Polyhandicap

2024


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Synthèse

En préambule : « Qu’est-ce qui fait de nous
des humains ? »

Le groupe d’experts a souhaité introduire son propos par la question « Qu’est-ce qui fait de nous des humains ? ». Cette question philosophique est à la fois théorique et pratique puisque le polyhandicap, ou plutôt, la personne polyhandicapée, constitue un défi face à cette question. Dans l’histoire, cela a donné lieu à des controverses dans l’espace scientifique, entre ceux qui ont défendu l’humanité de ces personnes et ceux qui l’ont contestée. Ces prises de position reposent sur des conceptions différentes de l’humanité conduisant à ce que les personnes polyhandicapées ne sont pas toujours reconnues comme appartenant à une humanité commune. De plus, en dehors de leur famille et de leurs lieux de soins, leur vie peut être perçue par certains comme ne valant pas la peine d’être vécue.
Ces conceptions philosophiques induisent des valeurs éthiques qui orientent nos actions dans un sens ou dans un autre. Certaines positions peuvent heurter a priori, mais il nous est apparu important dans un souci d’exhaustivité de les présenter car elles ont des effets concrets : elles influent sur notre comportement et notre considération vis-à-vis des personnes polyhandicapées, par exemple en leur prodiguant plus ou moins de soins. Ces conceptions philosophiques induisent des valeurs éthiques qui orientent nos actions dans un sens ou dans un autre.
Dans un premier temps, nous revenons sur le débat existant autour de l’humanité des personnes polyhandicapées, qui a opposé Eva Kittay à deux autres philosophes, Peter Singer et Jeff McMahan. Ces derniers défendent une pensée qui dénie l’humanité aux personnes polyhandicapées au titre d’une recherche concernant les critères d’humanité. La rationalité, la conscience réflexive ou la capacité de se projeter dans l’avenir font partie de ces critères. Selon ces auteurs, celles et ceux qui n’en disposent pas n’ont pas à être traités comme les autres humains. Ils perdent donc la valeur que confère l’humanité, n’ayant alors pas plus de valeur éthique qu’un cochon ou qu’un chien. Cette comparaison, utile pour la défense de la cause animale dont Singer est l’un des représentants les plus éminents, est en revanche inacceptable pour les personnes polyhandicapées dès lors que l’on reconnaît leur humanité.
Dans un second temps, nous présentons les conceptions de l’humanité, développées par différents auteurs, que l’on peut qualifier d’inclusives, de « plus vastes ». Nous en avons identifié trois : i) l’humanité relationnelle (Eva Kittay) ; ii) l’humanité pragmatique (conception s’inspirant des courants pragmatiques en philosophie et en sociologie) ; et iii) l’humanité subjective (Georges Saulus et Juliane Dind).
Eva Kittay est une philosophe qui s’inscrit dans le courant de l’éthique du care (ou éthique du soin) et qui ancre sa réflexion dans son expérience personnelle, celle d’être mère d’une personne polyhandicapée. Elle propose de penser la dignité et l’humanité non pas à partir de la capacité à raisonner, mais à partir de la capacité des personnes à s’engager et à être engagées dans des relations de care ou plus largement, dans des relations d’amour. En effet, pour elle, ce que nous partageons tous en tant qu’êtres humains et qui nous définit comme tels, c’est que chacun de nous est « l’enfant d’une mère », c’est-à-dire l’enfant d’une personne qui a pris soin de nous. À ce titre, chacun de nous est d’emblée engagé dans une relation de care, recevant le care ou le donnant, et acquérant ainsi une valeur propre. C’est cette relation de care qui fonde la dignité ou valeur propre de l’être humain. La dignité n’est donc pas, pour Eva Kittay, une caractéristique intrinsèque (inhérente) de l’être humain, mais bien une caractéristique relationnelle : elle est générée par la relation de care singulière qui s’établit entre deux personnes. Les personnes polyhandicapées, en manifestant leur capacité à aimer et à être aimées (par exemple, par de la joie, de la tristesse, parfois des gestes ou des regards, etc.), manifestent leur appartenance à l’humanité.
Les chercheurs du courant pragmatique proposent également une conception relationnelle de l’humanité, mais ils insistent sur les relations concrètes et empiriques qui constituent toute personne. Ils décrivent ces relations, montrant que nos capacités et incapacités sont soutenues non seulement par les relations que nous avons aux autres personnes, mais aussi à celles que nous avons aux objets que nous mobilisons pour agir. D’autres auteurs insistent sur l’interrogation que constitue la personne polyhandicapée (« Qui est cette personne ? »). Pour répondre à cette question, il est nécessaire de s’engager dans une relation de care qui soit attentive aux détails. Cette attention fait d’une part exister l’enfant et d’autre part induit des pratiques spécifiques. L’ensemble de ces approches inverse le raisonnement tenu par la philosophie occidentale classique. Elles ne s’interrogent pas d’abord sur l’appartenance des personnes polyhandicapées à l’humanité, mais agissent pour faire de ces personnes des personnes humaines. Cette perspective oblige à s’interroger, en permanence et dans les situations concrètes sur ce qui est bien pour ces personnes, sur ce qu’il convient de faire pour induire et soutenir leur dignité. Si cette perspective ne résout pas les dilemmes éthiques auxquels les professionnels et les proches de ces personnes sont souvent confrontés, au moins les amène-t-elle à adopter une posture attentive à la complexité et à la singularité de chaque situation.
Georges Saulus a distingué plusieurs profils de polyhandicap en fonction du degré de conscience ou « d’éprouvé d’existence », et Juliane Dind a proposé des méthodes de repérage de ces profils en pratique. Cependant, leurs travaux ne visent pas à indiquer des degrés d’humanité plus ou moins marqués. Ils visent à favoriser les hypothèses des équipes pluridisciplinaires à propos des besoins et des capacités des personnes polyhandicapées. Une catégorisation portant sur le degré de conscience a des conséquences si importantes pour la reconnaissance du sujet en tant que personne, qu’il faut être ici de la plus extrême prudence.
Par ailleurs, en pratique plus encore qu’en théorie, il existe des erreurs d’assignation de catégorie de polyhandicap à des enfants (non verbaux, tétraplégiques…). Ces enfants se retrouvent placés dans un contexte relationnel correspondant à une « situation de polyhandicap » malgré une conscience de soi aboutie. Les difficultés de communication sont parfois telles qu’il convient toujours de rappeler à quel point les capacités se mesurent en fonction de l’état actuel de nos connaissances et nos capacités actuelles à trouver le bon moyen de communiquer. On ne peut réellement préjuger de la vie intérieure d’une personne polyhandicapée, en particulier lorsqu’apparaissent des « signes de la série autistique » (définition du 9 mai 2017) : la présupposition selon laquelle une personne consciente essayera toujours d’une manière ou d’une autre d’entrer en communication, soit par le langage, soit par gestes ou soit par le regard est alors fausse. Et quand bien même l’évaluation des incapacités serait-elle correcte (ce qui est loin d’être toujours le cas en pratique), l’absence de conscience serait-elle suffisante pour conclure à une absence d’humanité ? C’est précisément contre cet usage de ses travaux que s’élève Juliane Dind.
Ainsi, les personnes polyhandicapées, par leurs comportements, leurs réactions, etc. nous interrogent sur ce qui constitue notre humanité. Surtout, elles nous obligent à nous questionner et à trouver des ressources pour répondre en théorie et en pratique à cette question. Cela nous incite à renouveler nos conceptions de l’être humain de manière à les inclure socialement. Finalement, elles humanisent ceux qui ainsi se soucient d’elles, en prennent soin, les font grandir. Leur humanité réside sans aucun doute dans cette capacité qu’elles possèdent toutes, de manière indéniable.

Le polyhandicap

Notion de polyhandicap, mise en perspective historique et internationale

Le terme « polyhandicap » qui n’a pas de réel équivalent dans la littérature internationale, est un terme francophone utilisé dans différents pays européens (France, Belgique, Italie et Suisse) mais aussi dans certains pays d’Afrique du nord et au Canada. Dans la littérature internationale anglophone, d’autres termes existent et sont utilisés de manière variable selon les pays et leur langue nationale : Profound Intellectual and Multiple Disabilities (PIMD) ou PIMD Spectrum (personnes qui associent des déficiences intellectuelle et motrice sévères et d’autres déficiences associées variées, constituant un tableau clinique souvent difficile à évaluer), Severe Neurological Impairment (SNI), Profound Multiple Disabilities (PMD), developmental disabilities, Severe Motor and Intellectual Disabilities Syndrome (SMID). La notion de polyhandicap est plus précise que celles-ci, parce qu’elle met l’accent sur le rôle de la lésion cérébrale intervenant sur un cerveau en voie de développement. En effet, cette lésion précoce explique l’évolutivité et l’intrication des déficiences. Elle explique la spécificité du tableau clinique et fonctionnel présenté par les personnes polyhandicapées. L’anomalie du développement cérébral des personnes polyhandicapées est en effet associée à : i) la complexité des interactions maturatives ; ii) la spécificité des modes de développement des capacités auxquels elles seront réceptives ; et iii) la singularité de leur expérience et de leur personnalité.
L’émergence du concept de polyhandicap en France est le fruit d’une cinquantaine d’années de maturation. Le terme polyhandicap apparaît dans les années 1960, pour remplacer celui d’« arriérés profonds » auparavant utilisé afin de désigner des enfants considérés comme ayant un quotient intellectuel (QI) de moins de 30 et atteints de troubles associés. Ces enfants n’étaient ni éduqués, ni soignés, mais relégués pour un simple hébergement en hôpital psychiatrique ou laissés sans prise en charge ni aide dans leur famille. Dans les années 1970-1980, des associations et des professionnels se mobilisent et organisent des soins pour ces enfants. Ils utilisent le terme polyhandicap en référence à la multiplicité des déficiences qui affectent ces enfants. L’enjeu est alors double : i) organiser une prise en charge médico-éducative adaptée pour ces enfants ; ii) mieux caractériser leurs déficiences et incapacités.
Progressivement, en France, à travers un certain nombre de débats, la définition du polyhandicap évolue. Plusieurs groupes d’acteurs s’y intéressent. Ils opèrent d’une part un travail de description clinique (relatif aux tableaux cliniques du polyhandicap) et d’autre part un travail de catégorisations administrative et politique, en lien avec l’organisation du secteur médico-social et le développement d’une prise en charge adaptée pour les personnes polyhandicapées. On peut identifier trois périodes dans cette évolution de la définition du terme « polyhandicap » :
• 1970-1989 : des premières définitions soulignent la complexité et l’intrication des déficits dans le polyhandicap, et la restriction importante de l’autonomie. En 1989, une première définition officielle est publiée dans les annexes XXIV1  ;
• 1990-2017 : des groupes de travail précisent la définition clinique et médico-sociale du polyhandicap. Certains experts insistent sur la déficience cognitive (groupe CTNERHI : Centre Technique National d’Études et de Recherches sur les Handicaps et les Inadaptations), et d’autres (le GPF : Groupe Polyhandicap France) sur le rôle de la précocité de la lésion cérébrale et sur le caractère évolutif et spécifique du polyhandicap. Dans le champ médical, des tentatives sont faites pour préciser le polyhandicap en le distinguant d’autres entités cliniques comme la paralysie cérébrale. En 2017, un décret publie une nouvelle définition du polyhandicap s’appuyant sur ces éléments ;
• 2020-2022 : une convergence émerge entre les différents acteurs, autour d’une définition clinique du polyhandicap, qui associe une description du processus de la survenue du polyhandicap et une description fonctionnelle du polyhandicap.
En effet, actuellement, 4 définitions du polyhandicap coexistent : i) celle du GPF (de 2002) ; ii) ; celle du décret de 2017 ; iii) celle de la Haute Autorité de santé (de 2020) ; et iv) celle du Protocole National de Diagnostic et de Soins (PNDS de 2020). Elles n’utilisent pas exactement les mêmes formulations, néanmoins elles convergent vers un socle commun. Toutes considèrent que le polyhandicap est une entité syndromique référant aux conséquences définitives d’un désordre, d’une anomalie ou d’une lésion survenue sur un cerveau en développement ou immature, dont les étiologies sont variées, progressives ou non, connues ou inconnues. Au niveau fonctionnel, le polyhandicap associe une déficience mentale évaluée comme sévère à profonde et une déficience motrice évaluée comme sévère. L’association de ces déficiences, qui interagissent entre elles et interfèrent avec le développement normal du cerveau, engendrent une restriction extrême constatée des activités de communication et de relations ordinaires, ainsi qu’une réduction extrême de l’autonomie et de la mobilité. Ce tableau associe, le plus souvent, de nombreuses comorbidités (épilepsies, problèmes respiratoires, orthopédiques, digestifs, etc.), des déficiences sensorielles (auditives, visuelles, etc.), des troubles du comportement et relationnels, l’ensemble de ces difficultés ou troubles s’aggravant avec l’avancée en âge du sujet (sur-handicaps). En lien avec ces difficultés, les personnes polyhandicapées nécessitent un accompagnement adapté et global tout au long de leur vie, associant soins génériques et spécifiques, éducation, communication et socialisation.
Ce socle commun des définitions actuelles a été utilisé par le groupe d’experts pour définir le périmètre de l’expertise collective. Il est néanmoins essentiel d’insister sur le fait que cette définition est liée à l’état de nos connaissances et aux limites de nos moyens actuels d’évaluation des capacités des personnes. L’évolution des définitions du polyhandicap dans l’histoire nous impose une certaine prudence quant à notre définition actuelle. L’évaluation du QI de personnes non verbales avec une très faible motricité reste par exemple un sujet de discussion et représente un enjeu éthique considérable concernant la reconnaissance des capacités de ces personnes. Ainsi, le recours à une définition du polyhandicap est important car il permet la reconnaissance de la personne et conduit à s’y intéresser, mais ce recours doit être associé à une vigilance éthique et pratique pour prévenir tout dogmatisme.

Épidémiologie

Une approche épidémiologique en population générale est nécessaire pour repérer les cas de polyhandicap, décrire l’évolution de sa prévalence et les principales caractéristiques des personnes concernées, ceci de façon non biaisée. Cette approche repose donc sur des registres de population ou sur des enquêtes ad hoc transversales ou des cohortes réalisées dans des zones géographiques bien définies et pour lesquelles le nombre d’habitants y est connu.
À l’heure actuelle, il existe deux registres des handicaps de l’enfant qui incluent entre autres les enfants avec polyhandicap à l’âge de 7 ans : le Registre des Handicaps de l’Enfant et Observatoire Périnatal (RHEOP) qui couvre les départements de l’Isère, de la Savoie et de la Haute-Savoie, et le Registre des Handicaps de l’Enfant de la Haute-Garonne (RHE31) qui couvre le département de la Haute-Garonne. Ces registres collectent en continu des données sur les enfants ayant un handicap sévère, ceci depuis la génération née en 1980 pour le RHEOP et depuis la génération née en 1986 pour le RHE31.
D’autres études transversales ad hoc ont été réalisées dans d’autres départements mais elles sont plus anciennes et ont inclus des enfants nés dans les années 1970 et 1980.
De ces différentes études, on estime en France un taux de prévalence du polyhandicap à 1/1 000 pour les générations nées dans les années 1970, qui baisserait autour de 0,3-0,5/1 000 pour les générations nées dans les années 2000, faisant entrer le polyhandicap dans le champ des maladies rares. Cependant, pour les générations les plus récentes, le taux de prévalence disponible est issu d’un seul registre ayant publié ce chiffre dans son rapport et il est donc nécessaire de confirmer ce résultat.
Les études épidémiologiques sont beaucoup plus nombreuses pour la paralysie cérébrale. La paralysie cérébrale2 est étroitement liée au polyhandicap et il est estimé que 2/3 des formes cliniques du polyhandicap s’apparentent à une paralysie cérébrale. Les évolutions de la prévalence de la paralysie cérébrale peuvent être indicatrices de ce qui se passe pour le polyhandicap, notamment lorsqu’il est possible de repérer les données sur les formes sévères de paralysie cérébrale dans les études. En s’appuyant sur les données des registres et des études internationales sur la paralysie cérébrale, qui objectivent une diminution du taux de prévalence des paralysies cérébrales de forme sévère, on peut émettre l’hypothèse que la prévalence du polyhandicap a suivi la même tendance. Ceci est en adéquation avec les chiffres du RHEOP.
La plupart des études sur le taux de survie des personnes en situation de polyhandicap ont été réalisées à l’étranger et les critères d’inclusion ne correspondent pas tout à fait à la définition française du polyhandicap. Cependant, il est possible d’extrapoler à partir des données publiées lorsque ces études sont suffisamment détaillées quant à la sévérité des déficiences. Il en ressort que le taux de survie des personnes avec polyhandicap est d’autant plus bas que les déficiences motrices et intellectuelles sont sévères et accompagnées d’autres déficiences ou pathologies. Sur les chiffres publiés, une personne sur 3 voire sur 2 ne survivait pas au-delà de 30 ans, et il n’a pas été montré d’amélioration du taux de survie pour les générations 1960-2000. Les facteurs indépendamment associés à un risque accru de mortalité étaient la sévérité de la déficience motrice, la sévérité du trouble du développement intellectuel, l’incapacité à manger par voie orale, l’épilepsie, la présence d’une déficience visuelle ou auditive et l’incontinence.
Les causes immédiates de décès les plus fréquentes sont pulmonaires et cardiovasculaires.
Enfin, il est important de souligner qu’il existe une cohorte française de personnes polyhandicapées : la cohorte nationale Eval-PLH (Evaluation Polyhandicap) qui inclut des enfants et des adultes correspondant à la définition du polyhandicap. Les données issues de cette cohorte sont en cours de publication. Elles permettront, entre autres, d’évaluer le taux de mortalité et les causes de décès des personnes polyhandicapées.

Physiopathologie, étiologies et impact de la précocité de l’événement causal

Le polyhandicap est un trouble grave du neurodéveloppement, lié à un événement causal qui survient à un stade précoce du développement cérébral, anté-, péri- ou postnatal. Les causes péri- et postnatales précoces sont par définition des causes acquises ; les causes anténatales sont soit acquises, soit congénitales, c’est-à-dire génétiques.
Les causes de perturbation précoce du développement peuvent être séparées en plusieurs groupes :
• les causes anténatales constitutionnelles : anomalies de l’organisation du système nerveux central (fermeture du tube neural, anomalie de la segmentation), qui sont des anomalies de développement de l’embryon ; altérations des propriétés de prolifération ou de mort des cellules ; anomalies de la migration cellulaire, anomalies de la différenciation neuronale, qui sont des anomalies de l’organisation cellulaire du cortex ; et enfin, neuro-dégénération à début précoce ;
• les causes anténatales acquises, en particulier vasculaires, infectieuses et toxiques ;
• les causes périnatales, très largement dominées par les asphyxies causant des encéphalopathies anoxo-ischémiques ;
• les causes postnatales précoces : infectieuses, traumatiques accidentelles et non accidentelles, vasculaires, domestiques, iatrogènes, toxiques, démences, etc.
Les étiologies accidentelles de polyhandicap ne sont pas exceptionnelles. Ce sont des polyhandicaps avec des séquelles neurologiques de noyade ou de syndrome du bébé secoué. Ils sont souvent gravissimes et l’enfant qui en a été victime garde des lésions cérébrales majeures. En effet, l’enfant peut survivre à l’accident avec un polyhandicap souvent très sévère pendant de très nombreuses années.
Le point commun à tous ces événements est qu’ils surviennent de manière précoce, avant l’âge de 2 ans (à l’exception des causes accidentelles). Le développement du cerveau étant un processus rythmé par des phases chronologiques interdépendantes, il paraît évident qu’une modification du processus normal de développement aura des conséquences d’autant plus importantes qu’elle est précoce. C’est la notion de vulnérabilité du cerveau en développement. Cette notion est cependant nuancée par le fait qu’à lésion cérébrale de taille équivalente, la récupération de la fonction altérée est d’autant plus importante que l’âge de survenue est précoce (principe de Kennard). Ces notions d’apparence paradoxales de vulnérabilité versus plasticité sont une réalité prise en compte par les médecins. Devant une lésion de diagnostic prénatal, péri- ou postnatal, il est important de considérer à la fois les capacités d’adaptation et de réparation du cerveau et sa vulnérabilité afin d’établir un pronostic. L’impact négatif de la précocité de la lésion a été démontré dans les traumatismes crâniens sévères, dans les lésions d’origines vasculaires unilatérales, et dans l’épilepsie. La recherche clinique sur l’encéphalopathie du prématuré a également montré que, parce qu’elles surviennent tôt, les lésions induites par l’ischémie ont des conséquences qui vont bien au-delà du dysfonctionnement de la seule structure du cerveau qui a été touchée.
La recherche fondamentale donne également des arguments allant dans le sens d’une sévérité particulière pour des événements altérant précocement la dynamique développementale. En effet, chez l’Homme, les grands processus développementaux sont bien plus prolongés que chez les autres mammifères et même les autres primates, mais les étapes qui vont préparer le cerveau à fonctionner ont lieu avant l’âge de 2 ans : prolifération neuronale, migration cellulaire, pic de synaptogenèse (construction du réseau de communication entre les neurones). De plus, le cerveau en développement utilise des structures temporaires qui jouent un rôle fondamental dans l’organisation finale du cortex. C’est le cas de la sous-plaque corticale, dont le dysfonctionnement au second trimestre in utero a des conséquences tout au long de la vie via l’altération de l’organisation structurelle du cortex cérébral. Enfin, le cerveau se développe en s’appuyant sur l’existant, mais aussi en utilisant des structures pour plusieurs rôles différents. Toute lésion précoce d’une structure aura des conséquences bien plus diverses que si elle survient tardivement.

Autre cause de polyhandicap : le cas particulier des démences

Les démences sont des maladies neurologiques dues à une dégénérescence organique du cerveau. Ces maladies dégénératives du système nerveux entraînent une dégradation progressive des compétences intellectuelles (la démence) et des autres fonctions neurologiques jusqu’au décès. Des troubles psychiatriques souvent sévères et transitoires peuvent survenir à certains stades de l’évolution de la maladie. Lorsqu’elles débutent dans l’enfance, elles peuvent conduire à un polyhandicap ; elles constituent des causes non exceptionnelles de polyhandicap.
Les démences de l’enfant correspondent à un processus qui débute dès la vie fœtale ou la petite enfance. Selon l’étiologie, les manifestations cliniques de la dégénérescence cérébrale apparaissent plus ou moins tôt dans la vie de l’enfant. Ce sont des symptômes qui s’aggravent avec le temps, culminant souvent à un stade de polyhandicap sévère associé à une espérance de vie de quelques mois à plusieurs années. Les interactions entre le processus pathogène et les lésions qu’il induit d’une part, et la maturation physiologique du système nerveux d’autre part, entraînent les mêmes conséquences que celles des autres étiologies de polyhandicap. Ainsi, la physiopathologie de ces maladies dégénératives du système nerveux du fœtus et du jeune enfant est la même que celle des polyhandicaps issus d’une autre cause. Ces démences particulières sont de ce fait incluses dans les causes de polyhandicap.
Les étiologies des démences de l’enfant sont nombreuses ; elles peuvent être d’origine infectieuse ou génétique. S’agissant des démences infantiles d’origine infectieuse, le syndrome d’immunodéficience acquise (SIDA) congénital, par transmission materno-fœtale, peut entraîner une démence chez l’enfant avec un polyhandicap parfois prolongé avant la phase terminale. La pan-encéphalite sclérosante subaiguë (PESS) résulte de la complication tardive d’une rougeole précoce. La PESS est une démence qui survient plusieurs années après une rougeole contractée pendant la petite enfance et aboutit au décès avec souvent une phase de polyhandicap sévère qui peut s’étendre sur plusieurs années. La maladie de Creutzfeldt-Jakob a pu atteindre des enfants dans des circonstances particulières : iatrogènes (hormone de croissance d’origine humaine), ou alimentaire par ingestion de viande de bovins (maladie de la vache folle). Chez l’enfant, après une démence rapide de 6 ou 10 mois, elle entraîne un polyhandicap sévère qui dure parfois plusieurs années. S’agissant des démences infantiles d’origine génétique, du fait de leur physiopathologie, certaines maladies génétiques à début précoce entraînent une démence de l’enfant évoluant vers un polyhandicap et un décès dans des délais variables. Il peut s’agir de maladies génétiques transmises (récessives, mitochondriales) ou survenues de novo (dominantes).

Génétique

Les avancées en médecine génomique, notamment le séquençage à haut débit, ont permis de mieux comprendre les causes génétiques des anomalies du développement et des troubles du neurodéveloppement. Grâce à ces techniques, de très nombreux gènes ont été identifiés responsables d’anomalies du développement, représentant une multitude de maladies rares. Ainsi, une cause génétique est désormais identifiée chez 40 à 50 % des patients présentant un trouble du développement intellectuel. Concernant le polyhandicap, il n’existe pas d’étude génétique systématique dans une cohorte homogène de patients, ce qui ne permet pas l’évaluation précise du pourcentage de patients présentant un handicap d’étiologie génétique. En revanche, des études ont été réalisées sur des populations de patients présentant une « paralysie cérébrale », une « encéphalopathie épileptique », ou un « trouble du développement intellectuel sévère à profond », incluant en grande partie des patients polyhandicapés.
De nombreuses études rappellent l’intérêt du diagnostic étiologique génétique, à tous les âges de la vie, permettant d’améliorer la prise en soins, avec parfois un impact thérapeutique. L’importance de fournir un conseil génétique pour les parents (et apparentés) est également soulignée.
Le polyhandicap est caractérisé par une importante hétérogénéité génétique, avec plusieurs centaines de gènes impliqués, souvent associés à des manifestations cliniques variables. Les gènes spécifiques au polyhandicap sont rares. La majorité des anomalies génétiques retrouvées sont responsables d’un spectre clinique parfois large incluant un trouble du développement intellectuel, le polyhandicap représentant la forme la plus sévère de ce trouble du neurodéveloppement. Ainsi, le diagnostic génétique précoce ne permet pas toujours de prédire la sévérité du handicap, dont l’évaluation se fera de manière dynamique en fonction de la trajectoire développementale de l’enfant.
Les causes génétiques de polyhandicap comprennent des causes chromosomiques (liées à une anomalie de nombre, plus rarement de structure, d’un ou plusieurs chromosomes) et les causes géniques (liées à une variation ponctuelle d’un gène). Parmi les causes géniques, tous les modes de transmission sont rapportés (autosomique dominant de novo, dominant hérité d’un parent avec expressivité variable, autosomique récessif et lié au chromosome X, hérédité mitochondriale).
La démarche diagnostique étiologique inclut la personne polyhandicapée et ses parents. Avant d’envisager toute analyse génétique, il est essentiel de procéder à une évaluation clinique approfondie incluant en particulier les données de l’histoire prénatale, périnatale et développementale, les signes associés, l’examen clinique, les données biologiques et d’imagerie. En l’absence de cause acquise confirmée, des analyses génétiques sont indiquées. Plusieurs critères tels que l’absence de facteur de risque périnatal, la présence de plusieurs membres atteints dans la famille, une trajectoire évolutive progressive, des anomalies congénitales, une imagerie par résonance magnétique (IRM) cérébrale normale, des anomalies biochimiques/métaboliques ou une inadéquation entre les données périnatales, l’IRM cérébrale et le phénotype moteur/sévérité, justifient formellement une analyse génétique.
Aujourd’hui, du fait de l’hétérogénéité génétique, une analyse chromosomique sur puce à acide désoxyribonucléique (ADN), couplée à un séquençage d’exome ou à un séquençage complet de génome, peuvent être envisagés en première intention. Le Plan France Médecine Génomique (PFMG 2025) vise à rendre le séquençage de génome accessible à l’ensemble du territoire français, couvrant diverses indications telles que le trouble du développement intellectuel, les malformations cérébrales, les épilepsies pharmaco-résistantes, et d’autres pathologies.
Il est souligné que l’interprétation des résultats génétiques peut être complexe et que la collaboration entre cliniciens et biologistes est essentielle. De plus, l’absence de diagnostic génétique ne permet pas d’exclure une cause génétique inconnue ou non détectable par les techniques actuelles.
Devant le tableau de polyhandicap, certaines familles questionnent la communauté médicale pour savoir comment faire pour guérir de la maladie causale ou du moins comment « réparer » le cerveau et/ou le génome (si la maladie causale est d’origine génétique) afin que leur enfant puisse retrouver un fonctionnement optimal.
Actuellement, il n’existe pas de protocole uniforme de thérapie génique ni de traitement par cellules souches, même si quelques études existent. Des études précliniques et cliniques évaluant la sécurité/toxicité (safety) et l’efficience de telles thérapies sont nécessaires.
Des recherches de grande ampleur sur les traitements géniques et par cellules souches pour les sujets polyhandicapés enfants et adultes doivent être favorisées et déployées. Cependant, le caractère hétérogène des étiologies du polyhandicap et la variabilité des différents tableaux cliniques rendent la constitution de cohortes de grande ampleur difficile voire infaisable, empêchant alors une recherche clinique de qualité.

Diagnostic prénatal

Le diagnostic prénatal s’est considérablement développé ces dernières années grâce aux avancées de la médecine génomique et de l’imagerie fœtale. En cours de grossesse, lorsqu’une anomalie cérébrale est dépistée chez le fœtus, la question du pronostic fœtal se pose, et la possibilité d’un polyhandicap peut être envisagée dans certaines situations.
La découverte d’une anomalie fœtale est source d’angoisse et de détresse pour les couples. En France, en cas d’« affection d’une particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic » chez le fœtus, c’est la mère qui décide de poursuivre ou d’interrompre sa grossesse, et ce quel que soit le terme de la grossesse. Cette décision portée par la mère est terriblement difficile et les parents demandent souvent ce que pourrait être la bonne décision. La réponse n’existe pas, ou plus précisément elle appartient au couple, et en dernier ressort à la future mère. Cependant, le médecin peut et doit accompagner les parents dans leur réflexion, en lien avec une équipe pluridisciplinaire.
Le diagnostic prénatal comprend deux situations principales : le diagnostic prénatal ciblé, qui vise à identifier chez le fœtus une maladie génétique déjà connue dans la famille, et le diagnostic lié à la détection de malformations fœtales pendant les échographies de dépistage.
Dans le premier cas, lorsque la maladie génétique est déjà identifiée dans la famille, une équipe spécialisée prend en charge le couple pour évaluer le risque de récurrence pour la grossesse en cours. En cas de variation génétique connue chez le cas index polyhandicapé, et en cas de risque avéré pour la descendance du couple, celui-ci pourra recourir à un prélèvement invasif en cours de grossesse pour rechercher la variation génétique causale chez le fœtus et déterminer s’il est atteint de la même maladie. Si la récidive d’une « affection d’une particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic » est confirmée, le couple pourra demander une interruption médicale de la grossesse.
Dans le second cas, si des anomalies sont détectées lors des échographies, une équipe multidisciplinaire évalue le pronostic fœtal en intégrant particulièrement les données d’imagerie et génétiques. Pour certaines malformations sévères, le pronostic peut être établi dès l’imagerie, indépendamment des résultats génétiques. Pour d’autres malformations à pronostic incertain, telles que les anomalies du corps calleux, l’analyse génétique peut aider à mieux définir le pronostic fœtal. Cependant, l’interprétation des variations génétiques en prénatal est complexe et peut conduire à des incertitudes diagnostiques.
Ainsi, les progrès technologiques en médecine génomique et de l’imagerie fœtale offrent des perspectives encourageantes, mais la prise en compte des aspects éthiques et des conséquences pour les familles reste primordiale dans ces situations délicates.
L’évaluation prédictive de la probabilité de polyhandicap se pose également dans le cas particulier de la détresse vitale néonatale. En France, lorsqu’il existe des marqueurs prévisionnels d’un possible ou probable polyhandicap ultérieur, la décision de poursuivre la réanimation ou de limiter les traitements se prend en collégialité après avoir recueilli l’avis des parents et en les accompagnant de façon adaptée à la situation.

Clinique et prise en soins du polyhandicap

Troubles associés au polyhandicap : notions de comorbidité
et multi-morbidité

En préambule de cette partie sur la clinique et la prise en soins du polyhandicap, il est important d’expliquer pourquoi nous avons décidé d’utiliser le terme de « troubles associés au polyhandicap », en particulier pour les parties abordant les aspects médicaux de l’accompagnement des personnes polyhandicapées. Quand ces troubles sont liés à la situation de polyhandicap, peut-on en effet parler de « comorbidité » ? Plus précisément qu’entend-on par le terme de comorbidité ? Ce terme est défini par la coexistence simultanée de deux affections chez un même sujet, avec souvent la notion d’une affection initiale à laquelle se surajoute(nt) la ou les autres affections. Cependant, il peut être difficile de déterminer l’affection initiale quand les atteintes surviennent simultanément et le risque est alors de considérer l’affection supplémentaire comme nécessairement une complication. Ainsi le terme de multi-morbidité permet d’évoquer ces co-affections sans nécessairement impliquer de lien de causalité entre elles. Ce terme de multi-morbidité trouve notamment son intérêt s’agissant des soins primaires, des symptômes à prendre en soins, et il est alors intéressant de prendre en compte la temporalité de la survenue des co-affections dans leur prise en soins : survenue simultanée, successive et ordre de la succession des affections. Quand nous parlons de comorbidité, nous faisons également référence à la notion de complexité de la prise en soins liée à la pathologie causale et son impact fonctionnel sur la personne en termes de limitation d’activité et de restriction de participation sociale.
Ainsi parler de « troubles associés au polyhandicap » pourra, au cours de notre développement, référer à : des comorbidités (quand un symptôme est directement relié à un autre par un lien de causalité, dans un intervalle de temps défini) ; des multi-morbidités (s’agissant de plusieurs symptômes dont le lien de causalité ne peut être établi), avec un impact en termes de complexité de prise en charge de la pathologie causale (s’agissant notamment soit de la charge en soins liée aux symptômes soit du retentissement en termes de mortalité) et inscrivant le polyhandicap dans le cadre des pathologies chroniques et complexes où l’environnement dont la famille et les aidants tient une place prépondérante.

Troubles de la motricité et autres comorbidités motrices

Les troubles moteurs appartiennent à l’entité même du tableau clinique de polyhandicap. À ce titre, la motricité de la personne polyhandicapée, à toutes les périodes de sa vie, mérite une attention particulière dans la prise en soins de réadaptation afin de compenser les déficits moteurs primaires (pour augmenter la fonction motrice), d’éviter les déficits secondaires inhérents et de favoriser les actes moteurs (préhension, déplacement…).
Dans le cadre du polyhandicap, les difficultés motrices peuvent être multifactorielles : défaut de posture et/ou déficit moteur et/ou perte de sélectivité du mouvement et/ou hypertonie musculaire (spasticité) et/ou déformation neuro-orthopédique. L’enfant grandissant avec ces déficits moteurs sévères (immobilité relative), en l’absence relative de pesanteur, peut développer des déficits secondaires tels que des déformations neuro-orthopédiques (scoliose, luxations de hanches, douleurs…) pénalisant plus encore la motricité et la qualité de vie de l’enfant et du futur adulte polyhandicapé.
Les interventions motrices doivent avoir pour objectifs de favoriser la motricité volontaire tout en évitant l’immobilité, et de prévenir les déficits secondaires. Les thérapies motrices pourraient ainsi se décliner pour diminuer les déficits moteurs primaires, en interventions favorisant la rééducation des déficits moteurs primaires (déficit musculaire, spasticité…) par un apprentissage moteur. Un autre niveau serait la prévention de la survenue des déficits secondaires (rétraction musculaire, déformation squelettique, douleurs, limitations d’amplitudes articulaires…). Enfin, un dernier niveau représenterait celui d’interventions directes sur les activités motrices (déplacements, actes de la vie quotidienne…) via des adaptations, des aides techniques et autres innovations technologiques.
Les programmes de thérapie motrice peuvent être définis comme des programmes qui comportent des stratégies ou actions visant à favoriser, faciliter, l’engagement actif des participants dans des actes moteurs (motor activation). Toutefois, ces actions sont trop rarement proposées aux personnes polyhandicapées (par exemple encourager quelqu’un à jouer avec un mobile, manipuler des objets…). Lorsque des activités motrices sont proposées, ce sont plutôt des activités dites passives (sans participation de la personne dans une motricité active) comme des stimulations multi-sensorielles ou des massages. Aussi, les activités d’engagement moteur sont peu intégrées dans le quotidien des personnes avec polyhandicap, et les activités de loisirs sont surtout passives, comme regarder la télévision ou écouter de la musique.
Les interventions motrices doivent prendre en compte que le déficit moteur primaire n’est pas uniquement travaillé per se, mais bien dans des activités motrices plus globales (manipulation par exemple) avec des objectifs bien précis et intégrés dans le quotidien de la personne. La rééducation motrice de la personne polyhandicapée doit intégrer la motricité dans tous ses aspects (du déficit à l’activité) et dans le programme quotidien de la personne.
Les éléments qui semblent pertinents pour permettre une amélioration de la fonction motrice (en lien avec l’apprentissage moteur) sont : i) une adaptation des outils aux capacités réelles de chaque individu, notamment une adaptation des outils technologiques (nécessitant donc une expertise technologique) ; ii) la présence de rétrocontrôle permanent lors de l’action, impliquant que ce feedback soit donné par un outil technologique ou par le thérapeute ; iii) la présence en permanence lors de l’acte moteur d’un ou deux thérapeutes pour favoriser le geste ; iv) l’expertise du thérapeute par rapport aux principes de la rééducation motrice (et apprentissage moteur) ; et v) l’engagement actif de l’individu polyhandicapé.
Les conditions de « succès » de la thérapie motrice semblent être en lien avec la motivation du thérapeute à engager l’individu dans la tâche motrice mais aussi avec la motivation et la capacité d’engagement de l’individu polyhandicapé dans la tâche, le plaisir qu’il a à faire l’action (gratification de l’action), son endurance, sa capacité à comprendre (notamment les liens de causalités motrices) et sa capacité à maintenir son attention. Les programmes d’interventions motrices doivent être pensés, conçus, sur les principes d’apprentissages moteurs et via les adaptations technologiques existantes et/ou à développer spécifiquement pour le polyhandicap, par des équipes de cliniciens mais aussi d’ingénieurs. À partir de l’analyse de la littérature, il est possible de conclure à l’inefficience (dans le but de l’amélioration de la fonction motrice) de certaines interventions comme les thérapies neurodéveloppementales (celles du type Bobath, Wojta, Padovan ou autres thérapies conductives…) ou les thérapies de type oxygénothérapie hyperbare.
Pour proposer de telles interventions, chaque individu doit pouvoir bénéficier d’une évaluation individuelle, régulière, par des équipes expertes dans la rééducation motrice mais aussi ayant une expertise en technologie.
La présence de déficit moteur primaire (faiblesse musculaire, spasticité, dyskinésie…) et l’absence de locomotion, voire de position assise indépendante (limitations d’activité motrice), et ce très tôt dans la vie de l’enfant, entraînent, en lien avec la croissance musculo-squelettique, de potentielles déformations neuro-orthopédiques (déficits secondaires) pouvant pénaliser les activités motrices de l’individu, voire dégrader sa qualité de vie. Aussi, la prévention de ces déficits secondaires est depuis très longtemps une clé de voûte de la prise en soins des personnes polyhandicapées.
La scoliose (déformation du rachis dans les 3 plans de l’espace) et les pathologies de hanches sont très fréquemment décrites voire semblent être constamment associées à la personne polyhandicapée. Plus un individu présente un polyhandicap sévère, plus celui-ci risque d’être peu mobilisé, peu « verticalisé » et a donc un plus fort risque de déformations orthopédiques à différents niveaux, liées à la croissance et à l’absence de pesanteur relative (défaut de verticalisation dans le champ de gravité). La présence de ces déformations orthopédiques complique le positionnement confortable des individus polyhandicapés, qu’ils soient enfants ou adultes.
Devant ces déformations orthopédiques importantes quasi inhérentes au polyhandicap, la mise en place d’appareillages dans la pratique clinique est recommandée. Un programme de verticalisation via l’utilisation de support adapté (standing, verticalisateur sur mesure…) semble relativement efficace pour permettre une meilleure densité osseuse (et prévenir l’ostéopénie), permettre un maintien des amplitudes articulaires (hanches, genoux, chevilles) et une diminution de la spasticité. Installer les personnes polyhandicapées dans ce type d’appareillage nécessite par ailleurs des moyens humains importants. Ce type de programme de verticalisation est indispensable chez les personnes polyhandicapées à partir de l’âge où l’enfant devrait théoriquement être capable de se tenir debout.
Il est d’usage de mettre en place des postures des différentes articulations pour entraîner un étirement passif et ainsi éviter/prévenir des rétractions tendineuses et articulaires et les déformations osseuses. Toutefois, il existe des interrogations sur le réel bénéfice et la pertinence des installations et postures, notamment celles portées nuit et jour. Des études spécifiques sur ces questions sont nécessaires. Dans l’attente de ces réponses, notamment quant aux mesures de prévention des déformations de hanches, la promotion des installations confortables et non préjudiciables à la qualité de vie et à la fonction en position couchée et assise, semble pertinente. De même, l’encouragement de proposer la verticalisation avec 10 à 15° maximum d’abduction de hanche (par hanche, soit 20-30° maximum au total) au moins une heure par jour semble également pertinent. Des études cliniques sont nécessaires pour affiner ces éléments de prévention.
De plus, il convient de s’assurer que l’enfant a les équipements nécessaires pour permettre les postures tout en garantissant la réalisation d’activités en lien avec son âge. Dans ce sens, il faut absolument éviter que l’enfant polyhandicapé soit plus de 8 heures dans une même position, même dans un support adapté. Ceci est valable également pendant le sommeil, ce qui implique la nécessaire présence d’aides humaines disponibles à ce moment pour les mobiliser.
En lien avec l’immobilité prolongée, la personne polyhandicapée peut présenter, au-delà des déficits secondaires décrits ci-dessus et en lien avec l’appareil locomoteur et la motricité, une ostéoporose (ostéopénie) et une désadaptation majeure à l’effort par effet de la sédentarité. Ces facteurs individuels de comorbidité constituent alors un obstacle à la situation fonctionnelle motrice de l’individu.
Chez les personnes polyhandicapées, il existe pour certains une quasi absence d’activité physique liée aux difficultés motrices sévères, ce qui souligne la dépendance des personnes polyhandicapées à une tierce personne pour les mobilisations et la réalisation d’activité physique, même minime.
L’activité physique, la rééducation motrice et les aides à la mobilité sont l’affaire de tous dans tous les lieux de vie de la personne. Ces éléments doivent être intégrés au quotidien, et nécessitent que chacun (professionnel et personnes polyhandicapées) soit motivé. Les professionnels et aidants doivent être conscients et convaincus que la personne peut faire des acquisitions motrices et que toute acquisition a son importance, même les plus minimes.

Troubles psychiatriques, psychologie et psychopathologie

Les déficiences mentales, évaluées comme sévères à profondes, appartiennent également à l’entité même du tableau clinique de polyhandicap.
Lorsque les premières manifestations d’interactions entre l’entourage proche et l’enfant sont inhabituelles, l’observation de la cinétique des différentes acquisitions psychomotrices est une bonne façon d’appréhender ses compétences. Le futur enfant polyhandicapé a souvent des acquisitions qui n’apparaissent pas aux âges attendus, ce qui le maintient dans son état de dépendance initiale. Dans ce contexte, lorsque l’interaction avec les proches ne comporte pas de retour de la part de la personne polyhandicapée, il n’y a jamais de certitude possible de savoir que l’on fait bien. Ces difficultés persistent avec la personne polyhandicapée devenue adulte avec laquelle la communication n’est possible que par une empathie nécessaire pour que la rencontre devienne réciproque.

Apports de la psychologie et de la psychopathologie

La personne polyhandicapée présente un fonctionnement émotionnel social correspondant à un âge inférieur à son âge réel. Ce décalage est retrouvé pour tous les domaines : mobilisation de son corps, gestion des émotions avec les proches, image de soi dans l’environnement, changements d’environnement, angoisses, interactions avec les pairs ou avec les objets, communication, contrôle des émotions. La cellule familiale permet des interactions plus souples entre l’enfant polyhandicapé et sa fratrie.
Les observations attentives permettent de repérer les angoisses archaïques qui perdurent chez les personnes polyhandicapées. Certaines précautions peuvent les limiter, comme par exemple la façon de leur parler, la limitation des postures d’équilibre instables lors du portage ou des installations inconfortables. Certaines méthodes par exemple ont montré l’intérêt du balancement dans un lit balançoire sur les réponses automatiques et émotionnelles et sur le tonus musculaire. De plus, il est important de favoriser les interactions entre personnes polyhandicapées et une certaine intégration dans des structures ordinaires car certaines compétences stimulées dans la petite enfance permettent d’améliorer leur socialisation et leur communication à long terme.
Les troubles du comportement sont fréquents chez la personne polyhandicapée comme les stéréotypies (comportements répétés, sans significations apparentes), le bruxisme (faire grincer ses dents et serrer les dents), une attitude de repli, la passivité, l’isolement social et les manifestations d’auto-agressivité. La qualité de l’environnement permet une augmentation du bien-être des personnes polyhandicapées, et une amélioration de la vigilance et des interactions au sein de l’équipe soignante. Différentes méthodes sont proposées pour diminuer ces troubles du comportement mais ne sont pas validées pour le polyhandicap. Leur usage doit s’accompagner d’évaluations cliniques régulières pour chaque patient. Aujourd’hui, seule la méthode Snoezelen3 a été évaluée de façon satisfaisante et paraît apporter un effet bénéfique.
Parmi les troubles du comportement, les comportements difficiles chez l’enfant ou l’adulte polyhandicapés sont le plus souvent réactionnels à la situation particulière de la personne et ne sont pas des troubles psychiatriques à proprement parler. Ils sont aussi parfois appelés comportements perturbateurs, mais cette appellation insiste sur la dimension négative de ces comportements sans évoquer clairement qu’ils sont induits par diverses perturbations subies par la personne polyhandicapée. Il s’agit d’auto-agressivité, de stéréotypies envahissantes, et parfois de dégradation de l’environnement, de blessures sérieuses ou d’autres dommages. Ils interfèrent avec les apprentissages. Des facteurs favorisants ont été identifiés, comme les troubles du sommeil ou les troubles de l’audition. Ils peuvent généralement être améliorés par un environnement adapté et apaisant. Les formations spécifiques des équipes sur la façon de gérer les troubles du comportement ont un très gros impact sur les comportements difficiles et sont aussi bénéfiques pour les soignants.

Les pathologies psychiatriques

Les pathologies psychiatriques sont rares chez la personne polyhandicapée. Les études disponibles portent sur la dépression ou sur les troubles du spectre autistique chez les enfants ayant une déficience mentale sévère ou profonde, et ne concernent pas spécifiquement le polyhandicap.

La dépression

Il n’y a pas de travaux portant spécifiquement sur la dépression chez les personnes polyhandicapées. Les seules études disponibles concernent les personnes ayant un trouble du développement intellectuel profond et non parlantes, pour qui les expressions faciales des émotions sont souvent difficiles à interpréter. Ces difficultés sont retrouvées dans l’interprétation des comportements difficiles en cas d’anxiété ou de douleur. Des recherches seraient nécessaires pour en savoir davantage sur la reconnaissance des émotions et des états intérieurs tant pour les expressions faciales que comportementales dans le polyhandicap. Les troubles dépressifs peuvent aussi s’accompagner de troubles du comportement, rendant complexe la distinction des manifestations dépressives.

Troubles autistiques

Les troubles du spectre autistique ont été recherchés dans une seule étude chez des enfants américains de 8 ans ayant une paralysie cérébrale et en population générale à cet âge. Bien que des troubles autistiques ont été révélés presque deux fois plus souvent chez les enfants avec une paralysie cérébrale, et plus encore, presque cinq fois plus pour les enfants hypotoniques, ces résultats ne sont pas extrapolables au polyhandicap.

Épilepsie

L’épilepsie est souvent une comorbidité du handicap initial, c’est-à-dire qu’elle vient compliquer une trajectoire développementale anormale, en lien avec la cause du polyhandicap (génétique ou acquise, pré- ou postnatale). Parfois, l’épilepsie est le premier symptôme du trouble du neurodéveloppement. Elle est donc un révélateur de la maladie neurologique développementale, d’origine génétique, malformative. En l’absence d’étiologie connue, il est important de renouveler les explorations, quelques années plus tard, compte tenu de l’avancée des progrès notamment dans le domaine de la génétique. Connaître la cause précise de l’épilepsie est bénéfique pour le patient et sa famille.
Alors que la prévalence de l’épilepsie au sein de la population générale est estimée entre 3 et 6/1 000, il s’agit d’une des comorbidités les plus fréquentes chez les patients polyhandicapés. Cette comorbidité constitue un véritable « sur-handicap », surtout en cas de pharmaco-résistance en raison des complications respiratoires ou traumatiques des crises, des complications liées aux traitements, des troubles du comportement surajoutés. Cela crée un risque accru de mortalité.
La sémiologie des crises observées est très variable en fonction de la situation clinique. L’analyse est rendue plus difficile, chez un enfant sans communication verbale, et au comportement moteur différent, qui peut en outre présenter de nombreuses manifestations paroxystiques non épileptiques. Une même personne peut présenter plusieurs types de crises, et la symptomatologie des crises peut évoluer avec l’âge. Mais généralement, l’entourage peut facilement identifier les différents types de crises et pour une même personne, le type de crise est stable sur des périodes de quelques années. Tout phénomène paroxystique n’est pas de nature épileptique, et le diagnostic différentiel peut être difficile à établir : apnées, manifestations végétatives en lien avec une douleur, syncope vagale, stéréotypies comportementales, mouvements oculaires anormaux, hémiplégie transitoire dans certaines affections génétiques, dyskinésies paroxystiques (mouvements involontaires anormaux qui se répètent de manière épisodique), accès de dystonie axiale (spasmes pathologiques des muscles du dos et du tronc entraînant une flexion, une inclinaison ou une extension incontrôlable du tronc), dystonie médicamenteuse (contractions musculaires involontaires suite à une prise médicamenteuse), exagération du facteur E ou facteur émotionnel (sursaut excessif déclenché par des stimulations), etc.
Les conséquences des crises sont variables. Dans la plupart des cas, les crises n’ont pas de conséquence autre que le désordre visible qu’elles occasionnent : fatigue, sensation de mal-être, modification transitoire et sans conséquence du rythme cardiaque, modification de la coloration des téguments, sueurs, agitation, etc. Les critères de sévérité des crises doivent être recherchés et guideront le traitement : cyanose prolongée, crises traumatisantes, crises mal tolérées sur le plan hémodynamique ou respiratoire, crises avec phase post-critique prolongée. Certaines crises peuvent avoir des conséquences graves : traumatismes crâniens ou orthopédiques (notamment en cas de crises atoniques ou toniques dans le cadre du syndrome de Lennox Gastaut), mort subite (particulièrement en cas de crises nocturnes et répétées), ou accidents domestiques (noyade dans le bain notamment). Les crises avec facteurs de gravité doivent être recherchées et ciblées par le traitement. Le traitement de ce type de crise est souvent une polythérapie.
Une exploration électro-encéphalographique (EEG) couplée à la vidéo doit être proposée devant toute épilepsie débutante et en cas de difficulté diagnostique. Les modalités de l’examen devront être adaptées au handicap de l’enfant : installation, pré-médication, préparation au domicile ou sur le lieu de vie.
De nombreux traitements antiépileptiques ont vu le jour à partir des années 1990, avec de nouveaux profils d’efficacité et de tolérance, une moindre toxicité biologique et moins d’interactions. Le traitement est adapté au type d’épilepsie et au diagnostic syndromique, selon des algorithmes définis récemment par la communauté neuro-pédiatrique et épileptologique internationale. Dans l’idéal, il doit également tenir compte de l’étiologie sous-jacente, et des profils somatique et comportemental du patient.
L’évaluation des effets secondaires est rendue complexe par la polypathologie et la polythérapie. Ils doivent cependant être connus, car leur expression peut être marquée : sédation et encombrement bronchique avec les benzodiazépines en particulier, mais possible avec quasiment tous les médicaments anti-crise, agitation et hétéro-agressivité avec le lévétiracétam, le pérampanel, anorexie avec le topiramate, prise pondérale avec le vigabatrine ou le valproate, constipation avec la carbamazépine ou l’oxcarbazépine.
Dans certaines situations d’épilepsie monofocale pharmaco-résistante, un traitement chirurgical peut être proposé avec cortectomie, voire une hémisphérotomie précoce si la malformation est étendue. L’indication doit être posée en centre tertiaire de chirurgie de l’épilepsie, après un bilan pré-chirurgical complet. L’existence d’un trouble du développement intellectuel préalable ne constitue pas une contre-indication à une approche chirurgicale si les autres conditions sont réunies.
D’autres traitements non conventionnels peuvent être proposés :
• le stimulateur du nerf vague, qui permet une diminution de la fréquence des crises dans près de 50 % des cas, mais qui est beaucoup plus rarement associé à un contrôle complet de l’épilepsie ;
• le régime cétogène, qui comporte une alimentation très pauvre en glucides et riche en lipides (60 à 80 % de l’apport calorique) et qui entraîne la synthèse durable de corps cétoniques par l’organisme. Ce régime permet une réduction significative de la fréquence des crises dans 30 % des cas.

Troubles respiratoires

Les troubles respiratoires sont la première cause de mortalité et la première cause d’hospitalisation en urgence dans la population polyhandicapée. Pour autant, des recherches sont à encourager sur un effectif suffisant de sujets polyhandicapés. L’objectif étant de préciser l’épidémiologie de ces troubles, que ce soit en termes de symptômes, de retentissement ou en termes de consommation de soins ou de sévérité.
Les mécanismes à l’origine de cette atteinte sont plurifactoriels :
• une atteinte de la dynamique respiratoire que ce soit en raison d’apnées centrales, d’une obstruction des voies aériennes supérieures, d’une toux inefficace, d’une faiblesse et une mauvaise coordination des muscles respiratoires ;
• une atteinte parenchymateuse pulmonaire en rapport avec des inhalations répétées (en lien avec la dysphagie, le reflux gastro-œsophagien, l’hypersalivation), des infections récurrentes, une hyperréactivité bronchique, un asthme ;
• un volume pulmonaire diminué notamment en rapport avec une cyphoscoliose ;
• des facteurs associés comme la présence d’une bronchodysplasie pulmonaire chez les anciens prématurés, un asthme, des traitements ayant un effet sur les sécrétions ou la dynamique ventilatoire (notamment les benzodiazépines).
L’évaluation de l’atteinte respiratoire est avant tout clinique, la participation lors des épreuves fonctionnelles respiratoires qui permettent d’apprécier au mieux la fonction respiratoire n’étant la plupart du temps pas possible chez les patients polyhandicapés.
S’agissant des attitudes thérapeutique et préventive, il existe peu d’études validant précisément les interventions thérapeutiques adaptées et leurs séquences précises dans cette population. Une attention particulière est ainsi portée aux troubles de l’oralité, à leur dépistage et leur prise en soins. Concernant la lutte contre l’encombrement respiratoire, la kinésithérapie respiratoire et l’apprentissage aux aidants de techniques de désencombrement sont préconisés, en tenant compte du positionnement et si besoin en utilisant des aides techniques adaptées. Les soins dentaires, l’état nutritionnel, l’encouragement de la mobilité sont également préconisés, de même que la vaccination contre la grippe et le pneumocoque.
Enfin, en cas d’aggravation des symptômes et quand des traitements plus invasifs et/ou chroniques sont débattus, l’intervention d’une équipe de soins palliatifs et une discussion impliquant les proches aidants, familiaux et professionnels, sont recommandées afin d’opter pour la solution la mieux adaptée au patient.

Troubles de l’alimentation, de la nutrition et de la digestion

Que ce soit chez la personne polyhandicapée ou non, l’acte alimentaire est relié à la fois à l’état de santé et à la qualité de vie, sous ses dimensions aussi bien physiologique que sensorielle, sociale ou encore affective. L’alimentation et l’état nutritionnel qui en découle sont ainsi des enjeux majeurs de la qualité de la santé et de la qualité de vie des personnes polyhandicapées. Des perturbations de l’acte alimentaire, de la digestion et leurs conséquences sur la santé des personnes polyhandicapées sont fréquentes. Plus largement, cela impacte leur entourage tant familial que professionnel.
Du fait des altérations de la commande motrice, de la sensorialité endo-buccale, du réflexe de déglutition, que l’on appelle plus globalement dysfonction oro-pharyngée, les troubles de la mastication et de la déglutition, associés à des fausses routes, sont très fréquents dans la population polyhandicapée avec par conséquent une prévalence de dysphagie de plus de 90 % dans certaines études. La recherche systématique d’une dysfonction oro-pharyngée dans cette population est primordiale. Des outils de diagnostic et/ou de caractérisation de cette atteinte existent (Dysphagia Disorder Scale : DDS ; Eating Drinking Ability Classification System : EDACS ; Subjective Global Nutritional Assessment : SGNA) mais souvent de passation longue et/ou spécialisée conduisant à la construction d’outils de dépistage plus rapides en cours de validation actuellement (Feeding and Nutrition Screening Tool : FNST). Cependant, il est souligné l’importance de la multidisciplinarité dans cette évaluation, incluant aussi bien les aidants professionnels que non professionnels et les différents soignants (orthophoniste, otorhinolaryngologue – ORL, neurologue, pédiatre, neuropédiatre, médecin de médecine physique et de réadaptation).
La dysphagie est d’autant plus fréquente que l’atteinte motrice et intellectuelle est sévère, et elle est un facteur de risque d’hospitalisation notamment en rapport avec des infections respiratoires, mais aussi des apports caloriques et hydriques plus faibles. La dysphagie est également source de stress pour les aidants du fait du risque de fausse route associé, ainsi que par la prolongation des temps de repas qu’elle induit.
La prise en soins de la dysphagie repose sur l’adaptation des textures et l’installation visant à éviter l’extension de la nuque. Cependant, les données scientifiques supportant le recours à des stratégies rééducatives spécifiques des troubles de la déglutition sont à ce jour manquantes dans la population polyhandicapée. Il existe également peu d’études s’intéressant au plaisir associé à la prise alimentaire et son expression dans cette population, même si des données émergent concernant des capacités olfactives préservées chez les enfants polyhandicapés.
Concernant l’état nutritionnel des personnes polyhandicapées, soulignons tout d’abord la difficulté pour l’évaluer, notamment du fait des difficultés d’obtention de mesures fiables du poids mais surtout de la taille chez des patients présentant souvent des déformations orthopédiques importantes et dans l’impossibilité de tenir debout. Ainsi, une estimation à partir de mesures segmentaires (taille talon-genou) est recommandée, et du fait des difficultés de mesure de la taille, l’appréciation de l’état nutritionnel des personnes polyhandicapées par l’indice de masse corporelle (poids/taille²) est bien souvent erronée. Notons qu’il est recommandé, à partir de ces mesures estimées, d’utiliser les courbes de suivi statural et pondéral valables pour la population générale pour suivre la croissance des enfants polyhandicapés. Au-delà des mesures de taille et de poids, il est préconisé de s’appuyer sur d’autres éléments de mesure anthropométriques (mesure du pli cutané tricipital, impédancemétrie bioélectrique) et surtout sur la répétition et le suivi dans le temps de ces paramètres pour apprécier l’état nutritionnel et son évolution. Cependant, des signes d’alerte de dénutrition sont importants à connaître, issus des recommandations de l’ESPGHAN (European Society of Pediatric Gastroenterology Hepatology and Nutrition) : présence de complications de décubitus ou de signes de carences (phanères, œdèmes…), poids pour l’âge inférieur à –2 DS (déviation standard) (sur les courbes en population standard), épaisseur du pli cutané tricipital inférieur au 10e percentile pour l’âge et le sexe, périmètre brachial inférieur au 10e percentile, perte de poids. La dénutrition concerne ainsi au moins 30 à 40 % des patients polyhandicapés, avec un lien retrouvé entre atteinte motrice plus sévère et moins bon état nutritionnel.
Concernant les apports caloriques et protéiques nécessaires ainsi que les apports en micronutriments, il est recommandé de se baser sur les recommandations standards pour l’âge et de les adapter au suivi des paramètres anthropométriques. Une attention particulière aux apports hydriques est nécessaire. Ces apports se font par voie orale en l’absence de dysphagie importante, avec adaptation des textures. Une nutrition entérale est envisagée en cas de dysphagie sévère à profonde et également en cas d’apports énergétiques insuffisants et/ou avec des temps de repas longs (plus de 3 heures par jour). Cette nutrition entérale se fait préférentiellement sur gastrostomie dès lors que le recours à une nutrition entérale est envisagé de façon prolongée. La réalisation d’une technique de traitement chirurgical d’un éventuel reflux gastro-œsophagien n’est pas recommandée en première intention (fundoplicature de Nissen). Des solutions polymériques adaptées existent mais la composition peut varier d’un pays à l’autre. Une surveillance annuelle biologique des micronutriments et vitamines est préconisée pour s’assurer de l’absence de carences (notamment en vitamine C, D ou en Zinc). Concernant le recours à une alimentation entérale mixée préparée par les familles, et/ou les modifications du microbiote engendrées par les nutritions entérales au long cours, des études scientifiques complémentaires sont nécessaires pour évaluer leur intérêt dans la population polyhandicapée.
Plus de la moitié des patients polyhandicapés présentent un reflux gastro-œsophagien et/ou une constipation. Concernant le reflux gastro-œsophagien, il est préconisé de réaliser un test thérapeutique aux inhibiteurs de la pompe à protons devant toute symptomatologie évocatrice (douleurs et réveils nocturnes, vomissements ou rejets extériorisés, perte de poids, anémie, caries, infections ORL répétées). Par ailleurs, l’épaississement de l’alimentation et l’installation en proclive seront recommandés. Concernant les autres traitements médicamenteux, l’urecholine (prokinétique) ou le baclofène, le recours aux hydrolysats de protéines de lait de vache, l’association aux anti-histaminiques H2 peuvent être envisagés même s’il manque d’études robustes dans cette population. Concernant le traitement de la constipation, il est préconisé d’optimiser les apports hydriques et en fibres, puis le cas échéant de s’aider de lavements, d’agents osmotiques comme le lactulose ou le polyéthylène glycol.

Fragilité osseuse

L’ostéoporose est une maladie généralisée du squelette qui entraîne une diminution de la résistance de l’os et entraîne des fractures osseuses. Chez l’adulte, sa définition repose sur des valeurs basses de densité minérale osseuse (DMO) à l’ostéodensitométrie, tandis que chez l’enfant sa définition repose avant tout sur des manifestations cliniques (fractures). Aussi chez l’enfant, le terme de « fragilité osseuse » est préféré à celui d’ostéoporose et est défini par :
• la présence d’un antécédent significatif de fracture(s) (fracture d’un os long de membre inférieur, au moins 2 fractures d’os longs de membres supérieurs ; fractures survenues suite à un traumatisme faible à modéré) et d’une DMO inférieure ou égale à –2 DS (déviation standard) en Z-score (ajusté selon l’âge, le sexe, la taille, la maturation osseuse) ;
• ou une fracture ou un tassement vertébral (sans critère de DMO).
Les recommandations nationales de la filière OSCAR4 existent concernant la fragilité osseuse de l’enfant et il convient de les appliquer aux patients polyhandicapés. Pour cela, les services spécialisés s’occupant de la santé osseuse doivent être accessibles aux patients polyhandicapés, enfants et adultes.
La masse osseuse augmente en principe jusque vers l’âge de 25 ans au pic de masse osseuse et est corrélée au risque de développer une ostéoporose à l’âge adulte (plus le pic de masse osseuse est bas, plus ce risque est important). Aussi, la prise en compte de la santé osseuse dès l’enfance, a fortiori en cas de facteurs de risque de développer une fragilité osseuse, est essentielle.
La constitution de cette masse osseuse dans l’enfance et l’adolescence est influencée par des facteurs génétiques, mais aussi nutritionnels (apports caloriques, protéiques, calciques), endocriniens (vitamine D, hormones sexuelles), l’activité physique, et des facteurs de risque exogènes (tabagisme, prise de certains traitements comme les corticoïdes et certains antiépileptiques). Du fait de leur mobilité très restreinte, des troubles nutritionnels fréquents, des multiples traitements qu’ils reçoivent, les patients polyhandicapés apparaissent d’emblée comme à risque de fragilité osseuse.
Des valeurs de DMO basses sont ainsi retrouvées chez plus de 70 % des patients dans des populations d’enfants et adolescents avec paralysie cérébrale sévère, et des fractures sont retrouvées chez 5 à 10 % des patients.
Parmi les facteurs prédisposant à une fragilité osseuse, nous retiendrons sur le plan génétique les mutations du gène MECP2 dans le syndrome de Rett. Par ailleurs un état nutritionnel altéré, une dysphagie, une atteinte motrice plus sévère, la prise d’antiépileptiques et de corticoïdes sont autant de facteurs pouvant également altérer le métabolisme osseux et augmenter le risque de fragilité osseuse. Enfin, un déficit en hormone de croissance ou en stéroïdes sexuels (notamment en cas de retard pubertaire) sont également des facteurs de risque sur lesquels une action thérapeutique est possible.
La définition de la fragilité osseuse chez l’enfant renvoie à des fractures dont le diagnostic n’est pas toujours aisé chez l’enfant polyhandicapé, d’autant que ces fractures surviennent le plus souvent en l’absence de traumatisme identifié. C’est donc dans le cadre du bilan d’un syndrome douloureux inexpliqué, ou à la constatation d’une déformation de membre ou d’un œdème lors des changes (le fémur est fréquemment atteint) que le diagnostic va être évoqué, puis confirmé par radiographie.
La mesure de la DMO repose à ce jour sur la mesure en Z-score pour l’âge et le sexe sur le corps entier, sans la tête, et sur le rachis lombaire. Cependant, les déformations orthopédiques parfois importantes, la présence de matériel étranger (gastrostomie, matériel d’ostéosynthèse) et les mesures notamment au niveau du rachis ne rendent pas forcément compte d’une fragilité osseuse des os longs. En conséquence, des mesures sur d’autres sites et notamment le fémur proximal et distal se développent mais nécessitent d’être davantage pratiquées et d’être standardisées en définissant des normes de référence, notamment pour la population la plus jeune.
Il est préconisé de réaliser la première évaluation osseuse dès l’apparition de fractures des os longs sans cause traumatique, ou de fractures de vertèbres, ou de douleurs inexpliquées, notamment en cas de dénutrition sévère prolongée, et idéalement à partir de 6 à 8 ans. Ultérieurement, le suivi sera déterminé par la survenue de fractures, en cas de valeurs anormales de la DMO à la première évaluation et/ou à la puberté et en fin de croissance.
Sur le plan préventif et thérapeutique, la prise en soins repose tout d’abord sur l’identification et la prévention des facteurs de risque : apports nutritionnels, calciques et en vitamine D suffisants, dépistage et traitement d’un retard de croissance par déficit en hormone de croissance et d’un retard pubertaire, encourager le renforcement de l’activité physique et du travail musculaire notamment par la mise en charge à l’aide d’un appareil de verticalisation sur des temps de 60 minutes 5 jours par semaine. La verticalisation devrait faire partie intégrante du projet de vie du patient, ce qui pourrait permettre alors également d’avoir un effet sur des activités et sur la participation sociale (alimentation, communication, jeux).
Les biphosphonates qui inhibent la résorption osseuse médiée par les ostéoclastes sont à ce jour les seuls traitements de la fragilité osseuse symptomatique chez l’enfant (présence de fractures) et leur indication n’est à ce jour par retenue en prévention, c’est-à-dire chez un patient à risque ayant une diminution isolée de la mesure de DMO sans fracture associée. Cette option thérapeutique fait parfois l’objet de discussions en centre expert, notamment dans le contexte de sujets douloureux sans autre cause identifiée, ou en amont d’une chirurgie. Cependant, ces indications n’ont à ce jour pas fait l’objet d’études dédiées, a fortiori dans la population polyhandicapée. Seuls les biphosphonates par voie intraveineuse sont à ce jour recommandés chez l’enfant.

Troubles endocrinologiques

La puberté est souvent perturbée chez les adolescents polyhandicapés avec un développement des caractères sexuels secondaires marqué par un développement de la pilosité pubienne plus précoce chez les enfants avec paralysie cérébrale, mais une ménarche (première menstruation chez une jeune femme) ou une croissance génitale chez le garçon plus tardives, ainsi qu’une maturation osseuse retardée. Le retard pubertaire est ainsi retrouvé plus fréquemment que dans la population générale, d’autant plus que l’état nutritionnel est également altéré, ce qui nous le rappelons, expose à un risque accru de fragilité osseuse pouvant justifier d’un traitement spécifique de ce retard pubertaire. A contrario, des pubertés précoces centrales sont également rapportées, y compris également chez des patients dont l’état nutritionnel est altéré. Les aspects psychologiques autour de la puberté ont par ailleurs peu fait l’objet d’études dans la population des adolescents polyhandicapés.

Troubles du sommeil

Les troubles du sommeil sont fréquents dans la population des enfants polyhandicapés, moins étudiés chez l’adulte, avec un retentissement important sur la qualité de vie des personnes et de leur entourage. Parmi les facteurs favorisant les troubles du sommeil chez la personne polyhandicapée, nous retiendrons :
• des facteurs intrinsèques : en lien avec la pathologie elle-même (par exemple syndrome d’Angelman, syndrome de Rett plus pourvoyeurs de troubles du sommeil), et les troubles associés, que ce soit une douleur, une hypertonie spastique ou dystonique, des troubles digestifs, un encombrement respiratoire, une épilepsie mal stabilisée ;
• des facteurs extrinsèques : les traitements reçus par le patient, en lien avec son environnement (bruit environnant, stimuli liés au matériel médical comme les appareillages, les pompes de nutrition, etc.), le manque éventuel d’activité diurne, le manque d’exposition au soleil, l’absence d’une routine bien établie (même si en établissement a contrario les journées sont bien souvent rythmées par les activités, soins et repas), mais également des facteurs relationnels que ce soit avec ses pairs ou les proches (aidants familiaux et professionnels).
L’évaluation des troubles du sommeil commence par évoquer ces troubles et les diagnostiquer de façon systématique. Ensuite, pour les évaluer plus précisément, des outils tels que l’actimétrie ou la polysomnographie peuvent être utilisés sous réserve d’être acceptés par la personne. La plupart du temps, des hétéro-évaluations par questionnaires sont utilisées pour cette évaluation (SNAKE ou Sleep Questionnaire for Children with Severe Psychomotor Impairment ; questionnaire de Simonds et Parraga par exemple).
Concernant la prévention et le traitement des troubles du sommeil, il faut tout d’abord limiter les facteurs de risque intrinsèques et extrinsèques modifiables cités plus haut. Les aidants et soignants adaptent notamment l’environnement, en favorisant la mise en œuvre de routines, assurant un environnement calme, peu éclairé, en limitant le temps de sommeil diurne, en adaptant si possible les médications et en prenant en compte les comorbidités citées précédemment. Des mesures comportementales peuvent être mises en œuvre (rituel du coucher, extinction graduelle, contrôle du stimulus…), il convient alors de les évaluer. Enfin sur le plan médicamenteux, la mélatonine est la seule molécule ayant en France l’autorisation de mise sur le marché (AMM) dans le cadre des insomnies de l’enfant avec trouble neurodéveloppemental, et n’a pas fait l’objet d’études dédiées à la population polyhandicapée.

Douleur

La douleur est définie par l’Association internationale sur l’étude de la douleur (IASP) comme « une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable associée à, ou ressemblant à celle associée à une lésion tissulaire réelle ou potentielle ». Cela signifie deux choses : qu’il existe la possibilité d’expérimenter la douleur en l’absence de lésion tissulaire identifiée et que l’existence de la douleur, y compris pour les personnes dans l’impossibilité de l’exprimer par les moyens usuels de communication, est possible. La description de sa propre expérience douloureuse doit être respectée, et il est donc essentiel d’avoir des moyens de l’évaluer, adaptés à la personne concernée.
S’agissant des personnes polyhandicapées, il existe peu d’études spécifiques au symptôme douloureux dans cette population. L’évaluation repose d’ailleurs majoritairement sur les déclarations des proches aidants, familiaux ou professionnels. Des prévalences entre 15 et plus de 75 % sont rapportées dans des populations d’enfants et adultes avec une atteinte neurologique sévère (dont la paralysie cérébrale) et des troubles de la communication, avec des épisodes qui peuvent être réguliers et de durée prolongée. La sévérité de l’atteinte motrice est rapportée comme associée à une fréquence accrue des douleurs, et selon les études, un lien avec le sexe (féminin), le type d’atteinte motrice (atteinte dyskinétique plus que spastique) et l’âge (plus élevé) sont également rapportés. S’il semble y avoir une prévalence plus importante chez des patients plus âgés, des données suggèrent cependant que la douleur peut être présente, de façon chronique, dès le plus jeune âge.
Nous retenons de ces données la fréquence élevée de la douleur dans la population des personnes polyhandicapées, avec probablement des variations en fonction de l’âge, mais aussi du type d’atteinte motrice et de la sévérité de l’atteinte motrice. Il y a un risque de sous-estimation de la douleur du fait des difficultés d’évaluation. Il est donc important de rechercher systématiquement la présence d’une douleur, d’évaluer son intensité, sa fréquence et sa durée, d’en rechercher la ou les cause(s), afin de la prévenir ou de la traiter de façon adéquate.
Les causes de la douleur peuvent être multifactorielles ; cela nécessite un examen physique détaillé aussi bien des yeux (recherche d’un ulcère de cornée, d’un glaucome, etc.), que des dents (recherches de caries, abcès, gingivite, etc.), de l’appareil digestif (recherche d’un reflux gastro-œsophagien, de constipation, de ballonnements, de problèmes en lien avec une gastrostomie, etc.), de la peau (recherche d’escarres), orthopédique (recherche de fracture non traumatique, d’une luxation de hanche, etc.) mais aussi un examen attentif des aides techniques et matériels éventuels implantés (recherche d’une dysfonction de valve ventriculo-péritonéale, vérification du matériel d’ostéosynthèse et des appareillages, etc.). Il sera également important d’évoquer les douleurs neuropathiques, mais aussi les atteintes du système nerveux autonome qui peuvent intervenir à la fois comme cause (notamment des troubles digestifs) ou comme des modalités d’expression différentes de la douleur. S’agissant des douleurs musculo-squelettiques des hanches, les liens avec les modifications anatomiques sont à préciser et nécessiteraient d’être étudiés sur de larges cohortes afin d’établir une stratégie thérapeutique adaptée à la population polyhandicapée, en fonction de l’âge et des modifications anatomiques constatées. Concernant les douleurs liées aux soins, celles-ci peuvent être observées quel que soit le soin, et sont présentes chez la majorité des patients quand on les évalue de façon systématique et avec des échelles adaptées. Cela nécessite donc une vigilance pour tous les actes de soins où il y a un contact physique avec le patient, a fortiori chez ceux ayant la plus grande dépendance (dont font partie les patients polyhandicapés). Ceci nécessite d’évaluer ces actes sur le plan de la douleur et des mesures préventives à mettre en œuvre.
L’expression de la douleur chez les sujets polyhandicapés passe rarement par une plainte verbale directe du sujet, mais plutôt par des modifications comportementales et des manifestations indirectes qui peuvent être similaires à celles observées dans la population générale (pleurs, cris, grimaces, agitation, difficultés à être consolé) mais également plus spécifiques de cette population. Ainsi, des modifications du tonus (majoration de la spasticité, des mouvements anormaux), de la fréquence des crises épileptiques, une atonie motrice, des réactions paradoxales (éclats de rire), des comportements auto- ou hétéro-agressifs, une perturbation du sommeil, des signes végétatifs (sueurs, variations de la fréquence cardiaque, troubles de la coloration cutanée…) peuvent être observés. Il est important de s’aider d’outils d’hétéro-évaluation validés dans cette population, pour des âges donnés :
• Grille d’évaluation de la douleur-déficience intellectuelle (GED-DI) également appelée Non Communicating Children’s Pain Checklist (NCCPC) pour l’évaluation d’une douleur aiguë et qui ne nécessite pas de connaissance antérieure de l’enfant (validée dans une population de 3 mois à 56 ans, d’âge développemental moyen 24 mois) ;
• Face Legs Activity Cry Consolability (FLACC) également validée chez l’enfant (4-19 ans) pour des douleurs aiguës sans nécessité de connaître l’enfant au préalable ;
• Échelle Douleur Enfant San Salvadour (DESS) validée dans une population de patients polyhandicapés âgés de 6 à 33 ans qui nécessite une évaluation en comparaison avec l’état de base et qu’il est conseillé de remplir en équipe pluridisciplinaire ;
• Profil Douleur Pédiatrique (Pediatric Pain Profile ou PPP) qui compare également l’état actuel de l’enfant (validé de 1 à 18 ans) à son état habituel décrit par les proches ;
• Échelle Expression de la Douleur chez l’Adolescent et l’Adulte Polyhandicapés (EDAAP) pour les adolescents et adultes polyhandicapés qu’il est conseillé de faire passer en binôme, mais dont les propriétés psychométriques méritent d’être plus amplement étudiées.
La formation à l’utilisation régulière au sein des équipes, hospitalières ou médico-sociales, de ces outils dans le cadre d’une évaluation et prise en soins adaptée de la douleur dans cette population est nécessaire, en soulignant également l’intérêt des évaluations croisées.
Le traitement de la douleur commence par sa reconnaissance, son évaluation et la recherche de sa cause qui est éventuellement traitable. S’agissant des traitements pharmacologiques de la douleur, les recommandations de l’anciennement Afssaps5 – aujourd’hui l’ANSM6  – de 2009 révisées en 2016 concernant le non-recours à la codéine sont applicables également à cette population. Pour les douleurs légères, des antalgiques non opiacés sont prescrits en première intention, et des antalgiques opiacés sont utilisés pour les douleurs modérées à sévères, en adaptant les doses à l’intensité de la douleur mais également en étant vigilant au risque d’interactions avec les traitements de fond du patient. Dans le cas des douleurs neuropathiques et par extension dans le cadre des douleurs chroniques d’étiologie indéterminée dans cette population, l’usage de la gabapentine ou de l’amitryptiline sont indiqués. La monothérapie est privilégiée si possible.
Des études pharmacologiques sont nécessaires, portant en particulier sur les potentielles interactions médicamenteuses dans cette population où la polymédication est fréquente. Au-delà des thérapeutiques médicamenteuses, les méthodes non pharmacologiques sont également très importantes du fait de leur effet sur les composantes comportementale et émotionnelle de la douleur. Elles requièrent des évaluations dédiées à cette population de patients polymédicamentés afin de permettre justement une épargne médicamenteuse.

Évaluation des compétences et déficiences

L’évaluation des compétences et des déficiences de la personne polyhandicapée est complexe et nécessite des évaluations régulières de sa situation globale et de ses compétences et difficultés spécifiques.
Les enjeux de l’évaluation dans ce contexte sont multiples :
• éthique, avec un risque de « violence évaluative » enfermant la personne polyhandicapée sur son présent avec une impossible progression ;
• méthodologique, car la dénomination même du polyhandicap n’est commune qu’à un petit nombre de pays francophones et les dénominations dans les autres langues ne sont pas parfaitement superposables. Les outils d’évaluation doivent être validés et leur utilisation dans d’autres langues nécessite des traductions adaptées à chaque langue et à chaque culture. Pour cela, il est nécessaire de valider à nouveau les outils traduits pour s’assurer qu’ils évaluent bien la même chose.
L’évaluation globale des compétences et déficiences de la personne polyhandicapée doit permettre de partager une « vue d’ensemble » de la situation de la personne sur le niveau de développement de ses compétences, et sur les différentes déficiences (médicales, psychologiques, relationnelles) qui interagissent avec son développement. L’Échelle de sévérité du polyhandicap a été construite dans cet objectif et a été validée en langue française. Elle s’applique tant à l’enfant qu’à l’adulte.
L’Inventaire du profil de la personne et de ses aides est un outil en néerlandais destiné à évaluer les compétences de la personne et son historique développemental, les caractéristiques propres de la personne et les objectifs à viser pour son avenir. Toutes les personnes s’occupant de la personne polyhandicapée participent à cette évaluation. Cet inventaire ambitionne un suivi au long cours de la personne.
Une analyse des pratiques d’évaluation a été réalisée dans trois pays européens en vue de recenser les méthodes utilisées dans la pratique et de rechercher si leurs analyses psychométriques sont adaptées aux personnes polyhandicapées. Cette étude montre que la pratique de l’évaluation s’appuie souvent sur des outils non validés, ou non adaptés pour cette catégorie de personnes. De plus, les outils validés l’ont été le plus souvent en néerlandais, anglais ou allemand ce qui induit un biais conceptuel quand l’évaluation est faite par des personnes parlant une autre langue.
La puissance des évaluations globales des compétences repose sur des cohortes numériquement importantes comme celle du programme Eval-PLH qui, en France, a validé l’Échelle de sévérité du polyhandicap, et permettra également d’autres évaluations.
Les évaluations dans les domaines de la neuropsychologie et de la psychologie doivent être réalisées régulièrement afin de mieux définir les besoins d’aides et de stimulations spécifiques adaptés aux capacités d’interagir avec autrui et de progresser. Ces évaluations doivent permettre l’approche précise des compétences des personnes polyhandicapées car les outils construits pour la population générale ou ayant des déficits moins sévères ne sont pas utilisables. La conscience de soi n’existe souvent qu’à l’état d’ébauche chez les personnes polyhandicapées et trois profils psycho-développementaux peuvent être cliniquement distingués : i) émergence d’un « éprouvé identitaire » ; ii) stabilisation de l’« éprouvé identitaire » ; et iii) émergence d’une attention conjointe, de partage émotionnel et d’apprentissage (permanence de l’objet, liens de causalité et activités symboliques).
L’évaluation des compétences cognitives comporte de nombreux aspects et nécessite une analyse de toutes les compétences qui participent à la cognition. Des outils sont validés ou en cours de mise au point. Les approches utilisées sont diversifiées et complémentaires : évaluation cognitive par habituation visuelle, évaluation de la vigilance, évaluation des compétences sensorielles, des capacités de communication, compétences expressives, de compréhension dans différents modes d’interaction, évaluation des préférences de situations ou d’activités préférées, évaluation du tempérament – pour ne citer que les plus récents.
Les évaluations dans les domaines médicaux sont elles aussi nombreuses et disparates.
La motricité est le volet le plus étudié avec plusieurs outils : mobilité globale, petits mouvements, tonus musculaire, spasticité. Ces outils ont une grande utilité clinique pour bien connaître les capacités motrices de l’enfant et ainsi orienter les aides et les thérapies adaptées à chacun et pour suivre l’évolution des compétences motrices dans la durée.
Les évaluations sensorielles nécessitent elles aussi des outils spécifiques pour les personnes polyhandicapées. Pour la vision, sont évalués : la motricité oculaire, l’acuité visuelle, le champ visuel, la sensibilité au contraste, la perception des couleurs, de la profondeur, du mouvement. L’évaluation de la vision dans le cadre d’une cécité corticale, et l’évaluation de l’odorat, sont à l’étude.
Le statut nutritionnel doit être déterminé régulièrement chez ces personnes afin d’évaluer l’état nutritionnel des points de vue calorique et qualitatif (en particulier les apports vitaminiques), et en raison de possibles interactions médicamenteuses. Le bavage, en lien avec une hypersalivation et/ou surtout des troubles de la déglutition, participe également de l’atteinte respiratoire des personnes polyhandicapées. Une échelle d’évaluation du bavage est importante.
De plus, il est indispensable aujourd’hui d’objectiver les bénéfices respectifs des différentes modalités de prise en soins globale, inclusives ou non, par des études portant sur des durées suffisamment longues et sur des groupes de population suffisamment larges.
D’après les études menées ces dernières années, il est également nécessaire de rappeler que la plupart des évaluations dans les différents domaines du polyhandicap sont réalisées avec des outils partiellement validés, souvent traduits d’une autre langue sans avoir été revalidés dans la langue d’usage, ce qui en limite l’accès et la fiabilité.

Qualité de vie

Spécificités de l’évaluation de la qualité de vie dans le contexte du polyhandicap

La façon dont un individu perçoit son bien-être global est une approche courante pour évaluer sa qualité de vie. Habituellement, ces évaluations sont réalisées en demandant aux personnes d’évaluer elles-mêmes leur propre qualité de vie à partir d’échelles validées sur un grand nombre de participants.
La personne polyhandicapée ne pouvant effectuer cette évaluation elle-même, sa qualité de vie est estimée par des tiers ayant une bonne connaissance de sa situation, mais ne peut de fait être comparée à la qualité de vie de la population générale. De plus, une évaluation par autrui pose une question éthique propre à cette situation particulière : celui qui évalue (parent ou proche) est un bon évaluateur quand il connaît le mieux la personne en situation de polyhandicap. Paradoxalement, le risque que l’évaluation soit biaisée est d’autant plus à prendre en compte que la situation de polyhandicap retentit, en retour, sur la qualité de vie de l’évaluateur du fait même qu’il est justement proche de l’évalué. Il est donc nécessaire de moyenner des évaluations multiples réalisées par des proches ayant chacun une proximité propre avec la personne. Cela nécessite des outils adaptés à la situation de polyhandicap, mais aussi à son entourage familial et professionnel.
Ces particularités de l’évaluation de la qualité de vie dans le contexte du polyhandicap posent des questions philosophiques, éthiques et méthodologiques. La distance avec laquelle la philosophie peut considérer les personnes que l’on appelle aujourd’hui polyhandicapées n’est pas récente et reste difficile à dépasser. Un tel regard distant porté sur ces personnes peut amener à les catégoriser comme n’ayant pas les attributs nécessaires à leur reconnaissance comme êtres humains (voir plus haut « Qu’est-ce qui fait de nous des humains ? »). Plusieurs auteurs revendiquent combien la proximité avec ces personnes permet de bien les connaître, amène à détecter leurs capacités à être sensibles à leur environnement, à l’attention qui leur est portée et aux soins qu’on leur prodigue. Certains philosophes insistent sur l’absence de respect qui consiste à « être aveugle à l’expression humaine » et à qualifier de « légume » une personne polyhandicapée.
Le respect de la dignité de la personne polyhandicapée repose sur une réflexion éthique et participe à sa qualité de vie, comme pour tout autre personne. La dignité comporte plusieurs acceptions. L’approche de la qualité de vie par la dignité est fonction du lien que celui qui l’évalue a avec la personne en situation de polyhandicap. L’évaluation de la qualité de vie dans le champ du polyhandicap permet non seulement de connaître la qualité de vie de ces personnes mais aussi de mieux garantir et de renforcer leurs droits fondamentaux.
Une évaluation triangulaire par les soignants, les parents et des observateurs plus éloignés, utilisant des méthodes différentes d’évaluation est utile à une approche plus fiable de la qualité de vie de ces personnes. Du fait d’une absence de proximité avec la vie qu’elles mènent au quotidien, les médecins ne sont pas en position de correctement évaluer la qualité de vie des personnes polyhandicapées.
Les méthodes proposées pour évaluer la qualité de vie des personnes polyhandicapées sont soit objectives (recueillant des données quantifiables), soit subjectives (à partir d’informations recueillies et analysées de façon rigoureuse mais non quantifiables). Ces différentes méthodes peuvent être appliquées de façon complémentaire pour répondre à une même question.
Les méthodes objectives s’appuient sur des outils dédiés au polyhandicap ou adaptés à lui. Certaines ont été validées en anglais ou en espagnol (QoL-PMD : Quality of Life-PMD). L’échelle PolyQol, en langue française, utilise une approche objective et subjective. Une approche subjective permet une plus grande proximité avec la personne polyhandicapée. Enfin, les indications apportées par le témoignage des proches, familles et soignants, comportent, elles aussi, une certaine réduction des expériences des personnes polyhandicapées. Néanmoins, ces témoignages ont une grande pertinence dans l’analyse de la qualité de vie de ces personnes. Par ailleurs, lorsque ces outils sont traduits pour être utilisables dans une autre langue que celle dans laquelle ils ont été construits et validés, ils doivent être de nouveau validés dans chaque nouvelle langue.

Facteurs influençant la qualité de vie de la personne polyhandicapée

Différentes approches abordent la qualité de vie sous divers angles complémentaires et ont été utilisées mais leur nombre et donc leur fiabilité restent encore faibles.
L’impact des structures d’accueil et de leur fonctionnement sur la qualité de vie est fonction de la qualité des activités adaptées à chaque personne polyhandicapée. Il se traduit par les manifestations de satisfaction de ces personnes, notamment les indices de bonheur et la réduction des aspects désagréables des activités de routine. Leur évaluation permet la mise en place de stratégies d’amélioration de la qualité de vie des personnes polyhandicapées : caractéristiques des équipes, des méthodes de travail, etc. Concernant des activités quotidiennes, la satisfaction des personnes polyhandicapées a été évaluée par le temps passé à chaque activité, ou par des comportements répertoriés et reconnaissables tant par les proches que par les non familiers. L’attention portée par les équipes à la qualité de l’environnement sonore et visuel, à l’ajustement aux besoins individuels en termes de soins d’hygiène est très importante. Elle contribue au processus d’attachement du jeune en situation de polyhandicap, à sa famille et à l’équipe.
L’analyse de l’efficacité des soins prodigués montre un impact sur le bien-être physique, matériel et émotionnel, les interactions sociales, la possibilité de choix, le développement personnel de la personne polyhandicapée. Cependant, ces études n’abordent pas l’impact sur leur participation sociale ni sur le respect des droits humains.
L’impact de l’état de santé et des traitements sur la qualité de vie la personne polyhandicapée est significatif. La prévention et le traitement de la douleur sont des plus importants. On note une corrélation positive significative entre la mobilité et la qualité de vie. Le retentissement des interventions chirurgicales et des traitements au long cours sur la qualité de vie a été peu étudié et n’est souvent pas validé. L’amélioration de l’état nutritionnel par l’alimentation via une gastrostomie a été montrée. Les auteurs insistent sur l’intérêt de recueillir la chronologie et l’« histoire de vie » décrite par les familles pour connaître les conséquences de ces traitements. Rechercher, repérer et tenir compte des manifestations de la personne polyhandicapée qui traduisent sa satisfaction, sa préférence ou son déplaisir lors des activités quotidiennes est aussi nécessaire.

La qualité de vie des aidants et des proches

Les parents ont un niveau de qualité de vie notablement plus bas que la moyenne de la population française de mêmes âge et sexe. En effet, le polyhandicap retentit sur la qualité de vie des familles, tant par tout ce qu’il impose et modifie de la vie quotidienne que par la souffrance de voir son enfant, et l’adulte qu’il devient, ne pas bénéficier de ce dont il aurait besoin au quotidien. Le maintien du lien entre le parent et son enfant polyhandicapé est un facteur de meilleure qualité de vie. Les parents ont besoin de soutien quand leur enfant est hospitalisé. Leur inquiétude majeure concerne souvent le devenir de leur enfant quand ils vieilliront ou décèderont. Beaucoup souhaitent que leur enfant meure avant eux car ils redoutent ce qu’il adviendrait à leur enfant polyhandicapé s’ils ne sont plus là. Parallèlement, le degré de bien-être des parents décroît avec l’âge.
Les facteurs influençant la qualité de vie des parents sont le niveau d’éducation, le statut professionnel, la structure familiale et l’environnement social.
Les fratries ont un meilleur degré de bien-être que les parents. Les occasions de partager des activités communes avec le frère ou la sœur polyhandicapé(e) et d’avoir des moments de temps personnel sont essentielles pour la qualité de vie des frères et sœurs.

Cas particulier de la crise sanitaire de la Covid-19

Caractéristiques cliniques de l’infection par le SARS-CoV-2
chez les personnes polyhandicapées

La grande diversité de signes cliniques de l’infection par le SARS-CoV-2 et la plus grande fréquence de ses complications chez les patients atteints de pathologies chroniques et chez les sujets âgés ont amené à s’interroger sur les conséquences et les particularités de l’infection par le SARS-CoV-2 chez les personnes polyhandicapées.
Lors de la première vague de la pandémie (printemps 2020), un observatoire de la pathologie Covid-19 chez les personnes polyhandicapées a été mis en place, associant les services de soins médicaux et de réadaptation (SMR)7 de la Fédération du Polyhandicap de l’AP-HP, les 4 Centres de Référence Déficience Intellectuelle de Causes Rares labellisés Polyhandicap, et des associations et réseaux régionaux de prise en soins des personnes polyhandicapées. L’objectif de cet observatoire était de collecter rétrospectivement les cas d’infection par le SARS-CoV-2 afin de documenter les particularités de cette infection dans cette population de personnes fragiles.
Les personnes polyhandicapées étaient considérées comme ayant été infectées par le SARS-CoV-2 dans les cas suivants : une RT-PCR (technique qui permet de faire une PCR – réaction en chaîne par polymérase afin d’amplifier de l’ADN – à partir d’un échantillon d’ARN) positive pour le SARS-CoV-2 ou symptomatologie compatible avec une infection par le SARS-CoV-2 et personne accueillie dans une institution où au moins deux autres personnes ont simultanément présenté une infection confirmée par RT-PCR, ou personne présentant une symptomatologie compatible pour la Covid-19 vivant auprès de proches ayant un diagnostic d’infection par le SARS-CoV-2 confirmé par RT-PCR. Le recueil des données s’est effectué via un questionnaire largement diffusé aux médecins (pédiatres, neuropédiatres, médecins de médecine physique et réadaptation, médecins généralistes) exerçant auprès de personnes polyhandicapées. Entre le 1er avril 2020 et le 1er juillet 2020, un total de 98 observations a pu être collecté et analysé.
Les sujets provenaient des zones géographiques françaises les plus touchées lors de la première vague de l’épidémie en 2020 (nord, centre et sud-est) et la plupart d’entre eux étaient issus de clusters en milieu institutionnel et présentaient les nombreuses comorbidités associées au polyhandicap (épilepsie, scoliose avec déformation thoracique, troubles de la déglutition). L’infection par le SARS-CoV-2 chez les personnes polyhandicapées était peu symptomatique chez près de la moitié des sujets (46 %). Les symptômes respiratoires les plus fréquents étaient la dyspnée (un sujet sur cinq), l’hypoxémie dans 29 % des cas et l’encombrement bronchique chez 21 % des patients. Les signes extra-respiratoires les plus fréquents étaient digestifs (diarrhée/vomissements) dans 26,5 % des cas, avec une légère prédominance chez les femmes, suivis des signes neurologiques (altération de la conscience/modification du comportement) dans 24,5 % des patients, et une fréquence accrue ou l’apparition de novo de crises d’épilepsie chez les sujets non épileptiques observée dans 3,1 % des cas. La durée médiane de l’infection par le SARS-CoV-2 était de 9 jours, et significativement plus longue chez les adultes que chez les enfants. Près de 20 % des sujets ont dû être hospitalisés pour des troubles respiratoires correspondant à des formes sévères de l’infection, 5 % ont nécessité une admission en réanimation. Quatre adultes sans comorbidités pulmonaires préexistantes sont décédés des suites de l’infection par le SARS-CoV-2. Par la suite, les vagues successives de la pandémie de la Covid-19 ont entraîné de nombreux autres cas chez les personnes polyhandicapées. Parmi ceux pris en soins au sein des services de SMR impliqués dans l’observatoire, il a été observé une fréquence accrue de formes sévères et de décès en 2021. Par ailleurs, de nombreuses études ont confirmé un plus grand risque de formes sévères et de décès, mais aussi de formes prolongées de la maladie chez les personnes atteintes de trouble du développement intellectuel, de troubles neurodéveloppementaux ou de trisomie 21.

Accès aux soins, émergence de la télémédecine et de la télé-rééducation pour les personnes polyhandicapées

Pendant les confinements, l’accès aux soins des personnes polyhandicapées a été sévèrement compromis. C’est lors de la première vague de la pandémie que les consultations dématérialisées de télémédecine ont pris leur essor. Concernant le polyhandicap, un dispositif de téléconsultations a été ouvert en Île-de-France pour un certain nombre d’établissements médico-sociaux, ce qui a permis le maintien d’un suivi à distance des personnes polyhandicapées tant par les médecins que par les personnels paramédicaux spécialisés (kinésithérapeutes, orthophonistes, ergothérapeutes, etc.). La consultation dématérialisée a aussi aidé au maintien du lien entre les familles et leur enfant confiné en établissement. Cependant, toutes les personnes en situation de handicap n’ont pas pu bénéficier du suivi nécessaire (distanciel ou présentiel) à cause des difficultés de repérage des personnes en situation de handicap prises en soins au domicile de leurs familles.
Les données de la littérature attestent que de nombreuses personnes en situation de handicap ou de polyhandicap n’ont pas reçu une prise en soins optimale durant la crise sanitaire. Une étude rétrospective menée à l’international pendant les confinements et portant sur les personnes atteintes de déficience mentale et/ou développementale a montré que l’accès aux soins des patients a été profondément impacté durant cette période. En effet, 74 % des parents rapportent la perte d’au moins une prestation thérapeutique et/ou éducative pour leur enfant et 36 % ont déploré une perte d’accès aux soins.
Les avis portant sur l’efficacité de la télé-rééducation sont divergents selon les études : une revue de la littérature portant sur la prise en soins des enfants et des sujets jeunes présentant des troubles développementaux et bénéficiant d’un suivi en télé-rééducation a analysé 55 études sur le sujet et a montré que dans environ 50 % des cas les parents jugeaient la télé-rééducation aussi voire davantage efficace que la rééducation en présentiel. Pour les personnes atteintes de trouble du développement intellectuel, le suivi dématérialisé (soins, éducation) semble représenter une solution à l’isolement et peut permettre la poursuite de leur prise en soins. À l’inverse, une autre étude ayant recueilli l’avis de parents d’enfants présentant une ou plusieurs déficiences rapporte que la télé-rééducation est perçue comme moins efficace que la rééducation en présentiel, et ce plus particulièrement chez les enfants atteints de déficiences multiples.

Impact de la crise sanitaire sur les parents des personnes polyhandicapées

Pendant les confinements, les parents des enfants polyhandicapés ont vu leur charge/fardeau augmenter, notamment en ce qui concernait les soins, la toilette, l’aide à la communication et les activités de leur enfant. Ils ont rapporté une augmentation de leur fatigue tant physique que psychique avec aussi un sentiment fort d’abandon. Deux études qualitatives ont mis en exergue les sentiments de peur des parents pour la vie de leur enfant mais aussi leur sentiment d’isolement et d’abandon par le système de soins, obligeant les parents à batailler pour obtenir la prise en soins de leur enfant et sa vaccination contre le SARS-CoV-2.

Périodes de la vie de la personne polyhandicapée et parcours de soins/ de vie

L’accompagnement des personnes polyhandicapées qui avancent en âge doit impérativement associer les soins médicaux spécifiques nécessaires et prendre aussi en compte les dimensions sociale et éducative afin de leur proposer un projet de vie cohérent, adapté et intégratif.
L’avancée en âge des personnes polyhandicapées est à risque à chaque étape de leur vie. Dans l’enfance, l’épilepsie souvent pharmaco-résistante, en lien avec les maladies progressives, représente la complication la plus fréquente et la plus grave (30 % des personnes polyhandicapées ont plus de quatre crises par mois en dépit du traitement antiépileptique). C’est aussi la principale cause de décès au jeune âge. À l’adolescence, la croissance entraîne la majoration rapide des scolioses qui doivent faire l’objet d’un suivi attentif et de mesures de prise en soins préventives et curatives. Les complications respiratoires représentent à l’âge adulte la première cause de décès, généralement avant l’âge de 50 ans. Cependant, les progrès en termes de prise en soins rééducative (corset-sièges moulés, positionnement en mousse de nuit, traitements anti-spastiques) permettent généralement la stabilisation à l’âge adulte des complications orthopédiques.

Petite enfance

Chez l’enfant, le polyhandicap se manifeste par des retards de développement et des problèmes de santé : ces signes conduisent les familles à s’interroger avant même qu’un diagnostic ne soit posé. Pour les parents, l’annonce du polyhandicap constitue un processus complexe, long et douloureux. L’enjeu principal de cette annonce, dans la confrontation à la réalité de la situation, est de leur permettre de s’adapter aux besoins spécifiques de leur enfant. Il est nécessaire de poser le diagnostic de polyhandicap le plus tôt possible, même en l’absence d’une étiologie formellement identifiée, afin de mettre en place des actions de soutien précoces pour l’enfant et sa famille.
L’accompagnement des familles joue un rôle crucial pour prévenir l’épuisement de la famille (parents et fratrie) et favoriser le développement global du jeune enfant polyhandicapé. Pendant cette période critique de la petite enfance, il est essentiel que les parents et les professionnels unissent leurs compétences complémentaires pour observer l’enfant au-delà de ses déficiences et répondre à ses besoins spécifiques, en favorisant son bien-être et son développement global. En plus du rôle de la famille, il est important d’identifier les environnements inclusifs ou spécialisés qui soutiennent l’éducation du jeune enfant polyhandicapé.
La découverte et l’adaptation des parents au polyhandicap de leur enfant se font sur la durée, dans la mesure où le polyhandicap se manifeste au fur et à mesure du développement de l’enfant. Les parents découvrent ainsi progressivement ce qu’est le polyhandicap en même temps qu’ils découvrent leur enfant, et se découvrent eux-mêmes en tant que parents de cet enfant-là. Le processus de parentalité et les liens d’attachement se développent dans la même temporalité que le processus d’annonce. Il est donc crucial d’amorcer et d’accompagner le processus d’annonce du polyhandicap le plus tôt possible, même si l’évolution de la pathologie reste incertaine, car cela permet de mettre en place des actions de soutien précoce pour l’enfant et ses parents, plutôt que de les enfermer dans une incapacité définitive.
Diagnostiquer précocement le polyhandicap chez un enfant permet d’accompagner au mieux l’enfant et sa famille dans leur parcours de soins. Il est également important que les équipes médicales s’efforcent de diagnostiquer la cause des lésions cérébrales responsables du polyhandicap, afin de définir des objectifs médicaux, rééducatifs, ré-adaptatifs et socio-éducatifs à court, moyen et long termes, et de proposer des traitements médicaux appropriés. Le dépistage précoce des signes cliniques du polyhandicap chez les nourrissons revêt donc une importance fondamentale pour une prise en soins et un accompagnement global précoce et adapté.
L’annonce du polyhandicap ou de la maladie causale est un moment difficile et douloureux à la fois pour les familles et pour les professionnels de santé. Les études montrent que la plupart des parents se disent insatisfaits de la manière dont cette annonce a été faite. Des recommandations existent pour améliorer les conditions de l’annonce médicale : réunir les deux parents, partir de leur savoir expérientiel (leurs doutes et leurs observations), communiquer les éléments de diagnostic le plus tôt possible, proposer un plan de suivi et d’accompagnement précis, et fournir aux parents une perspective réaliste du handicap de leur enfant. Il est essentiel que les professionnels de santé soient formés et préparés pour faire face à ces situations d’annonce, et il est nécessaire que ces formations se développent davantage.
Les soins précoces chez les enfants polyhandicapés revêtent eux-aussi une importance capitale pour les parents, offrant de l’espoir et leur permettant d’être actifs dans les soins et la construction de l’avenir de leur enfant. Les interventions thérapeutiques doivent être centrées sur les besoins de l’enfant, en favorisant la plasticité cérébrale et la prévention, et sur ceux de la famille (soutien parental). Il est recommandé de privilégier les soins à domicile ou en ambulatoire plutôt que l’hospitalisation complète, si l’état de santé le permet, tout en trouvant un équilibre dans les thérapies proposées afin de ne pas susciter de faux espoirs. Bien que les recherches sur l’efficacité des interventions thérapeutiques précoces soient encore limitées, il est nécessaire de développer des programmes solides (fondés sur les preuves scientifiques) et de soutenir les familles dans leur organisation quotidienne. L’implication des parents est cruciale et il convient de les accompagner tout au long du processus d’annonce et de soins, en tenant compte de leurs besoins propres et de leur évolution, de leur contexte et de leur bien-être. Les interventions précoces impliquent la coordination des différents professionnels de santé entre eux, d’autant que les établissements spécialisés en polyhandicap sont généralement accessibles seulement à partir de l’âge de 3 ans, sur notification de la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH). Il est également nécessaire de prévoir des solutions de répit ou de soutien pour les parents.
Le très jeune enfant polyhandicapé nécessite un accompagnement spécifique pour stimuler son développement psychomoteur, sensoriel, perceptif et cognitif, compte tenu de ses besoins particuliers et des déficits d’expériences sensorielles de base. Les troubles visuels ont un impact significatif sur les capacités motrices, cognitives, relationnelles et sociales, et doivent être dépistés, tandis que la communication avec l’enfant polyhandicapé repose sur la reconnaissance d’une intentionnalité potentielle et sur l’interprétation intuitive des signaux non verbaux.
Les enfants polyhandicapés ont des besoins spécifiques en matière d’accompagnement du développement affectif, émotionnel et social, nécessitant des interactions sensibles et sécurisantes avec leurs parents et un soutien pour la régulation émotionnelle et la communication non verbale.
Les supports et les aides, qu’ils soient technologiques ou humains, jouent un rôle crucial dans l’accompagnement des enfants polyhandicapés, en favorisant leur engagement, en stimulant leur intérêt et en améliorant leur autonomie. Cela peut être réalisé grâce à l’utilisation de jouets multi-sensoriels, d’aides techniques adaptées, de dispositifs médicaux et par le biais d’interventions rééducatives telles que la psychomotricité, la kinésithérapie, l’ergothérapie et l’orthophonie. Ces interventions visent à développer les compétences motrices, sensorielles et de communication de ces enfants.
Il est primordial de souligner l’importance d’une inclusion précoce, d’adaptations appropriées et de collaborations entre les services spécialisés et les environnements familiaux et éducatifs inclusifs pour favoriser le développement des enfants polyhandicapés.
En conclusion, il est essentiel d’effectuer un repérage et un diagnostic précoces du polyhandicap, en impliquant les familles dès le début et en offrant un soutien adéquat. Les interventions précoces, respectant les principes de l’apprentissage moteur et de la prévention des déficits secondaires, doivent être proposées, tout en favorisant l’accueil dans des environnements inclusifs de la petite enfance en partenariat avec les services spécialisés. Des travaux supplémentaires sont nécessaires pour développer et valider des interventions thérapeutiques précoces et mieux appréhender le développement de l’enfant polyhandicapé dans ses différents contextes de vie, en particulier au domicile, de façon à étudier les conditions d’un soutien parental continu et cohérent.

Transition médicale vers l’âge adulte

Chez la personne polyhandicapée, la transition vers l’âge adulte n’est pas un événement unique mais est un processus continu qui débute entre 13 et 15 ans, parfois plus tôt, au moment de l’annonce du diagnostic (selon les situations), et se termine avec la consultation ou la séance de transfert vers un service adulte.
Ce processus ne se limite pas à l’organisation du changement d’équipe, mais à la prise en compte de la réalité du vieillissement de la personne polyhandicapée et au fait qu’elle devient une personne adulte, ce qui a des implications médicales, sociales, juridiques, etc., pour la personne elle-même, et pour sa famille.
Dans le champ du polyhandicap, trois grandes spécificités de cette transition vers l’âge adulte entrent en ligne de compte :
• la vulnérabilité de la personne polyhandicapée questionne l’intérêt même du changement de l’équipe en charge du suivi médical à l’âge de 18 ans. Cependant, le processus de transition devrait être lui systématique ;
• le handicap moteur bien qu’en rapport avec des lésions stables dans le temps, évolue avec l’âge et fait appel à des besoins et compétences différents ;
• le trouble du développement intellectuel est d’une part un facteur de risque de développer des troubles du comportement à l’adolescence, et d’autre part un élément de complexité dans l’organisation de la transition, qui doit normalement aboutir à (ou tout au moins tendre vers) l’autonomisation des adolescents face à leur handicap. Les troubles du comportement se traduisent souvent par l’apparition de comportements de défi qui nécessitent une évaluation rigoureuse pour être correctement pris en soins. Le manque d’autonomie rend les choix en termes de lieu de vie et d’orientation plus difficiles pour les proches aidants, dont la famille.
Tout ceci doit pousser les équipes soignantes à établir un protocole de transition médicale qui réponde aux grands enjeux du polyhandicap : anticipation des attentes de la famille et des aidants, projet basé sur une réévaluation récente des capacités motrices, cognitives, d’autonomie et d’adaptation de l’adolescent, planification de la transition sur plusieurs années, prise en compte des aspects légaux du passage à l’âge adulte, abord des aspects médicaux neurologiques et extra-neurologiques, identification précoce du référent médical en médecine d’adultes et suivi de la réalité du suivi post-pédiatrique.
La transition reste difficile dans le champ des maladies chroniques, et plus particulièrement dans celui du polyhandicap, notamment par l’absence d’équivalence stricte entre médecins d’enfants et d’adultes à l’hôpital. Ceci implique la création d’un parcours de soins nouveau par rapport à celui qui avait été développé en pédiatrie.

Les personnes polyhandicapées adultes et vieillissantes

La sévérité globale du polyhandicap s’accroît avec l’âge et on observe chez les plus âgés une majoration de la déficience tant motrice que cognitive. Cela a pour conséquence une majoration de leur niveau de dépendance déjà très important.
Les premières données issues de la Cohorte nationale Eval-PLH (personnes polyhandicapées-parents-soignants) ont montré que le tableau clinique des personnes polyhandicapées vieillissantes est dominé par les troubles du comportement (90 % des sujets de plus de 50 ans), la douleur chronique (25 % des plus de 35 ans, 60 % des plus de 50 ans) et les troubles digestifs (constipation chronique : 66 à 80 % des plus de 35 ans).
Les personnes polyhandicapées atteignent un niveau équivalent à un âge de 5 à 7 mois de développement normal, tant dans les domaines moteurs que cognitifs. Ceci peut s’expliquer par la pauvreté des expériences sensorimotrices en lien avec leurs déficits qui leur sont proposées mais aussi par une prise en soins éducative souvent absente ou insuffisante en institution, ce qui vient aggraver le trouble du développement intellectuel.
Une autre particularité du vieillissement des personnes polyhandicapées est la rareté de l’occurrence des pathologies chroniques (diabète, cancers, maladies cardiovasculaires) qui peut s’expliquer en partie par le relatif jeune âge des individus et aussi par l’absence d’exposition à certains facteurs de risque cardiovasculaires et environnementaux (tabac, alcool, alimentation trop riche, trop salée…).

Systèmes de soins et les lieux de vie

En France, un système de soins unique est mis en œuvre avec la filière tripartite de prise en soins des personnes polyhandicapées. Cette filière est articulée entre le secteur sanitaire (services MCO-SMR8 spécialisés) dédié à la prise en soins des personnes polyhandicapées requérant des soins médicaux, les établissements du secteur médico-social offrant un accompagnement plus centré sur le projet de vie de la personne et la prise en soins au domicile des parents. Ainsi, notre système de soins offre des solutions d’accueil médicalement graduées pour les enfants et pour les adultes permettant de répondre à l’ensemble des besoins de la personne polyhandicapée tout au long de sa vie.
Cependant, ce parcours de soins n’est pas toujours optimal. Malgré l’existence de services de SMR spécialisés, certains patients polyhandicapés médicalisés ne peuvent y être accueillis faute de places disponibles et/ou du fait d’une couverture géographique parcellaire. D’autres personnes polyhandicapées avec un polyhandicap sévère sont toutefois accueillies en secteur médico-social. Les personnes polyhandicapées prises en soins au domicile de leurs parents sont majoritairement de jeunes enfants, souvent avec un polyhandicap sévère et instable engendrant des répercussions importantes sur le vécu et sur la vie sociale de leurs aidants familiaux.
Une part importante (7 à 10 %) d’adultes polyhandicapés demeure dans des établissements pédiatriques faute de place dans les structures pour adultes. D’une manière générale, l’accompagnement des adultes polyhandicapés est moins bien coordonné, leur suivi étant souvent assuré dans le cadre de consultations réalisées par des médecins généralistes et plus rarement par des médecins spécialistes.
En Europe, les politiques nationales en matière de handicap se conforment aux principes dictés par la Convention des Nations unies (CNU), ce qui a contribué à un vaste mouvement de désinstitutionnalisation. Ce mouvement a été accentué par la nécessité de mieux contrôler les dépenses de santé. Les modalités d’accompagnement des personnes en situation de handicap suivent un gradient nord-sud : dans les pays d’Europe du nord, notamment en Scandinavie, les institutions ont quasiment disparu et leur prise en soins s’effectue sous la responsabilité des communes qui financent et organisent localement les aides. Dans la plupart des pays au sud de l’Europe, la prise en soins des personnes polyhandicapées repose encore sur des institutions, souvent en nombre réduit, pour des raisons tenant aux possibilités de financement. En France, malgré un système de soins dédié, le manque de places pour les personnes en situation de handicap s’est traduit par le placement en Belgique d’environ 3 500 personnes en situation de handicap dont des personnes polyhandicapées. Des études s’intéressant au système de soins de différents pays européens ont montré que la politique de désinstitutionnalisation qui transfère sur les familles le poids de la prise en soins de la personne polyhandicapée, entraîne aussi la dispersion de celles-ci au domicile, ce qui in fine les coupe des pôles de compétence pluridisciplinaires et des soutiens sanitaires et techniques qui leur sont nécessaires.

Les enjeux des soins autour de la fin de vie de la personne polyhandicapée

La fin de vie de la personne polyhandicapée soulève de multiples enjeux : des enjeux éthiques liés à la spécificité du polyhandicap, des enjeux de politique publique et de moyens, des enjeux liés à la prise de décision, au rôle de la famille et de la collaboration avec celle-ci. C’est un sujet complexe et sensible qui pose des défis importants aux aidants non professionnels (parents, fratrie, proches, etc.) ainsi qu’aux professionnels : il s’agit de reconnaître les signes annonciateurs de la fin de vie, d’évaluer le niveau de conscience et la perception de la mort de la personne, d’assurer une communication adaptée et empathique avec elle et son entourage, de gérer les émotions et le deuil anticipé et de collaborer avec les autres acteurs du parcours de soins (médecins traitants, réseaux de soins palliatifs, services hospitaliers, etc.).
La majorité des travaux portant sur les accompagnements de fin de vie pour les personnes en situation de polyhandicap est menée par des équipes néerlandaises, en lien avec les avancées récentes sur la législation sur la fin de vie aux Pays-Bas. Les parents jugent que les décisions médicales de vie et de mort doivent être prises en fonction de leur estimation parentale de la qualité de vie de leur enfant, car ils sont les plus à-même de l’évaluer avec justesse. Une prise de décision commune partagée entre les parents et les équipes médicales est souhaitée. Pour ces parents, les principaux critères à évaluer sont l’importance de la souffrance de leur enfant et sa qualité de vie. Certains critères n’ont pas la même valeur pour les parents et les soignants : pour les parents, l’état de conscience de base et l’importance des limitations liées aux handicaps sont importants alors que les médecins s’attachent plus aux possibilités de développement cognitif et à la capacité d’avoir des interactions avec autrui. Le rôle des infirmières est très important comme médiatrices entre les médecins et les parents dans ces contextes difficiles.
Bien que la vulnérabilité et la fragilité médicale des personnes polyhandicapées soient reconnues par leurs aidants familiaux ou professionnels, il est pourtant souvent difficile de repérer le moment opportun de l’orientation des objectifs de prise en charge éducative ou rééducative vers un accompagnement de la fin de vie centré alors exclusivement sur le confort. La répétition d’épisodes de décompensation aiguë conduisant à une hospitalisation (dont un séjour en réanimation ou en unité de soins continus) est plus fréquente chez les enfants polyhandicapés, et ce d’autant plus qu’ils bénéficient de soins techniques au long cours (qui en soulignent un peu plus la fragilité). Il est ainsi difficile, face à la répétition des épisodes aigus, d’identifier à quel moment la situation de la personne bascule et peut conduire à son décès. Il faut souligner l’intérêt d’une collaboration entre les différents acteurs du parcours de soins pour éviter, quand cela est possible, certaines hospitalisations mais aussi pour adapter au mieux les décisions quant au niveau de soins adapté à la personne.
La majorité des décès survient actuellement à l’hôpital, éventuellement en unité de soins intensifs, mais une proportion importante d’enfants avec une maladie neurodégénérative décède à domicile.
Si la fin de vie de la personne polyhandicapée intervient dans le cadre familier de son lieu habituel de vie (l’établissement médico-social et/ou le domicile), auprès de ceux qu’elle connaît et qui l’ont accompagnée toute sa vie, cela nécessite de prévoir des moyens humains et financiers adaptés.
En cas de transfert en milieu hospitalier, il est nécessaire de prévoir la mise en place de dispositifs d’accueil des aidants habituels, non seulement à même d’être médiateurs de la personne auprès de l’équipe soignante mais également de pouvoir rassurer la personne par leur présence pour l’accompagner au mieux. Ces dispositifs doivent permettre de répondre aux besoins des patients, familles et professionnels, en termes d’évaluation et d’adaptation des traitements, de capacités d’accueil et temps d’échange suffisants en amont, pendant le décès mais également après, avec la poursuite des échanges multidisciplinaires et collégiaux ainsi que la formation des professionnels. De fait cela nécessite des moyens financiers et humains dédiés, en lien avec des équipes spécialisées en soins palliatifs, en service spécialisé pédiatrique ou dans les services de soins intensifs où ces situations d’accompagnement de fin de vie sont fréquentes.
Les soins palliatifs font aujourd’hui partie du mandat social confié à la médecine. La médecine palliative peut soutenir une démarche soignante et humaine qui tient compte des vulnérabilités de l’enfant polyhandicapé. Pourtant, encore trop peu d’établissements inscrivent l’accompagnement de fin de vie dans leur projet. Dès lors, il n’existe que peu de protocoles d’accompagnement de fin de vie, rédigés en coopération avec la personne elle-même et les proches. Les enfants ou adultes sont alors réorientés dans la grande majorité des cas vers le domicile ou vers un établissement de santé car l’accompagnement est alors considéré comme trop lourd pour l’équipe de l’établissement.
Pour intégrer une démarche palliative dans l’établissement, il est indispensable de mener une réflexion sur des changements de fonctionnement là où les pratiques de concertations font défaut, mais également d’apporter les moyens financiers et humains rendant possible cette démarche.
En effet, la fin de vie de la personne polyhandicapée doit être considérée comme faisant partie intégrante de son projet de vie. L’accompagnement de la famille et de l’équipe pluridisciplinaire habituelle de la personne par une équipe de soins palliatifs est précieux, pour garantir un questionnement éthique tout au long de ce moment, aider à un positionnement et garantir une démarche optimisée dans la lutte contre la souffrance physique mais également psychique de la personne et de son entourage.
Rappelons que si la mise en place de soins palliatifs est possible pour les sujets ayant fait l’objet d’une décision de limitation et d’arrêt de traitement (LAT) depuis la loi de 2016 Clayes-Leonetti, cette démarche palliative ne doit pas être réservée à ces situations et dans les situations de pathologies chroniques complexes, a fortiori non curables. La notion de démarche palliative intégrée précocement (et en associant le cas échéant avec une démarche dite curative) a montré un bénéfice dans un certain nombre de situations, avec notamment des enfants qui décédaient avec moins de supports techniques agressifs et plus fréquemment en dehors du service de réanimation quand une démarche palliative intégrée avait été mise en place.
L’appel aux ressources en soins palliatifs doit donc être encouragé et des rencontres régulières être organisées entre équipes de soins palliatifs et équipes accompagnantes pour apprendre à se connaître et à collaborer. Au-delà de la gestion de la douleur, de la qualité de vie de l’enfant et sa famille, la communication avec les équipes et leur soutien, l’aide à la décision mais aussi le suivi du deuil des parents et fratries relèvent du champ de la médecine palliative.
Lors d’un épisode de décompensation ou d’une maladie venant aggraver son état de santé, la personne polyhandicapée et ses proches sont souvent confrontés à la question de l’obstination thérapeutique déraisonnable. Le critère de la qualité de vie doit rester l’élément central de la pertinence des traitements. Or la représentation de la qualité de vie est partiellement construite par les tiers, la famille et les professionnels de santé. Cette évaluation peut être également perturbée par les ressentis de l’entourage : perte du sens du soin pour les soignants qui se sentent démunis face à la personne, attachement à la vie de la part de l’entourage familial, engagement de la responsabilité du médecin, etc. Il paraît nécessaire de respecter la temporalité de chaque partie prenante et de permettre à chacun de cheminer dans le temps et dans la prise de décision. Mais c’est l’intérêt premier de l’enfant ou de l’adulte polyhandicapé qui doit impérativement guider la décision.
La décision d’arrêt de soins de support, comme l’alimentation et l’hydratation entérales notamment, suscite des problèmes complexes, douloureux et encore non résolus. Certains proches de la personne polyhandicapée pourraient considérer qu’interrompre ces soins (qui leur semblent relever des besoins élémentaires et d’une attitude digne) consisterait à engager un processus qui mènerait à la mort « de faim et de soif ». Leur approche est toute autre pour des thérapeutiques antalgiques et sédatives, y compris s’agissant de la sédation en phase terminale face à un symptôme réfractaire, dont ils comprennent les justifications dans un contexte donné, avec pour finalité le respect du bien-être de la personne en fin de vie. Le cadre de référence étant différent pour les familles et les médecins, nous pouvons souligner l’importance de s’accorder sur les mots et les concepts afin d’éviter les malentendus, mais également l’importance de parler de la mort avec la personne polyhandicapée elle-même, et d’annoncer également les décès à ses pairs. Rappelons que si la décision de limitation et/ou arrêt de traitement relève légalement d’une décision médicale après réunion collégiale, l’avis des titulaires de l’autorité parentale doit être sollicité. Ils doivent être informés de la réunion collégiale, et la recherche du maintien de l’alliance thérapeutique est habituellement privilégiée dans ces situations difficiles.
La fin de vie de la personne polyhandicapée soulève ainsi des enjeux autour de la prise de décision pour autrui ou de la prise de décision assistée qui est recommandée par l’article 12 de la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées. L’anticipation dans le cadre d’un projet de soins co-construit avec l’ensemble des partenaires du soin (patient, aidants familiaux et professionnels, équipes médicales) et évolutif au gré des épisodes de vie de la personne, dans une démarche palliative intégrée de type Advance Care planning, semble intéressante mais mérite d’être validée scientifiquement. Tout au long de ce processus, la question de la communication entre les acteurs et l’utilisation d’un lexique commun, qui devra le cas échéant être reprécisé, sont essentielles pour permettre un accompagnement au plus près de l’intérêt premier de la personne.
L’éthique du soin (ou care) questionne les limites actuelles des politiques de santé publique concernant la fin de vie, au regard de leur orientation générale, mais aussi des moyens accordés. La question est de savoir s’il y a encore une place pour une réflexion éthique dès lors que les questions de coût et d’organisation prennent le dessus, notamment pour les groupes de population vulnérables et les décisions médicales dites « difficiles ».

La personne polyhandicapée, ses aidants et la société

Famille, proches aidants et professionnels

La sévérité de la condition des personnes polyhandicapées ainsi que leur dépendance et leur vulnérabilité impactent lourdement leur entourage, qu’il soit familial ou professionnel. Si l’exercice de la parentalité n’est pas remis en question par la situation de polyhandicap, le parent va devoir toutefois trouver sa place et assumer ses responsabilités parentales dans une configuration complexe. En effet, la fonction éducative apparaît au second plan derrière la fonction thérapeutique, compte tenu des enjeux vitaux pour l’enfant et des besoins de soins au long cours.
Prendre soin de son enfant polyhandicapé, assurer son bien-être et son éducation conduisent les parents à une vigilance de tous les instants, y compris parfois la nuit, la privation de sommeil ayant des conséquences néfastes sur la santé des parents. Les parents éprouvent des difficultés à déléguer leur responsabilité à une autre personne, en particulier à cause des attentes sociales à leur égard et/ou du défaut d’un étayage professionnel suffisant. La charge parentale est lourde, sur le plan concret comme sur le plan émotionnel : i) ils doivent faire face à des conflits de rôles, en référence aux nombreux rôles qu’ils vont devoir assumer pour répondre aux besoins médicaux, éducatifs et sociaux de leurs enfants ; ii) ils doivent assumer des soins médicaux et faire face aux préoccupations financières liées à la prise en soins de l’enfant ; iii) ils sont confrontés à une perte de contrôle sur le temps et à une perte d’indépendance liée au caractère chronique et invalidant du polyhandicap. Étant donné leur fatigue importante et le peu de temps personnel dont ils disposent, certains parents d’un enfant polyhandicapé ont tendance à ne pas investir beaucoup d’énergie dans leur couple, à s’éloigner de leur conjoint(e) et à avoir moins de moments d’intimité. A contrario, d’autres développent entre eux des co-étayages et des stratégies résilientes pour mieux résister au stress. Si les parents s’adaptent en majorité à la situation, c’est toujours au prix de « surcharges physique et psychologique » et d’éprouvés de culpabilité les conduisant à agir de manière ambivalente, avec un besoin de réparation constante. Il y a apparition d’un syndrome de burn-out ou d’une dépression quand les capacités d’adaptation et les ressources d’un aidant face à une situation de soins sont dépassées. La situation de polyhandicap peut également avoir un impact psychologique négatif sur la fratrie, avec des vécus de honte, de culpabilité ou des phénomènes de parentification.
L’aide des professionnels doit ainsi s’orienter vers la prise en compte des difficultés potentielles de communication au sein de la famille (parents, fratrie) et vers l’étayage de cette communication, en particulier dans les moments plus difficiles (puberté, transitions, projet de vie pour l’avenir d’adulte). Les parents et plus globalement la famille, ont besoin d’étayages à différents niveaux (fonctionnel, psychologique, physique, etc.) et sous différentes formes (écoute, information, formations, relais, répits, etc.). Ces besoins de soutien concrets vont varier en fonction de la temporalité propre à chaque famille, de l’âge de l’enfant, de leurs vécus subjectifs, et des contraintes imposées par le polyhandicap (hospitalisations, dégradation de l’état de santé, etc.). Cependant, nous avons pu montrer qu’il existe des invariants concernant les besoins des parents : se savoir entendus et reconnus dans leur expertise de parents, être écoutés et respectés, y compris dans leur ambivalence, être bien informés, permet aux parents de pouvoir exercer « une parentalité soignante » qui s’ajuste au mieux aux besoins de leur enfant polyhandicapé. La famille, les proches aidants et les professionnels constituent en effet, par leurs observations et leurs analyses, des « porte-parole » de la personne polyhandicapée, témoignant du vécu de celle-ci.
Le fait de pouvoir partager la responsabilité de l’accompagnement de leur enfant avec les professionnels, avec authenticité, mais aussi maintenir une vie sociale et professionnelle contribue à soutenir les parents contre l’épuisement (fonction sociale protectrice). La possibilité de rencontrer d’autres parents avec des vécus similaires dans le cadre d’associations, de réseaux sociaux ou de dispositifs de parole, et d’échanger entre pairs, constitue par ailleurs une aide précieuse pour réduire le sentiment d’isolement.
Les auxiliaires de vie sociale (AVS) et les accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH) déchargent la famille du poids de certains soins médicaux et du quotidien, et partagent avec elle leurs observations et leur compréhension des besoins de l’enfant. Leur pérennisation auprès des familles constitue donc un enjeu important pour la personne polyhandicapée et sa famille elle-même. Cependant, le manque de formation et de reconnaissance professionnelle, ainsi qu’un vécu d’isolement peuvent avoir raison de l’engagement de ces professionnels intervenant au domicile.
Avec l’âge, les besoins d’un environnement élargi se font sentir. L’adolescent et a fortiori l’adulte polyhandicapé vont être de plus en plus accueillis en institution, y compris en internat. L’influence des professionnels sur la qualité de vie de la personne polyhandicapée va ainsi croître. Lorsqu’elles sont anticipées et préparées, les transitions vers d’autres espaces collectifs, notamment à l’entrée dans l’âge adulte, peuvent contribuer à l’amélioration de la qualité de vie de la personne polyhandicapée.
Accompagner des personnes polyhandicapées implique de bénéficier de moyens humains suffisants et d’une équipe pluridisciplinaire ayant des compétences et des qualifications diverses. Chaque corps de métier doit être reconnu et avoir une place identifiée et repérable dans l’organisation, sans qu’il y ait de prédominance du médical sur l’éducatif, de la rééducation sur les soins infirmiers, et vice versa. Ce sont la mise en commun des expériences et le travail transdisciplinaire qui apportent de la cohérence au projet de vie.
Pour les professionnels intervenant en institution, l’optimisation et l’adaptation de leurs environnements de travail, en particulier le maintien d’un ratio personnel/patient élevé et des mesures ciblées (dispositif d’analyse de pratiques), et le travail d’équipe limitent la charge physique et émotionnelle inhérente au contexte de polyhandicap.

Communication

La communication se situe au centre des méthodes d’accompagnement de la personne polyhandicapée. Elle constitue un droit humain fondamental et est intrinsèquement reliée à la notion de participation sociale qui est développée dans un paragraphe ultérieur de cette synthèse. La communication peut se définir comme la possibilité pour une personne d’être comprise par des moyens verbaux ou non verbaux et de se faire comprendre alors qu’elle est impliquée dans une activité avec un contexte social donné.
Les déficiences cognitives et motrices des personnes avec un polyhandicap induisent un handicap de communication important qui entrave leur participation aux interactions de leur quotidien et péjore leur place sociale. Les personnes polyhandicapées communiquent de manière non-verbale et parviennent difficilement au niveau symbolique. La mise en place d’une communication multimodale avec les personnes polyhandicapées est indispensable. L’entrée en relation peut s’établir par le toucher, par les regards. C’est le dialogue somatique décrit dans le cadre de la stimulation basale. Les personnes polyhandicapées s’expriment de manière concrète par des gestes, des vocalises, des mouvements du corps et des regards. L’intentionnalité des comportements est parfois difficile à établir. Leur communication peut encore être entravée par leur état de vigilance, leur état de santé et les déficiences sensorielles fréquentes.
Ces déficiences induisent une dépendance de la personne aux interprétations des partenaires de communication ainsi qu’au contexte physique et à l’ici et maintenant. Les personnes non oralisantes sont limitées à désigner des éléments du contexte. Dans le cas du polyhandicap, cette limitation à l’ici et maintenant est due à la déficience langagière comme intellectuelle, dont l’importance peut réciproquement être majorée par l’absence de communication adaptée. Elles impliquent un ajustement de leurs partenaires de communication, un aménagement du contexte et justifient la mise en place de moyens facilitant la participation des personnes à ces interactions.
Dans l’idéal, les partenaires de communication ajustent la temporalité de l’interaction en laissant le temps à la personne polyhandicapée d’intervenir et en lui offrant des opportunités de communication. Ils interprètent les comportements de la personne et leur donnent réponse.
L’aménagement du contexte physique des personnes polyhandicapées limite les stimulations sensorielles difficiles à interpréter et potentiellement envahissantes. Les activités de la personne sont rendues routinières et prévisibles ; le déroulement de la journée est routinisé, chaque transition est annoncée de manière intelligible à la personne polyhandicapée afin que chaque étape de la journée puisse être anticipée.
Les moyens de communication alternative et améliorée (CAA) proposés doivent être adaptés aux capacités motrices et cognitives de la personne polyhandicapée. Ils rendent possible le développement de la communication et favorisent l’accessibilité de la communication. Il peut s’agir d’objets référentiels, de gestes conventionnels, inspirés et adaptés de la langue des signes (selon la zone géographique) ou des moyens technologiques. Ces moyens de CAA peuvent être combinés et être utilisés pour l’expression et/ou pour la compréhension.
Parmi les moyens technologiques, il y a les contacteurs qui peuvent varier selon la surface d’appui, la force de pression nécessaire pour les déclencher et la partie du corps impliquée dans l’appui. Il existe pour certains la possibilité d’utiliser le contrôle oculaire.
Les moyens de CAA rendent également accessible à la personne polyhandicapée son rôle d’agent sur son contexte physique et social et l’apprentissage des liens de cause à effet. Ils participent ainsi à développer la conscience de soi et préparent la mise en place de la communication.
Ces moyens de CAA doivent être associés à des méthodes d’implémentation, à une démarche d’évaluation dans les contextes sociaux de la personne et supposent une formation des partenaires de communication, des professionnels comme des familles. Ces formations doivent être financées, comme c’est le cas en Suède pour les parents d’enfants polyhandicapés.
Le polyhandicap induit des situations d’une grande hétérogénéité. Les réponses à apporter sont donc adaptées et individualisées. Elles s’appuient sur une observation fine de la personne et une pré-supposition de ses potentialités d’évolution avec des approches et des moyens adaptés. L’évaluation de la communication des personnes peut être faite par l’observation directe ou à l’aide de grilles d’observation. Cette évaluation doit être menée en équipe transdisciplinaire. Les manières de communiquer de la personne et les ajustements pour communiquer avec cette personne doivent être connus de tous ses partenaires de communication. Les partenaires de communication doivent identifier les manières parfois idiosyncrasiques, c’est-à-dire utilisées uniquement par la personne, de communiquer, proposer des opportunités de communication et répondre de manière adaptée à ses tentatives de communication. Ils doivent utiliser des modalités de communication accessibles, et adapter la temporalité de leur échange à celle de la personne en situation de polyhandicap.
Les activités proposées à la personne polyhandicapée doivent induire un rôle actif de sa part. Les stimulations sensorielles sont un bon contexte de déploiement de la communication. Néanmoins, il faut s’assurer que la personne puisse par exemple déclencher des stimulations.
Le raisonnement clinique qui sous-tend les choix de moyens de CAA est encore peu documenté. Un manque de transfert concret existe entre les recommandations de la recherche à propos de pratiques validées dans la littérature et les pratiques cliniques de terrain.

Les apprentissages

La personne polyhandicapée a la possibilité de progresser si tant est que des aménagements adéquats soient mis en place, qu’une évaluation de ses déficiences, de ses potentialités et ses modalités particulières d’être au monde et de communiquer soit conduite, et que sa trajectoire personnelle d’évolution soit prise en compte.
L’éducation tout au long de la vie des personnes polyhandicapées, et plus récemment encore l’enseignement qui leur est donné, soulève de nombreux défis pour les familles, les praticiens et les politiciens. Se posent notamment les questions de la bonne connaissance de leurs besoins spécifiques, des pratiques et des méthodes adaptées, et de la formation des professionnels. La mobilisation spontanée dans l’activité et l’exploration est fortement entravée par des limitations importantes (déficits sensoriels et moteurs, modalités de communication restreintes, etc.), ce qui complexifie l’accès aux apprentissages pour la personne polyhandicapée. Cependant, quels que soient ses déficiences, son âge et son profil, la personne polyhandicapée possède bien des capacités d’apprentissage.
Du fait de son extrême vulnérabilité physique, la personne polyhandicapée a besoin d’un haut niveau d’attention et de soin. Ainsi, toute situation du quotidien constitue potentiellement une situation d’apprentissage, à condition qu’elle respecte les besoins spécifiques de la personne polyhandicapée, soutienne et n’entrave pas son désir et ses possibilités d’apprendre. La première visée est fondamentale et relève autant du soin que de l’éducation et de l’enseignement : permettre à la personne, quel que soit son âge, de se créer ou de maintenir, selon les cas, une représentation la plus unifiée et cohérente possible d’elle-même et de son environnement, favoriser l’appropriation progressive de ses différents systèmes sensorimoteurs sur un mode instrumental. Il conviendra pour cela d’aider la personne polyhandicapée à discerner à l’intérieur des expériences multi-sensorimotrices ce qui relève de l’activité auditive, visuelle, motrice, tactile, etc., puis à coordonner et intégrer ses différentes expériences (sensori-motrices, perceptives, sensorielles et conceptuelles) de manière qu’elles prennent sens pour elle. Pour répondre à l’exigence d’une approche éducative cohérente et holistique qui prenne en considération la personne dans son entièreté et contribue à répondre à ses besoins de développement fondamentaux et singuliers, de nombreux auteurs s’entendent sur la nécessité d’élaborer un « projet éducatif individuel » conçu et partagé en équipe élargie aux parents.
Des conditions fondamentales, d’ordre institutionnel, didactique et méthodologique, doivent être réunies pour que la personne s’engage sur la voie de l’apprentissage. Ce sont :
• le projet éducatif individuel, qui doit s’étayer sur une évaluation globale du fonctionnement. Y figurent les objectifs d’apprentissage à long terme et à court terme, le choix des stratégies éducatives pour atteindre ces objectifs et rendre l’environnement accessible. Nous avons montré qu’en France cet outil n’existe pas en tant que tel ;
• l’évaluation globale qui s’organise en équipe pluridisciplinaire élargie aux parents. Elle apporte des informations précieuses sur le fonctionnement cognitif, sensoriel (visuel, auditif, tactile, olfactif) et moteur, si toutefois elle se fait dans le milieu de vie habituel de la personne polyhandicapée, et se répète, grâce à des observations continues et fines. Elle peut utiliser des situations médiatisées par du matériel. Pour être efficiente, il est recommandé qu’elle privilégie un croisement des points de vue entre parents et professionnels ;
• la mise à disposition des outils pédagogiques qui, avec le matériel adapté, favorise l’apprentissage et la participation des élèves polyhandicapés. Il peut s’agir de dispositifs de communication alternative et améliorée, du matériel sensoriel, des tablettes numériques adaptées. Par exemple, des interrupteurs ou des contacteurs seront utilisés pour offrir des moyens de contrôle et d’expression à la personne polyhandicapée, ou encore pour susciter sa participation, améliorer ses états d’éveil et son engagement ;
• un suivi coordonné au sein de l’équipe. Les rôles et les responsabilités doivent être clairement identifiés, une concertation et une communication efficaces s’imposent pour réussir. Créer des opportunités d’apprentissage et de mobilisation cognitivo-sensori-motrice est essentiel et doit être mis en œuvre non seulement par le personnel enseignant, mais aussi par le personnel soignant ;
• un partenariat de qualité avec les parents. De nombreux auteurs le présentent comme un aspect central de l’éducation des élèves polyhandicapés.
Sur le plan didactique, il est important de favoriser la participation active de la personne plutôt que la stimulation passive, d’offrir des régularités de manière à construire des invariants cognitifs, mais aussi des expériences nouvelles pour introduire du changement et du plaisir à sortir d’une zone de confort. L’apprentissage proposé doit se situer dans une zone de potentiel apprentissage, à un niveau de développement déterminé par la résolution de problèmes sous la direction d’un adulte ou en collaboration avec des pairs plus compétents. Pour développer l’éducation cognitive lors d’activités d’apprentissage structurées et les capacités d’interagir avec autrui, plusieurs principes s’imposent :
• créer un environnement accessible et adapté. Il s’agit de mettre les objets de connaissance « à la portée des sens » de la personne, de manière qu’elle en perçoive l’existence physique, et ait l’opportunité de s’en construire une représentation ;
• favoriser l’engagement corporel et le mouvement ;
• proposer des contenus d’apprentissage signifiants pour la personne. Les auteurs consultés insistent sur la nécessité de proposer des activités prenant en compte les intentions, les intérêts et les préoccupations de la personne ;
• favoriser les situations d’interaction avec des pairs. Pour cela, les personnes polyhandicapées doivent avoir la possibilité de rencontrer leurs pairs en partageant un espace-temps et des activités ensemble. Leur installation dans l’espace est également primordiale pour favoriser une communication qui s’exerce souvent dans la proximité des corps et par l’intermédiaire de signes parfois très discrets. Le comportement du professionnel a également une influence majeure sur les comportements interactifs.
En conclusion, nous retiendrons que les personnes polyhandicapées apprennent malgré la massivité de leurs troubles, et qu’apprendre doit constituer un objectif pour tous, professionnels de l’accompagnement et aidants naturels, tant il y a intérêt à penser l’apprentissage de manière continue (« tout au long de la vie » et dans les différents espaces de vie), très individualisé, et en lien avec le soin.
La grande hétérogénéité de ce public, avec des profils de compétences et des parcours de développement très atypiques, impose, en opposition aux modèles traditionnels d’acquisition de performances à partir de prérequis et d’objectifs définis dans un programme, de comprendre les stratégies et les besoins propres à chaque personne polyhandicapée. Ceci avant d’envisager des objectifs d’apprentissage, de façon à ce que les apprentissages proposés aient du sens pour la personne polyhandicapée. Nous avons pu montrer que pour répondre à ce défi, il est nécessaire de développer une approche pédagogique holistique, un projet éducatif personnalisé, et un plan d’étude définissant clairement les objectifs d’apprentissage attendus pour les élèves polyhandicapés. Les défis que soulèvent les apprentissages sont encore nombreux mais les connaissances en ce domaine permettent d’affirmer qu’en respectant certains principes (didactiques, méthodologiques) et en adoptant des stratégies pédagogiques adaptées, la personne polyhandicapée peut tirer un réel profit des situations d’apprentissage.

Inclusion et scolarisation

Quelles que soient leurs capacités, les enfants polyhandicapés ont le droit d’accéder à une scolarisation ajustée à leurs besoins : réfléchir aux types d’apprentissages qui leur seraient bénéfiques correspond à la fois à une injonction légale en même temps qu’à la préoccupation éthique de leur offrir le meilleur développement possible.
Des réticences existent parfois chez les enseignants exerçant hors du milieu spécialisé et même en milieu spécialisé, certains professionnels doutant de l’intérêt d’une scolarisation pour les jeunes polyhandicapés. Il convient donc d’insister sur l’importance de la formation des enseignants et des professionnels médico-sociaux pour lutter contre ce type de représentations.
Le handicap « extrême » qu’est le polyhandicap peut avoir la vertu de questionner le cadre institutionnel et ses exigences implicites : pour y être accepté et enseigné, quelles sont les conditions requises dans l’accueil de l’élève en situation de polyhandicap ? De quels apprentissages et de quelles adaptations parle-t-on ? Comment penser les contenus ?
Pour adapter au mieux les modalités d’enseignement, il faudrait pouvoir cerner finement les capacités d’apprentissage des enfants polyhandicapés et s’appuyer sur une connaissance réelle et non pas supposée du polyhandicap.
Ainsi vont s’opposer deux tendances : l’une consistant à revendiquer l’inclusion scolaire au nom du droit ; l’autre (moins fréquente chez les chercheurs, plus fréquente en France chez les acteurs de terrain et les parents) supposant que les institutions sont le meilleur environnement pour ces enfants puisqu’elles sont les mieux à même de leur offrir quotidiennement à la fois des soins, des activités et des enseignements adaptés à leurs besoins.
Illustration de la polarité entre l’inclusion en milieu ordinaire et la scolarité en établissement spécialisé
La position défendant le « tout inclusif » a l’avantage de rappeler le droit à la scolarisation de tout enfant, mais l’inconvénient en pratique de ne pas prévoir comment la mettre en œuvre dans le cas précis des élèves polyhandicapés, à tel point que l’on peut se demander si elle est toujours réalisable. Elle peut conduire à une simple apparence d’inclusion (par exemple, l’enfant est laissé seul au fond de la classe pendant quelques heures par semaine et ne participe en réalité ni aux enseignements ni aux interactions dans la classe). Cette apparence d’inclusion tend à minimiser les difficultés majeures d’apprentissage, de communication et de participation des élèves polyhandicapés relativement aux autres élèves. La notion d’« égalité des chances », souvent citée, n’a ici guère de sens tant l’inégalité de naissance est marquée. Il conviendrait plutôt de parler d’opportunités maximales de développement des compétences individuelles.
La position refusant l’inclusion en milieu ordinaire au profit d’une scolarisation en milieu spécialisé s’appuie sur l’important réseau d’établissements spécialisés existant en France. Elle a l’avantage de rappeler les difficultés de santé et d’apprentissage propres aux personnes en situation de polyhandicap, et l’importance de disposer dans un même lieu des services de soins et des lieux d’enseignement sous la forme de classes adaptées. Mais elle peut conduire à la sous-estimation des capacités en ne proposant que des programmes dits « éducatifs » (en réalité seulement occupationnels), qui ne soient pas conçus comme de véritables enseignements ; d’autre part cette position peut passer à côté des avantages de la socialisation et le développement de ce que l’on appelle les compétences sociales ou social skills.
Entre ces deux tendances, il existe une position plus nuancée, correspondant à l’inclusion relative permettant de construire un parcours de scolarisation « sur mesure » et répondant à une prise en compte ajustée des besoins spécifiques de ces élèves. Elle implique la coopération des équipes d’appui médico-social et des équipes éducatives et pédagogiques des établissements scolaires ordinaires.
Il serait dommage dans le cas du polyhandicap d’étendre les dispositions légales prévues pour des personnes avec des profils intellectuels et une fragilité physique très différents des leurs, sans tenir compte des structures déjà existantes. Cette posture légaliste demande à être réfléchie en fonction des lieux d’accueil déjà particulièrement bien adaptés aux importants besoins des personnes polyhandicapées. La scolarisation en ce cas s’effectuera en unité d’enseignement (UE) interne aux établissements, unités où les objectifs ne seront plus définis en référence à un système scolaire habituel et avec des contenus scolaires standardisés.
L’organisation de la scolarisation peut donc prendre différentes formes, en fonction des objectifs poursuivis, de l’âge et de l’évolution de l’enfant :
• la scolarisation en unité d’enseignement dans un établissement médico-social de type Institut médico-éducatif (IME), Institut d’éducation motrice (IEM), ou Établissements et services pour enfants et adolescents polyhandicapés (EEAP), ce qui permet des échanges avec d’autres enfants ayant des spécificités ;
• l’inclusion à temps partiel ou à temps complet dans une classe en établissement scolaire, avec l’aide d’un Sessad (Service d’éducation spéciale et de soins à domicile) qui apporte un soutien spécialisé ;
• la scolarisation partagée entre deux lieux (établissement médico-social et établissement scolaire) relevant d’une inclusion partielle, ce qui implique des collaborations pour spécifier plus finement les besoins et les moyens, notamment pour permettre à un enfant polyhandicapé de côtoyer d’autres élèves et surtout d’interagir avec eux dans une réelle socialisation.
Les besoins des élèves en situation de polyhandicap peuvent être si spécifiques que cela écarte une vision binaire du problème (scolarisation inclusive ou absence d’inclusion). La vision nuancée permet de réfléchir aux besoins fondamentaux de l’élève polyhandicapé (besoins de sécurité physique et psychique, besoins de soins, besoins d’apprentissages, besoins de relation) et en retour aux outils d’apprentissage scolaire, au contexte d’apprentissage des enfants, au cadre proposé et à l’environnement, de manière à s’assurer que celui-ci soit sécurisant, contenant et régulier.
L’intérêt de cette réflexion sur la pratique est de rappeler qu’il existe un potentiel d’apprentissage en chaque être humain, quelles que soient ses difficultés. Or ce potentiel ne peut apparaître que sous certaines conditions. Il faut insister sur l’exigence de soin et d’accompagnement imposée par la très grande vulnérabilité : plus celle-ci est étendue, plus les différences de traitement et d’encadrement auront des conséquences repérables. L’absence de sécurité intérieure quant au ressenti de l’unité de son corps par exemple, impose à l’environnement humain et matériel d’étayer un vécu corporel afin de le rendre le plus cohérent possible et d’éviter les troubles du comportement à l’âge adulte.
L’évaluation des potentialités, des limitations (déficits) et des besoins d’apprentissage, de manière individualisée, doit avoir lieu en équipe pluri-professionnelle élargie aux parents.
Il faut rappeler en effet le rôle fondamental des parents dans la co-construction puis l’évaluation du projet de scolarisation. On peut parler à ce propos de parents « experts » : ceux-ci consacrent souvent bien plus de temps que les professionnels aux tâches d’accompagnement et par conséquent sont plus à même d’interpréter certains comportements.
Cette transdisciplinarité élargie est la meilleure manière d’approcher la situation complexe qu’est une interaction avec un élève polyhandicapé. Elle permet de réfléchir aux modalités d’expression et d’interaction les plus à même de soutenir des apprentissages qui dans l’immense majorité des cas prendront une forme très originale. Elle peut enfin stimuler la réflexion sur l’enseignement spécialisé en général, et au-delà sur les modalités et objectifs de l’enseignement ordinaire.

Participation sociale

La notion de participation sociale s’est imposée, depuis la fin du xxe siècle, pour parler de la place des personnes handicapées dans la société. L’usage de cette notion résulte de l’évolution des conceptions du handicap, notamment du développement du modèle social du handicap, qui a redéfini celui-ci comme une restriction de participation. Cette notion a ensuite été formalisée dans un certain nombre de textes officiels. Dans le cadre de la révision de la Classification internationale des déficiences, incapacités et handicaps (CIDIH), première classification du handicap de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le Comité québécois a été chargé de proposer une révision du concept de handicap, travail qui l’a amené à proposer une classification alternative à celle de l’OMS, aujourd’hui intitulée « Modèle de développement humain – Processus de production du handicap ». Ce modèle conceptualise la notion de participation sociale ; il insiste sur la dimension situationnelle et interactive de cette participation qui est produite par l’interaction entre des facteurs individuels et des facteurs environnementaux. La notion de participation sociale a ensuite été mise au centre de la nouvelle Classification de l’OMS, de la Classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé (CIF), puis de la Convention internationale relative aux droits des personnes handicapées, adoptée par l’Organisation des Nations unies (ONU). Progressivement, les pays ont également intégré la notion dans leur législation nationale. La participation sociale couvre une diversité de domaines : les activités de la vie quotidienne, les loisirs, les sports, l’éducation, le travail, la vie affective et sexuelle, la vie politique et citoyenne, la recherche, etc.
Les personnes polyhandicapées, parce que leurs déficiences et incapacités sont importantes, sont souvent considérées comme ayant peu, voire parfois pas, de possibilités de participation sociale. Pourtant, ces personnes ont des capacités et peuvent participer aux diverses activités de la vie quotidienne et sociale, grâce à certaines aides, méthodes, outils, et grâce à l’adaptation de leur environnement. Comme de nombreuses études l’ont montré, leur situation de handicap est souvent aggravée par des facteurs environnementaux et sociaux. Agir sur ceux-ci permettrait d’améliorer et de renforcer leurs possibilités de participation y compris sociale. Mettre l’accent sur la dimension sociale de la situation de handicap qui touche les personnes polyhandicapées, et chercher à appliquer, pour ces personnes, comme pour toute personne en situation de handicap, ces textes internationaux, sont essentiels. Mais si plusieurs auteurs soulignent la dimension sociale du handicap pour les personnes polyhandicapées, ils soulignent également la spécificité de leur situation de handicap, notamment du fait de leurs déficiences multiples et complexes. Cette spécificité doit être prise en compte, dans les politiques, pour soutenir la participation sociale des personnes polyhandicapées, et ce dans tous les domaines. Ainsi, la politique d’inclusion et de désinstitutionnalisation, appliquée systématiquement et uniformément à toutes les personnes handicapées, conduit à négliger les modalités de socialisation très singulières des personnes polyhandicapées et leurs besoins d’accompagnement très spécialisés. L’hébergement des personnes polyhandicapées dans la communauté ne conduit pas à l’inclusion effective de ces personnes dans cette communauté, mais peut au contraire accentuer leur isolement. Enfin, la restriction de participation ne touche pas seulement les personnes polyhandicapées, mais l’ensemble de leur famille, et ce tout au long de leur vie, d’où la nécessité de prendre en compte l’expérience des parents et des proches de la personne polyhandicapée.
La participation sociale des personnes polyhandicapées peut être améliorée dans ses différents domaines. L’engagement corporel, moteur et affectif étant l’essence même de l’action, les activités proposées doivent tenir compte des intentions, des intérêts et des préoccupations de la personne. Pour que la personne puisse s’impliquer et s’investir dans une activité, elle doit y prendre un certain plaisir. L’utilisation d’objets adaptés aux capacités motrices de la personne polyhandicapée et munis de capteurs lui permet d’expérimenter un rôle d’agent sur son environnement. Dans différentes publications, un décalage est observé entre les recommandations et les pratiques observées sur le terrain : les interventions relatives à la participation ne correspondent pas à des situations de la vie quotidienne alors que les thérapies doivent viser à rendre possible et à développer la participation de la personne dans son contexte social. Elles doivent impliquer les différentes personnes appartenant au réseau social de la personne et être associées à un aménagement du contexte. Ainsi, l’implémentation de pratiques relatives à la participation suppose la collaboration entre les familles et les équipes professionnelles ainsi que leur engagement dans le quotidien afin que ces pratiques soient déployées dans le contexte de la personne. Les ressources existantes sont alors exploitées et déployées dans le quotidien. Familles comme équipes professionnelles échangent à propos de leurs réussites et de leurs difficultés durant les interventions menées. Chaque membre de ce partenariat travaille activement au maintien des effets de cette intervention. Les conditions de travail des professionnels en institution constituent une entrave au travail sur la participation sociale des personnes polyhandicapées, notamment le manque de personnel, de temps et de compréhension d’une définition de la participation sociale. La pauvreté des activités proposées aux personnes polyhandicapées est liée au manque de support et d’accompagnement (le temps consacré par les professionnels aux personnes polyhandicapées est très limité).
Pour les personnes polyhandicapées, avoir des loisirs est pourtant d’une importance particulière. En effet, leurs activités sont souvent imposées, que ce soient les activités de soins, de thérapies ou occupationnelles. Objectifs de loisir et objectifs de rééducation sont confondus dans ces activités. Or, les activités de loisirs contribuent à la qualité de vie des personnes polyhandicapées, à la prévention des troubles du comportement et au développement de leurs compétences, d’où la nécessité de leur proposer des loisirs adaptés. Avec ceux-ci, on encourage l’inclusion sociale des personnes polyhandicapées, leur permettant de créer des liens sociaux et de s’intégrer dans la communauté. Il est essentiel que les loisirs pour les personnes polyhandicapées soient un « temps de qualité » et non une manière de « passer le temps ».
Enfin, la notion d’autodétermination est intrinsèquement reliée à celle de participation sociale. C’est une dimension collective et relationnelle qui constitue un processus qu’il revient aux professionnels et aux familles de soutenir. Cette autodétermination s’exerce au quotidien, dans l’ensemble des actes de la vie quotidienne. La question de savoir si elle peut ou non s’exercer et comment, dans des actes citoyens tels que le vote, est plus complexe. Les enjeux liés à l’exercice du droit de vote des personnes polyhandicapées sont multiples, et relatifs non pas tant à la promotion de leur autonomie politique, qu’à la défense d’une certaine vision de la citoyenneté et de leur statut de citoyen.
En lien avec cette question de l’autonomie, se pose la question de la possibilité pour les personnes polyhandicapées de participer aux recherches qui les concernent. Dans le cadre d’une recherche inclusive, la participation des personnes polyhandicapées prend d’autres formes que la participation des personnes qui peuvent s’exprimer par elles-mêmes.
Concernant l’évaluation de la participation, les définitions, telles que proposées dans des classifications comme la CIF, restent vagues et donc peu opérationnelles pour définir des critères d’évaluation de la participation. D’autres approches peuvent être utilisées, comme l’approche Family of participation-related constructs. Il s’agit d’une proposition d’outils permettant d’évaluer la participation en établissant des aspects à évaluer. Cette approche s’appuie sur les notions d’engagement dans une activité, d’attention portée à l’activité, d’implication dans une activité et de présence dans l’activité. Elle distingue des éléments intrinsèques liés à la participation : la capacité à réaliser une activité, les préférences éventuelles pour une activité faisant sens pour la personne et la conscience de soi. Des éléments extrinsèques sont également distingués comme le contexte spécifique d’une activité réalisée par la personne et l’environnement général de vie de la personne.
Pour conclure, si la participation sociale des personnes polyhandicapées ne sera sans doute jamais « typique » ou semblable à celle des personnes dites valides, les personnes polyhandicapées ne devraient être exclues, de manière a priori et arbitraire, d’aucun domaine de la participation sociale, au contraire, leur participation aux différentes activités et leur participation sociale doivent être soutenues et renforcées.

Vie affective et sexuelle

Lorsque l’on aborde la question de vie affective, intime et sexuelle, deux écueils principaux sont à éviter, en particulier dans le champ du polyhandicap :
• négliger la question de la vie affective au profit de la vie sexuelle : la vie affective et intime désigne une relation privilégiée et chaleureuse avec autrui (les parents, la fratrie, les pairs, les professionnels…). La vie amoureuse et sexuelle est une forme de relation privilégiée, mais ce n’est pas la seule à compter dans le champ de l’affectivité ;
• croire qu’il est aisé de définir la sexualité. Ce serait risquer de confondre la sexualité avec la sexualité génitale partagée : on peut passer à côté de la sexualité d’une personne polyhandicapée en négligeant la place de la masturbation (en l’assimilant à une simple manipulation sexuelle), en négligeant les zones érogènes autres que génitales, et en ne distinguant pas sensorialité, sensualité, érotisation et génitalité.
La sensorialité est une exploration par les sens, elle devient sensualité lorsqu’elle donne du plaisir (comme lors d’un massage bien-être). La sensualité peut tendre vers l’érotisation, qui passe par des regards, des contacts, des caresses dont l’intention crée un éveil pulsionnel ; enfin la génitalité met en jeu les organes génitaux et autres zones érogènes, soit dans l’onanisme, soit dans une génitalité partagée qui n’est pas toujours synonyme de coït au sens courant.
Interpréter toute manifestation de désir ou de plaisir comme érotique conduit à hyper sexualiser les conduites des personnes. Or on ne peut projeter en matière de sexualité ses propres préférences, ses propres besoins sur des personnes qui en ont une représentation très différente, en particulier lorsque leur vie psychique et leur développement psycho-affectif se situent très loin de la norme, ce qui est évidemment le cas pour des personnes polyhandicapées.
À l’inverse, se représenter ces personnes comme asexuées est aussi une projection, comme si un corps qui a conservé une apparence très juvénile ou n’est pas jugé désirable ne pouvait être celui d’un sujet désirant. Plutôt que présupposer une absence de sexualité, il faudra alors s’interroger sur ce que peuvent être les modalités de cette sexualité (en particulier l’onanisme seul ou partagé dans une intimité avec un pair).
Évoquer en équipe la question de la sexualité est donc important, voire nécessaire et impose beaucoup de prudence quant à l’interprétation de ce qui est désiré et de ce qui est ressenti : il faut pouvoir reconnaître et accepter l’expression des pulsions sexuelles sous un mode inattendu et déconcertant : certains attouchements ou contacts, le jeu avec les matières fécales ou jeu excrétoire (quand il existe un contrôle sphinctérien), etc.
Distinguer plaisir sensoriel et plaisir sexuel n’est pas simple : les sensations agréables comme le massage, la toilette, la détente dans l’eau chaude, les stimulations douces par les musiques, les senteurs, les lumières peuvent être érotisées par certaines personnes polyhandicapées. Mais cela ne veut pas dire qu’elles le soient toujours. L’ambiguïté est majeure lorsque les parties génitales du corps sont mises en jeu : est-ce pour autant de la sexualité génitale ? N’est-ce pas plus proche du plaisir sensuel, voire simplement sensoriel ?
Aider à canaliser l’auto-érotisme est important pour le développement psycho-affectif : l’exploration de son corps est une forme de connaissance de soi et une manière de sortir de ses limites propres par le désir. Laisser libre cours à l’expression de la vie sexuelle est essentiel, tout en l’inscrivant dans le cadre d’un apprentissage du rapport aux autres et de la limite entre le public et le privé. En trouvant la manière adéquate de désigner la sexualité, celle-ci peut s’intégrer pleinement dans le projet éducatif, y compris en manifestant l’interdit de toucher le corps d’autrui quand il s’agit d’un accompagnant ou d’une personne non consentante.
Reconnaître, identifier, tolérer sont des étapes importantes pour ne pas négliger la sexualité de ces personnes, mais doit-on aller plus loin dans l’accompagnement de ces actes ? Faut-il apporter une aide à la masturbation si celle-ci apparaît comme la seule manière d’atteindre le plaisir sexuel pour la très grande majorité des adultes et adolescents polyhandicapés, mais que leurs difficultés motrices l’empêchent ou la rendent difficile ?
Le risque, malheureusement bien réel, est celui d’une « aide » apportée par des accompagnants ou des parents lors de la toilette. Un tel geste masturbatoire « hygiénique » pour évacuer une tension corporelle peut devenir incestueux ; il n’épanouit pas les personnes polyhandicapées ainsi « purgées » mais les inquiète ou les déstructure.
Faudrait-il, s’il devenait légal en France, un accompagnement sexuel pour ces personnes qui n’ont aucune mobilité ? Il supposerait chez l’accompagnant une capacité de discernement et de compréhension de ce qui est en train de se jouer afin de réguler finement l’action de son corps en fonction du désir d’autrui. Sans expression claire du désir et sans retour de la personne concernée, on peut très vite tomber dans la maltraitance involontaire. Or pour beaucoup de personnes polyhandicapées adultes le consentement ne s’exprime pas clairement, ce qui complique fortement la possibilité de l’accompagnement.
Mais l’inaction n’est pas préférable : il est tout aussi illégal d’interdire l’expression de la sexualité de ces personnes en la jugeant fruste ou inexistante. On ne peut par exemple séparer deux résidents en institution ou leur interdire tout contact. Dans le champ de la sexualité, les personnes vulnérables ont les mêmes droits que les autres et ont besoin d’un accompagnement adapté. Réaliser cet accompagnement de manière éthique est en revanche particulièrement délicat. Ne risque-t-on pas de tolérer des abus (par exemple venant de résidents avec handicap intellectuel et psychique sur des personnes polyhandicapées), ou inversement, ne risque-t-on pas d’interdire toute forme de relation au motif des risques encourus ?
La transparence à ce sujet au sein des équipes est donc fondamentale : écarter ces questions ne peut avoir pour résultat que de renforcer les risques d’abus (maltraitances actives) ou de maladresses et frustrations (maltraitances passives). Il apparaît donc essentiel, quelles que puissent être les apparences, la forme de sa sexualité, ses objets, de rétablir le sujet polyhandicapé dans sa place de sujet désirant.
Sur le plan de la vie affective cette fois, certaines personnes polyhandicapées expriment clairement leurs besoins d’affection et de contact par le regard, des vocalises ou des tendances à l’agrippement, quand celui-ci est possible. Le désir de relation et les affinités électives avec certains pairs et certains accompagnants peuvent être palpables.
L’intimité et l’affectivité sont essentielles lorsque l’on se trouve en dépendance physique complète et que l’on ne possède pas une perception unifiée de son corps : face à des angoisses majeures liées à un monde environnant peu compréhensible, face à des réactions extrêmes liées à une hyper-excitabilité, l’affection et l’attention dans le soin ont une place déterminante.
La tendresse a sa place en institution, sans être débordante : elle interroge ce que l’on nomme la « juste distance » professionnelle. Le besoin d’attachement est vital et se nourrit d’une juste proximité, rassurante mais non pas maternante. Cet accordage affectif, qui a aussi de la valeur sur le plan des apprentissages, désigne l’expérience d’une proximité physique et psychique apportant sécurité et confiance, mais bien distincte du rapport amoureux.
Parler de vie affective, intime et sexuelle en institution en oubliant cette dimension de l’affectivité et de la qualité du contact rassurant qui lui est associée serait une erreur grossière.
Compte tenu de la complexité de ces questions, il apparaît nécessaire que la formation professionnelle y insiste, afin de confronter chaque professionnel à ses propres aspirations et freins en matière de sexualité et d’affectivité ainsi qu’aux problèmes posés par la situation bien particulière d’une personne polyhandicapée. L’analyse de la pratique en groupe peut également faciliter la mise en perspective de ses propres convictions initiales et refus éventuels.

Maltraitance

Les études portant sur maltraitance et polyhandicap sont rares, mais convergent autour de l’idée que la vulnérabilité majeure qui caractérise le polyhandicap renforce les risques de maltraitance.
Cette vulnérabilité est physique, mais aussi psychique et il faut insister contre l’idée d’une absence de vie psychique développée chez la personne polyhandicapée. Ajoutons la vulnérabilité communicationnelle ou fragilité liée à l’impossibilité de s’exprimer de manière à être compris ou voir ses intentions comprises.
Nous nous référerons à la définition de la Commission de lutte contre la maltraitance et de promotion de la bientraitance, qui précise qu’elle « vise toute personne en situation de vulnérabilité lorsqu’un geste, une parole, une action ou un défaut d’action compromet ou porte atteinte à son développement, à ses droits, à ses besoins fondamentaux ou à sa santé et que cette atteinte intervient dans une relation de confiance, de dépendance, de soin ou d’accompagnement ».
On repère dans cette définition que la parole peut être violente et maltraitante, de même que le « défaut d’action ». Et ne pas pouvoir s’exprimer majore sans doute ces effets. Une personne polyhandicapée qui ne peut répondre à une parole dévalorisante y est cependant sensible, ne serait-ce qu’à l’intention véhiculée par la tonalité du discours tenu sur elle.
Les atteintes touchant la santé sont ici mentionnées après celles de « son développement », de « ses droits ». Or, du point de vue de ses droits fondamentaux (intégrité corporelle, intimité privée), une personne polyhandicapée est l’égale de toute autre. L’inégalité de fait à la naissance ne fait pas disparaître les droits, au contraire : elle en appelle à une meilleure compensation humaine ou technique de cette inégalité.
Les « besoins fondamentaux » englobent notamment la vie psychique, le besoin affectif et relationnel, le besoin de sécurité. Ces éléments s’appliquent tout particulièrement aux personnes polyhandicapées. Quelles que puissent être leurs capacités intellectuelles ou de conscience de soi, elles ont des besoins affectifs et relationnels et un besoin de sécurité. Elles ont aussi besoin de se sentir estimées et valorisées.
Longtemps les limitations de développement des personnes polyhandicapées les ont fait considérer comme inéducables. Historiquement leurs capacités ont été laissées trop longtemps à l’abandon pour ne pas mettre un soin tout particulier à accompagner aujourd’hui le développement de ces capacités.
L’un des risques de maltraitance des personnes polyhandicapées est de sous-estimer leurs capacités et leur vulnérabilité psychique en raison de leur vulnérabilité physique évidente. La plupart des références bibliographiques consultées soulignent le risque de ne se focaliser que sur l’apparence ou la fragilité physiologique (au demeurant bien réelle), en laissant de côté la vulnérabilité psychique et la vulnérabilité communicationnelle.
La vulnérabilité n’est pas à considérer comme un état, même dans le polyhandicap où les atteintes physiques et intellectuelles sont évaluées comme majeures et risquent donc de laisser penser la vulnérabilité comme intrinsèque, simple résultante de ces atteintes. En réalité cette vulnérabilité est évolutive, liée à des facteurs individuels propres à la personne mais aussi à des facteurs relationnels et environnementaux (familiaux, institutionnels). Il est donc possible d’agir sur chacun de ces aspects.
La maltraitance est elle aussi à concevoir comme un processus : ses formes diverses (physiques, psychiques, etc.) peuvent se cumuler. Même pour une personne qui n’a pas une conscience nette du temps, la répétition des douleurs et difficultés peut être perçue, de même que la discontinuité des actions. La répétition des comportements maltraitants a un effet cumulatif. Une série de maltraitances mineures peut produire, à force de répétitions, des effets comparables à une maltraitance majeure. On distingue classiquement les formes de maltraitances volontaires et les formes involontaires aussi appelées « maltraitances passives » (laisser-faire, négligence, manque de connaissances), jugées de moindre importance. Or la répétition de maltraitances passives (involontaires) est probablement plus fréquente et tout aussi préoccupante que des maltraitances volontaires relevant d’un délit.
La caractérisation de la maltraitance dépend de la vulnérabilité de la personne qui la subit. Cette vulnérabilité étant majeure dans le cas du polyhandicap, l’abus de faiblesse, s’il est caractérisé, est plus fermement condamnable (et condamné lorsque les faits sont avérés). Cette caractérisation pénale pour les formes les plus graves ne doit pas faire oublier les formes de maltraitance involontaires, structurelles ou institutionnelles.
Quand l’accompagnement est aussi lourd au quotidien que dans le cas du polyhandicap, la maltraitance institutionnelle existe, mais est très probablement moins fréquente que la maltraitance familiale (ne serait-ce qu’en raison des effets de l’épuisement des proches). Une recherche à ce sujet pour établir des chiffres précis serait la bienvenue.
On le constate, la maltraitance n’est pas caractérisée par le fait d’agir ou de ne pas agir mais par ses effets. La maltraitance involontaire peut procéder du désir de bien faire, donc de l’illusion de bientraitance, par exemple lorsque l’on pense percevoir les attentes de l’autre en projetant sur lui des aspirations et besoins qui ne sont pas les siens.
La communication dite « facilitée », où l’aidant peut se substituer à la personne concernée, entre dans cette catégorie de la maltraitance involontaire, à la différence d’une communication alternative et améliorée (CAA) adaptée qui permet l’expression individuelle.
Les formes d’expression et de communication (regards, sourires, mimiques faciales, émissions vocales, langage corporel, comportements, silences, postures) peuvent facilement passer inaperçues ou être mal interprétées. Ces difficultés sont telles qu’elles peuvent laisser croire la communication impossible, ou trop limitée pour en retirer une quelconque information. En pratique, cela peut amener à choisir à la place des personnes en les soustrayant à la possibilité d’un assentiment ou d’un refus. Passer du fait d’agir pour l’autre en raison de son incapacité motrice au fait d’agir (et de choisir) à la place de l’autre est un glissement vers la maltraitance passive très fréquent, surtout lorsque l’on connaît bien la personne concernée (ou que l’on croit bien la connaître).
Quelle que soit la classification retenue, il y a continuité entre les maltraitances volontaires actives et les maltraitances involontaires passives relevant de l’ignorance, de l’inattention de l’entourage à la personne polyhandicapée, en particulier lorsque ces maltraitances se répètent et que l’on choisit de fermer les yeux sur elles par habitude.
Soulignons enfin que l’objectivation des mauvais traitements est délicate et appelle à la prudence. Les signes cliniques d’une maltraitance physique (ecchymoses ou hématomes, rougeurs, dénutrition, fractures) peuvent s’avérer difficiles à repérer dans un tableau clinique complexe, d’où le risque d’une mauvaise imputation : on peut supposer à tort une maltraitance ou au contraire sous-estimer son importance. L’imputation erronée d’un acte aux parents ou aux professionnels peut être très grave dans ses conséquences puisqu’ils peuvent être accusés de mauvais traitements intentionnels.
Pour prévenir la maltraitance, des groupes d’analyse de la pratique, une formation continue solide, l’instauration d’une culture de la bientraitance et d’une cellule de veille dans l’établissement sont nécessaires, mais ne peuvent évidemment pas se substituer à des moyens humains suffisants avec des équipements adaptés.
La souffrance psychique des parents est l’une des causes de maltraitance à domicile. Elle doit être prise en compte pour éviter la maltraitance parentale. La solitude est un risque important lorsqu’on prend en soin une personne polyhandicapée, elle peut se conjuguer avec le dénuement et le sentiment d’impuissance, mais elle peut aussi favoriser le sentiment de toute-puissance sur l’autre. Le travail en binôme, les échanges pluridisciplinaires et les discussions de groupe sont essentiels pour éviter cet isolement, un isolement que l’on retrouve malheureusement fréquemment chez les parents, en particulier ceux qui ont été contraints de renoncer à leur activité professionnelle pour s’occuper de leur enfant. Dans ce dernier cas, les associations, les groupes de discussion sur les réseaux sociaux et les différentes solutions de répit proposées sont un moyen de limiter les effets de la mise à l’écart sociale. La souffrance psychique des parents est l’une des causes de maltraitance à domicile. Elle doit être prise en compte pour éviter la maltraitance parentale.

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