Polyhandicap

2024


ANALYSE

I-

Le polyhandicap


2-

Épidémiologie

La prévalence du polyhandicap correspond au nombre de personnes atteintes de polyhandicap à un instant donné dans une population donnée et qui s’obtient en divisant le nombre de cas par l’effectif de la population exposée (c’est-à-dire la population générale recensée au moment du dénombrement des cas). Quelques études épidémiologiques ont été réalisées spécifiquement pour estimer le taux de prévalence du polyhandicap mais elles sont peu nombreuses et n’ont pas toutes utilisé la même définition du polyhandicap. Sur ce point, nous verrons tout au long de ce chapitre la nécessaire caractérisation de la population d’étude incluse dans les différentes publications. La population incluse répond à des critères de sélection fondés sur la définition du polyhandicap qui a évolué au cours du temps pour se fixer récemment sur une définition consensuelle en France et qui varie encore selon les pays. Ces évolutions de la pluralité des définitions du polyhandicap ont eu pour conséquence les différentes sélections de patients ce qui impacte bien entendu l’estimation de la prévalence.
Dans ce chapitre seront retenues prioritairement les études se rapprochant le plus du périmètre présenté dans cette expertise (voir chapitre « Notion de polyhandicap, mise en perspective historique et internationale »), la définition française du polyhandicap ayant été stabilisée seulement il y a quelques années. Nous considérons le polyhandicap comme la conséquence irréversible d’un désordre, d’une anomalie ou d’une lésion survenue sur un cerveau en développement ou immature, dont les étiologies sont variées, progressives ou non, connues ou inconnues. Au niveau fonctionnel, nous considérons le polyhandicap comme une association d’une déficience intellectuelle évaluée comme sévère à profonde et une déficience motrice évaluée comme sévère. L’association de ces déficiences engendre une restriction extrême constatée des activités de communication et de relation ordinaires, ainsi qu’une réduction extrême de l’autonomie et de la mobilité.
Un critère de sélection important à préciser est l’âge de la population à l’inclusion qui peut affecter également l’estimation de la prévalence. Si la population est très jeune, on peut sous-estimer le nombre de cas. En effet, chez le jeune enfant, les déficiences ne sont pas toutes constituées ou évaluables. Aussi, si la population étudiée est incluse à un âge plus avancé, le taux de prévalence peut être sous-estimé car les personnes les plus sévèrement atteintes seront décédées.
Une approche épidémiologique en population générale est nécessaire pour repérer les cas de polyhandicap, décrire l’évolution de la prévalence du polyhandicap et décrire les principales caractéristiques des personnes concernées de façon non biaisée. Elle repose donc sur des registres de population ou sur des enquêtes ad hoc transversales ou des cohortes réalisées dans des zones géographiques bien définies et pour lesquelles le nombre d’habitants y est connu.
À ce jour, il existe une cohorte de personnes polyhandicapées : la cohorte nationale Eval-PLH qui inclut des enfants et des adultes correspondant à la définition du polyhandicap, cependant elle manque de représentativité concernant une partie des personnes polyhandicapées suivies au domicile ou en établissements médico-sociaux et ne peut donc pour l’instant fournir de données concernant la prévalence du polyhandicap (Hamouda et coll., 2022renvoi vers).
Nous allons dans un premier temps décrire les études basées sur les registres ou transversales réalisées en France puis à l’étranger. Dans un second temps, nous présenterons les études portant sur le taux de survie des personnes en situation de polyhandicap.

Études épidémiologiques réalisées en France

En France, il existe deux registres des handicaps de l’enfant qui incluent entre autres les enfants avec polyhandicap à l’âge de 7 ans : le Registre des Handicaps de l’Enfant et Observatoire Périnatal (RHEOP) qui couvre les départements de l’Isère, de la Savoie et de la Haute-Savoie, et le Registre des Handicaps de l’Enfant de la Haute-Garonne (RHE31) qui couvre le département de la Haute-Garonne (Delobel-Ayoub et coll., 2021renvoi vers ; RHEOP, 2021renvoi vers). Ces deux structures ont un fonctionnement très proche quant aux critères d’inclusion (au moins une déficience sévère chez un enfant résidant dans le département à l’âge à l’enregistrement) et aux sources de données consultées. Leur source de données principale est la Maison départementale de l’autonomie (MDA) ou Maison départementale des personnes handicapées (MDPH). Ils obtiennent également des données via le Programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI) des établissements hospitaliers, à partir des codes de la Classification internationale des maladies (CIM) ou en s’adressant directement aux services spécialisés. Les centres d’action médico-sociale précoce (CAMSP) et les réseaux de suivi des enfants prématurés sont également consultés. Pour être inclus dans ces registres du handicap, les enfants doivent avoir 7 ans révolus, résider dans un des départements couverts et être porteurs d’au moins une déficience sévère motrice, intellectuelle, sensorielle ou avoir un trouble du spectre autistique, ou une trisomie 21 ou atteints de paralysie cérébrale quelle que soit la sévérité.
Les générations incluses couvrent la période 1980-2011 pour le RHEOP et 1986-2012 pour le RHE31. La population couverte par le RHEOP est de 1,7 million d’habitants et 18 000 naissances domiciliées, et par le RHE31 de 1,4 million d’habitants et 16 000 naissances domiciliées. Une des exploitations possibles de ce recueil continu dans les registres, est l’analyse de l’évolution de la prévalence et des caractéristiques des handicaps de l’enfant à travers le temps. Indirectement, peuvent être objectivés les effets des progrès médicotechniques obstétricaux et néonatals en observant leur impact sur l’évolution de la prévalence du polyhandicap. Aussi ces registres constituent une aide à la planification des structures sanitaires ou médico-sociales nécessaires à la prise en charge de ces enfants.
Les deux registres français sont donc en mesure de fournir des données sur les enfants âgés de 7 ans et porteurs de polyhandicap. Cependant, seul le RHEOP y fait spécifiquement mention dans ses rapports. La définition retenue est celle d’un handicap grave à expression multiple associant une déficience intellectuelle sévère à des troubles moteurs entraînant une restriction extrême de l’autonomie (RHEOP, 2021renvoi vers). Cette définition correspond au périmètre retenu pour cette expertise, si ce n’est qu’elle n’inclut pas le critère lié à l’âge de survenue de la lésion cérébrale. Donc au sein des registres sont inclus des enfants ayant un polyhandicap suite à une lésion cérébrale survenue après l’âge de 2 ans. Ils sont cependant peu nombreux et il est possible de les identifier facilement et ainsi de les exclure pour correspondre au périmètre du polyhandicap de cette expertise. Aussi, dans les registres ne sont pas inclus les enfants décédés avant l’âge de 7 ans.
Dans le dernier rapport du RHEOP, datant de 2021renvoi vers, le taux de prévalence du polyhandicap pour les enfants nés entre 1980 et 2009 était de 0,5 pour 1 000 enfants. Le RHE31 ne fournit pas les informations sur les enfants avec polyhandicap ; mais, pour la génération d’enfants nés entre 2009 et 2011, le taux de prévalence d’enfants présentant une déficience intellectuelle sévère associée à une déficience motrice était de 0,8/1 000 enfants (IC 95 % : 0,6-1,1). Cependant, la sévérité de l’atteinte motrice n’était pas précisée si ce n’est qu’elle nécessitait un appareillage ou une rééducation continue.
Les autres études réalisées en France sont plus anciennes et transversales (tableau 2.Irenvoi vers). Elles ont inclus des enfants et adolescents à partir des données des Commissions départementales de l’éducation spéciale (CDES) réalisées en population générale mais seulement sur quelques départements/régions (Rumeau-Rouquette et coll., 1995renvoi vers et 1998renvoi vers ; Juzeau et coll., 1999renvoi vers). Les CDES étant les anciennes institutions correspondant aux actuelles Maison départementale de l’autonomie et Maison départementale des personnes handicapées, la méthodologie s’apparente à celle des registres du handicap.

Tableau 2.I Études portant sur l’estimation de la prévalence du polyhandicap en France

Référence
Population étudiée
Prévalence
Rumeau-Rouquette et coll., 1995renvoi vers
3 générations d’enfants nés en 1972, 1976 et 1981 connus de la CDES dans 16 départements
0,98/1 000 enfants avec une déficience motrice + une déficience intellectuelle sévère (QI<50) + une autonomie nulle ou moyenne
Rumeau-Rouquette et coll., 1998renvoi vers
Enfants nés entre 1976 et 1985 dans 3 départements, âgés de 8 à 17 ans au moment de l’enquête. Enfants pris en charge par les CDES et/ou hôpitaux de jour et/ou centres de long séjour
0,73/1 000 enfants avec une déficience motrice + une déficience intellectuelle profonde + un état grabataire ou passif dans un fauteuil
1,05/1 000 enfants avec une déficience intellectuelle profonde + une déficience motrice avec une autonomie nulle
1,28/1 000 enfants avec une autonomie nulle et excluant les retards mentaux légers ou moyens
Juzeau et coll., 1999renvoi vers
Enfants et adolescents âgés de 5 à 19 ans en 1993, résidant dans le département du Nord, données du CDES et établissements santé
0,7/1 000 enfants avec une déficience motrice + une déficience intellectuelle sévère ou profonde entraînant une restriction extrême de l’autonomie
van Bakel et coll., 2021renvoi vers
Enfants nés entre 1980 et 2009 et inclus dans la base de données du RHEOP à l’âge de 7 ans (registre handicap de l’Isère, Savoie, Haute-Savoie)
0,5/1 000 enfants avec une déficience motrice + une déficience intellectuelle profonde + un état grabataire ou passif dans un fauteuil
Diminution significative du taux de prévalence entre la génération de 1980 et celle de 2009 (0,85/1 000 pour la période 1980-1984 vs 0,3/1 000 pour la période 2005-2009)

CDES : Commission départementale de l’éducation spéciale ; QI : Quotient intellectuel ; RHEOP : Registre des handicaps de l’enfant et observatoire périnatal.

Les caractéristiques des personnes incluses dans ces différentes études varient en fonction du degré de sévérité des déficiences. Dans les études de Rumeau-Rouquette et coll. (1995renvoi vers et 1998renvoi vers) et de Juzeau et coll. (1999renvoi vers), les enfants inclus avaient une déficience motrice modérée ou sévère. Pour van Bakel et coll. (2021renvoi vers), les enfants étaient physiquement dépendants d’un fauteuil roulant ou grabataires. En ce qui concerne la déficience intellectuelle, le critère pouvait être soit une déficience intellectuelle sévère soit une déficience intellectuelle profonde. Dans toutes ces études, la sévérité de la déficience intellectuelle était estimée sur la base soit d’un quotient intellectuel (bien que les échelles psychométriques type Weschler ne soient pas adaptées pour l’évaluation des déficiences intellectuelles sévères à profondes), mais surtout sur l’appréciation clinique (en cas de QI inchiffrable sur le niveau de langage, la compréhension…). L’évolution des critères d’inclusion est liée aux modifications de la définition du terme polyhandicap au cours du temps et on peut supposer que la stabilisation de la définition permettra une plus grande homogénéité dans le futur. Cependant, dans toutes ces études, les caractéristiques des déficiences sont bien définies, et on peut raisonnablement en retirer une estimation du taux de prévalence de polyhandicap.
Ce dernier s’élèverait donc entre 0,5 et 1 pour 1 000 enfants sur les quatre dernières décennies, avec une tendance à la diminution sur la période. On peut préciser que l’origine et la date de survenue de la lésion ne sont pas décrites dans ces études ; y sont donc inclus très probablement des enfants et adolescents avec « polyhandicap » acquis après l’âge de 2 ans, mais cela ne représente qu’une minorité des cas.
Aussi, ces différentes études étant transversales, elles n’incluent pas les enfants décédés avant l’âge du recueil.
Dans l’enquête ES 2010 (Peintre et coll., 2014renvoi vers), un recensement des personnes avec un polyhandicap (« handicap grave à expressions multiples, qui associe une déficience intellectuelle sévère ou profonde à une déficience motrice grave, entraînant une restriction extrême de l’autonomie et des possibilités de perception, d’expression et de relation ») a été réalisé sur le territoire français auprès des établissements et services pour enfants et adultes handicapés. Au 31 décembre 2010, au sein des établissements et services médico-sociaux en faveur des personnes handicapées, on comptait 7 485 enfants et 10 353 adultes atteints de polyhandicap. La définition ne retenant pas la notion de lésion acquise sur un cerveau en développement, ces chiffres incluent donc des personnes avec des lésions cérébrales acquises après l’âge de 2 ans. Cette enquête décrit donc une population hétérogène comprenant des personnes atteintes de handicap lourd dont certaines sont polyhandicapées. Aussi, ne sont comptabilisées que les personnes prises en charge dans ces établissements, ce qui ne permet pas de calculer un taux de prévalence du polyhandicap, de nombreuses personnes polyhandicapées n’étant pas institutionnalisées mais à domicile.
Si on applique le taux de prévalence de 0,5 à 1/1 000 naissances estimé à partir des études publiées (tableau 2.Irenvoi vers) au nombre d’enfants de 0 à 19 ans résidant en France en 2022 (source Insee), on peut estimer un nombre d’enfants polyhandicapés en France compris entre 8 000 et 16 000. Ces chiffres supérieurs à ceux retrouvés dans l’enquête ES 2010 sont donc pertinents, même en tenant compte de la surmortalité. Pour les adultes, il est plus difficile d’estimer leur nombre, car ils sont beaucoup plus impactés par la mortalité, qui on le verra plus loin, est bien supérieure à celle de la population générale.

Études épidémiologiques réalisées à l’étranger

Dans la littérature internationale, le terme « polyhandicap » n’existe pas. Des entités proches dans les pays anglo-saxons sont décrites comme les Profound Multiple Disabilities (PMD), Profound Intellectual and Multiple Disabilities (PIMD). Au Japon, le vocable qui s’y rapporte est Severe Motor and Intellectual Disabilities (SMID). Cependant, à notre connaissance, aucune donnée sur la prévalence en population générale n’a été publiée jusqu’à ce jour sur ces entités.
Les seules estimations de prévalence portent sur la paralysie cérébrale, que le handicap moteur soit ou non associé à une déficience intellectuelle et quelle que soit la sévérité de la déficience motrice, ou portent sur la prévalence de la déficience intellectuelle (que celle-ci soit ou non associée à une déficience motrice). On peut estimer le taux de prévalence du polyhandicap à partir de ces études si elles sont suffisamment détaillées pour y extraire les informations concernant la population présentant à la fois une déficience motrice sévère et une déficience intellectuelle sévère.
Pour rappel, la paralysie cérébrale regroupe toutes les situations de déficience motrice relevant d’une lésion cérébrale irréversible et se présente comme un « ensemble de troubles du mouvement et/ou de la posture et de la fonction motrice, ces troubles étant permanents mais pouvant avoir une expression clinique changeante dans le temps et étant dus à un désordre, une lésion, ou une anomalie non progressive d’un cerveau en développement ou immature » (Anseeuw, 2007renvoi vers). Les troubles progressifs avec perte des compétences acquises sont exclus (certaines maladies métaboliques ou neurodégénératives précoces, etc.). Environ un enfant sur 3 avec une paralysie cérébrale ne peut pas marcher, et un enfant sur 4 a une déficience intellectuelle sévère (Novak et coll., 2012renvoi vers). Le facteur de risque le plus important de la paralysie cérébrale est la prématurité (Pierrat et coll., 2021renvoi vers). Dans l’étude Epipage (Étude épidémiologique sur les petits âges gestationnels) ayant permis le suivi à 5 ans d’enfants nés prématurément en 2011, la paralysie cérébrale variait de 2 % pour les enfants nés entre 32 et 34 semaines d’aménorrhée à 12 % pour ceux nés entre 22 et 24 semaines.
La paralysie cérébrale est étroitement liée au polyhandicap. Selon les données du RHEOP, 66 % des formes cliniques du polyhandicap s’apparentent à une paralysie cérébrale. Cette intrication entre paralysie cérébrale et polyhandicap permet d’obtenir une estimation de la prévalence du polyhandicap en extrayant les données se rapportant aux cas les plus sévères dans la paralysie cérébrale. Les données épidémiologiques sur la paralysie cérébrale sont nombreuses ; notamment en Europe grâce à l’existence de registres de surveillance de la paralysie cérébrale dans de nombreux pays. Ces registres européens travaillent ensemble au sein du groupe SCPE (Surveillance of Cerebral Palsy in Europe) (Cans, 2000renvoi vers ; Sellier et coll., 2010renvoi vers) et regroupent leurs données dans une base commune. La prévalence de la paralysie cérébrale congénitale en Europe a diminué pour les générations nées entre 1980 et 2003, passant d’un taux de 1,90/1 000 à un taux de 1,77/1 000. La réduction était encore plus importante pour les paralysies cérébrales sévères, avec un taux passant de 0,98 à 0,72/1 000, une réduction annuelle moyenne de 1,8 % par an (Sellier et coll., 2016renvoi vers). Cette évolution à la baisse parmi les paralysies cérébrales sévères a été confirmée par une étude plus récente réalisée en Norvège et portant sur les générations 1999-2010 (Hollung et coll., 2018renvoi vers) mais aussi en Australie sur les générations 1995-2009 (Galea et coll., 2019renvoi vers). Aussi, très récemment, une étude basée sur une analyse systématique de la littérature ainsi que sur une méta-analyse des données de registres de paralysie cérébrale publiées ou non a estimé le taux de prévalence de la paralysie cérébrale à 1,6 pour 1 000 naissances vivantes dans les pays riches (McIntyre et coll., 2022renvoi vers). La tendance a été estimée à la baisse pour les enfants nés entre 1995 et 2014. Le taux de prévalence de la paralysie cérébrale était deux fois plus élevé dans les pays pauvres (low and middle income countries), estimé à 3,3/1 000 naissances vivantes. Cette étude récente n’a pas détaillé la sévérité des déficiences des enfants avec paralysie cérébrale. On ne sait donc pas si la baisse du taux de prévalence concernait toute forme de paralysie cérébrale, ou uniquement les sévères ou les peu sévères.
Horber et coll. ont décrit récemment les caractéristiques de 11 015 enfants avec paralysie cérébrale d’origine congénitale nés entre 1990 et 2006 en Europe (Horber et coll., 2020renvoi vers). Un index de sévérité a été utilisé, les enfants considérés comme ayant une forme sévère étant ceux en incapacité de marcher (Gross Motor Function Classification System level GMFCS IV-V) et/ou présentant une déficience intellectuelle sévère. La proportion d’enfants avec paralysie cérébrale sévère congénitale était de 39 %, soit une prévalence estimée à 0,6/1 000 naissances vivantes si on se réfère à la prévalence de 1,6/1 000 naissances vivantes estimée par la méta-analyse. Les enfants avec déficience motrice sévère (GMFCS IV-V) associée à une déficience intellectuelle sévère et à une ou plusieurs autres déficiences ou épilepsie représentaient 15 % des enfants avec paralysie cérébrale (correspondant à un taux de 0,22/1 000 naissances). Le taux de prévalence de la paralysie cérébrale avec déficience motrice sévère et déficience intellectuelle sévère se situe donc entre 0,22 et 0,6/1 000 naissances vivantes. Dans les autres études parmi les enfants enregistrés dans les registres de paralysie cérébrale : 17 à 20 % d’enfants étaient en situation de polyhandicap (van Bakel et coll., 2017renvoi vers).
Concernant les paralysies cérébrales postnatales dont l’évènement causal est survenu entre le 28e jour après la naissance et les 2 ans, elles représentent 5,5 % des cas de paralysie cérébrale en Europe avec un taux de prévalence ayant baissé entre 1976 et 1998, passant de 2/10 000 naissances vivantes à 0,4/10 000 naissances (Cans et coll., 2004renvoi vers ; Germany et coll., 2013renvoi vers). Un tiers des enfants avaient une forme sévère, comme dans le cas des enfants atteints de paralysies cérébrales congénitales.
Le suivi des tendances dans le temps de la prévalence de la paralysie cérébrale sévère est la plus proche estimation disponible quant au suivi de la tendance du polyhandicap et nous pouvons donc raisonnablement supposer que la prévalence du polyhandicap a diminué sur les quatre dernières décennies ; ce qui est cohérent avec les données de RHEOP présentées plus haut.

Données épidémiologiques sur la mortalité

Les études sur le taux de survie des personnes en situation de polyhandicap ont été réalisées à l’étranger et les critères d’inclusion ne correspondent pas tout à fait à la définition française du polyhandicap. Cependant, il est possible d’extrapoler à partir de certains résultats lorsque ces études sont suffisamment détaillées sur la sévérité des déficiences.
Les études ont été réalisées à partir des personnes incluses dans les registres de paralysie cérébrale en Suède (Himmelmann et Sundh, 2015renvoi vers), en Angleterre (Hutton et Pharoah, 2002renvoi vers) ou en Australie (Blair, 2001renvoi vers ; Reid et coll., 2012renvoi vers) et ayant bénéficié d’un suivi. En Californie, on retrouve une étude sur la mortalité des personnes ayant recours à une institution comparable à la Maison départementale des personnes handicapées (Eyman et coll., 1990renvoi vers), et au Japon (Hanaoka et coll., 2010renvoi vers) une étude basée sur la population des résidents d’une institution spécialisée pour handicapés.
Il en ressort que le taux de survie des personnes avec polyhandicap est d’autant plus bas que les déficiences sont sévères et accompagnées d’autres déficiences ou pathologies. Une personne sur 3 voire sur 2 ne survit pas au-delà de 30 ans (tableau 2.IIrenvoi vers).

Tableau 2.II Études estimant le taux de survie de personnes avec paralysie cérébrale (PC) sévère
ou association de déficiences sévères

Référence
Population étudiée
Période
Taux de survie
Tendance
Hutton et Pharoah, 2002renvoi vers
1 972 personnes avec PC congénitale ou postnatale en Angleterre
Nées entre 1966 et 1989
Taux de survie à 30 ans : – 42 % si déficit moteur sévère – 62 % si déficit intellectuel sévère – 55 à 60 % si déficits moteur et intellectuel sévères – <40 % si déficits moteur et intellectuel sévères + déficit visuel
Diminution de la survie pour les prématurés sur la période
Blair, 2001renvoi vers
2 014 personnes avec PC congénitale ou postnatale en Australie (Western Australia)
Nées entre 1956 et 1994
Taux de survie à 20 ans : – 76 % si QI 20-34 – 50 % si QI <20 – 70 % si déficit moteur sévère
Pas d’amélioration du taux de survie sur la période
Himmelmann et Sundh, 2015renvoi vers
1 856 personnes avec PC congénitale ou postnatale en Suède (Western Sweden) et vivants à 2 ans
Nées entre 1959 et 2002
Taux de survie à 20 ans : – 80 % si déficit moteur sévère – 75 % si déficit intellectuel sévère
Taux de survie à 30 ans : – 70 % si déficit moteur sévère – 65 % si déficit intellectuel sévère
Pas d’amélioration du taux de survie sur la période
Reid et coll., 2012renvoi vers
3 507 personnes avec PC congénitale en Australie (Western Australia)
Nées entre 1970 et 2004
Taux de survie à 20 ans : – 78 % si déficit moteur sévère + une autre déficience – 68 % si déficit moteur sévère + deux autres déficiences – 52 % si déficit moteur sévère + trois autres déficiences
Taux de survie à 30 ans : – 69 % si déficit moteur sévère + une autre déficience – 52 % si déficit moteur sévère + deux autres déficiences – 35 % si déficit moteur sévère + trois autres déficiences
Pas d’amélioration du taux de survie sur la période
Eyman et coll., 1990renvoi vers (données corrigées : voir Katz, 2009renvoi vers)
99 543 personnes avec déficit intellectuel en Californie
Ayant été soignées entre 1984 et 1987
Taux de survie à 20 ans : – 18 % si déficit moteur sévère, dépendance complète pour les déplacements, pas d’alimentation orale, pas d’usage des mains – 45 % si déficit moteur sévère, dépendance complète pour les déplacements, pas d’alimentation orale, usage des mains possible – 77 % si déficit moteur sévère, dépendance complète pour les déplacements, alimentation orale par tierce personne, pas d’usage des mains
Taux de survie à 30 ans : – 9 % si déficit moteur sévère, dépendance complète pour les déplacements, pas d’alimentation orale, pas d’usage des mains – 34 % si déficit moteur sévère, dépendance complète pour les déplacements, pas d’alimentation orale, usage des mains possible – 66 % si déficit moteur sévère, dépendance complète pour les déplacements, alimentation orale par tierce personne, pas d’usage des mains
Hanaoka et coll., 2010renvoi vers
3 221 personnes avec déficit moteur sévère et déficit intellectuel sévère au Japon
Âge moyen admission : 8 ans
Personnes vivant dans une des 119 institutions au Japon entre 1961 et 2003
Taux de survie à 20 ans : 79 % variant entre 72 % et 95 % en fonction de la sévérité des déficiences
Taux de survie à 30 ans : 72 % variant entre 64 % et 91 % en fonction de la sévérité des déficiences
Diminution du taux de survie

PC : Paralysie cérébrale

Ces études présentent les limites suivantes : il est possible que le diagnostic ne soit pas posé avant le décès du patient, le taux de survie s’entend donc généralement pour des patients inclus dans les études et ayant survécu jusqu’au diagnostic voire plus tard dans certains cas. Dans les études basées sur les registres et reportant un suivi sur une longue période de temps, les générations les plus anciennes ayant été incluses a posteriori, les auteurs reconnaissent une possible sous-estimation du taux de mortalité pour les générations anciennes.
Dans l’étude réalisée au Japon, les patients ont été inclus à un âge moyen de 8 ans, donc le taux de survie reporté est probablement inférieur à celui de l’ensemble de la population avec polyhandicap. Aussi, la population incluse n’est pas représentative de l’ensemble de la population avec polyhandicap car seuls les patients vivant en institution étaient inclus.
Les facteurs indépendamment associés à un risque accru de mortalité (Katz, 2009renvoi vers ; Hanaoka et coll., 2010renvoi vers ; Himmelmann et Sundh, 2015renvoi vers) étaient dans ces différentes études la sévérité de la déficience motrice, la sévérité de la déficience intellectuelle, l’incapacité à manger par voie orale, l’épilepsie, la déficience visuelle ou auditive, l’incontinence.

Causes de décès

Une étude française récente a assuré le suivi de personnes avec polyhandicap sévère (QI<20 + déficience motrice GMFCS IV/V + dépendance totale) dans deux centres de rééducation entre 2006 et 2012 (Rousseau et coll., 2015renvoi vers). Sur 712 patients, 133 (19 %) sont décédés pendant la période à un âge moyen de 21 ans. Les causes de décès étaient les suivantes : infections pulmonaires (63 %), mort subite (18 %), état de mal épileptique (7 %), ou autres (12 %). Dans l’étude japonaise de Hanaoka (Hanaoka et coll., 2010renvoi vers) présentée plus haut, les causes de décès ont été comparées entre la période avant 1990 et après 1990. Sur les deux périodes, les causes les plus fréquentes étaient pulmonaires puis cardiovasculaires ; avec une diminution des décès par infection pulmonaire après 1990 ainsi que des décès liés à des crises convulsives. Les autres études portant sur la mortalité des personnes avec paralysie cérébrale citées plus haut (Reid et coll., 2012renvoi vers ; Himmelmann et Sundh, 2015renvoi vers) retrouvent également une majorité de décès par cause pulmonaire. Cependant, comme le soulignent Reid et coll. (2012renvoi vers), il est nécessaire d’être prudents dans l’analyse des causes rapportées de décès. Il peut y avoir plusieurs causes qui s’intriquent, des causes directes et des causes indirectes. Les données issues de la cohorte nationale Eval-PLH sont en cours de publication ; elles permettront d’évaluer le taux de mortalité et les causes de décès des personnes polyhandicapées.

Conclusion

En conclusion de l’analyse sur les données épidémiologiques en France et à l’étranger, le taux de prévalence du polyhandicap serait compris entre 0,5 et 1/1 000 enfants et se rapprocherait plutôt de 0,5/1 000 sur les dernières estimations. Ces estimations sont basées sur des études déjà anciennes ou sur les données de deux registres français, portant sur trois départements. La généralisation à l’ensemble des départements français doit donc être vérifiée. On peut également relever que la prévalence a tendance à diminuer mais là encore les données sont peu nombreuses et concernent pour la plupart des études portant sur les enfants avec paralysie cérébrale. Le polyhandicap concernant 1 enfant sur 5 avec paralysie cérébrale, et ne se limitant pas à cette entité, cette conclusion ne peut pas être très affirmative.
De par sa prévalence estimée à 0,5/1 000 naissances par les données les plus récentes, le polyhandicap s’inscrit désormais dans le champ des maladies rares en tant que tel. À ce jour, seules certaines de ces étiologies entrent dans le champ des maladies rares. Ainsi, le polyhandicap pourrait bénéficier d’une filière spécifique au sein des filières de maladie rare et bénéficier des mêmes soutiens financiers que les autres maladies rares.
Il n’existe aucune étude française ayant porté sur le taux de mortalité des personnes avec polyhandicap. Les études les plus approchantes incluant des personnes avec paralysie cérébrale sévère ou association de déficits sévères ont montré qu’une personne sur 3 voire sur 2 ne survivait pas au-delà de 30 ans. La plupart des études ayant effectué un suivi sur plusieurs décennies n’ont pas objectivé d’amélioration du taux de survie entre les années 1950 et les années 2000.

Références

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