation et l’activité physique

Les inégalités de santé résultent d’un ensemble de processus, dans lesquels des choix individuels interviennent, influencés par différents facteurs environnementaux, économiques, culturels, psychologiques, sensoriels… et ce de façon variable au cours de la vie.
De nombreuses études ont documenté l’association entre le niveau d’études ou de revenu et les habitudes de vie, à tous les âges. Le niveau d’études est un acquis fondamental de l’individu au début de sa vie. Il oriente vers une profession, un niveau de revenu et donc une catégorie socioprofessionnelle. Il est protecteur vis-à-vis du chômage, et prédit aussi l’exposition plus ou moins forte aux contraintes de travail néfastes pour la santé. L’éducation intervient donc aussi par des voies indirectes sur la santé, en complément des effets directs qui peuvent être liés aux connaissances acquises, y compris dans le domaine de l’alimentation et de l’activité physique, et à la capacité à en acquérir d’autres.
La position socioéconomique des parents conduit, au début de la vie adulte, à constituer un capital de santé et un potentiel de revenus. Le capital de santé est l’ensemble des ressources de santé physique et psychosociale hérité et acquis pendant les premières phases de la vie, qui pourra être déterminant pour le futur. Le potentiel de revenus inclut l’ensemble des qualifications acquises et le degré d’étude atteint durant l’enfance et l’adolescence, qui vont déterminer le niveau d’emploi et de revenus de l’adulte, ses capacités à trouver du travail et donc, probablement, sa santé.
Le système de soins ne joue pas un rôle central sur les inégalités sociales de mortalité. En effet, il occupe une place limitée pour des causes de décès qui contribuent fortement aux inégalités. Toutefois, l’accès des populations à la prévention primaire, y compris en termes nutritionnels, et à des soins de bonne qualité tend à varier de façon inverse à leurs besoins, et cela d’autant plus que les soins médicaux sont exposés aux forces du marché. Une partie de l’origine des inégalités de santé trouve sa source dans le système lui-même, souvent mal adapté pour prendre en compte la dimension sociale d’une problématique de santé.
L’étude du rôle de l’environnement physique (aménagement des territoires, systèmes de transport…) et social, indépendamment des caractéristiques sociales de l’individu lui-même, a permis de montrer que les mécanismes par lesquels joue cet effet de voisinage, sont probablement concurrents, et qu’ils interviennent de manière variable selon les thèmes de santé concernés. Si les variations locales de santé sont en partie liées à la variation de répartition des groupes sociaux selon les lieux, ces configurations socio-spatiales s’accompagnent aussi de variations dans la distribution de l’environnement partagé par les résidents : les caractéristiques physiques (pollution de l’air, bruits liés au trafic routier, disponibilité d’une offre de soins ou d’une offre alimentaire, organisation de l’offre de transport, possibilité d’exercer une activité physique...) comme les choix d’aménagement ou les décisions politiques prises à différents échelons offrent des opportunités ou des contraintes, saisies ou non par tout ou partie de la population résidente. L’ancrage local se traduit également par la constitution de réseaux sociaux participant au façonnement des processus de socialisation pouvant infléchir les pratiques, les normes ou les valeurs partagées par les habitants. Si, dans la plupart des études, les limites administratives sont retenues pour des questions de faisabilité, les niveaux géographiques (quartier, villes, régions…) pertinents ne sont pas les mêmes selon les problèmes de santé et les mécanismes potentiels.
Pour comprendre comment sont générées les inégalités sociales de santé, deux approches ont été mobilisées entre les tenants de mécanismes psychosociaux valorisant les perceptions et les relations sociales, et ceux insistant sur les conditions matérielles « objectives ». L’approche matérialiste accorde un rôle primordial aux conditions matérielles et à leurs conséquences sur la santé. Dans cette hypothèse, les habitudes de vie sont davantage considérées comme le produit de structures sociales que de responsabilités individuelles. L’approche psychosociale suppose que les conditions matérielles ont moins d’influence sur la santé, au moins dans les sociétés développées, que le « stress » psychologique associé avec la perception d’un désavantage socioéconomique. Dans le cadre de cette expertise, les mécanismes qui ont été étudiés participent à ces deux théories.

Facteurs psychosociaux

Les facteurs psychosociaux concernent, entre autres, les croyances, les ressources, les anticipations, les représentations, les réponses émotionnelles, ou encore les stratégies cognitives qui sont mobilisées par les individus dans le cadre de leur vie courante.
De ce point de vue, les pratiques alimentaires et d’activité physique présentent des caractéristiques communes : elles impliquent des habitudes et routines peu susceptibles de changement rapide ; elles font l’objet de « prescriptions sociales » qui encadrent la valeur de tel ou tel comportement ; les effets bénéfiques de l’alimentation et de l’activité physique impliquent de considérer une perspective à long terme décentrée par rapport aux bénéfices ou coûts immédiats.
La littérature en psychologie et psychologie sociale suggère des pistes plausibles pour identifier les processus impliqués dans la création et le maintien des inégalités sociales de santé. Ces pistes permettent de comprendre pourquoi les populations défavorisées peuvent avoir des difficultés à modifier leurs habitudes de vie, tout particulièrement en réponse à des messages sanitaires. De tels mécanismes pourraient faire intervenir : un déficit de connaissances, concernant par exemple les relations alimentation-santé ou la compréhension des étiquettes nutritionnelles ; un sentiment moindre d’auto-efficacité et une faible estime de soi ; une difficulté à se projeter vers l’avenir, notamment en ce qui concerne la santé, en raison des contraintes immédiates à surmonter.

Facteurs liés aux contraintes budgétaires des ménages

Dépenses alimentaires dans les ménages

À préférences données, les choix d’aliments sont contraints par les ressources disponibles et leur coût relatif. La dépense alimentaire par personne varie du simple au double entre les deux déciles extrêmes de revenu. Cela se traduit par un budget alimentaire faible au bas de l’échelle sociale, mesuré à moins de 5 €/jour en France en 2006. Il a été montré que les dépenses alimentaires augmentaient avec le revenu, mais que leur part dans le budget du ménage diminuait à mesure que le niveau de celui-ci s’élevait. Le poids financier de l’alimentation au domicile est accru pour les plus pauvres : en France, en 2006, les personnes du 1er décile de revenu y consacraient 18 % de leur budget contre 14 % pour le décile le plus élevé. Ainsi, le budget alimentaire des ménages à bas revenu est non seulement faible en valeur absolue mais il pèse plus lourd dans leur budget total. Dans ces conditions de double contrainte sur les achats alimentaires, le prix devient le premier critère de choix des aliments dans ces ménages.
Au sein du budget alimentaire, la part de l’alimentation hors du foyer est la plus faible dans le bas de l’échelle du revenu. Concernant le budget alimentaire à domicile, les postes sous-représentés pour les ménages défavorisés (par rapport aux ménages les plus riches) sont les poissons et les produits de la mer, les boissons alcoolisées, et les fruits frais et transformés. Les postes surreprésentés incluent les produits céréaliers, les produits sucrés, les boissons non alcoolisées, les corps gras et les viandes.
De fait, l’évolution des conditions de production et d’industrialisation des aliments au cours des dernières décennies a généré des écarts de prix grandissants entre produits frais comme les fruits et légumes dont le prix a globalement augmenté, et produits transformés incorporant graisses et sucres dont le coût relatif a baissé. Cette tendance pourrait expliquer d’une part l’évolution de la consommation globale vers les produits industrialisés, mais aussi l’accroissement des disparités de consommation selon le revenu : ainsi par exemple en ce qui concerne les achats de fruits et légumes, le recours aux conserves est plus important pour les ménages du 1er quartile de revenu que pour les plus riches.
Pour autant les changements de comportements d’achat suite à une variation du prix ne sont pas systématiquement plus importants pour les ménages disposant de faibles revenus que pour les plus riches. La sensibilité des achats aux variations de prix des aliments dépend beaucoup du produit considéré et de son degré de transformation. En outre, d’autres coûts indirects entrent en ligne de compte dans les décisions d’achat, tels que les coûts d’approvisionnement (reliés à l’accessibilité aux produits) et ceux liés à la préparation des aliments.

Coût d’une alimentation favorable à la santé

Un faisceau d’arguments suggère qu’il est plus difficile d’avoir une alimentation équilibrée quand on a un petit budget. D’un côté, les travaux de recherche basés sur des modélisations des régimes alimentaires indiquent que les contraintes budgétaires orientent les consommations vers des aliments de forte densité énergétique (quantité de calories par quantité de poids, kcal/100 g par exemple) et de faible densité nutritionnelle (quantité de nutriments essentiels apportée par une quantité donnée de calories, 100 kcal par exemple) c’est-à-dire vers une alimentation défavorable à la santé. D’un autre côté, les enquêtes alimentaires transversales en population générale tendent à montrer qu’il existe une association positive entre la qualité nutritionnelle de l’alimentation et son coût.
La différenciation sociale des choix alimentaires pourrait être due, au moins en partie, à une structure relative des prix des aliments globalement défavorable à la réalisation de l’équilibre alimentaire. En effet, une relation positive existe entre la qualité nutritionnelle de l’alimentation et son coût et celle-ci semble trouver son origine dans la structure même des prix alimentaires. Les aliments dont il est conseillé d’augmenter la consommation pour protéger la santé, comme les fruits, les légumes et le poisson, sont les sources de calories les plus chères, alors que les produits céréaliers raffinés et les produits gras et sucrés sont des sources de calories bon marché. Ainsi, par exemple, une calorie de fruits et légumes coûte en moyenne 5 fois plus cher qu’une calorie de tous les autres aliments.
Corrélation entre la qualité nutritionnelle des aliments et leur coût
La majorité des études concluent que le budget alimentaire des personnes pauvres n’est pas suffisant pour manger sainement. Un montant minimal est requis pour se procurer une alimentation adéquate sur le plan nutritionnel. Avec ce très petit budget, estimé en France à 3,5 euros par jour et par personne, de façon stable entre 1997 et 2007, il est théoriquement possible de manger équilibré. Toutefois, cela implique des choix alimentaires particuliers, comme par exemple consommer beaucoup moins de viandes de boucherie, mais avoir plus souvent recours aux abats, aux œufs, aux légumes secs et au poisson en conserve. Sélectionner dans chaque gamme, les aliments les moins chers est également une stratégie envisageable, dans la mesure où la qualité nutritionnelle des aliments « de marque nationale » ne semble pas différer de celle de leurs équivalents « premiers prix » ou de marque distributeur. Il s’agit donc de modifications très significatives des habitudes alimentaires des individus, induisant par là-même des coûts « psychologiques » d’adaptation élevés.
On admet assez largement qu’une alimentation de forte densité énergétique, pauvre en nutriments essentiels favorise l’obésité et les maladies chroniques. Le fait que de surcroît, elle soit moins chère qu’une alimentation équilibrée est un élément supplémentaire pour penser que les inégalités sociales de santé pourraient être dues, au moins en partie, à des contraintes budgétaires qui pèsent sur l’alimentation.

Facteurs sociaux et culturels

La dimension collective et identitaire des comportements alimentaires est importante à prendre en compte pour comprendre les disparités sociales concernant l’alimentation. L’acte alimentaire est soumis à des protocoles imposés par la société. La définition de ce qu’est un repas, les plats qui le composent, la forme de la journée alimentaire (nombre de prises, horaires…), les modalités (lieu, contexte des prises alimentaires…), mais aussi les manières de manger varient énormément d’une culture à l’autre, mais aussi d’un groupe social à l’autre au sein d’une même société.
Les pratiques alimentaires entretiennent un lien étroit avec le prestige social. Certains aliments peuvent être peu ou pas consommés en haut de la hiérarchie sociale parce que perçus comme « inférieurs », alors que d’autres sont considérés comme objets de prestige lorsqu’ils sont servis à table. Derrière les différences de consommation entre milieux sociaux peuvent s’opérer des stratégies de distinction, notamment des classes dominantes, qui visent ainsi à maintenir leur singularité par rapport aux autres groupes sociaux. Les différences de consommation entre groupes sociaux reflèteraient ainsi des différences de modèles alimentaires qui tiennent au système de règles, de conduites, de croyances, de valeurs propres à chaque groupe social. La différenciation sociale face à l’alimentation porte aussi bien sur les aliments consommés que sur les modes d’alimentation (rythmes, horaires, lieu, contexte des prises alimentaires…). Dans le cas des populations en situation de précarité, l’alimentation n’assure plus, dans un certain nombre de cas, son rôle structurant et devient même un facteur d’isolement, reflétant l’ensemble des difficultés rencontrées par ces populations. Les conséquences de la précarité sur l’alimentation quotidienne semblent relever non seulement de contraintes économiques mais également de la déstructuration conjugale et sociale.
Concernant la perception du lien entre alimentation et santé, les différences entre groupes sociaux sont importantes et permettent de mieux comprendre la différenciation sociale face à l’alimentation. Les milieux favorisés considèrent le rapport entre alimentation et santé plutôt dans une optique préventive. Dans les milieux les plus défavorisés en revanche, il semble que le rapport entre alimentation et santé est plus souvent pensé à court terme et la question de la santé apparaît moins associée aux pratiques alimentaires. Chez les plus aisés, l’alimentation des enfants semble souvent faire partie intégrante de la démarche éducative, du rapport au corps et à la santé et ainsi de la surveillance de l’alimentation et de la corpulence de l’enfant. Chez les familles plus défavorisées, il s’agit généralement de s’assurer que les enfants mangent en quantité suffisante et de satisfaire leurs envies, les préoccupations liées à l’alimentation des enfants visant avant tout leur croissance et la constitution d’un corps solide. Pour les plus défavorisés, l’alimentation apparaît aussi comme un moyen de faire plaisir à leurs enfants et de compensation face aux difficultés du quotidien.

Facteurs territoriaux

Enjeux liés aux territoires

Les inégalités sociales en matière d’alimentation et de pratiques d’activité physique se déclinent différemment selon les territoires. Les agencements territoriaux (en tant qu’espaces administrés, aménagés, appropriés et vécus par une société) résultent d’arrangements et de logiques propres à chaque organisation sociale, qu’il faut pouvoir décrypter, et constituent une trame structurante avec laquelle les individus ou les groupes sociaux sont amenés à composer. Aux disparités régionales en matière de consommations alimentaires, s’ajoutent des variations à des échelles plus fines.
Les travaux portant sur les disparités de consommations alimentaires entre zones rurales et zones urbaines permettent de souligner que les modes d’organisation et de structuration des espaces ruraux, périurbains et urbains très différents d’une région à l’autre ou d’une ville à l’autre, rendent ces catégories d’analyse peu pertinentes dans le domaine de l’alimentation. À l’inverse, l’échelon régional associé notamment aux modes de production, aux filières d’approvisionnement, ainsi que l’échelon local, notamment infra-urbain, associé à l’organisation de l’offre alimentaire et son accessibilité, aux activités de prévention, notamment en milieu scolaire, à la mobilisation du tissu associatif ou aux constructions de normes constituent des échelons clé pour analyser et repérer des leviers d’action permettant de lutter contre les inégalités sociales en matière d’alimentation. Les inégalités sociales se nichent au sein de systèmes alimentaires régionaux et locaux stables et lents à évoluer qu’il faut pouvoir appréhender pour mieux les traiter.
Les approches menées à l’échelle des quartiers urbains font une large place au rôle des structurations sociales des quartiers, classés selon les niveaux de revenus moyens ou la distribution des catégories sociales. Des interactions ont ainsi pu être mises en évidence entre caractéristiques socioéconomiques du quartier de résidence et apports alimentaires, cependant les variations entre lieux de résidences n’affectent pas tous les groupes sociaux ou communautaires ou les hommes et les femmes de façon identique.
Les processus à l’œuvre dans la constitution des inégalités en lien avec les territoires peuvent varier d’un pays à l’autre, d’une région à l’autre ou d’une ville à l’autre. Des différences de législation, de régulation de l’offre, de formes et d’agencement des ségrégations socio-résidentielles, de constructions sociales et culturelles des territoires participent à nuancer ce constat. Si l’offre disponible est généralement moins accessible en milieu rural, les sources d’approvisionnement sont plus variées et il est difficile de la comparer avec l’offre urbaine.

Consommations alimentaires et territoires

Parmi les facteurs avancés pour comprendre les variations de pratiques alimentaires entre les quartiers socialement favorisés et défavorisés, la variabilité de la disponibilité et de la qualité de l’offre ont été avancées. La majorité des études portant sur la relation entre caractéristiques des quartiers et offre alimentaire a été réalisée aux États-Unis. Elles mettent en évidence des problèmes importants d’accessibilité spatiale aux supermarchés dans les quartiers urbains paupérisés, où une fraction de la population est contrainte de recourir à des magasins d’approvisionnement de taille beaucoup plus petite, qui ne disposent souvent pas de produits frais (« convenience stores »). Toutefois, il convient d’une part de noter que l’abondante littérature nord-américaine sur les relations entre les environnements alimentaires géographiques et l’alimentation aboutit à des résultats assez peu cohérents (moins cohérents par exemple que ceux observés pour l’activité physique, résumés plus loin). Il faut d’autre part souligner que cette littérature est d’un secours limité pour appréhender la situation française, où l’accessibilité spatiale aux supermarchés est plus universelle (malgré une segmentation du type d’offre) et où les magasins « dépanneurs » nord-américains n’ont pas d’équivalent.
En France, une seule étude s’est intéressée aux relations entre l’environnement alimentaire au sens géographique et les comportements alimentaires. Dans ce travail, aucune association n’a été documentée entre l’accessibilité spatiale aux boulangeries, aux magasins d’approvisionnement alimentaire et aux restaurants fast-foods d’une part et la consommation de fruits et légumes, la consommation de frites et de chips, le fait de grignoter en regardant la télévision et l’utilisation de sodas plutôt que d’eau comme boisson la plus fréquente d’autre part. Il convient toutefois de noter qu’une variété d’approches sophistiquées de mesure de l’environnement alimentaire appliquées dans la recherche anglo-saxonne n’a pas encore été mobilisée en contexte français.

Activité physique et territoires

Concernant les disparités de pratiques d’activité physique et notamment des activités réalisées dans le cadre des déplacements actifs (marche et vélo), la dernière Enquête nationale transport et déplacements a mis en évidence des variations de pratique de la marche et du vélo en fonction des niveaux d’urbanisation. Ainsi en 2008, la part des modes actifs dans les déplacements en semaine déclarés par les ménages est nettement en faveur des centres urbains, au détriment des espaces ruraux. On observe une tendance à la diminution des modes actifs au fur et à mesure de l’éloignement du centre-ville.
Plusieurs caractéristiques des espaces de vie pourraient rendre compte des disparités sociales et spatiales de pratique d’activité physique. On observe une plus grande utilisation de la voiture dans les quartiers favorisés et des déplacements à pieds ou en transports en commun plus importants dans les quartiers défavorisés. Un environnement géographique (espaces verts, qualité des infrastructures, esthétique, sécurité, réseau social) plus favorable à la pratique d’activités physiques de loisirs se retrouve dans les quartiers favorisés. Cependant, une étude française montre que les relations entre le niveau socioéconomique du quartier de résidence et l’accessibilité spatiale aux équipements sportifs sont complexes et varient selon le type d’équipement et la qualité des installations.
Si l’activité physique globale ne semble pas être affectée par le niveau socioéconomique du quartier de résidence, la pratique de la marche dans le cadre des transports serait plus importante dans les quartiers qui associent un niveau élevé de « marchabilité » et un niveau élevé de revenu. Un exemple permet d’illustrer le lien entre proximité d’espaces verts et « marchabilité » d’un quartier : une étude récente, réalisée dans des quartiers défavorisés de Londres, a montré qu’au-delà d’un seuil de 300 m entre le lieu de résidence et un espace vert, les habitants avaient moins de chance d’atteindre le niveau recommandé d’activité physique. Des éléments liés aux représentations des équipements récréatifs, des espaces verts et plus largement des espaces de vie pourraient en partie contribuer à expliquer les différences de pratique d’activité physique en limitant les motivations dans des quartiers défavorisés même si ces derniers ont des équipements de proximité. Néanmoins, l’analyse comparative de ces résultats est limitée par l’emploi non standardisé des critères (de populations, de contextes urbains) et des mesures choisies pour évaluer l’environnement géographique.
Par ailleurs, les différentes formes urbaines entre les pays, la variété des définitions de l’environnement de vie (échelles, mesures) et les diverses populations visées sont autant d’éléments qui participent à la diversité des associations rapportées dans la littérature scientifique internationale. Il est donc difficile de conclure de façon tranchée sur l’existence de relations entre caractéristiques de l’environnement physique (aménagement du territoire, systèmes de transports…), niveau socioéconomique des espaces de vie et pratique d’activité physique (loisirs, transports).
Néanmoins, il semble bien établi que, chez les jeunes, une faible distance entre le domicile et l’école (1,5 km maximum pour la marche et 3 km pour le vélo, selon une étude portant sur des enfants de 11-12 ans en Belgique) et un environnement perçu comme « sûr » (délinquance, trafic) sont associés à un mode de vie plus actif. Chez les adultes, la densité de l’offre de transport en commun, la présence d’un réseau de rues important et l’accessibilité spatiale à des équipements et à des services de proximité sont les éléments les plus souvent associés à la pratique de la marche et du vélo au quotidien.

Facteurs commerciaux

Dans le champ de l’alimentation comme dans d’autres domaines marchands, les décisions d’une entreprise en matière de « marketing », qu’elles concernent les caractéristiques de l’emballage et de l’étiquetage, les campagnes publicitaires, le positionnement en prix ou le choix des circuits et modes de distribution, visent à influencer les comportements d’achat d’aliments. Cette influence s’opère en sollicitant différents mécanismes qui peuvent mobiliser des arbitrages conscients de la part des individus lors de leurs achats, mais aussi des processus psychologiques « automatiques » faisant plutôt appel à l’émotion qu’à des raisonnements conscients et des arbitrages délibérés. En agissant sur certaines caractéristiques sensorielles des produits, sur la taille et le format des emballages, sur l’environnement d’achat en magasins… les démarches du marketing mobilisent ainsi des dimensions émotionnelles et peuvent parfois exploiter certains biais de perception des individus. C’est la raison pour laquelle des recherches ont été conduites pour déterminer dans quelle mesure ces démarches pouvaient avoir un effet direct et causal sur la quantité et la qualité des consommations alimentaires, dans un sens qui pourrait être défavorable sur le plan nutritionnel. Notons que ces démarches ont également été étudiées dans le cadre du « marketing social », avec la perspective de promouvoir des consommations alimentaires favorables à la santé.
Parmi l’ensemble des travaux qui se sont intéressés aux effets des pratiques commerciales sur les comportements, la publicité et ses effets sur les consommations alimentaires, voire sur l’IMC et le développement de l’obésité, ont fait l’objet de nombreuses recherches au niveau international, notamment dans les pays anglo-saxons. Dans ces travaux, la dimension sociale a été assez peu étudiée en tant que telle, la grande majorité des articles ne faisant pas référence à des catégories particulières au sein de la population. Seules quelques études réalisées dans des contextes américains et anglais ont étudié l’exposition à la publicité, des catégories sociales défavorisées, caractérisées principalement sur des bases ethniques. L’essentiel des études sur les relations entre la publicité télévisée et les comportements alimentaires concerne les enfants, la problématique étant de savoir si la corrélation entre temps passé devant la télévision et prévalence de l’obésité est expliquée, en soi, par le temps passé devant la télévision, et donc l’absence d’activité physique, ou par le contenu lui-même des programmes publicitaires auxquels sont soumis les enfants.
Une première série de travaux a cherché à identifier les caractéristiques des produits faisant l’objet de campagnes publicitaires au cours des programmes de télévision destinés aux enfants. Même si les résultats varient quelque peu selon les pays, il ressort que la part des produits alimentaires est prépondérante dans les messages publicitaires. L’aliment y est proposé comme un objet de plaisir gustatif grâce à une argumentation axée principalement sur la séduction. Ces travaux, pour la plupart conduits dans des pays anglo-saxons, font en outre état d’une surreprésentation des produits pourvoyeurs de sucres simples ajoutés ou de lipides, dans les publicités télévisées à destination des enfants.
D’autres travaux ont eu pour objectif d’établir l’effet de la publicité télévisée sur les choix alimentaires des enfants. Leur propos était de savoir dans quelle mesure les campagnes publicitaires affectent les croyances et les préférences alimentaires des enfants, leurs comportements de consommation et finalement leurs régimes alimentaires. Plusieurs études suggèrent à cet égard que les messages publicitaires pour des aliments denses en énergie favorisent des attitudes positives à l’égard de ces aliments, et conforteraient chez les enfants la croyance selon laquelle les produits qui y sont présentés sont bons pour la santé.
L’existence d’une corrélation entre d’une part, une forte exposition télévisuelle et d’autre part, des consommations alimentaires contribuant à une alimentation déséquilibrée sur le plan nutritionnel, est établie de façon robuste. Le caractère causal de cette relation a été cependant plus controversé du fait de la difficulté à identifier un effet propre de la publicité, indépendamment d’autres facteurs d’environnement. Un autre point largement débattu concerne l’effet de la publicité sur la taille du marché et le volume total des ventes dans un secteur donné. Soit, la publicité n’agit que comme vecteur de la concurrence entre marques et elle n’a d’impact que sur les parts de marché relatives des diverses marques, sans affecter le volume des ventes total : auquel cas, elle n’a pas nécessairement un effet négatif du point de vue de la santé publique. Soit, elle influence aussi la taille totale du marché et dans ce cas-là, elle peut avoir des effets négatifs en santé publique si elle met en avant des produits considérés comme défavorables d’un point de vue nutritionnel.
Le niveau de preuve disponible dans les travaux conduits depuis un certain nombre d’années tend à conforter l’idée que la publicité alimentaire a un effet causal significatif, bien que modeste, sur les préférences alimentaires, les connaissances nutritionnelles et les comportements alimentaires des enfants. Un consensus semble ainsi se dégager sur l’existence d’un effet dont l’expression est modulée par d’autres facteurs d’influence tels que les comportements alimentaires des parents, la pression des pairs ou encore le niveau d’activité physique. La publicité paraît en outre interagir avec d’autres dimensions du marketing pour favoriser la consommation de produits sans bénéfices nutritionnels, mais dans une proportion qui reste difficile à établir. Pour certains auteurs, la publicité alimentaire a des effets faibles par rapport aux comportements alimentaires des parents ou la pression des pairs alors que, pour d’autres, la publicité influence également ces autres dimensions. Par exemple, une étude sur l’exposition à la publicité télévisée pour des produits de snacking montre un effet causal sur la consommation de ces produits aussi bien chez les enfants que les adultes, même pour des marques qui ne font pas l’objet de ces publicités, suggérant un effet plus large sur les dynamiques de consommation. En ce sens, la publicité affecterait non seulement la répartition du marché entre marques, mais également la taille totale du marché.
Comme le notent plusieurs auteurs, la publicité télévisuelle ne constitue néanmoins qu’une des dimensions à considérer dans les démarches marketing des entreprises alimentaires, son relatif déclin au profit d’autres supports numériques représentant probablement un enjeu de recherche important pour le futur.

Politiques de prévention et interventions : quelle efficacité et quels impacts sur les inégalités sociales de santé ?

Les politiques de prévention et les interventions nutritionnelles peuvent être catégorisées de plusieurs façons.
On peut distinguer, d’une part, les interventions centrées sur les individus, qui visent à influer sur leurs comportements en augmentant leurs connaissances (par exemple nutritionnelles) et à agir sur les critères de choix alimentaire et d’activité physique, en renforçant ceux qui ont trait aux dimensions de santé, et d’autre part, les interventions visant à modifier « l’environnement » des individus. Ces dernières relèvent plutôt de démarches de prévention « passive », sans nécessairement supposer un engagement particulier de la part des individus, alors que les premières reposent, de façon implicite, sur une implication active et consciente de l’individu dans l’évolution de ses comportements.
On peut aussi considérer les interventions selon qu’elles sont conduites en population générale ou auprès de catégories particulières de la population (enfants, personnes à risque selon des indicateurs de santé, populations défavorisées…) ; selon les moyens utilisés, depuis des actions conduites par les instances gouvernementales (actions sur les prix, par exemple) jusqu’à des interventions de proximité conduites par des personnels de santé ; selon le niveau institutionnel qui les porte, national ou local (commune, quartier, école…).
Dans le cadre de l’expertise, seule une partie de ces moyens d’action a été analysée, ce qui ne permet pas de dresser un tableau complet des complémentarités et synergies entre tous ces types d’interventions, ni de les hiérarchiser en termes d’importance ou de priorité. Néanmoins, chaque fois que possible, des éléments de discussion sont présentés dans une perspective de réduction des inégalités sociales de santé en lien avec l’alimentation et l’activité physique. Enfin, des thèmes importants dans cette problématique dont la littérature est particulièrement complexe nécessiteraient un examen spécifique et des développements complémentaires : les interventions pendant l’enfance, celles concernant l’activité physique et la sédentarité, et celles concernant les campagnes d’information nutritionnelle.
Les limites de la littérature disponible varient selon les interventions traitées. Les politiques nationales ou globales font rarement l’objet d’évaluation avant-après, en particulier en matière d’inégalités, et reposent souvent sur des simulations. Les méthodes pour l’évaluation des interventions de proximité font l’objet de débats et de travaux de recherche. La question est d’aller au-delà des essais expérimentaux, de mieux prendre en compte les effets du contexte, tout en s’assurant de la possibilité de généraliser les résultats, d’y intégrer des dimensions qualitatives pour notamment comprendre pourquoi une intervention est efficace ou non, plutôt que de poser la seule question de l’efficacité. Par ailleurs, la description de ces interventions de proximité reste difficile, en l’absence de typologie acceptée.
Comme mentionné dans la partie introductive, les inégalités sociales de santé ne concernent pas seulement les groupes aux marges de la société ; elles traversent la société dans son ensemble et sont structurelles. Les différences d’espérance de vie, par exemple, suivent un continuum qui ne permet pas de distinguer deux groupes, pauvres et riches ou exclus et inclus. Les inégalités sociales de santé ne concernent pas que la pauvreté et l’extrême pauvreté ou la misère, qui correspondent à l’une des extrémités de la hiérarchie sociale. La précarité clairement visible, s’oppose au caractère invisible du gradient social, révélé uniquement par les statistiques. Pour ces raisons, des stratégies générales doivent être pensées pour organiser les différentes interventions politiques sur l’alimentation et l’activité physique, et examiner leur impact sur les inégalités sociales de santé.
En première intention, les interventions peuvent être classées en trois grandes catégories : les interventions universelles ; les interventions ciblées ; les interventions appliquant une démarche qualifiée d’universalisme proportionné.
Une approche universelle s’adresse à l’ensemble des personnes d’une population. Il a été montré dans de nombreux travaux, allant au-delà de l’alimentation et de l’activité physique, que dans le domaine de la prévention et de la modification des comportements à des fins de santé publique, une offre de services universels bénéficie plus aux groupes les plus favorisés de la population et tend à aggraver les inégalités sociales de santé.
Des approches ciblées visent les groupes les plus défavorisés de la population. Ces approches ne comportent pas d’actions pour les populations au-dessus d’un certain seuil et concernent donc, par construction, uniquement une petite partie de la population. De telles politiques ont été mises en œuvre, notamment en France, en direction des populations les plus précaires et ont pu avoir des impacts positifs sur la santé. La limite de ces interventions est de ne pas tenir compte de l’existence d’un gradient social continu qui traverse l’ensemble de la population et, en particulier, de ne pas répondre aux besoins des personnes au-dessus d’un certain seuil de pauvreté.
L’approche de l’universalisme proportionné consiste à promouvoir des politiques et des interventions dont l’intensité est proportionnelle aux besoins des groupes dans la population. Ces politiques d’universalisme proportionné se caractérisent par le fait qu’elles ont, à la fois, pour objectif de mettre en place des politiques universelles, bénéficiant à l’ensemble des composantes d’une population, et de mettre en œuvre des dispositions pour que les actions puissent bénéficier à chaque individu à hauteur des risques ou des besoins auxquels il est confronté. Cette approche est intéressante car elle apporte une réponse à la question du gradient social de la santé, en se situant entre universalisme et politiques ciblées. Mais les exemples de mise en œuvre restent rares et il s’agit encore aujourd’hui d’expérimenter cette approche.
Comment penser, puis mettre en œuvre, des interventions dans le domaine des inégalités sociales de santé associées à l’alimentation et l’activité physique selon l’approche de l’universalisme proportionné ? Des éléments de réponse à cette question sont apportés dans un premier temps par les résultats disponibles sur les impacts de divers types d’interventions conduites en population générale à un échelon national et dans un second temps, par les résultats des interventions ciblées.

Interventions en population générale

Information nutritionnelle et étiquetage des produits

Concepts et définitions

L’affichage nutritionnel est l’un des outils envisagés, ou déjà mis en place, par les pouvoirs publics dans de nombreux pays pour essayer d’orienter les achats vers des aliments plus favorables à la santé. Cet outil présente l’intérêt d’une mise en œuvre peu coûteuse et de n’être pas contraignant pour les consommateurs. On distingue principalement deux types d’affichage nutritionnel porté par les aliments : l’étiquetage nutritionnel et les logos.
L’étiquetage nutritionnel informe les consommateurs sur la teneur en différents nutriments des produits du marché. Le tableau nutritionnel, indiquant au dos des emballages les teneurs en énergie et en nutriments, relève de cette catégorie. Le règlement européen « Inco » (pour information du consommateur) rend obligatoire cet étiquetage pour tous les produits pré-emballés commercialisés en Europe. Ce tableau peut être complété par des mentions explicitant la contribution (en %) de la consommation d’une portion du produit aux recommandations nutritionnelles (RNJ, repères nutritionnels journaliers).
Les logos sont des graphiques ou des symboles apposés de façon volontaire en face-avant des emballages par différents acteurs, publics ou privés. Ils se différencient de l’étiquetage des valeurs nutritionnelles par le fait qu’ils portent un jugement de valeur sur la qualité nutritionnelle des aliments. Ce jugement repose sur un ensemble de critères chiffrés, appelé système de profil nutritionnel, et qui régit les règles d’attribution du logo. Différents logos, basés sur différents systèmes de profil nutritionnel, existent aujourd’hui et prennent des formes graphiques diverses. On note en particulier les « logos nutritionnels » qui communiquent un jugement sur la teneur en certains nutriments dans l’aliment (comme le logo « Traffic Light Multiple », au Royaume-Uni) et les « logos santé » lorsqu’un jugement global est fourni sur le caractère plus ou moins favorable à la santé d’un aliment (comme le logo « Clé Verte » dans les pays scandinaves).
Les emballages peuvent également porter des allégations qui affirment, suggèrent ou impliquent qu’une denrée possède des propriétés particulières. On distingue les allégations nutritionnelles (par exemple « riche en vitamine C » ou « réduit en graisses ») et les allégations santé (par exemple « contribue à réduire l’hypercholestérolémie »).
Pour les consommateurs, les allégations nutritionnelles sont perçues comme des informations tout aussi importantes que l’étiquetage nutritionnel, voire plus. Il suffit qu’une caractéristique positive d’un produit soit mise en avant par une allégation, pour que de nombreux consommateurs en déduisent que le produit est « bon » dans son ensemble. Cet effet de « halo » a été mis en évidence expérimentalement à de nombreuses reprises. Par exemple, la présence d’une mention « produit allégé en matières grasses » est susceptible d’induire une surconsommation de calories, expliquée par une sous-estimation de la teneur calorique réelle du produit et par une moindre culpabilité à l’idée d’en consommer une plus grande portion1 .
Fondamentalement, la mise en place d’une politique basée sur l’affichage nutritionnel repose sur les hypothèses suivantes :
• le consommateur, mieux informé sur les caractéristiques des produits alimentaires, va modifier son comportement de manière à privilégier les produits les plus favorables à sa santé ;
• dès lors que le consommateur, mieux informé, choisit des produits plus favorables à sa santé, la dimension nutritionnelle devient une variable du jeu concurrentiel, ce qui conduit les entreprises à faire évoluer les produits en améliorant leur qualité nutritionnelle ;
• l’affichage nutritionnel permet aux entreprises de mettre volontairement en avant ces caractéristiques favorables dans une perspective de différenciation. Un cycle vertueux peut ainsi s’installer, l’évolution de la demande confortant l’évolution de l’offre alimentaire.
C’est au regard de ces hypothèses qu’il convient d’évaluer l’efficacité des politiques d’affichage nutritionnel. La littérature disponible traite très largement de la perception et de la compréhension des différentes formes d’affichage nutritionnel par les consommateurs, un peu moins de ses effets sur les décisions d’achat des consommateurs, et sur les stratégies des entreprises et leurs décisions concernant les prix ou la qualité nutritionnelle des produits.

Perception et compréhension de l’étiquetage nutritionnel par les consommateurs

La plupart des études sur la perception et la compréhension de l’étiquetage nutritionnel descriptif montre que les consommateurs en ont une compréhension partielle. Ils disent l’utiliser, mais le font en pratique assez peu au moment de l’achat. En Europe, les consommateurs français sont ceux qui regardent le moins les étiquettes nutritionnelles et les comprennent le moins bien. Selon le Baromètre Santé Nutrition, ce faible niveau de compréhension s’est aggravé entre 2002 et 2008. De plus, plusieurs études soulignent que la compréhension de l’étiquetage nutritionnel est d’autant moins bonne, et son utilisation est d’autant moins fréquente que le niveau d’éducation est faible. De même, plus les personnes se disent influencées par le prix, moins elles déclarent utiliser l’étiquetage. Ces résultats suggèrent que l’affichage nutritionnel est susceptible de creuser les inégalités sociales de santé, et cela d’autant plus que le mode d’affichage le plus répandu (l’étiquetage des valeurs nutritionnelles) requiert de la part des consommateurs un minimum d’expertise pour comprendre et interpréter les informations portées sur l’emballage des produits.
Les logos seraient mieux compris par les consommateurs que les références chiffrées (tableaux de composition nutritionnelle, RNJ…). En fait, c’est la combinaison de logos en face-avant des emballages et de l’étiquetage nutritionnel en face-arrière qui améliorerait l’efficacité de l’information nutritionnelle et sa crédibilité par les consommateurs.
Comme d’autres études réalisées en Europe, une enquête française auprès de volontaires sains participant à la cohorte Nutrinet montre que le logo Traffic Light Multiple qui communique un jugement sur la teneur en plusieurs nutriments dans l’aliment (une pastille soit rouge, orange ou verte pour chaque nutriment), est le logo préféré par 58,5 % des personnes enquêtées comparé à d’autres types de logos. Cependant, l’analyse selon les catégories sociales amène les auteurs à conclure que le logo Traffic Light Simple (un jugement global sur l’aliment, soit 1 seule pastille rouge ou orange ou verte), serait le logo à favoriser car il semble être mieux accepté et compris par les personnes les plus à risque nutritionnel, notamment celles appartenant à des catégories sociales moins favorisées.
La littérature révèle de nombreux paradoxes à propos de la compréhension et de l’usage de l’affichage nutritionnel. Par exemple, la préférence déclarée pour un logo n’est pas prédictive du fait que ce logo soit compris ou utilisé. Ces paradoxes sont interprétés par le fait que les consommateurs sont sous l’influence d’attentes et perceptions contradictoires tels que le besoin de praticité, le désir d’être pleinement informé, et l’inquiétude à l’idée qu’on leur dicte leurs choix.

Effets de l’affichage nutritionnel sur les achats

Peu d’études sont disponibles sur l’impact de l’affichage nutritionnel sur les achats des consommateurs. Une recherche menée en France a testé en conditions expérimentales l’impact de différents logos, apposés en « face-avant », sur la qualité nutritionnelle des achats. Une amélioration significative de la qualité nutritionnelle des achats a été observée pour tous les logos testés, y compris l’étiquetage de type RNJ avec des différences d’efficacité entre les logos. L’ampleur des améliorations observées varie selon les caractéristiques socioéconomiques des participants, privilégiant les consommateurs les plus aisés. En revanche, les rares études en conditions réelles qui ont analysé l’implantation en magasin d’un affichage de type logo n’ont pas mis en évidence d’amélioration de la qualité nutritionnelle des achats. On ignore si cet échec est dû à l’absence réelle d’effet de ces interventions, ou à l’impossibilité de révéler leur impact propre à travers les protocoles mis en œuvre, du fait des nombreux facteurs de confusion inhérents aux interventions en vie réelle (changement de packaging, de prix et d’emplacement des produits, offres promotionnelles…).

Effets de l’affichage nutritionnel sur les stratégies d’entreprise

L’affichage nutritionnel peut avoir un effet sur les caractéristiques des produits à travers son impact sur les stratégies des entreprises. Ces effets peuvent être liés à des enjeux de réputation des marques, et le contenu d’un affichage nutritionnel peut devenir un élément du jeu concurrentiel. L’intégration de la dimension nutritionnelle dans le jeu concurrentiel est-elle pour autant suffisante pour garantir un processus d’amélioration de la qualité nutritionnelle de l’ensemble de l’offre alimentaire ?
Cette question est importante, en particulier au regard de la question des inégalités sociales de santé. En effet, les résultats mentionnés plus haut laissent penser que les effets directs de l’affichage nutritionnel sur les choix des consommateurs sont modestes, voire faibles, particulièrement dans les catégories plus défavorisées de la population, donc susceptibles d’accroître les inégalités sociales de santé. Ce constat ne serait pas forcément gênant si, par ailleurs, ces pratiques d’affichage favorisaient une amélioration continue de la qualité nutritionnelle de l’offre alimentaire sur tous les segments de marché, en particulier celui des produits premier prix, bénéfique pour tous les consommateurs, y compris pour ceux dont les pratiques alimentaires ne changent pas.
Dans les pays où l’étiquetage des valeurs nutritionnelles est obligatoire et suffisamment ancien pour autoriser un certain recul, il apparaît en effet que l’obligation d’étiquetage des calories, des matières grasses, des sucres et du sel a parfois incité les industries alimentaires à reformuler leurs produits dans un sens favorable à la nutrition. Par exemple, l’obligation de mentionner la teneur en acides gras trans a contribué à leur diminution par reformulation des produits. Cependant, les études relatives au « Nutrition Labeling and Education Act », qui a imposé un affichage nutritionnel détaillé depuis 1990 aux États-Unis, n’ont pas mis en évidence d’effet majeur de cette législation sur la qualité nutritionnelle des produits mis sur le marché, ni sur celle des produits achetés.
Des logos nutritionnels en « face-avant » des emballages pourraient avoir encouragé le lancement de nouveaux produits avec moins de sel et plus de fibres, mais ces reformulations semblent plutôt concerner les segments de marché à prix élevés. Un rapport du Conseil national de l’alimentation indique que le prix des aliments porteurs d’allégations est supérieur de 50 % à 200 % à celui des produits standards, alors que les surcoûts industriels ne représenteraient qu’une part mineure de cette différence de prix.
Peut-on considérer que les incitations du marché (plus transparent grâce à l’affichage nutritionnel) garantissent un processus généralisé de reformulation des produits dans le sens d’une meilleure qualité nutritionnelle ? La logique de l’étiquetage nutritionnel vient buter sur un point majeur : l’hypothèse selon laquelle les consommateurs rechercheraient des produits de meilleure qualité nutritionnelle et les achèteraient s’ils disposaient de l’information pertinente pour les identifier, est peu fréquemment vérifiée. En effet, pour bon nombre de consommateurs, l’amélioration de la qualité nutritionnelle serait interprétée comme une dégradation du produit sur le plan sensoriel et gustatif, ou, pour le moins, la dimension nutritionnelle figurerait au second plan de leurs préoccupations. De nombreux travaux attestent de cette tension. Celle-ci s’exprime, par exemple, par l’absence de lien général entre qualité nutritionnelle et disposition à payer et, pour une fraction des ménages, par une moindre disposition à payer pour une information nutritionnelle additionnelle.
La conséquence pour les entreprises est qu’il n’est pas toujours possible de modifier les caractéristiques des produits de façon à répondre aux attentes des consommateurs sensibilisés aux enjeux de santé sans induire un risque de rejet de ces produits par d’autres consommateurs. Pour résoudre cette tension (attirer les consommateurs sensibilisés aux enjeux de santé, sans perdre les autres), une réponse réside dans la segmentation du marché, c’est-à-dire la différenciation des produits selon les types de consommateurs. Le développement des produits avec allégations nutritionnelles et de santé s’inscrit dans cette perspective, puisque ces produits ciblent spécifiquement les consommateurs sensibles à l’argument santé, qui sont souvent de statut socioéconomique plus élevé. À cet égard, les logos nutritionnels, quand ils sont apposés de façon volontaire, peuvent aussi être perçus comme des allégations par les consommateurs, et utilisés comme tels par les entreprises, dans un but de différenciation.
Dès lors que la réponse industrielle passe par cette segmentation du marché, les incitations économiques à une reformulation des produits n’existent que pour une partie de l’offre alimentaire, en particulier les produits porteurs d’allégations ou de logos nutritionnels. En revanche, la dimension nutritionnelle n’étant pas ou peu valorisée (voire dévalorisée) par les consommateurs sur le reste du marché, l’affichage nutritionnel, quelle que soit sa forme, ne peut alors jouer pleinement son rôle incitatif en matière de reformulation des produits. Si les campagnes d’information et la généralisation de l’étiquetage nutritionnel informatif peuvent contribuer à une amélioration partielle de la qualité nutritionnelle de l’offre, elles ne suffisent pas à la garantir sur tous les segments de marché. Ce constat justifie des politiques visant à agir plus directement sur la qualité de l’offre alimentaire, particulièrement sur les segments qui se trouvent hors du champ des allégations et des logos nutritionnels.

Interventions sur la qualité de l’offre alimentaire

L’action sur l’offre alimentaire est une perspective importante pour la réduction des inégalités sociales de santé associées à l’alimentation. En effet, elle relève d’une stratégie de prévention « passive » qui ne suppose pas de faire appel aux connaissances et à la perception de la relation alimentation-santé, dont on sait qu’elles sont génératrices d’inégalités. Sous quelles conditions l’action sur l’offre alimentaire peut-elle cependant contribuer à améliorer le statut nutritionnel de la population, en particulier pour les catégories défavorisées ?
Si l’étiquetage et les campagnes d’information suffisaient à orienter pleinement le jeu concurrentiel sur les variables nutritionnelles, et si la reformulation des produits permettait d’attirer les consommateurs sensibilisés sans prendre le risque de perdre les autres consommateurs, l’autorégulation des entreprises suffirait à faire évoluer la qualité nutritionnelle de l’offre dans le sens souhaité en santé publique. Pour les raisons mentionnées plus haut, les incitations économiques du marché ne suffisent pas à garantir cette dynamique sur l’ensemble de l’offre alimentaire. Cette dynamique peut être portée par certaines entreprises du fait de leurs orientations stratégiques (positionnement « santé ») et pour des raisons de responsabilité sociale. Mais sa généralisation suppose un certain niveau d’intervention publique.

Réglementation et engagements volontaires

Une première modalité de l’intervention publique passe par la voie réglementaire et l’imposition de standards de qualité minimum (seuils minimum ou maximum, interdiction de certains ingrédients...). Sur un plan théorique, la recherche économique a beaucoup travaillé sur l’opportunité de mettre en place de tels standards publics. Un des points souvent débattus concerne l’arbitrage entre, d’un côté, les effets positifs liés à l’amélioration de la qualité des produits et, d’un autre côté, les effets négatifs liés à la réduction du nombre d’opérateurs (du fait d’éventuels surcoûts) et leurs conséquences sur les prix finaux.
En matière nutritionnelle, on dispose d’un certain nombre d’exemples de démarches mises en place dans le domaine nutritionnel. La limitation réglementaire de l’usage des acides gras trans (AGT) au Danemark en 2004, par exemple, s’est inscrite dans cette perspective en imposant un seuil maximum de 2 % de teneur en AGT dans les aliments vendus aux consommateurs ou dans les ingrédients des produits préparés.
Intermédiaires entre l’autorégulation et les démarches réglementaires, les engagements volontaires reposent sur une négociation, individuelle ou collective, entre la partie industrielle et l’autorité publique. Ils formalisent, sur la base d’un engagement public, des accords d’amélioration de la qualité de l’offre. Comparés aux mesures réglementaires, ils donnent aux entreprises plus de flexibilité, permettent de tirer parti de l’expertise des entreprises dans le choix des actions à privilégier, et peuvent ainsi générer des coûts moins élevés que l’application d’une réglementation uniforme. Elles n’ont cependant d’intérêt que si elles visent des niveaux d’objectifs plus exigeants que la seule autorégulation. L’adoption d’un engagement volontaire de la part des entreprises peut être motivée par le fait qu’elle conforte la réputation de la marque et la responsabilité sociale de l’entreprise. La démarche peut aussi viser à se prémunir de possibles futures mesures réglementaires plus contraignantes. À objectif égal, les coûts supportés par les firmes sont en effet plus faibles dans le cadre d’un engagement volontaire (plus grande flexibilité, choix d’actions à rendements plus élevés avec effets plus grands pour de moindres coûts, diminution des coûts administratifs…).
Dans le domaine nutritionnel, plusieurs pays ont privilégié cette voie. Au Royaume-Uni, la collaboration entre les pouvoirs publics et l’industrie a consisté à définir des cibles de reformulation des produits et à inciter les entreprises et leurs associations représentatives à signer des engagements pour les atteindre. En France, comme dans d’autres pays, les industries alimentaires ont commencé à intégrer la dimension nutritionnelle dans la conception et la reformulation des produits autour des années 2000. Du côté des pouvoirs publics, l’option retenue dans le cadre du Programme National Nutrition Santé, et plus récemment du Plan National de l’Alimentation, a été assez similaire à celle des engagements volontaires développés au Royaume-Uni.

Effets des engagements volontaires en France

En France, les études réalisées récemment font ressortir plusieurs points importants. Tout d’abord, des modifications de composition nutritionnelle ont été engagées par les entreprises au cours des dernières années dans divers secteurs de produits et sont généralement ciblées sur des catégories particulières de produits et sur des nutriments critiques (sel dans les produits de charcuterie, par exemple). De telles modifications concernent aussi bien des marques de distributeurs que des marques nationales de producteurs. Ces modifications peuvent ponctuellement être d’ampleur significative (pour une entreprise ou pour une catégorie donnée de produits) et l’impact est d’autant plus fort que les modifications de composition reposent sur des dynamiques collectives de secteurs de produits notamment parce qu’elles peuvent alors être compatibles avec des changements de goût. Enfin, l’amélioration est plus fréquemment conduite par des reformulations implicites et peu signalées au consommateur, voire par le retrait du marché de produits dans des familles de qualité nutritionnelle moins favorable et le lancement de produits dans des familles de qualité plus favorable, que par des stratégies d’innovations mettant en avant en tant que telle la variable nutritionnelle.
Au total, les observations montrent que les engagements pris par les entreprises sont souvent significatifs : sont-ils pour autant à la hauteur des enjeux de santé publique ? Sur un nutriment particulier comme le sel, l’avis de l’Anses de 2012 fait ressortir sur la base du suivi des aliments les plus contributeurs dans l’alimentation de la population en France, une diminution des teneurs en sel pour 6 des 8 groupes d’aliments vecteurs étudiés entre 2003 et 2011. Selon les hypothèses retenues, les impacts varient entre 4 et 10 % de réduction de la consommation en sel. L’Anses note que la dynamique est positive mais reste partielle au regard de la variation de –20 % requise pour atteindre les recommandations nutritionnelles. Ce bilan est à rapprocher de celui fait au Royaume-Uni, où la réduction des teneurs en sel opérée entre 2007 et 2009 serait en moyenne de l’ordre de 5,3 % (tout en atteignant des valeurs plus élevées dans des secteurs critiques : 12 % dans les produits en conserve, 12 % dans le pain…). L’apport en sel au niveau de la population y est ainsi passé de 9,5 g/j en 2000 à 8,6 g/j en 2008 mais reste toutefois au-dessus du seuil visé de 6 g/j.
Au total, les études convergent pour montrer que des progrès ont été réalisés au niveau des entreprises, mais qu’ils n’atteignent pas systématiquement les objectifs visés en matière de consommation. Les simulations réalisées semblent indiquer qu’une généralisation des démarches engagées pourrait induire des gains substantiels sur la qualité nutritionnelle des produits. Il ne faut pas néanmoins négliger la contrainte d’acceptabilité de produits moins gras ou moins salés par les consommateurs.
En matière de rapport coût-efficacité, la plupart des auteurs s’accordent sur le fait que la reformulation des produits, volontaire ou réglementaire, présente des rapports coût-efficacité favorables. Concernant l’arbitrage entre les deux types de démarches, on peut seulement à ce stade faire l’hypothèse que le rapport coût-efficacité est comparable dans les deux cas, les coûts des entreprises étant probablement un peu moins élevés dans le cas des engagements volontaires et les impacts sur les produits un peu plus nets dans la voie réglementaire. Ceci reste néanmoins à confirmer.
Il est enfin très probable que des efforts en matière de reformulation des produits dans le sens de réduction des teneurs en sel ou en matière grasse, sur l’ensemble de l’offre alimentaire, y compris celle positionnée sur les niveaux de prix les plus faibles, constituent des actions qui ne devraient pas creuser les inégalités sociales de santé, si ces reformulations ne modifient pas les prix des produits. L’étude des évolutions potentielles d’apports nutritionnels associées aux chartes d’engagement de progrès nutritionnel mises en place en France montre ainsi que, pour la majorité des nutriments, toutes les catégories de la population sont concernées. Même s’ils sont encore modestes, les objectifs des chartes impactent en effet les aliments consommés par les personnes de tous les statuts socioéconomiques et pas seulement ceux consommés par les populations les plus favorisées.

Régulation de la publicité

La question des impacts de la publicité, et d’une façon générale des instruments du marketing, a fait l’objet de nombreux travaux au cours des 20 dernières années et a donné lieu à d’importantes controverses quant au caractère causal de la relation publicité/consommation alimentaire/pathologies chroniques et prévalence de l’obésité, particulièrement chez les enfants. Les publications récentes tendent à faire émerger un consensus établissant un effet causal, bien que modeste, de la publicité sur la consommation de produits alimentaires jugés de profil nutritionnel défavorable.
Cet effet causal justifie que l’on s’interroge sur l’opportunité et les modalités d’une éventuelle régulation publique de la publicité. La recherche a cependant beaucoup moins abordé cette question et fournit peu d’évaluations empiriques de politiques mises en œuvre en matière de régulation obligatoire ou volontaire de la publicité.
Une des raisons de ce manque réside dans la difficulté à estimer les effets de ce type d’interventions dans le cadre d’expériences en conditions réelles (et pas seulement dans un cadre expérimental en laboratoire). Une des rares études disponibles concerne l’interdiction de la publicité pour les fast-foods pendant les émissions de télévision destinées aux enfants de moins de 13 ans au Québec. Sur la base d’une comparaison Québec/Ontario (le Québec ayant procédé à cette interdiction contrairement à l’Ontario), l’étude montre que cette régulation a eu un effet significatif sur les consommations de fast-foods, sur les apports caloriques associés à ce type de produits et sur les dépenses des ménages dans ce type de restaurants.
Ce type d’étude suggère que la limitation de la publicité mettant en avant des produits alimentaires de profil nutritionnel défavorable peut probablement constituer un levier d’action qui, bien qu’ayant des effets modestes, est susceptible de contribuer à des bénéfices de santé, en particulier quand cette publicité s’adresse aux enfants. Les possibles effets non intentionnels ne doivent cependant pas être négligés sans avoir été évalués de façon appropriée. Les limitations volontaires de publicités télévisées mises en œuvre par des entreprises du secteur des boissons sucrées ont été étudiées aux États-Unis. Contrairement à l’intuition, pour plusieurs marques, les ventes ont augmenté après la limitation volontaire de la publicité. Un des facteurs explicatifs réside dans la baisse des prix, autre démarche des entreprises mise en œuvre pour maintenir leurs ventes, qui a contrebalancé la restriction de la publicité télévisée.
Même si les effets potentiels sont modestes, ils sont probablement de nature à réduire les inégalités sociales de santé. L’argument majeur tient ici aux éléments suivants : une plus forte sensibilité aux bénéfices de court terme qu’aux enjeux de prévention de santé à long terme dans les catégories défavorisées ; un temps passé plus important devant la télévision.
Au niveau international, le soutien à une autorégulation par l’industrie a été largement dominant mais les interventions réglementaires augmentent. Cela étant, le niveau d’implication et l’objet des interventions varient de façon considérable selon les pays.
L’opposition entre autorégulation par les entreprises et mesures réglementaires a été souvent discutée. D’un côté, les démarches volontaires d’autolimitation de la publicité peuvent paraître trop lentes ou insuffisantes au regard des enjeux de santé publique, ou traduire la volonté des entreprises d’influer, en fonction de leurs propres objectifs, sur les réglementations publiques. Elles supposent d’obtenir des accords collectifs d’entreprises qui sont parfois difficiles à mettre en place. D’un autre côté, les mesures réglementaires supposent un pouvoir de décision que les autorités publiques de santé n’ont pas toujours. En outre, la faisabilité d’une restriction par voie réglementaire est à établir dès lors que les supports médias de messages publicitaires dépassent désormais très largement le seul support télévisuel, pour s’étendre aux supports Internet, aux réseaux sociaux et au sponsoring d’événements. De ce fait, le niveau auquel doit être envisagée cette régulation est à étudier (national, européen, international…).
Finalement, la littérature éclaire peu sur la question de savoir si la régulation de la publicité et des démarches marketing à des fins de santé publique doit relever d’actions volontaires d’entreprises ou être encadrée par des interventions réglementaires. Ce point fait l’objet de controverses qui restent à ce stade plutôt fondées sur des arguments politiques que sur une évaluation comparative, rigoureuse et quantifiée des coûts et des bénéfices des diverses stratégies possibles dans ce domaine.

Taxes nutritionnelles

La mise en place d’une politique fiscale sur l’alimentation dans un but nutritionnel reste l’exception au niveau international. Pour cette raison, l’essentiel des résultats disponibles repose sur des démarches de modélisation et de simulation, plutôt que sur l’évaluation ex post de politiques déjà mises en œuvre en pratique. Ils n’éclairent de ce fait qu’incomplètement sur les impacts économiques et de santé que ces politiques peuvent induire. De nombreuses études de simulation considèrent des scénarios de taxation sur des groupes d’aliments particuliers, plus rarement sur des nutriments.

Mécanismes et conséquences des taxes nutritionnelles

La plupart des travaux portent sur les effets de la taxation sur les achats et la consommation alimentaire, couvrant peu la prédiction des impacts sur la santé. Même si les politiques fiscales visent d’abord à agir directement sur les consommateurs, elles affectent aussi les comportements des entreprises, qu’ils soient relatifs aux prix ou aux caractéristiques de qualité des produits mis sur le marché. En toute rigueur, le bilan doit donc être fait à « l’équilibre du marché » en intégrant, à la fois, les comportements des consommateurs et des entreprises, les réactions de celles-ci pouvant, selon les cas, amplifier ou amoindrir, voire annuler, les effets attendus sur les plans économiques et sanitaires. Quelques travaux récents intègrent, à la fois, les réactions des consommateurs et des entreprises mais ils sont encore assez rares et de nombreuses questions restent en suspens.
Par ailleurs, les politiques fiscales peuvent être appliquées selon des modalités variées. Par exemple, la taxe peut être forfaitaire (un pourcentage du prix du produit final) sur une ou plusieurs catégories de produits. Elle peut être appliquée en fonction de la présence d’un ingrédient ou d’un nutriment particulier. Elle peut également être conditionnelle et ne s’appliquer au sein d’une catégorie de produits qu’à ceux qui contiennent un ingrédient ou un nutriment particulier au-delà d’un certain seuil, ou qui présentent une qualité nutritionnelle jugée comme insuffisante au titre d’un système de profil nutritionnel particulier. Ces différentes modalités n’induisent pas nécessairement les mêmes effets, tant sur les consommateurs que sur les entreprises. Pour l’essentiel, les travaux disponibles portent surtout sur les taxes forfaitaires et leurs effets sur les achats. Les autres dimensions commencent à être prises en compte, mais les résultats restent assez dispersés. De la même façon, les questions relatives au rapport coût-efficacité des politiques fiscales et à leurs effets en matière d’équité et d’inégalités sociales de santé sont abordées de façon très partielle.
Concernant les effets des taxes forfaitaires sur les achats alimentaires des consommateurs, on note un consensus sur l’impact modeste des taxes. D’une part, parce que, en moyenne, la sensibilité aux variations de prix des principaux groupes d’aliments n’est pas très élevée. D’autre part, parce que la politique fiscale peut induire des substitutions de différentes natures. Par exemple, à l’intérieur d’un même groupe d’aliments la taxation des sodas peut conduire un consommateur à réduire la quantité de sodas consommée et accroître sa consommation d’eau du robinet (si c’est plutôt mieux du point de vue de la santé publique, le « coût psychologique » peut être élevé pour le consommateur en question). Elle peut aussi l’amener à substituer un soda par un soda moins cher (auquel cas, les changements induits par la taxe sur le plan nutritionnel sont faibles voire nuls). En outre, les aliments affectés ne se limitent pas au groupe des boissons, des reports de consommation interviennent avec d’autres groupes d’aliments. Par exemple, une diminution de consommation de sodas peut se traduire par une augmentation de consommation de produits sucrés. Pour cette raison, pour induire des changements notables sur le plan de la consommation, il faut probablement que le taux de taxation soit très élevé, ce qui rend difficile son implantation.
En fait, ce dernier point dépend des hypothèses que l’on retient quant au mode d’action de la taxe. On considère généralement son effet comme équivalent à celui d’une simple variation de prix. Mais le fait que la taxe soit associée à un message sanitaire peut lui conférer une efficacité additionnelle qui n’a pas encore été mesurée. Par ailleurs, l’effet d’une taxation dépend du niveau de répercussion de la taxe sur les consommateurs par les entreprises. En effet, les industriels peuvent soit ne la transmettre que partiellement de façon à limiter les pertes de parts de marchés, soit la « sur-transmettre » si la variation des prix finaux est supérieure au taux de la taxe. Dans ce dernier cas, l’effet sur les consommations est amplifié. Des premiers travaux de modélisation semblent indiquer que la taxe est en général plutôt transmise aux consommateurs, mais probablement de façon variée selon la structure du marché et l’intensité concurrentielle qui y prévaut.

Taxes nutritionnelles et inégalités sociales de santé

Les politiques fiscales sont généralement jugées coût-efficaces pour une raison simple : même si les effets sont faibles sur les consommations, elles ne supposent pas d’importantes dépenses publiques, voire même génèrent des recettes fiscales. Il faut noter cependant que dans les calculs généralement faits, les coûts privés, en particulier pour les entreprises, ne sont pas pris en compte.
Du point de vue des inégalités sociales, les travaux montrent que les taxes nutritionnelles sont régressives sur le plan économique, c’est-à-dire que le fardeau fiscal s’avère supérieur pour les ménages les plus défavorisés, du fait d’une plus forte part des dépenses alimentaires dans leur budget. Elles aggravent donc les inégalités économiques.
Sous l’angle des inégalités sociales de santé, la justification d’une telle taxe peut résider dans sa contribution à la réduction des inégalités si elle induit une amélioration des comportements de santé plus importante dans les catégories de position socioéconomique plus basse. Les taxes sont en effet régressives (elles accroissent les inégalités sociales) sur le plan économique mais elles peuvent être progressives sur le plan de la santé (et donc réduire les inégalités sociales de santé). Le premier élément qui pourrait produire cet effet réside dans les réactions des différentes catégories de la population aux variations de prix : ainsi, si les catégories défavorisées réagissent plus fortement que les autres aux variations de prix des produits taxés, la variation de consommation induite est plus forte en valeur relative, ce qui réduit les écarts de consommation entre les catégories défavorisées et les autres.
Cependant, pour prendre en compte les implications nutritionnelles de telles mesures de taxation de façon complète (consommation des produits taxés et substitutions avec le reste de l’alimentation), on manque d’études établissant la réponse aux prix des différentes strates de revenu sur l’ensemble des différents groupes alimentaires. À un niveau de catégories d’aliments agrégées, des travaux obtiennent des sensibilités aux prix supérieures pour les ménages à bas revenu. En conséquence, les taxes pourraient avoir dans ces populations un impact plus fort sur la consommation des produits visés par la taxation mais aussi induire des effets de substitution accrus entre aliments. Cependant, l’hétérogénéité des réponses aux prix, point-clef de l’opportunité de la politique fiscale, dépend de la prise en compte de la séparabilité des biens alimentaires, du degré de désagrégation des catégories, et des approximations des mesures de prix dans la modélisation. Ici aussi, les techniques utilisées sont assez variables. Par ailleurs, les travaux issus de l’analyse économétrique de la demande portent (pour des raisons de disponibilité de données) sur les achats au domicile, et se situent au niveau du ménage. On ne peut donc en tirer des effets directs sur la consommation totale ou la santé, ni sur le niveau individuel. Enfin, on sait que d’autres variables peuvent être importantes comme l’âge, le niveau de consommation, ou l’activité physique, jamais prise en compte dans ces études.
Le deuxième élément qui peut conduire à considérer que la taxe nutritionnelle est susceptible de réduire les inégalités sociales de santé réside dans la fréquence avec laquelle les catégories défavorisées sont confrontées aux pathologies associées aux dimensions nutritionnelles. On a déjà souligné que cette fréquence y est sensiblement plus élevée que dans les autres catégories de la population. Une même variation de consommation (voire même une variation de consommation un peu plus faible) peut alors induire des bénéfices de santé plus élevés pour ces catégories défavorisées. Pour cette raison, même si une taxe a un effet équivalent en variations des consommations pour toutes les catégories de la population, elle peut réduire les écarts de santé entre groupes sociaux en induisant des effets plus importants en prévention des pathologies pour les catégories défavorisées. Si ces effets, qui restent à établir, sont confirmés, ils sont de toute façon probablement modestes.
Comme noté plus haut, la taxe peut influer sur les décisions des entreprises en matière de qualité des produits. Pour éviter, par exemple, de transmettre la taxe aux consommateurs, une réduction des coûts de production peut être envisagée, ce qui peut, par des substitutions d’ingrédients, se traduire par une baisse de la qualité de produits. Auquel cas, la taxe est inefficace puisque les consommations ne changent pas (car les prix bougent peu) et, de plus, la qualité des produits consommés diminue. Les quelques exemples dont on dispose semblent plutôt indiquer que les taxes sont transmises aux consommateurs.
Il reste que pour éviter le risque de diminution qualitative, une politique de taxation peut être appliquée de façon, non pas forfaitaire, mais conditionnelle. Dans ce dernier cas, les pouvoirs publics doivent définir, au sein de chaque secteur de produits, un seuil de qualité (une teneur en matière grasse, en sel…) en dessous duquel les produits ne sont pas taxés. La taxe ne sert pas alors à collecter des ressources fiscales mais à inciter les entreprises à améliorer la qualité nutritionnelle des produits. On ne dispose, à ce stade, que de travaux théoriques qui suggèrent que l’application combinée d’un seuil de qualité modéré à plusieurs produits génère de bons effets, en incitant une grande partie des entreprises à améliorer la qualité des produits, sans effets adverses sur le plan des inégalités sociales de santé. Mais ces travaux, s’ils suggèrent une piste de recherche à explorer, n’ont pas encore reçu de validation empirique.
Quand bien même les inégalités de santé seraient significativement réduites par la mise en place de taxes nutritionnelles, ou que le bénéfice économique donnerait les moyens d’une politique sociale, l’effet régressif sur le budget des ménages persisterait. Pour contrebalancer cet effet, la taxe doit être accompagnée de mesures de compensation de pouvoir d’achat pour les populations à bas revenu via, par exemple, la dégressivité de l’impôt ou des subventions ciblées, qui peuvent être financées à partir du revenu généré par la taxe. La taxation peut être associée à des mesures permettant de subventionner la consommation de produits jugés favorables à la santé pour les catégories défavorisées, limitant ainsi l’effet régressif de la taxe sur le plan économique.
Volet symétrique de la problématique des taxes nutritionnelles, la pertinence de mesures visant à subventionner la consommation de produits considérés comme favorables à la santé a été plus rarement abordée. Les mesures peuvent être envisagées en population générale, par exemple à travers la modulation de la TVA selon les caractéristiques nutritionnelles des produits. Les subventions à la consommation en population générale ont été peu étudiées en tant que telles et, plutôt, envisagées en complément de démarches de taxation afin de contrer l’effet aggravateur des inégalités économiques que ces dernières génèrent. De telles subventions apporteraient une certaine compensation au niveau du budget alimentaire et pourraient également renforcer les changements dans les consommations alimentaires. Dans la pratique, on ne connaît cependant pas d’exemple de politique nutritionnelle mettant en œuvre taxation et subvention.

Interventions ciblées

Aides à l’achat d’aliments favorables à la santé

Des programmes d’assistance existent depuis de nombreuses années dans certains pays et permettent de financer partiellement, par le biais de coupons mensuels, une partie des achats alimentaires de ménages défavorisés. Ces programmes n’avaient pas forcément de visée nutritionnelle au départ.
D’une façon générale, les bilans de ces programmes sont positifs en ce sens qu’ils semblent avoir permis de réduire de façon significative les situations d’insécurité alimentaire, en particulier parmi les enfants pauvres. Cependant, les impacts sur la qualité nutritionnelle de l’alimentation des ménages pauvres sont beaucoup plus controversés, certains travaux notant même une dégradation de la qualité nutritionnelle de l’alimentation des ménages bénéficiant de cette assistance.
Ceci a conduit un certain nombre d’acteurs à proposer une restriction, au moins partielle, des coupons à des achats de produits favorables à la santé. De telles mesures existent au sein de plusieurs programmes d’aide publique et visent en particulier les femmes pauvres avec de jeunes enfants. Le « Special Supplementary Nutrition Program for Women, Infants and Children » (WIC) aux États-Unis a démarré en 1972 pour favoriser la consommation de produits favorables à la santé et lutter contre les déficiences nutritionnelles les plus fréquentes parmi les populations défavorisées, en particulier les femmes enceintes et les familles avec jeunes enfants. Au Royaume-Uni, le « Welfare Food Scheme program », rebaptisé « Healthy Start » en 2006, vise à améliorer les consommations alimentaires de femmes, et de leurs jeunes enfants, appartenant à des milieux défavorisés. Les deux programmes visent, en particulier, un accroissement de la consommation de fruits et légumes dans ces populations.
En pratique, les subventions sont mises en œuvre sous la forme de bons d’achat échangeables dans les commerces alimentaires ou sur les marchés de producteurs. Elles concernent généralement les fruits et légumes frais, les produits laitiers et d’alimentation infantile. Ces mesures peuvent être accompagnées par des démarches d’éducation nutritionnelle et un suivi social des bénéficiaires.
L’évaluation de ces actions doit être conduite à plusieurs niveaux. Le premier est celui de leur effet direct sur les ménages visés, la question étant, en particulier, de savoir si ces coupons sont réellement utilisés pour l’achat des produits dont on cherche à favoriser la consommation.
Concernant les effets des interventions sur la consommation et sur la santé, malgré le nombre encore limité d’analyses rigoureuses, les revues récentes de la littérature font ressortir quelques éléments importants. On note ainsi un accroissement de la consommation de fruits et légumes pouvant atteindre 1 à 2 portions par jour. Le programme WIC note un accroissement de 10 à 20 % de la consommation de nutriments importants pour les femmes enceintes. Ces changements de comportements alimentaires ont aussi des effets sur le plan de la santé avec, par exemple, un accroissement significatif, bien que modeste, du poids moyen des bébés à la naissance. Par ailleurs, une controverse s’est développée sur d’éventuels effets sur l’obésité aux États-Unis.
Au total, ces programmes paraissent donc avoir des effets positifs, au moins à court terme, en ce sens qu’ils permettent, aux populations ciblées, un meilleur accès à des aliments et des nutriments jugés favorables à la santé. En France, une expérimentation de distribution de coupons pour l’achat de fruits et légumes et quelques tentatives isolées de la part d’acteurs privés (ONG) ne permettent pas de conclure définitivement, mais semblent indiquer également que cette démarche pourrait constituer une piste intéressante à explorer dans le cadre d’une politique sociale.
Au-delà de l’observation de l’effet direct de ces interventions, des analyses économiques doivent encore être développées pour juger de leur rapport coût-efficacité en termes de réduction des inégalités sociales de santé.
Le rapport coût-efficacité d’une politique de coupons destinés à promouvoir la consommation, par exemple de fruits et légumes dans des ménages à faibles revenus, dépend de plusieurs facteurs. Il dépend du budget total dédié à cette politique par les pouvoirs publics et du nombre de ménages bénéficiaires, la combinaison des deux jouant sur le montant du coupon alloué à chacun des ménages ciblés. Il dépend aussi de la dépense initiale allouée, par chacun de ces ménages aux fruits et légumes (avant l’attribution des coupons). En effet, si la valeur du coupon est inférieure ou égale à la dépense initiale du ménage en fruits et légumes, le coupon joue le même rôle qu’une augmentation du revenu : dans ce cas, son effet est faible sur la consommation de fruits et légumes car l’équivalent monétaire peut être utilisé par le ménage pour n’importe quelle dépense, alimentaire ou non alimentaire. Si la valeur du coupon est supérieure à la dépense initiale en fruits et légumes, l’effet est plus fort, car le montant additionnel par rapport à la dépense initiale peut être uniquement consacré à des achats de fruits et légumes.
Dans ces conditions, comme le montrent un certain nombre de travaux de modélisation, à budget de la politique donné, plus l’intervention est ciblée sur un petit nombre de ménages, meilleur est son rapport coût-efficacité. Mais si la taille de la population ciblée est réduite pour obtenir le meilleur rapport coût-efficacité, un certain nombre de ménages défavorisés (peut-être un peu moins que ceux qui sont ciblés) restent en dehors de l’intervention, alors qu’ils présentent également de faibles niveaux de consommation de fruits et légumes. Pour élargir la taille de la population ciblée, tout en ayant le meilleur rapport coût-efficacité possible, il faut augmenter le budget total alloué à la politique. Mais ceci soulève une autre question, celle des ressources que la société est prête à affecter à de telles actions spécifiquement tournées vers un objectif de réduction des inégalités sociales de santé.

Interventions ciblées d’accompagnement et d’éducation nutritionnelle

L’intérêt de la recherche pour les interventions portant sur la réduction des inégalités sociales de santé dans le domaine de la nutrition est relativement nouveau. Sur le plan théorique, les populations concernées par une intervention de ce type peuvent être de trois catégories :
• définies par une zone géographique, un cadre d’études (école) ou de travail ;
• présentant un haut risque biologique (cardiovasculaire, obésité, hypertension artérielle…) ;
• présentant un haut risque social, par exemple une population pauvre ou précaire.
La littérature sur l’évaluation des interventions de nutrition analyse rarement les effets selon les groupes socioéconomiques, la raison principale étant que les études elles-mêmes ne les rapportent pas.
Dans une revue publiée en 2008 portant sur des interventions dans le domaine nutritionnel, six interventions seulement ont été identifiées comme pouvant être interprétées avec le prisme des inégalités sociales. La revue n’était pas limitée à des essais randomisés mais incluait des essais quasi-expérimentaux. Trois des interventions avaient pour cadre des écoles élémentaires, une se situait dans le cadre de la formation professionnelle et deux dans le cadre des soins de santé primaire. Les interventions comportaient des séances d’éducation nutritionnelle, des travaux collectifs, un suivi et un support à la modification des comportements. Chacune est décrite en détail, mais la description et la compréhension de ce qui fait le caractère commun à ces six interventions ne sont pas claires. La difficulté d’interpréter ces interventions est largement liée à l’absence de typologie de ces interventions. Les critères de jugement eux-mêmes étaient variables, certains portant sur les connaissances, les attitudes, les comportements, par exemple les consommations de fruits et de légumes, ou encore les comportements d’achat. Au-delà de ces limites, les résultats sont très variables et difficilement interprétables quant à leurs effets sur les différences de comportement alimentaire entre catégories sociales. Trois études relèvent que les effets des interventions étaient plus faibles dans les groupes les plus défavorisés (enfants d’immigrés, population noire comparée à une population blanche, population à bas revenus). Deux études relèvent que l’attrition était plus élevée chez les participants de milieux défavorisés. Cette revue systématique souligne avant tout le petit nombre d’études satisfaisant à des critères de qualité et leur faible potentiel de généralisation.
Les résultats des interventions conduites dans les écoles ne montrent pas d’efficacité différentielle entre groupes sociaux. Une seule étude chez les adultes, portant sur la distribution de fruits et légumes, montre une réduction de ces inégalités.
Concernant l’activité physique, un travail européen sur les interventions dans les écoles chez les enfants et adolescents démontre la variabilité des résultats entre pays et la difficulté d’en tirer des conclusions générales. Dans l’intervention Icaps2 , conduite en France chez les adolescents, l’intervention augmentait la pratique d’activité physique supervisée quelle que soit la position socioéconomique. Deux ans après le début de l’intervention, l’impact était plus important pour les élèves de faible position socioéconomique mais, à plus long terme l’effet était plus important pour les plus favorisés. Le principe de cette étude était d’impliquer à la fois les écoles et les familles en favorisant l’accès aux activités physiques, par un soutien personnel et des actions structurelles.
Pour les interventions centrées sur l’activité physique ciblant les adultes défavorisés plusieurs revues de littérature récentes ont cherché à identifier les facteurs importants pour l’efficacité de ces actions. Une revue systématique montre, avec un niveau d’évidence faible, que les interventions à composantes multiples qui s’adressent à des groupes d’adultes de faible niveau socioéconomique conduisent à des changements modestes de pratique. Une méta-analyse a identifié le mode d’intervention comme le facteur le plus important pour la réussite d’un programme d’activité physique auprès de femmes défavorisées, les interventions en groupe étant significativement plus efficaces que celles qui s’adressaient à des individus ou à des communautés. Une autre méta-analyse montre que des programmes d’exercices supervisés en cessions courtes, à destination de minorités ethniques aux États-Unis, augmentent de façon significative la condition physique des personnes participantes.
Malgré l’abondante littérature montrant le lien entre environnement social et économique d’une part et activité physique et alimentation d’autre part, malgré les multiples interventions visant les populations défavorisées, les données probantes sont rares et soulignent la nécessité de développer le champ de la recherche interventionnelle en santé des populations. Ce champ en structuration est défini comme « l’utilisation de méthodes scientifiques pour produire des connaissances sur les politiques et les interventions qui agissent à l’intérieur ou à l’extérieur du système de santé et ont le potentiel de modifier l’état de santé au niveau de la population ».
L’examen de la littérature suggère quelques pistes à prendre en compte dans la logique de futures interventions.
La nécessité d’approches spécifiques en fonction des composantes culturelles des populations devrait être prise en compte dans la conception des interventions.
Le rôle des facteurs psychosociaux sur les ressources cognitives, émotionnelles et motivationnelles dans le domaine de l’alimentation et de l’exercice physique pourrait être mieux intégré dans les programmes d’intervention. Par exemple, le modèle du comportement planifié postule que l’intention est dépendante de trois facteurs psychosociaux : attitudes et croyances relatives au comportement concerné ; normes sociales intériorisées (attentes basées sur les croyances ou comportements attribués à autrui) et sentiment de contrôle ou d’auto-efficacité à mettre en œuvre le comportement.
Les attitudes et le contrôle comportemental perçu prédisent l’intention de s’engager dans des activités physiques mais le contrôle comportemental perçu est le principal prédicteur des comportements eux-mêmes. Les stratégies d’intervention basées sur une supervision étroite et une motivation contrainte semblent moins à même d’installer un changement durable qu’une stratégie visant à soutenir les capacités des individus à développer leur propre motivation au changement notamment par l’appui des proches. Certains types d’interventions (appeler à consommer moins gras, moins sucré, ou encore à développer l’exercice physique) sollicitent fortement le contrôle de soi et l’autorégulation. Ceux qui sont le plus en capacité de s’autoréguler sont ceux qui sont les plus à même de bénéficier des techniques de prévention basées sur l’appel au contrôle de soi et la consommation de ressources cognitives. Des formes subtiles de discrimination sont ainsi susceptibles à elles seules d’invalider sérieusement une action de santé pourtant bénéfique en soi.

Nécessité d’accompagner les interventions par des mesures au-delà du domaine de la nutrition

Évaluation d’impact des politiques hors du domaine de la santé

La conception d’une politique nutritionnelle en mesure de réduire les inégalités sociales de santé ne peut faire l’économie de la prise en compte de l’impact sur le long terme d’autres politiques, en particulier dans le domaine de l’urbanisme et de l’agriculture. Elle devrait entamer une réflexion sur les effets des politiques de transport, d’éducation, de planification urbaine et de commerce. Les politiques agricoles et industrielles dans le domaine agroalimentaire sont évidemment centrales pour une alimentation favorable à la santé. Un récent rapport de l’Inra soulignait que la construction d’une politique nutritionnelle visant à modifier les comportements alimentaires des consommateurs doit s’inscrire dans une réflexion plus large sur les politiques agricoles, les politiques industrielles et commerciales ainsi que celles portant sur l’aménagement du territoire. La réflexion intégrant la réduction des inégalités sociales de santé ne peut aboutir qu’à une conclusion similaire tant leurs déterminants sont multisectoriels et tant les interventions visant à les réduire s’inscrivent dans un système complexe.
Le principe de l’évaluation d’impact sur la santé pourrait être appliqué dans le domaine de la nutrition, au niveau national et local. L’OMS la définit ainsi : « une combinaison de procédures, de méthodes et d’outils par lesquels une politique, un programme ou une stratégie peuvent être évalués selon leurs effets potentiels sur la santé de la population et selon la dissémination de ces effets dans la population ». Il s’agit d’un processus multidisciplinaire structuré par lequel une politique ou un projet sont analysés afin de déterminer leurs effets potentiels sur la santé. Ce processus tient compte, en général, de l’opinion et des attentes de ceux qui peuvent être touchés par les retombées des programmes mis en place. À partir des résultats de l’analyse, des recommandations sont émises préalablement à la décision. Le développement de ces évaluations suppose de prévoir la formation de professionnels pour la pratique de ces évaluations d’impact sur la nutrition.

Nécessité de dispositifs de suivi et de travaux de recherche

Suivi des interventions

Les interventions dans le domaine de la nutrition ont jusqu’à présent porté peu d’attention aux inégalités sociales de santé. Or, les interventions s’intègrent dans un système complexe, avec des enchaînements de causalité pouvant conduire à l’effet inverse de celui recherché. Il est donc nécessaire de développer un système d’information statistique pérenne, pour suivre et publier régulièrement l’évolution des inégalités sociales de santé dans le domaine de la nutrition et évaluer les effets attendus et inattendus des interventions. Des recommandations en ce sens ont été formulées également par le Haut conseil de la santé publique, qui a proposé d’enrichir le recueil de données statistiques en variables sociales, de développer les indicateurs de « défavorisation » au niveau de l’Iris (Ilots Regroupés pour l’Information Statistique) et de favoriser les appariements de bases de données administratives.

Développer la recherche interventionnelle et les méthodes en évaluation

L’expertise fait clairement apparaître le manque de recherche dans le domaine de l’intervention sur la santé des populations. Une structuration internationale de cette recherche est en cours, mais les résultats sont encore préliminaires et de nombreuses incertitudes demeurent. Il est donc important de développer et structurer le champ de la recherche interventionnelle en santé des populations, non seulement par des financements sur projets mais aussi par l’aide à l’émergence ou à la consolidation d’équipes de recherche dans ce domaine. Face à la complexité, cet effort de structuration doit favoriser l’interdisciplinarité.
L’identification d’interventions a été limitée par les faiblesses des évaluations réalisées. À la rareté des études publiées sur des interventions efficaces, s’ajoutent d’autres limites, celle des critères d’évaluation des interventions et celle de la description des interventions elles-mêmes. Développer la recherche sur les méthodes en évaluation est donc un enjeu de recherche essentiel.
S’agissant des critiques sur les évaluations des interventions, les réserves portant sur l’essai expérimental sont nombreuses. Les évaluations appellent des méthodologies et cadres conceptuels d’évaluation plus larges, permettant notamment de sortir des difficultés liées à la sélection des populations incluses dans les essais et à la généralisation aux populations non sélectionnées dans leur environnement réel. La seconde limite des essais expérimentaux, est la difficulté de produire des connaissances lorsque les résultats sont négatifs. Il est alors malaisé de distinguer ce qui se rapporte à la théorie3 de l’intervention de ce qui relève de l’implémentation (mise en œuvre). Il se peut que la théorie ou la logique de l’intervention soit intéressante, mais que son implémentation ou le contexte particulier dans lequel elle a été mise en œuvre ait pu masquer une efficacité potentielle théorique. Il se peut aussi que la logique d’intervention ne soit pas en elle-même efficace. Une difficulté pour proposer des recommandations en politique publique est celle que l’on éprouve à distinguer les logiques d’intervention dans la littérature. Les interventions sont en effet souvent décrites de façon détaillée, sans préciser la théorie ou la logique d’action mise en œuvre et les éléments propres au contexte.

Conclusion

Rejoignant d’autres synthèses de la littérature, il ressort de cette expertise que la plupart des interventions considérées séparément ont des effets de santé souvent modestes, voire faibles, suggérant l’existence de facteurs lourds, multiples et difficilement modulables déterminant les pratiques de consommation alimentaire et d’activité physique. Ces éléments suggèrent que seule une combinaison de politiques, conduite de façon pérenne sur le long terme, peut permettre d’atteindre de façon efficace des améliorations sensibles de l’état nutritionnel des populations.
Une place à part et une importance particulière sont à réserver à l’enfant. De nombreux travaux issus de « l’épidémiologie biographique » témoignent en effet de l’importance de la vie fœtale et de l’enfance sur la santé de l’adulte, qu’il s’agisse de diabète, d’obésité, de maladies cardiovasculaires. Le lien entre le milieu socioéconomique des parents et les comportements de santé des enfants a été bien établi. Le mode d’allaitement a des conséquences sur le jeune adulte. Dans le domaine de la nutrition, c’est au cours de l’enfance qu’intervient le processus d’apprentissage et de socialisation du goût. Les habitudes prises avant six ans se prolongeraient tant à l’adolescence que chez le jeune adulte, soulignant l’importance de promouvoir l’accès à une grande variété de nourriture dans la toute première enfance. L’enfance est une cible privilégiée pour les interventions autour de la publicité, comme cela a été rappelé et son importance justifierait un bilan à part.
Malgré des impacts généralement modestes, les interventions nutritionnelles sont souvent jugées coût-efficaces. C’est ce que suggèrent bon nombre de travaux conduits depuis une quinzaine d’années et portant sur la prévention des pathologies chroniques associées à l’alimentation et à l’inactivité physique. Il faut néanmoins distinguer deux grands types d’actions.
Tout d’abord, un premier ensemble regroupe des interventions qui s’adressent à la population dans son ensemble et ont des effets assez faibles sur la santé de chaque individu, mais sont peu (ou pas) coûteuses pour les pouvoirs publics. Les effets sont rapides et le seuil de coût-efficacité est atteint au bout d’un petit nombre d’années. Le levier d’efficacité est ici la taille de la population touchée plutôt que l’ampleur des changements obtenus au niveau individuel, l’agrégation de petits gains de santé sur toute la population générant des bénéfices significatifs du point de vue de la santé publique. D’une façon générale, il s’agit d’interventions qui visent à influencer les comportements par des actions sur l’environnement des individus. Ces conclusions sont néanmoins à considérer avec précaution dans la mesure où les niveaux de preuve de l’impact de ces leviers d’action restent fragiles, et les mécanismes économiques qui affectent leur efficacité restent insuffisamment étudiés.
Un second ensemble regroupe des actions ciblées sur des catégories particulières de la population souvent déjà sensibilisées aux risques de santé (obèses, pré-diabètes…) ou défavorisées, qui ont des effets significatifs mais qui supposent des moyens importants, étalés dans le temps. Le levier d’efficacité réside dans l’ampleur des changements opérés au niveau individuel et non dans la taille de la population touchée. Il s’agit d’actions comme l’accompagnement de personnes à risque social ou de santé, dans le cadre de dispositifs spécifiques, accompagnés parfois d’un encadrement par des professionnels de santé.
La combinaison de mesures nationales et d’interventions locales paraît une recommandation de bon sens. Il faut toutefois noter qu’une revue systématique Cochrane récente montre qu’il n’y a pas de preuve en faveur de cette opinion, selon les critères stricts propres à ces revues.
Qu’en est-il des effets de ces interventions en matière d’équité et de réduction des inégalités sociales de santé ?
D’une façon générale, les questions d’équité et d’impacts des interventions sur les inégalités sociales de santé sont assez peu traitées en tant que telles dans la littérature et l’on manque de démarches quantitatives véritablement robustes. Les travaux examinés dans cette expertise permettent néanmoins de suggérer une hypothèse susceptible d’orienter l’action publique dont pourraient se doter les autorités de santé publique pour la conception des politiques nutritionnelles. Elle concerne la vision du « consommateur ».
Une première vision est celle d’un consommateur autonome, pleinement rationnel, délibérant de façon individuelle ses choix alimentaires et d’activité physique, arbitrant de façon consciente entre les options qui s’offrent à lui et mettant la priorité sur sa santé dès lors qu’il est informé, à la fois, des bienfaits d’une alimentation équilibrée et des caractéristiques des produits offerts sur le marché. L’éducation alimentaire, les campagnes d’information, tout autant que l’étiquetage nutritionnel informatif, reposent sur cette vision, dans la mesure où elles visent à renforcer l’expertise du consommateur, à lui donner les moyens « analytiques » de fonder un arbitrage éclairé et à faire évoluer ses préférences sur la base d’une démarche raisonnée.
Une seconde vision est celle d’un consommateur dont les capacités d’autorégulation sont limitées, dont les actes de consommation alimentaire ne sont pas nécessairement soumis à une délibération systématique, sont inscrits dans des normes et des interactions sociales, susceptibles de biais de perception, cognitifs et émotionnels, et pour lequel les enjeux de santé ne sont, au mieux, qu’un des éléments qui interviennent dans ses arbitrages de consommation.
Comme dans d’autres domaines de la santé, les travaux examinés dans cette expertise suggèrent que des interventions qui visent des changements de comportements nutritionnels sur la base du modèle du consommateur autonome en contribuant à un processus de décision délibéré, ont de fortes chances d’accroître les inégalités sociales de santé. À l’inverse, des interventions fondées sur l’hypothèse d’un consommateur disposant de capacités d’autorégulation limitées peuvent, sous certaines conditions, contribuer à réduire les inégalités sociales de santé, ou du moins à ne pas les accroître tout en améliorant le niveau global.
Concilier des objectifs d’efficacité, de coût-efficacité et de réduction des inégalités sociales de santé suppose probablement de trouver le bon équilibre entre des démarches, conduites en population générale, de prévention passive portant sur l’environnement des individus et des démarches de prévention « active », impliquant une adaptation raisonnée des comportements, dans des contextes d’accompagnement ciblé des individus. L’universalisme proportionné est pour le moment, une piste théorique qui reste à mettre en œuvre et à expérimenter, mais c’est probablement dans cette voie que doit pouvoir se dessiner une telle démarche en matière de nutrition.
Même si les deux groupes d’actions, ciblées ou conduites en population générale, peuvent présenter des rapports coût-efficacité comparables, les budgets totaux engagés sont très différents. Ceci soulève la question du niveau souhaitable de budget à allouer aux politiques nutritionnelles de prévention (en comparaison avec d’autres options comme, par exemple, la pharmacothérapie) et à sa répartition entre ces deux grandes catégories d’actions. Les travaux disponibles ne donnent pas d’éléments de réponse de ce point de vue et la façon de concilier au mieux efficacité et équité constitue un champ de recherche largement à explorer. Il resterait enfin à définir le niveau de priorité accordé à la réduction des inégalités sociales de santé et le montant des ressources que la société est prête à allouer à cet enjeu, et particulièrement à la réduction des inégalités sociales de santé associées à l’alimentation et l’activité physique. Mais cette question sort des missions de la recherche et relève pleinement du champ du politique et du débat démocratique.

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