Polyhandicap

2024


ANALYSE

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Analyse


Préambule : Qu’est-ce qui fait de nous des humains ?

Qu’est-ce qui fait de nous des humains ? Cette question pose un défi de taille lorsqu’on aborde le polyhandicap. Et elle a donné lieu à des débats dans l’espace scientifique. En guise de préambule, le groupe d’experts a souhaité revenir sur cette question, pour en présenter les enjeux théoriques et pratiques. En effet, pour la majorité d’entre nous la raison est la caractéristique majeure de l’humanité. C’est également ainsi que la philosophie occidentale l’entend (Hodgkinson et coll., 2004renvoi vers ; Vehmas et Curtis, 2017renvoi vers ; Cavalié, 2021renvoi vers ; Vorhaus, 2021renvoi vers et 2022renvoi vers). Pour la plupart des philosophes, et à leur suite le « sens commun » occidental, la raison, le langage et la conscience de soi constituent les signes de l’humanité1 . Mais s’ils sont les signes de l’appartenance d’un être vivant à l’humanité, alors il devient difficile d’y inclure les personnes polyhandicapées. Il ne suffirait donc pas de naître biologiquement humain pour être reconnu comme humain, il faudrait en plus être doté de raison. Mais si une telle idée n’est pas acceptable, il faut alors ré-interroger les critères de l’humanité. La philosophe Eva Kittay, elle-même maman d’une jeune femme polyhandicapée, raconte ainsi comment la naissance de sa fille et surtout l’expérience quotidienne avec elle se sont invitées dans sa réflexion philosophique et lui sont apparues comme un défi car introduisant un décalage entre sa vie vécue et les théories philosophiques qu’elle côtoyait :
« Comment peut-on inlassablement lire et enseigner des textes qui donnent à la Raison une place de choix dans le panthéon des capacités humaines, alors que chaque jour j’interagis avec un être humain merveilleux qui ne présente aucune preuve indiscutable de capacité rationnelle ? Comment peut-on considérer le langage comme la spécificité même de l’humanité, alors que cette même fille ne peut pas prononcer un mot ? Comment peut-on lire que la justice est la conséquence d’accords contractuels réciproques, alors que son propre enfant n’est pas en mesure et ne le sera apparemment jamais, de participer à des accords contractuels réciproques ? Ma fille a contredit la plupart de toutes mes croyances philosophiques professées » (Kittay, 2019renvoi vers).
Si Eva Kittay, en se saisissant de son expérience quotidienne, a répondu à cette question en proposant une conception alternative de l’humanité, qui inclut les personnes polyhandicapées, il existe plusieurs réponses possibles à cette question, chacune de ces réponses se référant à une conception particulière de l’humanité. Dans ce préambule, nous proposons de parcourir les réponses données par différents auteurs afin d’éclairer les prises de positions courantes que l’on peut rencontrer en pratique. En effet, les conceptions théoriques ne restent pas cantonnées au monde lointain des philosophes, mais imprègnent nos manières de penser et nos représentations communes de ce que sont les personnes. D’autre part, et surtout, ces conceptions, parce qu’elles imprègnent nos pensées, ont des incidences pratiques, elles influent sur la manière dont nous considérons, mais aussi dont nous nous comportons, prenons soin ou pas, des personnes polyhandicapées. Ces conceptions philosophiques induisent des valeurs éthiques, qui en pratique, vont orienter notre action dans un sens ou un autre. Certaines situations complexes dans lesquelles des décisions importantes sont à prendre, conduisent les personnes, proches ou soignants, à s’interroger sur ce qui est « bien » ou « mieux » pour la personne polyhandicapée et apparaissent comme une mise à l’épreuve de ces conceptions (Zucman, 2004renvoi vers ; Billette de Villemeur, 2016renvoi vers et 2017renvoi vers ; Blondel et Delzescaux, 2018renvoi vers).
La suite de notre chapitre sera structurée en deux parties. Dans la première, nous revenons sur le débat existant autour de l’humanité des personnes polyhandicapées, notamment tel qu’il a opposé Eva Kittay à deux autres philosophes, Peter Singer et Jeff McMahan, qui font partie de ceux qui dénient l’humanité aux personnes polyhandicapées au titre d’une recherche concernant les critères d’humanité. Dans la seconde partie, nous présentons les conceptions que l’on peut qualifier d’inclusives ou de « plus vastes », de l’humanité, développées par différents auteurs. Nous en avons identifié trois types : l’humanité relationnelle (E. Kittay), l’humanité pragmatique (conception s’inspirant des courants pragmatiques en philosophie et en sociologie), et l’humanité subjective (G. Saulus et J. Dind).

Les questionnements autour de l’humanité
des personnes polyhandicapées

Si l’humanité biologique des personnes polyhandicapées ne pose pas question, leur appartenance à l’humanité définie par des capacités spécifiques par rapport aux animaux est plus sujette à caution. Ce qui fonde notre humanité partagée n’est pas seulement l’acide désoxyribonucléique (ADN) ou l’attachement que nous pouvons avoir pour tel ou tel individu, mais encore des capacités propres à chaque individu, comme une capacité de langage et d’abstraction que ne possèdent pas les animaux. La référence à l’animalité n’est pas fortuite : pour certains auteurs contemporains, comme Peter Singer, se questionner sur les critères d’humanité au sein même de l’espèce humaine vient s’inscrire dans une perspective que lui-même nomme anti-spéciste, visant à revaloriser la condition animale. Son raisonnement peut être résumé ainsi : si nous nous émouvons collectivement du traitement réservé à certaines personnes très handicapées au sein de l’espèce humaine, pourquoi ne pas nous émouvoir du même traitement réservé à un animal dont les capacités de sentir et d’éprouver de la souffrance sont aussi importantes, voire plus importantes, que celles d’un enfant très handicapé ? En effet pour Singer, le critère de la sensibilité est le plus essentiel que l’on puisse trouver : la question n’est pas tant de savoir si un être peut raisonner, mais s’il peut souffrir, idée qu’il reprend de la tradition utilitariste de Jérémy Bentham2 .
Ce type de critère semble être favorable tout autant à un élargissement de l’éthique envers les animaux qu’à un élargissement de l’anthropologie vers les personnes les plus démunies intellectuellement comme le seraient les personnes polyhandicapées. Mais souvent ce raisonnement est utilisé dans l’autre sens : si nous mettons fin à la vie de quantité d’animaux sensibles, pourquoi ne le ferions-nous pas pour des individus appartenant à l’espèce humaine dépourvus de capacités rationnelles ? L’utilitarisme dont se réclame Singer ajoute que le bien-être d’un individu ne doit être pris en compte qu’au sein de la maximisation du bien-être voire du bonheur global. Il n’y a pas de sacralisation de la vie humaine dans l’utilitarisme dont il se revendique, pas de critère permettant de dire qu’a priori une personne humaine a de la valeur, sinon par ce qu’elle apporte en termes de maximisation du bien-être en général, d’abord pour les humains, ensuite pour les animaux, car la conscience réflexive et la capacité de se projeter dans l’avenir maximisent la capacité humaine de souffrir.
Selon Singer, si des humains sont (nous dirions : semblent être) moins capables d’éprouver et de sentir que des animaux, leur valeur est donc moindre. Il ne distingue le sort réservé aux hommes de celui des autres animaux que sur le fondement arbitraire de l’appartenance à une espèce biologique donnée, ce qui lui paraît être un critère faible de définition de l’humanité. Dans une perspective utilitariste, qu’il s’agisse de l’utilitarisme dit de préférence ou de l’utilitarisme hédoniste, l’important est la quantité globale de plaisir que l’on peut offrir à une population (humaine d’abord, animale ensuite). Par conséquent, la disparition d’un individu au moment de sa naissance (au moment où l’attachement de ses parents pour lui est jugé moindre) réduit la souffrance globale3 .
On voit comment l’éthique utilitariste pose problème lorsqu’elle est utilisée pour disqualifier une partie des individus biologiquement humains (qui n’ont pourrait-on dire que l’hominité biologique et non pas les caractéristiques de l’humanité) au profit d’autres êtres non-humains, supposés plus capables, notamment en termes d’autonomies (physique et intellectuelle) et d’adaptabilité. Cela revient à créer des hiérarchies dépassant les espèces mais pouvant introduire du même coup une rupture au sein de l’ensemble considéré comme celui des personnes humaines en se fondant sur une évaluation jugée certaine de la déficience. Quand bien même cette déficience serait-elle certaine (ce qu’il faut prouver, en particulier à propos de la vie psychique), en quoi des critères comme les compétences intellectuelles, communicationnelles peuvent-elles être suffisantes pour désigner l’humanité ?
Il s’agit là d’une forme de négation théorique de l’humanité des personnes polyhandicapées à laquelle s’ajoutent des négations en pratique, dans le refus de compassion ou le refus de soin. On peut rencontrer de telles réactions y compris dans le corps médical (Blondel et Delzescaux, 2018renvoi vers). Lorsque l’on voit arriver à l’hôpital ces corps déformés, sans communication apparente (une absence de communication souvent liée au stress ressenti par les personnes polyhandicapées dans un lieu pour elles inconnu), la réaction est de considérer le soin comme non avenu : une médecin, devenue spécialisée dans le champ du polyhandicap, se souvient de ses réactions face à ces personnes lorsqu’elle était réanimatrice : elle insiste sur l’impression qu’elle avait eu de faire de la « médecine vétérinaire » en s’occupant de cette population (qu’elle plaçait donc en pratique en-dehors de l’humanité). Cette fois, la comparaison avec l’animal sert de repoussoir : la pratique médicale renforce la prééminence classique du soin adressé à l’humain, mais elle peut être arrêtée par une forme d’humanité qui ne peut être « réparée » ou « remise sur pieds ». Celle-ci est considérée comme animale en raison de la disparition apparente des critères relationnels d’humanité qui nous permettent de nous reconnaître communément en l’autre.
N’oublions pas que jusqu’au milieu des années 1960, la Sécurité sociale, considérant que leur état de santé ne justifiait pas de traitement, ne prenait pas en charge les enfants alors désignés sous les termes d’« arriérés mentaux profonds », d’« encéphalopathes végétatifs » ou même encore de « grabataires » (Winance et Bertrand, 2017renvoi vers ; Toubert-Duffort et coll., 2018renvoi vers). Ils vivaient ainsi souvent dans leurs familles, sans le soutien particulier dont ils auraient eu besoin, ou étaient recueillis dans les hôpitaux, en situation d’abandon. La réapparition de telles attitudes ne doit pas être écartée dans des contextes sociaux, politiques et économiques défavorables.
Dans tous les cas, la question tient à l’inscription au sein de l’humanité d’un individu qui apparaît comme un accident, une exception majeure au développement ordinaire, une vie qui apparaît à la plupart des membres de la société humaine comme une « vie nue » (Blondel et Delzescaux, 2018renvoi vers), dépourvue de subjectivité, limitée à sa plus simple expression. Il s’agit du type même de vie qui ne vaudrait pas la peine d’être vécue lorsqu’elle est considérée en extériorité, une extériorité du jugement qu’il faut évidemment interroger lorsque les moyens de communication n’existent pas ou se révèlent extrêmement pauvres.
Le polyhandicap peut donc marquer non seulement la perte de la raison, mais aussi plus radicalement, celle du langage, de la conscience et de la subjectivité. Si le fou conserve un langage, même dépourvu de sens, si celui qui a une déficience intellectuelle modérée conserve lui aussi un mode d’expression, comment considérer celles et ceux qui n’ont jamais eu cette possibilité ? Comment envisager une vie psychique en l’absence de retour ? Il s’agit d’une situation radicale d’incommunicabilité (Cavalié, 2021renvoi vers). Pour encore beaucoup de nos contemporains, le sujet polyhandicapé ne développe pas d’intériorité : il ne se développe que peu physiquement, son apparence déformée ou hypotrophique, son peu de réactions observables laissent penser que son corps n’est qu’un corps biologique, sans être animé intérieurement d’une conscience. En effet, l’humanité se définit non seulement par la raison, l’aptitude à la communication, mais plus fondamentalement par la possibilité d’avoir une vie intérieure. Or souvent, on postule que celle-ci est absente ou si diminuée chez les personnes polyhandicapées qu’elle en devient négligeable. Il n’est pas possible de les conserver au sein d’une commune humanité par leur apparence, ni par leur comportement, ni par leur langage. C’est pourquoi l’attachement de leurs parents à leur personne a pu paraître par le passé étrange, voire vaguement choquant. Ainsi, Marcelle Faugère, dans son récit daté de 1970, rapporte les propos d’une infirmière qui s’étonne de ce qu’elle puisse aimer sa petite fille polyhandicapée : « Et vous vous êtes attachée à cet enfant-là ? C’est de l’égoïsme ! » (Faugère et d’Argentré-Rask, 1970renvoi vers) cité par (Winance, 2021brenvoi vers).
L’argument de la conscience de soi est d’ailleurs celui qu’utilise Jeff McMahan dans The Ethics of Killing (McMahan, 2002renvoi vers). Il y ajoute la possibilité de pouvoir se projeter dans l’avenir avec un intérêt égoïste (egoistic concern). Le caractère répréhensible de la mise à mort d’êtres humains ayant une faible unité psychologique, tels que les fœtus ou les nourrissons est proportionnel à leurs intérêts temporels, et ceux-ci ne sont pas très importants. La déficience cognitive congénitale plutôt qu’acquise limite encore le caractère condamnable de l’acte de tuer, car ceux qui ont été des personnes peuvent continuer à être couverts par la morale du respect, à la différence de ceux qui sont nés sans capacités repérables. Selon Jeff McMahan, tuer des êtres humains qui n’ont pas plus d’unité psychologique ou de richesse de pensée que les animaux n’est pas plus répréhensible que de tuer des animaux (en laissant de côté ici les innombrables effets secondaires qu’une telle décision peut avoir sur d’autres personnes).
On voit aisément en quoi de telles considérations éthiques permettraient de justifier le refus de soin voire l’euthanasie envers les personnes polyhandicapées. Elles font écho sur le plan de la logique argumentative au souhait de mort que l’on rencontre à propos des personnes polyhandicapées ou plus généralement à propos du handicap lorsqu’il atteint fortement l’apparence du corps et le comportement (Korff-Sausse, 1996renvoi vers). Il n’y a pas pour McMahan à condamner un acte appliqué à un être qui n’en subirait pas subjectivement les conséquences, quelle que puisse être notre sensibilité ou notre attachement envers cet être.
McMahan reconnaît que, dans certaines circonstances, tuer des nourrissons peut sembler pire que tuer des personnes adultes, mais cela s’explique en partie par le fait que « nous avons un sentiment extrêmement poignant de l’innocence, de la pureté, de la vulnérabilité et de l’impuissance de la victime, qui éveille nos tendances protectrices et nourricières » (McMahan, 2002renvoi vers), ce qu’il considère comme moralement inconsistant. La valeur morale d’un acte ne dépend pas de ces sentiments, mais est associée à la valeur de l’être sur lequel cet acte se trouve perpétré et cette valeur dépend largement du degré de conscience de soi. Il faut remarquer que l’absence de conscience de soi doit être interrogée dans le cas du polyhandicap : la considérer comme évidente, comme le font trop souvent Singer et McMahan, marque une faiblesse de leur argumentation. S’il arrive que la conscience de soi ne soit pas manifeste chez certaines personnes polyhandicapées, cela ne signifie pas qu’elle soit nécessairement absente, mais plutôt que nos modalités de repérage de la conscience ne sont pas adaptées à ces personnes.
Et quand bien même cette conscience ferait-elle défaut, ces conceptions philosophiques s’opposent à l’éthique du care et sa critique des critères traditionnels de valorisation d’un être humain. La différence entre ces deux approches (utilitarisme et care) apparaît clairement dans la retranscription des échanges entre Peter Singer et Eva Kittay dans le dernier chapitre d’un livre collectif consacré au rapport entre philosophie morale et handicap intellectuel (Kittay et Carlson, 2010renvoi vers) : Singer a conscience de l’investissement affectif d’Eva Kittay envers sa fille, mais il souhaite orienter la discussion vers les critères intrinsèques d’humanité qu’elle substituerait aux critères classiques tandis qu’Eva Kittay insiste sur les critères relationnels d’humanité. Plusieurs recherches concernant le polyhandicap (Vehmas et Curtis, 2017renvoi vers ; Vehmas, 2019renvoi vers) se sont développées avec cette controverse en vue :
« Ce projet de recherche a été initialement suscité par les débats philosophiques sur le statut moral des personnes atteintes d’une déficience intellectuelle profonde. Dans ces débats, certains philosophes éminents tels que Jeff McMahan (McMahan, 2002renvoi vers) et Peter Singer (Singer, 2010renvoi vers) décrivent ces humains comme psychologiquement comparables à des cochons et à des chiens, et capables d’atteindre seulement le niveau de bien-être d’un “chien satisfait” » (‘a contended dog’) (McMahan, 2002renvoi vers). […] « Cependant, il y a des philosophes comme Eva Feder Kittay (Kittay et Carlson, 2010renvoi vers) dont la fille vit avec une déficience intellectuelle profonde, et qui utilise son expérience personnelle et ses connaissances sur sa fille pour réfuter les affirmations de McMahan et d’autres » (Vehmas, 2019renvoi vers).

Penser l’humanité des personnes polyhandicapées : trois conceptions plus larges19

La conception relationnelle d’Eva Kittay

4 Eva Kittay est une philosophe qui s’inscrit dans le courant de l’éthique du care5 , tel que développé par les philosophes féministes à partir des années 1980 (Gilligan, 1982renvoi vers ; Paperman et Laugier, 2006renvoi vers ; Tronto, 2006renvoi vers) tout en proposant, à partir de son expérience personnelle, un certain nombre de déplacements. Les philosophes de l’éthique du care ont critiqué la théorie de la justice développée par John Rawls, d’une part, et la conception du sujet occidental, rationnel et autonome, existant par lui-même (indépendamment des autres). À l’inverse, elles ont mis l’accent sur les relations d’interdépendance qui nous constituent tous et qui induisent le care, et via le care, une expérience morale spécifique. Les philosophes de l’éthique du care défendent ainsi une conception relationnelle de la personne, qui fonde son humanité dans cette relation de care (Mackenzie et Stoljar, 2000renvoi vers ; Davy, 2015renvoi vers). Eva Kittay s’inscrit dans cette approche, mais la pousse plus loin, à partir de son expérience personnelle du polyhandicap (Winance, 2021arenvoi vers). Cette expérience est celle de la dépendance extrême, dans la mesure où cette dépendance est durable et où les rôles d’aidé et d’aidant ne s’inverseront jamais. C’est cette expérience qui l’amène, comme évoqué en introduction, à s’interroger sur ce qui fonde la dignité des personnes polyhandicapées et à proposer une conception de la dignité ancrée dans la relation de care, conception qu’elle oppose aux deux conceptions classiques de la dignité, toutes deux insuffisantes pour inclure les personnes lourdement handicapées dans l’humanité (Kittay, 2005arenvoi vers et b, 2019renvoi vers).
En effet, la première conception fonde la dignité de la personne sur son appartenance à l’espèce humaine. Si elle peut être utile dans certaines circonstances, elle est restrictive. Elle permet juste de définir ce qu’il est interdit de faire à n’importe quel membre de la communauté humaine, car cet acte serait une atteinte à la dignité de l’humanité comme groupe. En outre, elle ouvre la possibilité d’une « quantification » de la dignité et d’une hiérarchisation des êtres : en fonction de ses attributs propres, la personne est « plus ou moins digne » en tant que représentant de l’humanité. Or, l’enjeu pour Eva Kittay est de développer une approche positive et capacitante de la dignité, qui en fondant celle-ci sur une capacité que tous peuvent exercer, permet de penser l’égale dignité de tous les êtres humains. Traiter quelqu’un avec dignité ne consiste plus seulement à s’abstenir de certains actes à son égard, mais implique de lui permettre d’exercer la capacité qui définit son humanité et sa valeur propre. La seconde conception classique de la dignité se situe dans cette optique. Mais, c’est sa limite, elle considère que la capacité fondatrice de la dignité humaine est la raison. Or, certaines personnes polyhandicapées n’ont pas la capacité d’exprimer des choix, ou de manière très réduite. Dans beaucoup de situations qui les concernent, il est difficile, voire impossible, de savoir quels seraient leurs choix, si on respecte ou non leurs choix, et donc, si on respecte ou non leur dignité. Sur quelle autre capacité pourrait-on fonder l’égale dignité de tous ? Pour répondre à cette question, Eva Kittay explore une situation tirée de la vie quotidienne de sa fille Sesha, atteinte de polyhandicap, dans l’établissement où elle réside.
Un jour, la directrice de cette résidence croise Sesha au retour de sa douche, dans un couloir fréquenté par tous les résidents, et proche de l’espace public, vêtue d’un simple drap de bain. Elle dénonce cette situation qui n’est pas respectueuse de la dignité de Sesha. Une solution est donc trouvée pour éviter cette situation. Mais Eva Kittay s’interroge. En quoi cette situation est-elle indigne pour Sesha ? Sesha est sans cesse manipulée par d’autres, pour tous les actes de sa vie, elle connaît peu d’intimité corporelle. Comme elle ne parle pas et manifeste peu, voire pas, de résistance, il est impossible de savoir si elle a ressenti la moindre gêne, ni ce que sont ses souhaits dans cette situation, ni même si elle en a : connaît-elle le sentiment de pudeur ? A-t-elle seulement un rapport à son corps permettant d’en concevoir la nudité ? Cette situation peut bien sûr être considérée comme une atteinte à sa dignité, en tant que membre de l’humanité (selon la conception restrictive exposée ci-dessus), mais est-il possible de lui accorder une dignité positive, fondée sur une capacité qu’elle pourrait exercer ? Si cette capacité est la capacité à choisir, cela pose certaines difficultés. À défaut de savoir ce que Sesha choisirait pour elle-même, on peut faire l’hypothèse qu’elle considérerait cette situation comme indigne. Mais on tourne alors en rond : avant même de se demander quels seraient les choix de Sesha et pour ce faire, la directrice a dû considérer la situation comme indigne. La question revient donc : sur quelle base ? Enfin, et plus radicalement, une dernière hypothèse est possible, selon laquelle, Sesha, dans cette situation, est tout simplement indifférente, parce qu’incapable de ressentir la moindre gêne ou honte. Dans ce cas, conclut Eva Kittay : « Soit il n’y a pas de dignité à maintenir, soit la dignité doit être fondée sur autre chose que la capacité à prendre des décisions de façon autonome. » (Kittay, 2005arenvoi vers). Cette « autre chose », sur laquelle elle propose de fonder l’égale dignité de tous, ce sont les relations de care.
En effet, ce que nous partageons tous, en tant qu’êtres humains et qui nous définit comme tels, c’est que chacun de nous est « l’enfant d’une mère » (Kittay, 1999renvoi vers), c’est-à-dire l’enfant d’une personne qui a pris soin de nous. À ce titre, chacun de nous est d’emblée engagé dans une relation de care, recevant le care ou le donnant, et acquière une valeur propre6 .
« Ce qui nous relie dans nos relations de care est un sens profond de la valeur irremplaçable et unique de chaque être humain, de la forme biologique que nous partageons, et de la nature non fongible des relations que nous formons les uns avec les autres. La dignité est une caractéristique qui doit être perçue pour exister. Car la dignité est un appel à l’autre à reconnaître notre valeur intrinsèque. Cet appel requiert une réponse, une reconnaissance, même si comme dans des cas d’oppression extrême, le seul témoin est le témoin interne que nous avons développé en nous-mêmes comme conséquence des soins que nous avons dû recevoir pour survivre et s’épanouir du mieux possible. Dans nos rapports d’entraide, nous témoignons, nous reconnaissons – et donc nous conférons – cette dignité à l’autre ». (Kittay, 2005arenvoi vers).
La dignité n’est donc pas, pour Eva Kittay, une caractéristique intrinsèque (inhérente) de l’être humain, mais bien une caractéristique relationnelle : elle est générée par la relation de care, et même plus précisément par la relation de care singulière qui s’établit entre deux personnes. Le bébé n’est pas digne d’emblée ou de manière a priori, mais il acquiert sa dignité de par la relation de care avec une mère (ou avec toute autre personne qui prend durablement soin de lui). Pour le dire encore autrement, lorsqu’on affirme « je suis l’enfant d’une mère », on invoque une propriété que l’on a uniquement en vertu d’une propriété qu’une autre personne a. En outre, cette affirmation « nous sommes tous l’enfant d’une mère » contient l’affirmation d’une égale dignité de tous ; toi, comme lui, comme moi, avons tous également droit à ce qui est dû à « l’enfant d’une mère ». L’enjeu d’une théorie normative du care est alors la reconnaissance et le maintien de cette égale dignité de tous. En outre, Eva Kittay en lien avec sa conception de la dignité, défend une conception de la justice sociale, qui repose sur une prise en compte des relations de dépendance et de care. La justice repose d’une part sur l’égalité d’accès au care de chacun en fonction de ses besoins propres, d’autre part, sur le soutien nécessaire que la société doit accorder aux travailleurs de la dépendance (Kittay, 2001renvoi vers).
Cette conception de la dignité, via la relation de care, permet à Eva Kittay de penser la valeur de toute personne humaine – y compris sévèrement handicapée –, à la fois sa valeur égale et sa valeur singulière, et donc à la fois sa similitude aux autres humains et sa différence par rapport à eux. L’égale valeur de tous et de chacun, et ce qui fonde son appartenance à l’humanité, est la dépendance inévitable, liée à sa condition biologique, qui l’engage dans les relations de care. Mais ces relations de care sont également générées, comme Eva Kittay l’énonce dans la situation précédente, par la valeur singulière de chaque personne, dotée de qualités qui lui sont spécifiques ; c’est cependant par l’appel à l’autre que l’on reconnaît la valeur intrinsèque. La capacité des personnes à aimer est liée au fait qu’elles sont elles-mêmes aimées en tant que personnes singulières. Cela signifie qu’elles sont aimées pour elles-mêmes, dans leurs différences et avec leurs différences, mais aussi dans ce qu’elles ont d’humain (ou de « normal ») et dans la manière dont elles humanisent (« normalisent ») ceux qui prennent soin d’elles7 . Ainsi, Eva Kittay propose de penser la dignité et l’humanité non plus à partir de la capacité à raisonner, mais à partir de la capacité des personnes à s’engager et à être engagées dans des relations de care ou plus largement, des relations d’amour. Les personnes polyhandicapées, en manifestant leur capacité à aimer et à être aimées (par exemple, par de la joie, de la tristesse, parfois des gestes ou des regards, etc.), manifestent leur appartenance à l’humanité. Leur dignité, comme celle de toute personne humaine, n’est pas intrinsèque, mais induite par la relation singulière de care qui s’instaure entre deux personnes, l’une recevant, l’autre pourvoyeuse de care8 .

Les conceptions pragmatiques de l’humanité

Plusieurs auteurs, dont certains s’inspirent de l’éthique du care, proposent une approche pragmatique et relationnelle de l’humanité. Faisant partie de ce qu’on appelle la sociologie pragmatique, ils font l’hypothèse que l’humanité de chacun d’entre nous n’est pas définie d’emblée et en théorie, mais est performée en pratique, c’est-à-dire qu’elle est constituée et définie concrètement par les relations dans lesquelles nous sommes engagés, ou encore, qu’elle est l’objet d’une action performative qui lui donne une forme concrète et spécifique. Cette approche ouvre alors la possibilité de penser la manière dont, en pratique, plusieurs registres de subjectivité, voire d’humanité, peuvent être performés (concrètement engendrés par nos actions ou relations) et coexister (Moser et Law, 1998arenvoi vers ; Callon et Rabeharisoa, 1999renvoi vers ; Law, 1999renvoi vers ; Law et Moser, 1999renvoi vers ; Mol, 2009renvoi vers ; Winance, 2021arenvoi vers).
Initialement, ces auteurs s’intéressent à la question des capacités et incapacités, de la compétence et de l’incompétence. Ils s’interrogent sur la manière dont les personnes agissent et sont rendues compétentes ou capables d’agir, en partant de situations concrètes. Par exemple, I. Moser et J. Law (Moser et Law, 1998brenvoi vers ; Law, 1999renvoi vers ; Law et Moser, 1999renvoi vers ; Moser et Law, 1999renvoi vers) montrent qu’un directeur de laboratoire est capable d’évaluer le retard pris par le projet qu’il dirige car il dispose d’un graphique, qui est lui-même résultat d’une série d’opérations impliquant des hommes et des objets : des travailleurs qui remplissent des fiches, des fiches qui sont compilées par un secrétaire dans un logiciel, etc. La capacité du directeur à évaluer un retard et à décider, en conséquence, ce qu’il faut faire, est donc, pour reprendre leurs termes, une propriété émergente d’un réseau hétérogène d’entités. De même, ils nous expliquent que la capacité de Liv, une jeune fille handicapée, à vivre de manière autonome résulte de la mobilisation d’un réseau hétérogène, associant des objets techniques (appartement adapté, contrôle d’environnement, etc.) et des aides humaines (auxiliaires de vie qui l’aident à se lever, se laver, etc.). Cet exemple nous montre que les individus considérés comme les plus socialement importants sont eux aussi très aidés dans leur vie courante et dans les situations où ils manifestent leur autonomie de choix. Dans les deux cas, les capacités de la personne ne sont pas des caractéristiques inhérentes aux individus, mais bien des effets émergeants d’un réseau hétérogène (qui la plupart du temps est invisibilisé ou passé à l’arrière-plan). Inversement, les incapacités surgissent lorsque le réseau hétérogène nécessaire ne se met pas en place ou qu’il y a rupture. Liv, par exemple, est incapable de prendre le train si la rampe d’accès au train est manquante. De même, on peut faire l’hypothèse que le directeur de laboratoire sera rendu incapable de diriger son projet le jour où un bug informatique (ou une grève) paralysera les ordinateurs de son laboratoire.
Cette conception des in/capacités relationnelles rejoint l’idée, développée par l’éthique du care, selon laquelle le sujet autonome est une fiction9 et selon laquelle l’autonomie est toujours une autonomie relationnelle, c’est-à-dire ancrée dans des relations de dépendance (Mackenzie et Stoljar, 2000renvoi vers ; Davy, 2015renvoi vers et 2019renvoi vers). Mais elle va plus loin en analysant de manière empirique les processus à travers lesquels cette autonomie est ou non performée, voire fabriquée. Antoine Hennion parle ainsi d’une autonomie fictionnelle (Hennion et coll., 2012renvoi vers) : tout à la fois fabriquée et réelle. Plus précisément, dans le cadre d’une recherche sur les aides à domicile, Antoine Hennion et ses collaborateurs montrent que l’autonomie des personnes s’ancre dans les relations d’aide déployées autour de chacune. Selon ces auteurs, l’autonomie est actuellement un idéal et une valeur défendue pour et par les personnes – aidées comme aidantes –, mais son contenu est défini concrètement par les pratiques des aides à domicile, qui doivent concilier cet idéal d’autonomie avec l’idéal de protection des personnes. Leur hypothèse est que pour comprendre ce qu’est l’autonomie, il faut décrire en détail le quotidien de cette relation d’aide ; il faut décrire en détail la manière dont elle prend forme, lorsqu’il s’agit de médicaments à prendre, de clefs, d’hygiène, d’argent, de courses, etc. Tous ces problèmes quotidiens que rencontrent les aides à domicile lorsqu’elles aident une personne âgée ou handicapée, constituent des épreuves au cours desquelles sont négociées et définies concrètement l’autonomie de la personne, sa sécurité et son bien-être, notions qui, pour ces personnes, ont perdu leur évidence. L’autonomie de ces personnes (et de toute personne) est dès lors fictionnelle, au sens où elle est une hypothèse performative, c’est-à-dire qui est rendue réelle par les pratiques10 .
Poursuivant ces travaux, Myriam Winance (Winance, 2021brenvoi vers), sur la base de l’analyse de récits publiés par des parents d’enfants polyhandicapés, analyse la relation de care telle qu’elle est mise en œuvre et racontée par les parents dans leur récit. Elle insiste sur l’idée que ce travail de care, qui a plusieurs dimensions (éducative, aide, médicale, etc.), est mis en œuvre par le parent en réponse à la question que l’enfant lui-même constitue (« Qui est cet enfant ? »), et consiste dans un travail pratique et discursif permettant de qualifier l’enfant comme enfant et de se qualifier soi-même comme parent. En ce sens, c’est un travail existentiel, qui fait exister l’enfant et le parent, et leur donne une personnalité dotée de qualités qui sont humainement essentielles parce qu’elles sont relatives.
D’autres auteurs, qui ne s’inscrivent explicitement ni dans l’éthique du care, ni dans le courant de la sociologie pragmatique, rejoignent néanmoins ces recherches dans leur conception pragmatique de l’humanité. Ils insistent sur l’interrogation que constitue la personne polyhandicapée (« Qui est cette personne ? ») et sur la nécessité, pour répondre à cette question, de s’engager dans une relation de care qui soit attentive aux détails, et qui par cette attention, d’une part, fait exister l’enfant, d’autre part, induit des pratiques spécifiques (Hodgkinson et coll., 2004renvoi vers ; Durey, 2005renvoi vers ; Hogg, 2007renvoi vers ; Ramos, 2017renvoi vers ; Berdoues, 2019renvoi vers ; Brun, 2020renvoi vers).
Cette conception relationnelle et pragmatique permet premièrement, d’expliquer la manière dont les pratiques, les discours et les dispositifs configurent deux formes de subjectivités et les binarisent : comme compétentes ou incompétentes, comme autonomes ou non autonomes, comme passives ou actives, ou encore comme utiles ou inutiles (au sens de celles qui apportent aux autres et de celles qui ne leur apportent rien). Elle permet de montrer que certaines personnes sont d’emblée considérées comme incompétentes, et corrélativement rendues telles par les pratiques et les discours (Moser et Law, 1998arenvoi vers). Ainsi, lors d’une enquête dont l’enjeu était de rencontrer des personnes n’ayant pas accès aux aides techniques, Ingunn Moser s’est vue refuser l’accès aux personnes sévèrement handicapées et non-verbales. Elle analyse ce refus et montre comment les institutions, par ce refus, constituent ces personnes comme incompétentes. Deuxièmement, cette approche pragmatique et relationnelle de la personne ouvre la possibilité de penser et d’analyser la coexistence de différents registres subjectifs, là où la philosophie occidentale et les pratiques institutionnelles aboutissent à une binarisation des personnes (autonomes versus non autonomes, actives versus passives). Knurt, un jeune homme polyhandicapé qu’Ingunn Moser rencontre, est ainsi décrit par elle comme pouvant être, par moment, un sujet autonome (lorsque sa mère, se plaçant face à lui et prenant ses deux mains dans les siennes, lui traduit en mots simples une question d’Ingunn Moser et lui demande d’indiquer s’il est d’accord ou non en regardant soit sa main gauche soit sa main droite11 ), et par moment, un sujet de plaisir, pris par la musique qu’il écoute (lorsque Knurt après avoir montré qu’il pouvait mettre en marche le lecteur de CD, écoute le CD mis en marche et n’entend plus rien d’autre). Myriam Winance, dans ses travaux, distingue, elle, différentes formes d’autonomie. La première est l’autonomie naturelle qui réfère à la récalcitrance12 des personnes : à leur capacité à agir en fonction de leur intérêt et non en fonction des attentes des autres. La seconde est l’autonomie socialisée qui réfère aux formes civilisées de l’autonomie (Winance, 2021arenvoi vers). Elle propose ainsi de penser différents registres du sujet autonome, dont certains concernent les personnes polyhandicapées. Celles-ci, intégrant assez peu les normes sociales, sont naturellement récalcitrantes, agissent selon leur propre logique et intérêt, et parfois, surprennent leurs proches, ou, plus souvent, font agir leurs proches de telle ou telle manière. Les approches proposées par Saulus et Dind dont nous traiterons plus bas, rejoignent d’ailleurs sur ce point (la pluralité des registres subjectifs) ces approches pragmatiques.
Finalement, l’ensemble de ces approches, pragmatiques et relationnelles inversent le raisonnement tenu par la philosophie occidentale classique. Elles ne s’interrogent pas d’abord ou d’emblée sur l’appartenance de ces personnes à l’humanité, mais agissent pour faire de ces personnes des personnes humaines. Cette perspective oblige, dès lors, à s’interroger, en permanence, dans les situations concrètes, sur ce qui est bien pour ces personnes, sur ce qu’il convient de faire pour induire et soutenir leur dignité. Si cette perspective ne résout pas les dilemmes éthiques auxquels les professionnels et les proches de ces personnes sont souvent confrontés au quotidien (Boutin, 2004renvoi vers ; Hodgkinson et coll., 2004renvoi vers ; Grimont-Rolland, 2009renvoi vers ; Billette de Villemeur, 2016renvoi vers et 2017renvoi vers), du moins, les amène-t-elle à adopter une posture attentive à la complexité et à la singularité de chaque situation, qui relève de la logique du care, et non d’une logique du choix (Mol, 2009renvoi vers).

La conception subjective de l’humanité (Saulus et Dind)

Le travail de Georges Saulus (qui a proposé de distinguer plusieurs profils de polyhandicap) et Juliane Dind (qui en a proposé un repérage pratique) n’est pas orienté vers des critères plus ou moins probants d’humanité en fonction du profil de polyhandicap identifié, ce qui consisterait à revenir à des critères d’humanité intrinsèques, mais son but est de permettre une organisation pratique du soin au sens large (incluant les pratiques éducatives) en fonction des besoins des personnes concernées. Plutôt qu’une catégorisation indiquant des degrés d’humanité plus ou moins marqués, la différence entre les trois profils de polyhandicap, en particulier les formes de conscience réflexive ou non réflexive (éprouvé d’existence identitaire, entitaire ou pré-entitaire), permet de réfléchir aux hypothèses que des équipes pluridisciplinaires peuvent formuler à propos des besoins et des capacités des personnes polyhandicapées.
Il apparaît en effet que la catégorie de polyhandicap n’est pas homogène (voir chapitre « Notion de polyhandicap, mise en perspective historique et internationale ») et que l’on peut y trouver potentiellement des personnes ayant une identité intellectuelle aboutie, avec une conscience réflexive et une capacité de raisonnement construit, mais atteintes de déficiences motrices si importantes que le fait de bouger un doigt, de tourner sa tête ou même d’adresser un regard devient chose difficile. Ces personnes potentiellement plus proches de l’infirmité motrice cérébrale / paralysie cérébrale (IMC/PC) que du polyhandicap stricto sensu sont pourtant englobées dans ce champ en pratique tant il est délicat d’attester chez elles des compétences intellectuelles. Il n’en reste pas moins que leurs besoins d’apprentissages sont très importants et doivent être pris en considération. Il en va de même pour les enfants et adultes placés dans le champ du polyhandicap de type 3, qui manifestent une conscience d’eux-mêmes, à la différence des personnes polyhandicapées de type 2 ou 1 (mais encore faudrait-il spécifier ici selon les formes de conscience étudiées par Juliane Dind, qui a insisté particulièrement sur la conscience écologique au sens de Philippe Rochat) (Dind, 2018renvoi vers). Les conséquences de cette catégorisation sont tellement importantes pour la reconnaissance du sujet en tant que personne qu’il faut être ici de la plus extrême prudence. Il y a en pratique plus encore qu’en théorie, des erreurs fréquentes d’assignation à cette catégorie de polyhandicap d’enfants qui sont bien relationnellement en situation de polyhandicap tout en ayant une conscience de soi aboutie avec un éprouvé d’existence identitaire clair. Les difficultés de communication actuellement existantes sont telles qu’éthiquement il convient toujours de rappeler à quel point les capacités se mesurent en fonction de l’état actuel de nos connaissances.
On ne peut réellement préjuger de la vie intérieure d’une personne polyhandicapée, en particulier lorsqu’apparaissent des « signes de la série autistique » selon la définition du 9 mai 201713 . En effet, dans le champ de l’autisme la présupposition selon laquelle une personne intelligente essayera toujours d’une manière ou d’une autre d’entrer en communication, soit par le langage, soit par gestes ou soit par le regard est fausse. Et quand bien même l’évaluation des incapacités serait-elle correcte (ce qui est loin d’être le cas en pratique), l’absence de conscience serait-elle suffisante pour conclure à une absence d’humanité ? C’est précisément contre cet usage de ses travaux que s’élève Juliane Dind dans l’introduction de sa thèse : « Une recherche de ce type pourrait comporter un risque majeur : inférer à partir de certains critères l’existence ou l’absence de CS [conscience de soi] chez certains individus ». Elle rappelle que son travail de recherche « ne porte donc pas sur la vérification de l’existence de manifestations de CS [conscience de soi] chez l’enfant polyhandicapé, mais sur la manière dont se manifeste cette dernière. » (Dind, 2018renvoi vers) et il est important de souligner que cela vaut donc aussi pour les personnes polyhandicapées de type 1 et 2 pour lesquelles la conscience de soi est la moins manifeste.
Le travail de Juliane Dind ne vise pas à établir un défaut de conscience, mais consiste en une enquête sur la forme prise par cette conscience, celle-ci pouvant être réflexive et identitaire, ou encore entitaire (il y a quelque chose en continu que l’on ne peut rapporter à un soi) ou pré-entitaire (il n’existe pas quelque chose de stable et continu dans le temps, encore moins un soi). Dans ces deux derniers cas, plutôt que de conscience, on préférera le terme d’« éprouvé d’existence » qui indique la présence d’un rapport non pas à soi, mais à quelque chose de non encore caractérisé, une entité (quelque chose) plutôt qu’une identité (quelqu’un). À la différence d’une conscience de soi qui se déroule dans le temps sous une forme unitaire et peut être rapportée à un moi, l’éprouvé d’existence signifie seulement la conscience d’être quelque chose sans qu’il y ait un soi personnel (Saulus, 2009renvoi vers) : il y a contact, il y a plaisir ou douleur sans aller jusqu’à la réflexivité (le retour de la conscience sur elle-même qui permet de s’attribuer une identité). Ainsi ne peut-on plus réellement parler de conscience au sens de la conscience réflexive, mais seulement d’éprouvé d’existence, soit entitaire lorsqu’il s’installe dans la durée, soit pré-entitaire lorsqu’il est instable et fragmenté, discontinu dans le temps. Même si tout éprouvé est par nature temporel, sa durée et surtout sa stabilité est ici moindre : elle ne possède pas une prégnance, une organisation stable suffisante pour être attribuée à un être spécifique. Un éprouvé mêle cognition et affectivité (Saulus, 2009renvoi vers), et devient éprouvé d’existence quand il se déroule dans un temps, selon des modalités plus ou moins organisées et stabilisées.
À l’éprouvé d’existence le moins organisé (polyhandicap de type 1) correspondent des « agglomérats perceptivo-sensoriels, émotionnels et mnésiques peu organisés » (Saulus, 2009renvoi vers), qui se manifestent par des pleurs, cris, rires (qui peuvent être paradoxaux) et à travers une motricité de masse, avec des décharges motrices globalisées du tronc, des membres de la tête et des yeux. Ces mouvements sont très souvent répétitifs, parfois organisés en salves (Saulus, 2009renvoi vers). L’intérêt pour la présence d’un tiers et pour des échanges avec lui est difficilement décelable. Il n’y a pas d’autrui lorsqu’il n’y a pas de moi comme ici avec un éprouvé pré-entitaire.
Dans le polyhandicap de type 2, l’éprouvé d’existence associé est considéré comme entitaire : l’expérience est supposée se vivre dans une certaine durée, une épaisseur temporelle qui n’est plus celle de la discontinuité. Il y a une moins grande instabilité de l’expérience cognitivo-émotionnelle, avec extérieurement des expressions de plaisir et de déplaisir distinctes, une intention de communiquer décelable, avec des sourires adressés lors de retrouvailles avec une présence familière, des mouvements intentionnellement dirigés vers l’extérieur car apparaît la possibilité d’une altérité qui n’est pas encore autrui.
Avec le polyhandicap de type 3, l’éprouvé d’existence devient identitaire, une conscience de soi émerge avec des capacités d’attention sélective, de partage émotionnel et d’accordage affectif avec autrui. Une attention conjointe est possible, ainsi qu’une capacité de choix et d’expression dans les limites de la motricité dont disposent les personnes.
La question de l’humanité rapportée à la possibilité de conscience de soi se pose donc nettement à propos des personnes polyhandicapées de type 2 et plus encore de type 1 puisque celles-ci ont des éprouvés d’existence que l’on peut estimer être entitaires ou pré-entitaires et non plus identitaires.
On se situe ici au-delà de la question de la fragilité et de la vulnérabilité d’un sujet, puisque la notion même de subjectivité rapportée à une identité est mise en question. Par conséquent, l’interrogation se porte sur le type de soin à apporter à un sujet comme perpétuellement en devenir (si l’on se réfère à la conception de G. Saulus selon laquelle les personnes polyhandicapées passent par les mêmes voies de développement que tout un chacun, mais selon un rythme beaucoup plus lent, ou encore se trouvent figées à un certain stade de développement). On pourrait également y voir une proto-subjectivité qui possède des caractéristiques étrangères au développement ordinaire et nécessite plus encore d’interrogations sur ses capacités et son degré de conscience ou d’éprouvé d’existence.
Ces considérations ont le mérite de reposer sans cesse des questions éthiques fondamentales : que savons-nous réellement de la conscience des personnes polyhandicapées ? Comment les considérons-nous ? Savons-nous adapter le soin à leurs propres besoins, voire aspirations ?
Plus les individus sont difficiles à cerner dans leurs capacités, leur vie intérieure, plus il devient essentiel de formuler des hypothèses, de proposer des moyens de communiquer, de développer les aptitudes constatées, d’imaginer des méthodes de soin variées, dans le but d’humaniser celui ou celle qui se trouve mis à l’écart, rejeté en tant que semblable. La tâche est plus délicate que ne l’est le rejet ou la négation de leur être, puisqu’elle consiste à interroger un mode d’existence particulièrement difficile à cerner et à y réintroduire l’humanité ou à tout le moins la possibilité de l’humanité, l’exigence éthique de faire toujours comme si l’on avait affaire à autrui, seule possibilité pour découvrir son existence.

Conclusion

La controverse de Valladolid au milieu du xvie siècle sur la manière de traiter les indiens d’Amérique était annoncée dès le début du siècle par le débat entre ceux qui estimaient que les Indiens d’Amérique n’avaient pas d’âme et ceux qui, dans les réactions des prétendus sauvages, lisaient une capacité à souffrir, à vivre, à aimer, rigoureusement identique à celle des autres hommes malgré des variations culturelles apparentes.
Nous sommes placés avec les personnes polyhandicapées devant un dilemme comparable, à savoir la nécessité de trouver les ressources d’observation et d’imagination pour percevoir l’humanité malgré l’opinion contraire qui la leur retire. Leurs comportements et leurs réactions affectives nous apparaissent respectivement comme désordonnés et dissonantes. Mais peut-on aller plus loin, en pratique comme en théorie, en leur refusant une subjectivité propre ? Les limites de l’humain que nous observons ne sont-elles pas des limites construites dans l’ordre d’un jugement avant tout réfléchissant (autrement dit : le jugement « ce n’est pas un homme » renseigne plus en réalité sur ceux qui le prononcent que sur ceux qui en sont l’objet).
On répondra que dans le cas des enfants polyhandicapés il y a bien la trace de jugements objectifs (ou jugements déterminants) à propos de caractéristiques expliquant les incapacités (par exemple des anomalies majeures de développement du cerveau). Mais tout dépend dans l’évaluation de l’humanité ou de la non-humanité, comme nous l’avons vu, de la manière dont ces autres, par leurs présences, humanisent celles et ceux qui leur accordent des soins ; tout dépend à propos des capacités de la contextualisation de leur observation, de la conception de l’autonomie relationnelle sur laquelle nous nous appuyons pour les évaluer.
Ne risque-t-on pas encore aujourd’hui de privilégier l’apparence ou le comportement jugé inadéquat au détriment des formes de subjectivité ou de subjectivités en devenir qu’ils masquent ?
Comme l’indique Alice Casagrande, en appliquant à la sphère institutionnelle ce que nous venons d’indiquer dans le champ social : « l’enjeu éthique ici est donc en définitive la faculté pour une institution de générer de l’imagination plutôt que du nivellement, de nourrir une résistance collective de tous les instants pour que l’effroi et la perplexité ne soient pas les chemins vers le désert, tant il est vrai qu’une fois parvenus à la chosification des êtres, les professionnels ne peuvent eux-mêmes, en retour, que devenir eux-mêmes des choses, instruments produisant des tâches plutôt que personnes rencontrant des personnes » (Casagrande, 2013renvoi vers).

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[53] Zucman E. Soigner les personnes polyhandicapées : une histoire – reflet de la société. Motricité Cérébrale. 2004; 25:146-9Retour vers

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