Polyhandicap

2024


ANALYSE

IV-

La personne polyhandicapée, ses aidants, la société


23-

Inclusion et scolarisation

Parler d’« élèves en situation de polyhandicap » n’est pas un oxymore, contrairement à l’idée reçue (une idée que l’on rencontre dans tous les milieux, y compris au sein de l’Éducation nationale). Les enfants polyhandicapés, quelles que soient leurs capacités, peuvent accéder à une scolarisation adaptée : il n’est pas absurde de réfléchir à leur inclusion scolaire.
Si l’enfant peut être scolarisé, ne pas le lui permettre, par exemple en déclarant qu’il est « trop handicapé » (Block et coll., 2007renvoi vers ; Benoit, 2020renvoi vers ; Cologon, 2020renvoi vers) est une manière de signifier qu’il n’a pas sa place socialement ni droit au développement de ses capacités par l’intermédiaire d’apprentissages adaptés (voir chapitre « Apprentissages »).
Ce handicap « extrême » qu’est le polyhandicap peut avoir la vertu de questionner le cadre institutionnel et ses exigences implicites : pour y être accepté et recevoir un enseignement, quelles sont les conditions requises sur le plan institutionnel ? Quelle visée d’apprentissage dans le cadre de la scolarisation ? Quelles manifestations d’être au monde sont-elles attendues ? Comme dans le champ de l’autisme jugé déficitaire, il peut exister, dans le champ du polyhandicap, des troubles majeurs de la relation ou de la communication mais aussi de réelles capacités d’apprentissage, voire d’apprentissages scolaires.
Il est possible d’entendre l’argument selon lequel un enfant polyhandicapé n’a pas de place dans un cadre scolaire habituel, mais il faut souligner qu’il s’agit surtout d’une position française, dans un contexte où le champ médico-social est très développé, avec des établissements bien organisés : on aura donc tendance à penser en France la scolarisation au sein de ces établissements là où la majorité des articles internationaux consultés pour cette expertise se réfèrent à l’institution scolaire pour penser des adaptations médico-sociales en son sein (Hunt et coll., 2003renvoi vers ; Block et coll., 2007renvoi vers ; Ostlund, 2015renvoi vers ; Bryon, 2020renvoi vers ; Olarte et coll., 2020renvoi vers ; Haakma et coll., 2021renvoi vers).
Si cette vision est la plus répandue, elle est essentiellement issue d’une réflexion classique issue des disability studies ou études sur le handicap où domine le « modèle social du handicap » : l’environnement, le manque de reconnaissance, le poids de normes sociales constituent la plus grande part de ce que l’on nomme « handicap ». Ainsi la réflexion a d’abord porté sur la scolarisation d’élèves en situation de handicap avec une atteinte physique dans les établissements qui refusaient de les accueillir au mépris de leurs capacités, puis d’une inclusion progressivement étendue aux troubles des apprentissages localisés (troubles « dys ») et aux troubles du comportement associés à l’autisme dit de haut niveau. La spécificité du polyhandicap et l’importance des atteintes physiques et cognitives évaluées, rendent la question de la scolarisation plus délicate : si les enseignements ne sont pas adaptés, si les soins ne peuvent que difficilement y être effectués, y a-t-il un réel intérêt pour ces enfants à fréquenter une école ordinaire, selon le principe généralement invoqué de l’école inclusive ?
D’autre part, la question de la scolarisation ne se pose pas dans les mêmes termes selon que l’on prend pour référence l’état existant des institutions et les possibilités de renforcer en leur sein les apprentissages, ou bien l’exigence théorique d’une scolarisation pour tous et toutes dans une classe adaptée en milieu ordinaire, quelles que puissent être les difficultés actuellement constatées.
S’interroger à propos de la scolarisation fait intervenir une réflexion sur sa nécessité, une nécessité que l’on peut considérer comme absolue ou conditionnelle : par exemple, le droit de plusieurs pays occidentaux et la CIDPH (Convention Internationale relative aux Droits des Personnes Polyhandicapées – article 24) indiquent sa nécessité au sens légal, mais la pratique de la scolarisation semble plutôt être conditionnelle et paraît fortement dépendre du contexte.
Si l’impossibilité de la scolarisation est désormais largement rejetée, en revanche il reste à discuter de sa pertinence : la scolarisation peut-elle aller contre l’intérêt de l’enfant ?
La réponse repose en réalité sur une analyse critique de ce que l’on appelle scolarisation. S’il ne s’agit pas d’une scolarisation dans un milieu ordinaire, selon quelles modalités adaptées doit-elle se développer ?

Le problème de la scolarisation des personnes polyhandicapées en France

Les formes de scolarisation

Dans le contexte français, les modalités de la scolarisation prennent les formes suivantes (Benoit, 2020renvoi vers ; Bryon, 2020renvoi vers ; Toubert-Duffort et coll., 2021renvoi vers).

Inclusion dans un établissement scolaire ordinaire

Il s’agit d’une inclusion en Unité localisée d’inclusion scolaire (Ulis école ou collège), en classe à temps partiel ou complet avec l’aide d’un SESSAD (Service d’éducation spéciale et de soins à domicile) qui apporte un soutien spécialisé en développant des actions de soins et de rééducation dans les lieux de vie de l’élève en situation de handicap avec des moyens médicaux, paramédicaux, éducatifs et pédagogiques adaptés.
Cette solution est généralement présentée comme relevant de la « scolarisation inclusive » correspondant le mieux aux textes de loi internationaux.

Scolarisation dans un établissement spécialisé

La spécialisation initiale de cet établissement est soit l’accueil d’enfants et adolescents atteints de handicap mental ou présentant une déficience intellectuelle liée à des troubles de la personnalité, de la communication ou des troubles moteurs ou sensoriels (établissement de type IME, Institut médico-éducatif), soit l’accueil d’enfants et adolescents sujets à une déficience motrice importante (établissement de type IEM, Institut d’éducation motrice), ou encore l’accueil exclusif des enfants et adolescents polyhandicapés (Établissements et services pour Enfants et Adolescents Polyhandicapés, EEAP). En IME ou en IEM, l’élève polyhandicapé peut être envisagé sous l’angle de la déficience intellectuelle ou de la déficience motrice, ces établissements ayant tendance à accueillir un spectre plus large de troubles au fur et à mesure des années et des besoins exprimés dans la population.
Cette solution n’est généralement pas présentée comme relevant de la scolarisation inclusive, même si les personnes polyhandicapées peuvent être scolarisées avec des enfants ayant des capacités nettement plus développées (si tant est que l’on se fie aux manifestations objectivables de ces capacités). En effet, ces établissements sont d’abord médico-sociaux, et la scolarisation y a lieu par l’introduction en leur sein d’Unités d’Enseignement (UE) avec la présence d’enseignants spécialisés pour de petits groupes-classes.

Scolarisation partagée entre établissement scolaire ordinaire
et établissement spécialisé

Cette solution qui combine sur des temps plus ou moins longs la fréquentation des établissements scolaires et l’accueil en établissements médico-sociaux est présentée comme relevant d’une inclusion partielle, en référence à l’idée que seule l’inclusion en milieu ordinaire peut être considérée comme de l’inclusion. Mais sans doute faut-il spécifier plus finement les moyens dont on dispose pour permettre à un enfant de côtoyer d’autres élèves et surtout d’interagir réellement avec eux. Les besoins des élèves en situation de polyhandicap peuvent être si spécifiques que cette solution qui écarte une vision binaire du problème (scolarisation inclusive ou absence d’inclusion) mérite d’être prise en considération.
Des modalités de la scolarisation vont dépendre l’appréciation de son importance pour un enfant polyhandicapé et le type d’engagement des professionnels envers lui (par exemple si le but de leur activité n’est pas scolaire mais tourné vers le soin ou l’accompagnement, le rôle des enseignants sera minimisé, voire dénoncé comme porteur d’une exigence disproportionnée). Si l’activité d’éducation ou d’enseignement prime, on tâchera d’adapter au mieux les formes de scolarisation.
On peut ainsi s’interroger sur les contenus : les besoins spécifiques des élèves polyhandicapés demandent une adaptation partielle et le plus souvent complète des contenus d’apprentissage.
Il en va de même des méthodes pédagogiques : chaque enfant polyhandicapé impose une forte idiosyncrasie dans le choix des modes de communication, d’échange (par exemple la prééminence du non-verbal, de l’accordage affectif, par rapport à la communication verbale ordinaire).
Les groupes-classes seront généralement restreints : la spécificité des élèves polyhandicapés ne leur permet pas toujours d’intégrer des groupes-classes ordinaires de telle manière que chacun puisse retirer des effets bénéfiques de cette scolarisation (tant les autres élèves, intéressés par la spécificité de l’enfant polyhandicapé, que lui-même). Être physiquement placé dans une salle ne signifie pas que l’on appartienne à un groupe : il peut s’agir purement et simplement d’une illusion d’inclusion.
Le temps de scolarisation quotidien sera réduit : de la même façon que pour le lieu physique, le temps utilisé doit être un réel temps d’activité et d’apprentissage (qu’il s’agisse des apprentissages proprement scolaires ou des apprentissages sociaux) ; d’autre part la durée proposée n’est souvent pas compatible avec le suivi des apprentissages ; il n’est pas rare que l’on parle d’« enfant scolarisé » lors même qu’il ne fréquente l’école qu’une ou deux heures par semaine, et encore, lorsque les places sont en nombre suffisant et que l’école se trouve dans une zone géographique accessible. Ici encore l’apparence prévaut sur la réalité d’une situation.
Pour adapter au mieux les modalités d’enseignement à ces différents aspects, il faudrait pouvoir être en capacité de cerner finement les capacités d’apprentissage des enfants polyhandicapés. Le problème est que l’on ne se pose généralement pas la question en ces termes, les jugements de principe s’appuyant sur une connaissance supposée du polyhandicap plus que sur une connaissance réelle.
Ainsi vont s’opposer dans la littérature deux tendances : l’une (la plus représentée) consistant à revendiquer l’inclusion scolaire au nom du droit, disant que les modalités d’inclusion sont à inventer ; l’autre (moins fréquente chez les chercheurs, plus fréquente en France chez les acteurs de terrain et les parents interrogés) supposant que les institutions sont le meilleur environnement pour ces enfants puisqu’elles seront les mieux à même de leur offrir de manière continue et suffisamment consistante, à la fois des soins, des activités et des enseignements adaptés à leurs besoins.
Cela permet de construire une polarité entre deux tendances opposées, toutes deux certainement extrêmes et devant être nuancées en se situant dans l’espace figuré par la double flèche (figure 23.1Renvoi vers), en adaptant graduellement en fonction des conditions et des possibilités repérées chez l’enfant la forme donnée à sa scolarisation.
Figure Figure 23.1 Illustration de la polarité entre inclusion en milieu ordinaire et la scolarité en établissement spécialisé
Entre ces deux pôles, se situerait une position plus nuancée, correspondant à l’inclusion relative que nous avons évoquée ci-dessus, permettant de construire un parcours de scolarisation « sur mesure » et répondant à une prise en compte ajustée des besoins spécifiques de ces élèves. Elle impliquerait la coopération des équipes d’appui médico-social et des équipes éducatives et pédagogiques des établissements scolaires ordinaires. La circulaire n° DGCS/SD3B/2019/138 du 14 juin 2019 relative à la création de ces équipes mobiles d’appui médico-social pour la scolarisation des enfants en situation de handicap, à la rentrée 2019, va dans le sens des indispensables coopérations entre l’Éducation nationale et les ESMS (Établissement et service médico-social), s’agissant de la scolarisation des enfants polyhandicapés.
Compte tenu des modalités offertes par le système français actuel, l’organisation de la scolarisation peut prendre différentes formes, en fonction des objectifs poursuivis, de l’âge et de l’évolution de l’enfant : scolarisation en Unité d’enseignement (UE) dans un établissement médico-social, inclusion à temps partiel ou à temps complet dans une classe en établissement scolaire, ou encore scolarisation partagée entre deux lieux (établissement médico-social et établissement scolaire).

Avantages et inconvénients des différentes formes de scolarisation

Limites de la position du « tout inclusif »

La position de l’inclusion nécessaire (ou du « tout inclusif ») a l’avantage de rappeler le droit à la scolarisation de tout enfant, mais l’inconvénient en pratique de ne pas prévoir comment le réaliser dans le cas précis des élèves polyhandicapés, à tel point que l’on peut se demander à leur sujet si elle est toujours réalisable. Il y a très peu de littérature disponible sur l’inclusion totale en pratique et en particulier aucun texte en France.
Trop d’exigences théoriques peuvent conduire à l’apparence d’inclusion que nous avons déjà dénoncée (par exemple, l’enfant est laissé seul au fond de la classe pendant un temps court et ne participe pas en réalité aux enseignements ni aux interactions au sein de la classe).
Par cette apparence d’inclusion, on peut négliger les difficultés majeures d’apprentissage, de communication et de participation rappelées dans la littérature à propos de ces élèves. On peut par exemple brandir la notion d’« égalité des chances » alors que celle-ci n’a guère de sens tant l’inégalité de naissance est marquée. Il conviendrait davantage de parler d’opportunités maximales de développement des compétences individuelles. Cette formulation insiste davantage sur le potentiel de chaque individu à se développer et à s’épanouir, quelles que soient ses capacités, plutôt que sur une idée d’égalité formelle. Elle suppose une plus grande compensation pour les personnes et laisse de côté la comparaison avec d’autres qui sera quasiment toujours dépréciative.
Cette idée de la compensation est compatible avec l’objectif de l’éducation inclusive qui est de permettre à chaque enfant de développer au maximum ses compétences, ses aptitudes et ses capacités, même lorsque celles-ci apparaissent a priori limitées ou très limitées, en fournissant les outils et les ressources nécessaires pour y parvenir.
Enfin, il convient de noter que l’éducation inclusive ne signifie pas nécessairement que tous les élèves doivent être scolarisés dans des classes ordinaires, même avec du soutien et des aménagements spécifiques. Au contraire, une éducation inclusive peut prendre différentes formes, en fonction des besoins individuels de chaque élève. Cela peut passer par des classes spécialisées, des aménagements pédagogiques ou des accompagnements personnalisés. La tendance inclusive se trouve ici plus nuancée, moins centrée sur une injonction et plus proche d’une solution intermédiaire prenant en compte l’exigence d’inclusion, mais en la replaçant dans un contexte donné.

Limites de la position « non inclusive »

La position refusant l’inclusion en milieu ordinaire au profit d’une scolarisation en milieu spécialisé a l’avantage de rappeler les difficultés de santé et d’apprentissage propres aux personnes en situation de polyhandicap, et l’importance de disposer dans un même lieu des services de soins et des lieux d’enseignement et d’éducation.
Mais elle peut conduire à la sous-estimation des capacités en ne proposant que des programmes dits « éducatifs » (en réalité seulement occupationnels), qui ne soient pas conçus comme de véritables enseignements (Benoit, 2020renvoi vers) ; d’autre part cette position peut passer à côté des avantages de la socialisation et le développement de ce que l’on appelle les compétences sociales ou social skills (Block et coll., 2007renvoi vers ; Teramoto et Kawama, 2011renvoi vers ; Nijs et coll., 2014renvoi vers ; Maes et coll., 2020renvoi vers ; Haakma et coll., 2021renvoi vers).
Suivant cette position, les personnels du secteur médico-social ont souvent une attitude ambivalente à propos des enseignants, qu’ils perçoivent à la fois comme porteurs d’une action bénéfique (même complémentaire ou accessoire), mais aussi comme porteurs d’un danger de mise en souffrance d’enfants que leur handicap accablerait déjà suffisamment, en raison d’une exigence disproportionnée (Toubert-Duffort et coll., 2018renvoi vers).
Ils ont le sentiment qu’il pourrait exister une grave inadéquation entre les pratiques enseignantes et les besoins des enfants concernés, voire un danger de souffrance pour eux, leurs représentations étant liées à la métaphore du « handicap lourd » (trop lourd pour être dépassé d’une manière ou d’une autre).
Les réticences relatives à la scolarisation existent également chez les enseignants hors du milieu spécialisé ou peu familiers de celui-ci, voire même dans le milieu spécialisé, certains doutant de l’intérêt d’une scolarisation pour les jeunes polyhandicapés, ce qui permet d’insister sur l’importance de la formation des enseignants et des professionnels médico-sociaux pour lutter contre ce type de représentations. Des surprises de taille quant aux compétences de lecture peuvent intervenir avec des enfants pourtant diagnostiqués polyhandicapés (Carette et Hasbrouck, 2022renvoi vers) avec des cas d’hyperlexie ou apprentissages autonomes de la lecture.
L’important à ce propos est essentiellement le dialogue entre professionnels, mais aussi entre professionnels et parents, pour conduire à un positionnement ajusté. Cela permet d’envisager les conditions de la scolarisation plutôt que de poser par principe que cette scolarisation a des effets positifs ou négatifs dans le contexte d’un établissement spécialisé.
Il est à souligner que la majorité des professionnels du secteur médico-social consultés par Toubert et coll. (Toubert-Duffort et coll., 2018renvoi vers) considèrent que l’accès aux apprentissages dans le cadre d’une scolarisation adaptée concerne tous les enfants polyhandicapés (mais en conservant pour référence le point de vue médico-social pour l’accueil de ces enfants). Nous ne pouvons que souligner l’importance d’un tel changement de représentation. La possibilité de la scolarisation fait désormais partie des conceptions généralement partagées, et elle doit le rester quel qu’en soit le contexte.
Pour diversifier ce type de représentations, les échanges en équipe sont précieux : ils peuvent porter sur les outils d’apprentissage, le contexte d’apprentissage, l’environnement proposé. Il est possible de co-construire des séances avec un pair pour lutter contre les incertitudes fortes liées au polyhandicap. Ici encore cette position, une fois explicitée, rejoint un certain nombre de préconisations de la position d’inclusion relative ou d’inclusion partielle, mais en demeurant guidée par la référence aux établissements spécialisés et à leur culture propre.

Position nuancée : l’inclusion relative

Comme nous venons de le voir, les positions extrêmes d’inclusion en milieu ordinaire ou de maintien en milieu spécialisé gagneraient à être relativisées voire associées afin de penser des modalités de scolarisation adaptées à chaque cas particulier, ce qui est essentiel dans le cas du polyhandicap.
Il ne s’agit pas de permettre des apprentissages relatifs à une exigence de scolarisation trop standardisée, mais de susciter et de soutenir un processus de développement spécifique, qui ne poursuit pas les mêmes buts et ne vise pas à une utilité socialement admise. Le cadre de ces apprentissages peut donc être évolutif.
Ne peut-on viser une scolarisation qui contribue avant toute autre préoccupation à construire l’enfant, à « soutenir son être » (Toubert-Duffort et coll., 2018renvoi vers) en répondant à ses besoins de développement ? On ne peut pas séparer aussi radicalement que semblent le supposer les professionnels le soin de l’éducatif : pourquoi ne pas tenter de faire de chaque moment de soin et de toilette un temps de relation et d’apprentissage lié à un ressenti (sans pour autant s’abîmer dans celui-ci) (Toubert-Duffort et coll., 2018renvoi vers) ? Les apprentissages ont pour vocation d’être mis en actes dans la vie quotidienne, de développer l’autonomie des sujets dans la mesure de leurs possibilités. Par conséquent, les contextes de classe ou les contextes de soins peuvent être propices pour le développement d’aptitudes spécifiques.
Cette solution intermédiaire, qui ne nie pas l’importance de la contribution des établissements spécialisés dans les processus d’apprentissage, a l’intérêt de s’appuyer sur l’important tissu médico-social du territoire français. L’existence de ces établissements, l’efficacité des soins et des accompagnements qui y sont proposés, sont des ressources sur lesquelles nous pouvons collectivement nous appuyer, à condition que leur culture intègre de plus en plus fortement la nécessité de la scolarisation et de l’ouverture vers l’école ordinaire. Il s’agirait d’associer les principes légaux d’inclusion tels qu’on les rencontre dans la littérature essentiellement scandinave et anglo-saxonne (voir à ce sujet par exemple : Lyons et Arthur-Kelly, 2014renvoi vers ; Colley, 2020renvoi vers ; Maes et coll., 2020renvoi vers ; Haakma et coll., 2021renvoi vers) et la spécificité du système français existant sans faire disparaître ses acquis et les compétences professionnelles qui s’y sont développées.
Il nous reste à considérer si cette position peut s’articuler avec les dispositions légales s’appliquant en France, qu’il nous faut également confronter aux statistiques de scolarisation dont nous disposons pour les personnes polyhandicapées.

Le rapport entre la loi et les faits : aspects légaux et statistiques

Que dit le droit français ?

Le droit à la scolarisation (distinct du droit à l’éducation) est le fondement de l’école inclusive. Ce droit découle de la loi du 11 février 2005 (qui, rappelons-le, inclut le polyhandicap dans sa définition du handicap1 ) : ce qui est énoncé pour tous les élèves handicapés, concerne de fait les élèves polyhandicapés, qui sont parfois cités explicitement :
« Toute personne atteinte du handicap résultant du syndrome autistique et des troubles qui lui sont apparentés bénéficie, quel que soit son âge, d’une prise en charge pluridisciplinaire qui tient compte de ses besoins spécifiques. Adaptée à l’état et à l’âge de la personne, cette prise en charge peut être d’ordre éducatif, pédagogique, thérapeutique et social. Il en est de même des personnes atteintes de polyhandicap » (nous soulignons) (Loi n° 2005-102, articles L. 114 et L. 246-1).
La loi du 8 juillet 2013 précise : le « service public de l’éducation […] veille à l’inclusion scolaire de tous les enfants, sans aucune distinction » (article 111-1), et renforce encore le droit à la scolarisation, qui implique l’accès de tous (nous soulignons) les élèves à une scolarité, quels que soient le contexte et l’ampleur de leurs difficultés (Toubert-Duffort et Dumont, 2017renvoi vers).

Écart entre la loi et la pratique

Aspects statistiques

Considérons à présent les chiffres de la scolarisation (dont la nature n’est pas clairement précisée) afin de montrer l’écart entre les dispositions légales et la pratique.
Selon une enquête sur les modalités de scolarisation des enfants en situation de polyhandicap menée par la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS) et l’Éducation nationale en 2018 auprès de plus de 500 établissements et services médico-sociaux, 76 % des jeunes ne sont pas scolarisés (qu’ils vivent à domicile ou en établissement) (Bryon, 2020renvoi vers).
Les 24 % d’enfants scolarisés se répartissent comme suit : 85,2 % en unité d’enseignement interne ; 0,6 % dans une unité d’enseignement d’un autre établissement et service médico-social ; 7,9 % en unité d’enseignement externalisée ; 1,6 % sont scolarisés en milieu ordinaire.
Nous le verrons, ces éléments sont à relativiser en fonction de ce que l’on nomme scolarisation (notamment en fonction de la durée hebdomadaire de scolarisation et de l’adaptation des contenus).
Nous pouvons comparer ces chiffres avec les résultats de la Direction de la Recherche, des Études, de l’Évaluation et des Statistiques (DREES) en 2014 et 2018 (l’évaluation 2022 n’a pas été publiée à notre connaissance) (Bergeron et Eideliman, 2018renvoi vers). Bien que le taux de scolarisation reste très bas, les enquêtes nationales successives de la DREES montrent cependant une évolution que l’on peut lire dans les chiffres et graphiques (figures 23.2Renvoi vers et 23.3Renvoi vers) suivants :
• enfants non scolarisés : 76 % en 2014 (résultats publiés en 2018) ; 86,9 % en 2010 ; 93,8 % en 2006 ;
• enfants scolarisés en établissement médico-social (unité d’enseignement) : 21 % en 2014 (résultats publiés en 2018) ; 12 % en 2010 ; 3,6 % en 2006.
Figure Figure 23.2 Scolarisation des élèves en situation de polyhandicap (fin 2010)
Figure Figure 23.3 Scolarisation des élèves en situation de polyhandicap (fin 2014)

Discussion des résultats statistiques

Au-delà de ces chiffres globaux, il importe de mieux cerner ce que l’on appelle scolarisation, puisque celle-ci peut être autant un atout qu’un désavantage pour l’enfant en fonction de sa participation effective. Isabelle Bryon, alors déléguée ministérielle à l’école inclusive, a coordonné une enquête menée sur 195 structures (195 ayant répondu sur 535 sollicitées), afin de mieux cerner la nature de la scolarisation des enfants polyhandicapés.
La scolarisation dont il est question pour 1 enfant sur 4 environ ne rentre pas dans des temporalités habituelles : généralement elle a lieu sur des temps courts (69 % sont scolarisés moins de 6 heures par semaine).
Ils sont par ailleurs scolarisés en groupes très restreints (majoritairement de 2 à 4 enfants), voire en individuel : dans plus de la moitié des établissements, plus de 55 % des enfants ont au moins une prise en charge scolaire individuelle par semaine.
Les temps scolaires et les groupes-classes ne correspondent donc pas à ce qui est théorisé en termes d’inclusion.
Plus encore, en ce qui concerne la culture de la scolarisation elle-même et sa possibilité, l’image d’individus inéducables ou incapables reste marquée à propos du polyhandicap, laissant peu de place à l’idée même de scolarisation :
« La scolarisation des enfants polyhandicapés progresse lentement mais reste encore trop peu développée en raison de la persistance d’une méconnaissance sur les capacités d’apprentissage qui doivent être mieux identifiées afin d’être stimulées, et de la frontière ténue entre apprentissages éducatifs et apprentissages scolaires qui impose de clarifier les positionnements professionnels des uns et des autres » (Bryon, 2020renvoi vers).
La première étape est donc de faire admettre la possibilité même de la scolarisation, ce qui implique de réfléchir à son adaptation.

Du principe d’un enseignement possible à sa mise en pratique

L’analyse de besoins spécifiques

L’intégration de la dimension scolaire interroge tout le système de représentation du polyhandicap et conduit à se poser la question : qu’est-ce qu’apprendre, pour une personne polyhandicapée ? Comment apprend-elle ? Comment l’aider à apprendre ?
Quelles que soient les différences étiologiques du polyhandicap, celui-ci a un impact important sur le développement global et le fonctionnement de toutes les personnes polyhandicapées. Des adaptations spécifiques à leur environnement sont donc nécessaires pour répondre à leurs besoins (Petitpierre et coll., 2007renvoi vers) : recours à des stratégies, méthodes et outils spécifiques (voir chapitre « Apprentissages »).
Sans ces adaptations, les risques de sur-handicaps sont accrus : contrairement à l’idée reçue, plus l’atteinte physique et intellectuelle est importante, plus les risques d’aggravation par le contexte existent, puisque les enfants et adolescents auront beaucoup de mal à développer leurs propres ressources adaptatives en contexte ordinaire. Le préjugé selon lequel le contexte est peu important se fonde sur le peu de résultats apparents ; cependant ces résultats deviennent évidents lorsque l’on compare l’évolution d’une personne avec un accompagnement adapté et en l’absence de cet accompagnement. Les « troubles du comportement » seront moins nombreux et moins manifestes, il devient possible de les prévenir lorsque l’environnement est adapté, ce qui soulage autant la personne que les accompagnants.
Ainsi, la situation de la personne polyhandicapée peut être améliorée ou aggravée par l’environnement scolaire proposé, selon une conception interactionniste du développement individuel.
À ce contexte d’enseignement, il faut ajouter que ces personnes présentent un risque global de développer des complications médicales relatives, par exemple, à des troubles épileptiques, et presque toutes nécessitent une administration régulière de médicament (Dorison et Mathieu, 2021renvoi vers). Or la prise de médicaments peut avoir des effets sur l’attention et les résultats scolaires, en favorisant globalement le développement, mais en limitant les apprentissages en raison de leurs effets secondaires.
La qualité du cursus proposé dépend de l’adaptation aux besoins spécifiques mais aussi de la connaissance et de l’adaptation aux caractéristiques personnelles comme les préférences de l’enfant, ses intérêts, ses modalités personnelles d’entrée en relation avec l’environnement (Tadema et coll., 2008renvoi vers ; van der Putten et coll., 2011renvoi vers ; Toubert-Duffort et Dumont, 2017renvoi vers).
Il est par exemple important que l’enseignant soit au courant d’un certain nombre de facteurs, comme la durée pendant laquelle l’enfant est capable de se concentrer et de maintenir son attention, si l’heure de la journée influence son rendement scolaire ou non, et s’il est sensible à d’autres influences contextuelles comme la présence d’autres personnes à proximité, l’incidence de la lumière, l’influence des sons environnants, etc.
Tout cela plaide pour une évaluation individuelle qui, au-delà des informations médicales sur les déficits sensoriels et moteurs, puisse prendre en compte les comportements de la personne dans l’environnement multi-sensoriel (EMS) (Hogg et coll., 2001renvoi vers ; Matson et coll., 2004renvoi vers ; van der Putten et coll., 2011renvoi vers ; Pagliano, 2012renvoi vers).
van der Putten et coll. (2011renvoi vers) proposent ainsi un questionnaire permettant d’adapter les activités et situations pédagogiques aux modalités sensorielles et préférences de la personne avec PIMD (Profound Intellectual and Multiple Disabilities), dont les différents items peuvent être pris en considération (tableau 23.Irenvoi vers).

Tableau 23.I Inventaire pour adapter les activités et les situations aux capacités et préférences des enfants ayant un handicap intellectuel profond et un handicap multiple (d’après van der Putten, 2011renvoi vers ; traduit de l’anglais)

Catégories (nombre de rubriques)
Rubriques
Vision (6)
Champ visuel ; Position ; Contraste ; Vitesse de réaction ; Incidence de la lumière ; Quantité de stimuli
Audition (4)
Hauteur ; Volume ; Vitesse de réaction ; Quantité de stimuli
Toucher (4)
Aversion ; Sensibilité basse ; Hypersensibilité ; Quantité de stimuli
Olfaction (4)
Identification ; Aversion ; Hypersensibilité ; Préférences
Compétences motrices (3)
Saisir ; Attraper ; Tenir
Préférence (4)
Visuelle ; Auditive ; Tactile ; Stimuli spécifiques
Où (5)
Taille de la pièce ; Position dans la pièce ; Taille du groupe ; Bruit ambiant ; Posture
Comment (3)
Aptitude ; Temps de réaction ; Durée d’attention
Quand (2)
Vigilance ; Fatigue
Total
35

Invariants méthodologiques de la démarche inclusive

Cette prise en compte des besoins spécifiques et l’adaptation du cadre d’enseignement font partie des invariants que l’on repère à travers tous les textes consultés à propos de la démarche inclusive, essentiellement décrite en milieu scolaire. En effet, dans tous les articles internationaux traitant de la démarche inclusive, celle-ci a lieu en école ordinaire avec le cas échéant des classes spécialisées (on ne trouve pas de texte analysant cette démarche en France).
Les invariants que l’on repère sont :
• évaluation des besoins d’apprentissage, de manière individualisée (Block et coll., 2007renvoi vers) ;
• construction d’objectifs d’apprentissage individuels en lien avec le profil et les besoins développementaux de l’élève ;
• création de modalités d’organisation et d’action adaptées pour atteindre les objectifs, au sein du dispositif général d’inclusion (aides matérielles et humaines, outils spécifiques, etc.) ;
• création et maintien des conditions d’un cadre sécure et soucieux de la santé de l’élève (la démarche de soin est ici indissociable de la démarche d’éducation) ;
• facilitation de l’interaction sociale entre les élèves polyhandicapés et les pairs non handicapés (ce qui est l’avantage de la scolarisation réellement inclusive, du moins lorsque les interactions sont réelles).
Les objectifs d’apprentissage sont choisis en fonction de trois critères principaux (Block et coll., 2007renvoi vers) : l’accessibilité des situations pédagogiques (sont privilégiées les situations favorisant les liens avec les pairs non handicapés et les plus significatives pour l’élève) ; l’intérêt spécifique de ces apprentissages pour l’élève dans le quotidien de sa vie ; leur valeur thérapeutique (la démarche de soin étant ici indissociable de la démarche d’apprentissage).

Organisation pratique des enseignements

Aides humaines et techniques

Les modalités d’organisation et d’action comprennent la présence continue d’une aide humaine auprès de l’élève polyhandicapé, mais aussi une adaptation des activités en fonction de ses besoins propres (par exemple le kinésithérapeute travaille les étirements avec l’élève polyhandicapé pendant le temps d’échauffement collectif en séance d’éducation physique et sportive [EPS]).
Elles s’appuient sur des aides matérielles et techniques spécifiques (clavier adapté, contacteurs, systèmes de reconnaissance oculaire ou eye tracking, etc.), ce qui implique de s’adapter à la temporalité spécifique associée à l’usage de ces moyens de communication. Les réponses lettre à lettre peuvent prendre plusieurs minutes lorsque l’on est entièrement dépendant physiquement, sans compter la fatigue associée à l’usage de ces moyens peu commodes dans l’absolu, mais seuls disponibles actuellement pour assurer une interaction un tant soit peu complexe avec les élèves qui sont en capacité de les utiliser.
L’organisation des enseignements passe par une modification des méthodes utilisées et du contenu dans le sens d’une adaptation des objectifs, des programmes, etc. et d’une adaptation des contenus et des objets sur lesquels porte l’apprentissage afin de favoriser la possibilité d’une démarche la plus active possible de la part de l’élève et ultérieurement la possibilité de mobiliser ces apprentissages.

La relation aux pairs avec la médiation d’un professionnel

Compte tenu de ces enjeux, des mesures de soutien à la participation et à l’interaction sont élaborées (Hunt et coll., 2003renvoi vers) pour réduire les périodes de non-engagement dans les activités en classe et augmenter le nombre de tentatives des élèves pour amorcer des interactions communicatives dans le contexte d’activités d’enseignement (par exemple, poser ou répondre à des questions, faire des commentaires) et accroître les interactions entre les élèves porteurs de SMD (Severe and Multiple Disabilities) et leurs camarades de classe.
Précisons la manière dont se déroule une journée scolaire dans une classe spécialisée au sein d’une école ordinaire : aux Pays-Bas, suivant le projet « To School Together », les élèves en situation de polyhandicap (PIMD) bénéficient de soins et d’une éducation « sur mesure ». Durant la journée, un assistant d’enseignement est présent pour soutenir l’élève avec PIMD, et les professionnels impliqués dans le soutien des élèves avec PIMD ont reçu une formation spécifique (soit médicale, soit éducative) au polyhandicap (Jansen et coll., 2017renvoi vers).
En plus des activités partagées avec d’autres élèves en situation de handicap dans la classe « À l’école ensemble » (« To school Together »), des moments d’inclusion sont organisés, au cours desquels les élèves avec PIMD s’engagent dans des activités avec des pairs au développement typique. Le principe consiste à ne jamais les priver de ce type d’interactions au profit de relations exclusives avec des pairs en situation de handicap. Ainsi, les enfants des classes ordinaires peuvent intégrer la classe « To School Together » selon le principe d’une inclusion inversée. Il existe aussi des dyades entre élève avec PIMD et pair non handicapé pour participer à des activités scolaires dans l’une ou l’autre classe.
Cette dernière remarque doit attirer notre attention sur la notion de « pair », qui peut s’entendre de manières différentes dans la littérature : on peut considérer comme un pair un autre enfant porteur du même type d’atteintes (ici le polyhandicap), un enfant porteur d’un handicap même s’il ne correspond pas au même type d’atteintes (par exemple un retard intellectuel), ou encore un enfant de la même classe (même s’ils n’ont pas le même âge ou les mêmes besoins spécifiques). Cette notion de pair dans le contexte scolaire demande à être explicitée, tout comme la nature de la relation avec les pairs : il ne suffit pas d’annoncer des interactions entre pairs pour que celles-ci puissent être considérées comme plus inclusives.
Pendant les moments d’inclusion avec des pairs valides, le professionnel est présent pour aider l’élève polyhandicapé de manière très individualisée. Par exemple en l’aidant à s’exprimer ou en aidant les pairs à comprendre ces expressions ou à y répondre. Mais ce faisant, il peut prendre une place tout à fait déterminante dans les interactions et limiter en réalité les possibilités d’interactions venant de l’enfant polyhandicapé. Paradoxalement, la présence de l’assistant d’éducation peut créer une barrière physique ou symbolique qui interfère avec les interactions entre un élève avec PIMD et ses camarades de classe (Giangreco et coll., 2005renvoi vers).
Il arrive en pratique qu’au lieu de faciliter les interactions avec les pairs, les professionnels soient centrés sur l’organisation de l’activité ou l’interaction individuelle avec un enfant. Leurs comportements ont tendance à interrompre l’interaction avec les pairs (on peut parler alors de comportements distracteurs), par exemple en déplaçant un objet utilisé par des pairs en jeu ou en appelant le nom d’un enfant. De plus, ils accordent peu d’attention à la position des enfants. Des travaux de recherche montrent que le positionnement des individus avec PIMD devrait être adapté pour encourager les interactions avec d’autres personnes (Kamstra et coll., 2019renvoi vers).
De fait, les enfants avec PIMD ont moins de regards dirigés vers les pairs en présence d’un professionnel qui les étaye, qu’en son absence (Nijs et coll., 2014renvoi vers).
De plus, les pairs non handicapés connaissent des difficultés pour s’ajuster aux pairs avec PIMD ce que l’on peut rapporter à un handicap de la communication (handicap par conséquent partagé par l’un et l’autre dans la tentative de communiquer). Les travaux de Haakma et coll. (2021renvoi vers) montrent que les pairs au développement typique ont initié plus d’interactions que les pairs avec PIMD, ce qui ne permet pas réellement de parler de réciprocité dans les interactions. Si le mouvement est toujours initié par la même personne, on peut même se demander s’il demeure une interaction et si celle-ci ne risque pas d’être rapidement découragée de la part de celui qui l’a initiée. Or la présence d’un adulte accompagnant va renforcer cette asymétrie.

Peut-on évaluer l’écart entre les recommandations et la pratique ?

Rareté des références internationales sur l’inclusion en pratique

Les remarques précédentes ont permis de montrer l’écart pouvant exister entre les recommandations et la pratique réelle. Quelles sont les réalisations décrites et documentées dans la littérature scientifique ? Il existe en réalité très peu de données sur l’inclusion en milieu ordinaire pour en juger. La littérature porte sur des études de cas ou d’expériences limitées à quelques individus. Elle est absente en France : aucune étude ne s’inscrit dans le champ de l’inclusion.
Les résultats des études portant sur l’inclusion des élèves avec des besoins éducatifs particuliers montrent qu’en général, ces derniers ont moins d’amis et moins d’interactions avec les camarades de classe que leurs pairs au développement typique. Pour certains élèves, l’inclusion peut même entraîner des résultats négatifs, tels que la solitude et le rejet plutôt que les résultats positifs présupposés. On ne peut donc parler ici que d’une forme inclusive donnée à la scolarisation plutôt que d’inclusion à proprement parler.
La difficulté de l’évaluation positive ou négative de cette inclusion (réelle ou formelle) est liée à l’absence de travaux sur ses impacts, en particulier évaluant la participation sociale des élèves avec PIMD.
On peut souligner qu’en pratique, l’inclusion diminue avec l’âge des élèves avec polyhandicap : les expériences rapportées sont nettement plus nombreuses en crèche et en maternelle, elles sont presque absentes au collège et au lycée (Petitpierre et Squillaci, 2020renvoi vers).

Contraintes pour la réalisation d’une démarche authentiquement inclusive

Il est important de rappeler que l’éducation inclusive nécessite de disposer de ressources humaines et matérielles importantes pour répondre aux besoins très individualisés des enfants polyhandicapés. On peut se représenter l’inclusion comme un enrichissement pour toute la communauté éducative, qu’il s’agisse des enfants ordinaires, des familles ou des professionnels, mais elle nécessite un travail en commun entre deux équipes : celle de l’école ordinaire et l’équipe interdisciplinaire formée de professionnels de santé et des professionnels en pédagogie spécialisée (Olarte et coll., 2020renvoi vers).
Par ailleurs, l’éducation inclusive implique des changements importants dans la structure et l’organisation de l’école : beaucoup de professionnels doivent être mobilisés et formés, qu’ils soient assistant d’éducation, enseignant spécialisé, enseignant ou éducateur technique, enseignant, orthophoniste, etc. La conceptualisation des rôles professionnels, mais aussi l’organisation de la classe nécessitent un besoin continu de travail collaboratif entre professionnels, mais aussi entre professionnels et parents qui ont une connaissance fine, précise et contextualisée des besoins de leurs enfants (par exemple : Hunt et coll., 2003renvoi vers).

Le rôle particulier de l’enseignant

Afin de montrer l’exigence de professionnalisation associée, certains pays ont défini des fonctions professionnelles expertes de l’enseignement et du soutien aux apprentissages des élèves ayant des besoins éducatifs particuliers.
En Suisse comme en France, cette expertise est le fait des enseignants spécialisés.
En Angleterre, en Belgique et au Québec, existe la fonction de psycho-éducateur ou psycho-pédagogue dont les rôles incluent également à la fois le soutien et la réponse aux besoins des élèves avec des besoins éducatifs particuliers, mais aussi le soutien aux milieux scolaires ou éducatifs qui les accueillent (Winter et Bunn, 2019renvoi vers).
En France, des enseignants spécialisés (titulaires d’un Certificat d’aptitude professionnelle aux pratiques de l’éducation inclusive, CAPEI), coordonnateurs d’Unité localisée d’inclusion scolaire (Ulis) (de l’école primaire au lycée), ou coordonnateurs d’Unité d’enseignement (UE) en établissement spécialisé, remplissent aussi ces missions.
Plusieurs caractéristiques de l’enseignant peuvent influer positivement sur les possibilités d’apprentissage des élèves polyhandicapés (Colley, 2013renvoi vers ; Phelvin, 2013renvoi vers ; Maes et coll., 2020renvoi vers) : être capable d’une approche professionnelle réflexive (par rapport à des formes d’apprentissage déjà connues), être patient, être positif face aux problèmes à résoudre (et même avoir le sens de l’humour), être réaliste dans ses attentes concernant les élèves (ce qui signifie être ajusté à leurs capacités réelles plus qu’à leurs capacités manifestes), être résilient et capable d’affronter les difficultés, les échecs, le changement et le stress, être motivé et créatif.
Dans tous les contextes envisagés, ces intervenants doivent accepter de collaborer étroitement avec les autres professionnels du soin et de l’éducation, et avec la famille (Ruppar et coll., 2017renvoi vers). Ils doivent, dans une perspective holistique visant à prendre en considération la personne dans son entièreté, être capables de transdisciplinarité et par conséquent être ouverts à un échange avec les collègues de disciplines très différentes.
On se rend compte au vu de ces compétences requises à quel point des métiers qui demandent de s’adapter à la grande dépendance requièrent, contrairement à l’idée reçue en France au vu des rémunérations, des niveaux de qualification élevés : moins on dispose de moyens de communication adaptés, plus il faut pouvoir développer des hypothèses, des idées originales permettant de recourir à de nouvelles stratégies, tout en s’attendant à voir ne pas fonctionner pour les uns ce qui fonctionne pour les autres élèves (y compris pour d’autres élèves polyhandicapés).
Les missions de ces enseignants spécialisés consistent à engager l’élève dans les apprentissages, le motiver et soutenir son intérêt malgré ses difficultés attentionnelles, sa fatigabilité, ses capacités apparemment limitées. Pour ce faire, ils doivent veiller à répondre aux besoins d’interaction et de communication, en adaptant l’environnement pour rendre les apprentissages accessibles et favoriser l’autodétermination et l’autonomie des élèves polyhandicapés.
La possibilité d’utiliser les actes essentiels de la vie comme des espaces permettant des apprentissages doit être systématiquement privilégiée par les enseignants (Petitpierre et Squillaci, 2020renvoi vers).
Insistons à présent sur les invariants que l’on peut repérer dans cette activité pédagogique spécialisée, dont le rôle est essentiel pour le développement de l’enfant polyhandicapé.

Les invariants de l’activité pédagogique

L’observation et l’évaluation

La construction d’une observation fine

L’observation (directe et indirecte) est un acte professionnel majeur : les enseignants proposent des activités en classe où les élèves polyhandicapés ont la possibilité d’expérimenter, d’apprendre et d’interagir avec plaisir avec d’autres élèves. Pendant ces activités, il appartient aux enseignants d’optimiser les conditions d’apprentissage en observant le positionnement des enfants, leur niveau d’éveil ou le caractère à la fois rassurant et stimulant de l’environnement dans lequel ils se trouvent.
Les enseignants spécialisés doivent être capables d’observer et de repérer des possibilités allant parfois contre les préjugés qui étaient les leurs au moment de leur entrée dans la structure. Que leurs attentes vis-à-vis des élèves en situation de polyhandicap aient été trop élevées ou au contraire qu’elles aient été largement sous-évaluées, il leur faut pouvoir s’ajuster, douter et interpréter des comportements parfois très subtils, comme la direction d’un regard, la répétition d’un mouvement.
Cette observation peut se réaliser à plusieurs durant la classe, en équipe pluri-professionnelle, mais aussi dans une démarche d’observation croisée avec les parents qui connaissent particulièrement bien leurs enfants et les circonstances où ceux-ci manifestent le mieux leurs aptitudes.
Pour mener une telle observation, il est important de savoir identifier ses propres projections et attentes, ses propres mouvements affectifs qui interfèrent dans l’expression des apprentissages de l’élève polyhandicapé. L’approche réflexive (au sens d’une réflexion à la fois intellectuelle et émotionnelle) apporte ici beaucoup, en particulier dans une démarche collective d’analyse de la pratique.
Sans langage oral de la part des élèves, les professionnels sont obligés de formuler des hypothèses sur ce que les jeunes ressentent, sur leurs intentions, sur ce qu’ils comprennent et ne comprennent pas, donc de nouer un lien pédagogique et éducatif sans feedback direct ce qui complexifie l’ajustement pédagogique (autrement dit le rapport entre les enseignements et les besoins des élèves). L’ajustement aux élèves passe toujours par une acuité perceptive et une écoute sensible dans une classe, tout particulièrement dans le cas d’élèves dont les retours sont parfois à peine visibles ou sont perdus dans un ensemble de comportements qui empêchent de les identifier.
L’interprétation proposée restera dépendante de la temporalité et du contexte dans lequel la relation (ou la tentative de relation) aura lieu.

La co-construction de l’évaluation

L’évaluation des potentialités et des limitations (déficits), et des besoins d’apprentissage, de manière individualisée, doit avoir lieu en équipe pluri-professionnelle élargie aux parents.
Il faut rappeler en effet le rôle fondamental des parents dans la co-construction puis l’évaluation du projet de scolarisation, ce qui peut amener à l’idée de parents « experts » : « les familles avec un enfant polyhandicapé consacrent souvent bien plus de temps aux tâches d’accompagnement » (Stephenson et coll., 2011renvoi vers ; Luijkx et coll., 2017renvoi vers ; Corbeil, 2021renvoi vers) et par conséquent sont plus à même d’interpréter certains comportements que des professionnels formés à une approche générale d’évaluation. L’observation et l’évaluation sont donc à penser « en regards croisés » (parents/professionnels). La méthode des regards croisés paraît être celle qui permet, au mieux, d’approcher ce que comprend, souhaite la personne, et ce qu’elle vit (Scelles, 2020renvoi vers).
Le développement d’une évaluation continue pourra être appuyé sur l’observation et des méthodologies d’analyse en regards croisés.
Un aspect souvent souligné pour y parvenir concerne la formation des professionnels et en particulier des enseignants : l’apprentissage de la réflexivité (ici au sens d’un retour sur ses propres conceptions et ses propres actes) est mis en exergue, et l’intérêt de l’utilisation de la vidéo à des fins de rétroaction en formation est souligné dans plusieurs travaux (Stephenson et coll., 2011renvoi vers ; Corbeil, 2021renvoi vers). On peut en effet mieux repérer des comportements difficiles à interpréter sur le moment par l’intermédiaire de la vidéo, même si celle-ci rend plus difficile à repérer la dimension de l’accordage émotionnel ou les épisodes vécus. Elle permet en outre d’échanger à propos d’une situation avec des collègues en prenant le temps d’analyser ce que la réaction sur le moment ne permet pas d’élaborer.
Dans ce travail collectif, la transdisciplinarité est la forme d’accompagnement la plus adaptée au contexte de polyhandicap (Nakken, 1997renvoi vers ; Saulus, 2008renvoi vers). Elle est la « capacité d’un professionnel à enrichir sa pratique professionnelle de connaissances issues de disciplines qui ne sont pas les siennes, sans perdre sa spécificité professionnelle » (Charte de la transdisciplinarité, 1994, article 14)2 .
Les professionnels ont tendance à surestimer ou sous-estimer les capacités expressives des personnes avec PIMD (Purcell et coll., 1999renvoi vers ; Bradshaw, 2001renvoi vers ; Scelles, 2021renvoi vers), d’où l’importance d’une évaluation croisée et utilisant la vidéo afin d’objectiver au mieux les compétences, les déficits mais aussi les potentialités en lien avec le contexte multi-sensoriel et les caractéristiques personnelles.
Cette évaluation pluri-professionnelle élargie aux parents doit rester multidimensionnelle et fonctionnelle, en lien avec le contexte ; elle doit être dynamique et longitudinale (on compare la personne par rapport à elle-même et non par rapport à autrui), elle doit être non normative, puisque l’on ne situe pas l’élève polyhandicapé par rapport à une norme rapportée à une moyenne, en particulier de profils proches.
Il est à noter que la participation de la personne polyhandicapée dans l’élaboration des objectifs d’apprentissage est très rarement recherchée, même lorsque celle-ci pourrait être possible (Peltomaki et coll., 2021renvoi vers).

Principes guidant l’activité en classe

Principe d’action

Le principe d’action implique de laisser agir le plus possible les élèves pour soutenir leur autonomie, avec la difficulté liée au fait que leurs initiatives spontanées peuvent être très discrètes ou différées (parfois plusieurs minutes séparent la question de la réponse).
Ces contraintes amènent souvent à modifier les séquences planifiées, en acceptant de se laisser surprendre par ce que peuvent amener les élèves. Mais surtout elles impliquent l’accessibilité des objets utilisés et des situations pédagogiques ainsi que la créativité de l’enseignant : permettre l’action est plus complexe encore qu’amener à suivre un discours ou une intention en extériorité.

Principe d’adaptation de l’environnement

Plutôt qu’une adaptation à l’environnement (qui reste bien réelle, bien que plus difficile à repérer), l’environnement de la personne polyhandicapée sera adapté à elle.
Ainsi, la construction d’objectifs d’apprentissage individuels a lieu en lien avec le profil et les besoins développementaux de l’élève ; la création des outils, la mise en œuvre des modalités d’organisation et d’action adaptées pour atteindre ces objectifs auront lieu au sein du dispositif classe.
On tiendra compte de la possibilité d’inscrire l’élève polyhandicapé dans une continuité entre des apprentissages faits en classe et d’autres espaces que la classe (famille, espaces de vie, espaces de soin, etc.), ce qui est une manière de mobiliser les connaissances et compétences acquises.
Enfin, il y aura création et maintien d’un cadre sécurisant et soucieux de la santé de l’élève (où le soin est indissociable de l’éducation) (voir par exemple : Maes et coll., 2020renvoi vers).

Principe d’interaction avec les pairs

Comme nous l’avons vu, la place des pairs dans l’enseignement est un des ressorts fondamentaux de l’activité relationnelle. Pour susciter les interactions entre élèves, les enseignants créent des projets pédagogiques pour le groupe entier, avec ce défi particulier de créer un groupe réunissant les élèves autour d’intérêts communs tout en répondant à leurs besoins d’individualisation, si présents pour les élèves polyhandicapés.
Lorsque le groupe de pairs fonctionne, il soutient la sensibilité à la présence des autres et l’aptitude de chacun à communiquer spontanément. Il permet de partager des émotions, d’observer, d’imiter ses pairs, etc.
L’un des invariants pédagogiques consistera donc à faciliter les interactions sociales avec tous les pairs et les adultes (voir par exemple : Maes et coll., 2020renvoi vers ; Toubert-Duffort et coll., 2022renvoi vers).
L’approche « individualiste » pourrait conduire à un mode passif de participation des élèves ; on peut ainsi la nuancer lorsque le personnel tient davantage compte des intérêts des élèves et de leur capacité à prendre des initiatives lorsqu’ils interagissent dans des situations de jeu libre (Ostlund, 2015renvoi vers), dans une relation considérée comme horizontale entre pairs.

Problématique particulière de l’adolescent et de l’adulte
(inclusion sociale et apprentissages)

Le public particulier des adolescents et adultes parfois vieillissants, qui n’est désormais plus rare comme au xxe siècle (voir chapitre « Vieillissement et lieux de vie »), a lui aussi des besoins spécifiques d’éducation, que l’on nomme alors éducation « tout au long de la vie ». Ces personnes ont par ailleurs besoin du développement de leur participation sociale. Or, dans tous les pays, on note une défaillance du système à répondre à ces exigences. Les interactions ont plutôt tendance à se réduire avec la sortie de la scolarité.
Les activités d’éducation tout au long de la vie contribuent pour ces personnes à l’exercice de leur autodétermination et la poursuite des apprentissages en lien avec leur quotidien. Ces apprentissages ont un impact significatif sur leur comportement, dans le sens d’une diminution de leurs troubles et d’une augmentation de leur niveau de vigilance et d’activité spontanée, comme le montrent des recherches sur l’amélioration de la qualité de vie des adultes avec PIMD en Allemagne (Munde et Vlaskamp, 2019renvoi vers), qui insistent sur des éléments comme la participation sociale, les possibilités d’interactions, l’expérience de l’auto-efficacité, la stimulation de l’autodétermination, et les activités liées au travail quand elles sont possibles. Tout cela contribue à améliorer la qualité de vie des adultes avec PIMD.
Pour les professionnels cependant, c’est la communication et l’auto-efficacité (en tant que parties de l’interaction et de l’expérience des compétences) qui constituent des objectifs et/ou des contenus aux activités proposées. Il semble donc que la stimulation de l’autodétermination constitue trop rarement un objectif pour les professionnels.
Les travaux de Lancioni et coll. (2014renvoi vers) qui portent sur quelques études de cas montrent l’intérêt spécifique des programmes/activités assistés par l’ordinateur pour les adultes ou les adolescents, mais ces outils requièrent une grande adaptation au cas spécifique du polyhandicap et sont loin d’être utilisables par tous. Ces outils ne peuvent être utilisés que comme une partie d’un contexte favorable aux apprentissages, c’est-à-dire un environnement humain permettant des interactions les plus satisfaisantes possible et ne sauraient en aucun cas se substituer aux aides humaines dont ont d’autant plus besoin les personnes polyhandicapées que leurs interactions sociales sont déjà rares.

Conclusion

Loin d’en rester à une opposition de principe entre scolarisation et absence de scolarisation, nous avons mis en évidence toutes les situations intermédiaires susceptibles d’exister, montrant en outre qu’il existe une continuité entre les actes de la vie quotidienne et les apprentissages possibles.
Il convient de ne pas opposer terme à terme scolarité inclusive dans un établissement ordinaire et absence d’inclusion lorsque la scolarisation se déroule en établissement spécialisé : il peut y avoir des solutions mixtes, avec des inclusions partielles, pensées de manière à permettre les soins dans un contexte médico-social bien développé en France tout en suivant des enseignements dans un contexte plus ouvert. Il serait dommage dans le cas du polyhandicap d’étendre les dispositions légales prévues pour des personnes avec des profils intellectuels et une fragilité physique très différente de la leur, sans tenir compte des structures déjà existantes. Cette posture légaliste demande à être réfléchie en fonction des structures existantes qui constituent des lieux d’accueil particulièrement bien adaptés aux importants besoins des personnes polyhandicapées.
Pour ne pas risquer de privilégier l’optique médico-sociale, il convient de rappeler dans le même mouvement que la scolarisation n’est plus inenvisageable dans le champ du polyhandicap, si tant est qu’on ne la définisse pas en référence à un système scolaire habituel et avec des contenus scolaires standardisés. Comme l’indique un éducateur cité par Toubert-Duffort et coll. (2018renvoi vers), « le potentiel d’apprentissage de chaque personne est à développer, quel qu’il soit. D’où l’importance de se poser, de prendre du temps pour échanger en équipe, réfléchir aux outils d’apprentissage scolaire, au contexte d’apprentissage des enfants, au cadre proposé et à l’environnement, de manière à s’assurer qu’il soit sécurisant, contenant, régulier ».
Les auteurs des études analysées pour la rédaction de ce chapitre insistent eux aussi sur la nécessité de conditions institutionnelles particulières : même en milieu ordinaire, l’adaptation des structures doit être très importante pour permettre l’inclusion. En effet, la scolarisation doit pouvoir répondre aux besoins globaux et fondamentaux de l’élève polyhandicapé qui sont des besoins de sécurité physique et psychique, de relation, de soins, d’apprentissages.
L’intérêt de cette réflexion sur la pratique est de rappeler qu’il existe un potentiel en chaque être humain, quelles que soient ses difficultés, même dans le cas de maladies dégénératives caractérisées par des pertes d’aptitudes de plus en plus marquées. Or ce potentiel ne peut apparaître que sous certaines conditions. Au lieu de penser que les conditions sociales n’influent que faiblement sur les personnes atteintes des malformations les plus graves, il faut au contraire insister sur l’exigence de soin et d’accompagnement imposée par la très grande vulnérabilité : plus celle-ci est étendue, plus les différences de traitement et d’encadrement ont des conséquences repérables. L’absence de sécurité intérieure quant à l’unité ressentie de son corps par exemple, impose à l’environnement humain et matériel d’étayer un vécu corporel afin de le rendre le plus cohérent possible et d’éviter les troubles du comportement à l’âge adulte.
Comme nous l’avons souligné à plusieurs reprises, ces conditions ne peuvent être réunies que dans un contexte d’échanges entre professionnels, et en s’appuyant sur l’expertise des parents (tous pouvant utiliser à des moments opportuns du quotidien le secours de la vidéo pour objectiver des capacités). Cette transdisciplinarité est la meilleure manière d’approcher une situation complexe comme l’est une interaction avec un élève polyhandicapé, et permet de réfléchir à la fois aux modalités d’expression et d’interaction les plus à même de soutenir des apprentissages qui dans l’immense majorité des cas prendront une forme très originale, pouvant d’ailleurs stimuler la réflexion sur l’enseignement spécialisé en général, et au-delà sur les modalités de l’enseignement ordinaire.

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