Polyhandicap

2024


ANALYSE

II-

Clinique et prise en soins du polyhandicap


Introduction : troubles associés au polyhandicap, notion de comorbidité

En préambule de cette partie sur la clinique et la prise en soins du polyhandicap, nous souhaitons présenter le choix que nous avons fait de parler de « troubles associés au polyhandicap », en particulier pour les chapitres abordant les aspects médicaux de l’accompagnement des personnes polyhandicapées. Quand ces troubles sont intrinsèquement liés à la situation de polyhandicap, peut-on en effet parler de « comorbidité » ? Plus précisément qu’entend-on par le terme de comorbidité ? Une réponse est en partie apportée par l’analyse de Valderas et coll. (Valderas et coll., 2009renvoi vers). Ce terme est défini par la coexistence simultanée de deux affections chez un même sujet, avec souvent la notion d’une affection « index » à laquelle se surajoute(nt) la ou les autres affections. Cependant, il peut être difficile de déterminer l’affection « index » quand les atteintes surviennent simultanément et le risque est alors de considérer l’affection comorbide comme nécessairement une complication. Ainsi le terme de multi-morbidité permet alors d’évoquer ces co-affections sans nécessairement impliquer de lien de causalité entre elles. Ce terme de multi-morbidité trouve notamment son intérêt s’agissant des soins primaires, des symptômes à prendre en soins, et il est alors intéressant de prendre en compte la survenue temporelle des co-affections dans leur prise en charge : survenue simultanée, successive et ordre de la succession des affections. Quand on parle de comorbidité, on fait également référence à la notion de complexité de la prise en soins liée à la pathologie causale et son impact fonctionnel sur la personne en termes de limitation d’activité et de restriction de participation sociale. Ces éléments prennent en compte les caractéristiques propres du patient (âge, sexe…) et les caractéristiques de l’environnement dans lequel évolue la personne polyhandicapée (Valderas et coll., 2009renvoi vers).
Ainsi parler de « troubles associés » au polyhandicap pourra tour à tour, au cours de notre développement, référer à des comorbidités (quand un symptôme est directement relié à un autre par un lien de causalité, dans un intervalle de temps défini), des multi-morbidités (s’agissant de plusieurs symptômes dont le lien de causalité ne peut être établi), avec un impact en termes de complexité de prise en charge de la pathologie causale (s’agissant notamment soit de la charge en soins liée aux symptômes soit du retentissement en termes de mortalité notamment) et inscrivant le polyhandicap dans le cadre des pathologies chroniques et complexes (Feudtner et coll., 2007renvoi vers ; Cohen et coll., 2011renvoi vers) où l’environnement dont la famille et les aidants tiennent une place prépondérante.
Certains auteurs s’intéressent ainsi aux multi-morbidités présentes chez des sujets polyhandicapés, sans mentionner de lien de causalité entre elles : citons notamment l’article de van Timmeren et coll. (van Timmeren et coll., 2017renvoi vers) qui s’est intéressé aux associations de symptômes les plus fréquemment retrouvées dans une population de 99 sujets polyhandicapés adultes : 37 % présentaient de façon simultanée une épilepsie, une scoliose, des troubles visuels, une spasticité et une constipation. Il est également possible d’explorer les multi-morbidités de cette population en s’intéressant aux prescriptions médicales, comme cela est rapporté par l’équipe de van der Heide et coll. (van der Heide et coll., 2009renvoi vers) à propos de 254 patients âgés de 6 à 82 ans, en institution, dont 89 % ont au moins un traitement prescrit, au premier rang desquels des traitements à visée digestive (laxatifs chez 64 %, traitement médicamenteux d’un reflux gastro-œsophagien chez 52 %), suivis des antiépileptiques (56 %) et antipsychotiques (45 %). S’agissant d’une pathologie chronique, la séquence de survenue de ces multi-morbidités est également intéressante à décrire afin de proposer notamment des prises en soins adaptées à tout âge de la vie. Les travaux de Rousseau et coll. (Rousseau, 2018renvoi vers ; Rousseau et coll., 2020arenvoi vers ; Rousseau, 2021renvoi vers) permettent ainsi de voir l’évolution des symptômes en fonction de l’âge au sein d’une cohorte de 875 enfants et adultes (545 sujets âgés de 3 à 25 ans ; 474 sujets âgés de 18 à 68 ans) polyhandicapés accueillis soit en institutions médico-sociales, soit en services de soins médicaux et de réadaptation au long cours, soit au domicile. Concernant les troubles digestifs à tout âge de la vie, il est par exemple mis en évidence que la constipation sévère augmente avec l’âge (28,6 % dans le groupe des 3-5 ans, 47,1 % dans le groupe des 18-25 ans, 81,4 % dans le groupe des 50-68 ans), tandis que le reflux gastro-œsophagien diminue avec le temps parmi la population adulte (42,5 % pour les 18-34 ans, 26,2 % pour les 50-68 ans).
Si l’on s’intéresse ensuite à l’impact des différents troubles associés, là encore les travaux de Rousseau et coll. nous renseignent sur les principales atteintes de 133 sujets polyhandicapés (70 enfants, 63 adultes) décédés dans deux services de soins médicaux et de réadaptation spécialisés en France entre 2006 et 2012 (accueillant 712 sujets sur la période), avec un âge médian au décès de 21 ans (3-52 ans) : 63,2 % des patients sont décédés d’infection pulmonaire, 18 % de mort subite, 6,8 % d’état de mal épileptique, 12 % d’autres causes. Les principales atteintes rapportées chez ces patients (le terme « comorbidité » est ici utilisé par les auteurs) dans le dossier médical étaient une insuffisance respiratoire chronique chez 79,7 %, des troubles digestifs chroniques chez 78,9 %, des infections pulmonaires récidivantes (plus de 4 par an) chez 72,2 %, une épilepsie chez 66,9 %, une scoliose sévère chez 60,2 %. Ces données confirment donc les atteintes multiples de ces patients et la part qu’elles tiennent dans leur évolution, notamment pour les patients les plus sévèrement atteints (Rousseau et coll., 2015renvoi vers). Des travaux sont en cours pour évaluer de façon prospective l’évolution de ces symptômes au travers d’un suivi longitudinal à 5 ans de la cohorte historique suivie par Rousseau et coll., afin notamment d’apprécier si possible les relations entre ces différentes atteintes. Enfin, s’agissant d’une population dont l’autonomie est extrêmement restreinte par définition et la dépendance forte, la question du lien avec l’environnement et l’entourage est bien évidemment centrale et différents travaux analysent notamment cette complexité en tâchant en particulier de mesurer l’impact sur les aidants de ces multiples atteintes conjointes chroniques (Rousseau et coll., 2017renvoi vers, 2019renvoi vers et 2020brenvoi vers).
Nous tâcherons ainsi de préciser au cours de notre propos à quelle notion spécifique nous nous référons quand nous évoquerons ces différentes atteintes.

Références

[1] Cohen E, Kuo DZ, Agrawal R, et coll . Children with medical complexity: an emerging population for clinical and research initiatives. Pediatrics. 2011; 127:529-38Retour vers
[2] Feudtner C, Feinstein JA, Satchell M, et coll . Shifting Place of Death Among Children With Complex Chronic Conditions in the United States, 1989-2003. JAMA. 2007; 297: 2725p. Retour vers
[3] Rousseau M-C. Chapitre 72. Recherche : trois études issues de la cohorte Éval-PLH ; une étude sur « polyhandicap et Covid-19 ». In: In: Camberlein P, Ponsot G, eds, editors. La personne polyhandicapée : La connaître, l’accompagner, la soigner.. Paris:Dunod; 2021; 1299313Retour vers
[4] Rousseau M-C, Baumstarck K, Khaldi-Cherif N, et coll . Health issues in polyhandicapped patients according to age: Results of a large French cross-sectional study. Rev Neurol (Paris). 2020a; 176:370-9Retour vers
[5] Rousseau M-C, Baumstarck K, Valkov M, et coll . Impact of severe polyhandicap cared for at home on French informal caregivers’ burden: a cross-sectional study. BMJ Open. 2020b; 10: e032257p. Retour vers
[6] Rousseau M-C, Baumstarck K, Khaldi-Cherif S, et coll . Impact of severe polyhandicap on parents’ quality of life: A large French cross-sectional study. PLoS One. 2019; 14: e0211640p. Retour vers
[7] Rousseau M-C. Caractérisation du polyhandicap : déterminants de santé, performances du système de soins et impact sur les aidants. Thèse de Doctorat. Faculté de Médecine de Marseille – Aix-Marseille Université. 2018; Retour vers
[8] Rousseau M-C, Baumstarck K, Leroy T, et coll . Impact of caring for patients with severe and complex disabilities on health care workers’ quality of life: determinants and specificities. Dev Med Child Neurol. 2017; 59:732-7Retour vers
[9] Rousseau M-C, Mathieu S, Brisse C, et coll . Aetiologies, comorbidities and causes of death in a population of 133 patients with polyhandicaps cared for at specialist rehabilitation centres. Brain Injury. 2015; 29:837-42Retour vers
[10] Valderas JM, Starfield B, Sibbald B, et coll . Defining comorbidity: implications for understanding health and health services. Ann Fam Med. 2009; 7:357-63Retour vers
[11] van der Heide DC, van der Putten AAJ, van den Berg PB, et coll . The documentation of health problems in relation to prescribed medication in people with profound intellectual and multiple disabilities. J Intellect Disabil Res. 2009; 53:161-8Retour vers
[12] van Timmeren EA, Waninge A, van Schrojenstein Lantman-de HMJ, et coll . Patterns of multimorbidity in people with severe or profound intellectual and motor disabilities. Res Dev Disabil. ; 67:28-33Retour vers

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