Polyhandicap

2024


ANALYSE

III-

Périodes de la vie de la personne polyhandicapée


19-

Enjeux des soins autour
de la fin de vie

Dans nos sociétés occidentales, la mort est devenue un sujet tabou. Associée à la peur, à la souffrance, à l’abandon et à l’inconnu, elle est devenue invisible, médicalisée et ne se déroule plus que rarement au sein de la famille (Chabert, 2016renvoi vers). Cela se passe plutôt dans des lieux institutionnels où la prise en soins est effectuée par des professionnels de santé. Elle n’est plus accompagnée par des rituels ou des symboles qui permettent d’exprimer le deuil et le respect pour le défunt (Chabert, 2016renvoi vers). Finalement, la mort va à l’encontre du culte de la jeunesse et de la performance qui domine notre culture : nous vivons dans une société qui valorise la jeunesse, la beauté, qui cherche à tout prix à effacer les signes du vieillissement et refuse d’accepter la « finitude » de toute existence. La mort n’est plus perçue comme une étape naturelle et inéluctable de la vie. Répondre à la dimension existentielle de ces angoisses ne peut être que du ressort du monde médical : il est impératif d’analyser ce qui caractérise la fin de vie pour comprendre les enjeux éthiques, psychologiques et spirituels qui lui sont propres (Gabolde et coll., 2021renvoi vers).
Chez la personne polyhandicapée, la fin de vie est un sujet complexe et sensible qui soulève de nombreuses questions éthiques, juridiques et pratiques. Elle nécessite un accompagnement qui doit viser à prendre soin de la personne polyhandicapée dans sa globalité, en tenant compte de ses capacités, de ses envies, de ses émotions, de ses croyances. Cet accompagnement doit être personnalisé et adapté aux besoins et aux souhaits de la personne polyhandicapée et de sa famille (Pfister, 2004renvoi vers). La fin de vie de la personne polyhandicapée pose des défis importants aux aidants non professionnels (parents, fratrie, proches…) qui la soutiennent, ainsi qu’aux professionnels qui l’accompagnent. Il s’agit de reconnaître les signes annonciateurs de la fin de vie de la personne polyhandicapée, d’évaluer son niveau de conscience et sa perception de la mort, d’assurer une communication adaptée et empathique avec elle et son entourage, de gérer les émotions et le deuil anticipé, et de collaborer avec les autres acteurs du parcours de soins (médecins traitants, réseaux de soins palliatifs, services hospitaliers…).
Elisabeth Grimont-Rolland nous fait remarquer que, si la mort d’un enfant bouleverse et induit un sentiment de pure injustice, de révolte, de colère et d’incompréhension, la mort d’un enfant polyhandicapé peut parfois être considérée comme « normale » par certains personnels de santé. Se pose la question de la nécessité de maintenir, ou non, en vie ces enfants (par exemple aux urgences) ayant de multiples déficiences et de la légitimité (voire de la nécessité) d’abréger leurs souffrances. Cependant, Agata Zielinski relève qu’au contraire : « Les équipes rencontrées, travaillant auprès d’enfants polyhandicapés, insistent sur la valeur sociale de l’existence de ces enfants : « Ils nous humanisent ». Si leur situation peut dérouter ou susciter de l’incertitude, leur existence est l’occasion de nous laisser humaniser par les confins de l’humain » (Zielinski, 2018renvoi vers). « Ces enfants ont un don pour nous prendre l’essentiel, avec eux, nous sommes poussés au-delà de nous-mêmes, tous, parents, soignants, ils nous apprennent comment aller de l’avant, ils nous apprennent la solidarité, et des liens forts se tissent entre nous tous, pour eux. » (Juzeau, 2010renvoi vers).

Détecter les signes de fin de vie

Si la vulnérabilité des personnes polyhandicapées est reconnue par leurs proches, aidants familiaux ou professionnels, il est souvent difficile de préciser « quand » et « pourquoi » on va considérer que tel enfant ou adulte polyhandicapé est en fin de vie, que ce soit au sein des établissements médico-sociaux ou des services spécialisés sanitaires.
L’Observatoire National de la Fin de Vie (ONFV) a ainsi mené en 2015 une étude auprès des établissements médico-sociaux accompagnant des enfants et adolescents polyhandicapés (Falconnet et coll., 2016renvoi vers). Deux-cent-soixante établissements ont été sollicités au niveau national, 108 ont répondu (42 %). Il s’agissait d’un questionnaire envoyé par mail en vue de recueillir des données concernant l’activité des établissements, la prévalence des situations de fin de vie, l’intégration d’une démarche palliative au sein de l’établissement et les ressources internes ou externes mobilisables autour de la fin de vie, ainsi qu’un focus sur les 5 derniers décès accompagnés par l’équipe de l’établissement. Tout d’abord dans le cadre de cette enquête était soulignée la faible présence médicale au sein des établissements mais également une présence infirmière de nuit dans moins de la moitié des établissements. Au moment de l’enquête, 21 % des enfants et adolescents (508/2 415) avaient une maladie évolutive avancée ou étaient dans un état de grande fragilité somatique (épisodes d’encombrement et/ou d’infections respiratoires fréquents, dénutrition, épilepsie non stabilisée, etc.), et 9 % (192/2 415) étaient considérés en fin de vie ce qui représentait au moins 1 enfant ou adolescent en fin de vie dans les trois quarts des établissements répondants. Concernant les 92 décès, ceux-ci survenaient majoritairement (67/92) pour des adolescents et enfants de plus de 10 ans, et en établissement de santé (55/92). Les établissements médico-sociaux n’étaient en mesure d’apporter des précisions sur les traitements administrés et les décisions prises autour de la fin de vie que pour 35 (38 %) des patients décédés quel que soit le lieu du décès. Concernant ces 35 enfants, une grande majorité (21/35) avaient fait l’objet d’une décision de limitation ou d’arrêt de traitement, cependant une réunion collégiale des personnels de santé pour cette prise de décision n’était pas systématique (non recensée dans 9/21 cas) (Falconnet et coll., 2016renvoi vers). On retient donc de cette étude, la nécessité d’une acculturation des équipes des établissements médico-sociaux à l’accompagnement de la fin de vie.
Par ailleurs, l’Observatoire National de la Fin de Vie a mené dans le même temps, une enquête sur la fin de vie en établissements de santé dans les services pédiatriques (94 sollicités, 53 réponses), et plus particulièrement en onco-hématologie (25/31 réponses), réanimation (16/36 réponses) et neurologie (12/27 réponses) pédiatriques (Ravanello et coll., 2016renvoi vers). Le questionnaire recensait des données sur la structure et l’organisation des services autour de ces questions concernant la fin de vie, et colligeait des informations concernant les 5 derniers décès d’enfants survenus dans chaque service. Les enfants en fin de vie représentaient 21 % des patients hospitalisés en neuropédiatrie au moment de l’enquête. Les données rétrospectives concernant les décès de 225 enfants ont également été colligées. Concernant les services de neuropédiatrie (52 décès), 71 % des enfants présentaient au moins un symptôme majeur et réfractaire au cours de la semaine précédant le décès, dont des douleurs intenses (12 %), des difficultés respiratoires (62 %). À noter que pour 29 % de ces enfants, aucun symptôme majeur ou réfractaire n’était recensé. Soixante et onze pour cent des enfants décédés en neurologie ont ainsi fait l’objet d’une sédation terminale et profonde jusqu’au décès dans les semaines ou les heures précédant le décès. Cinquante sur cinquante-deux (96 %) ont fait l’objet d’une discussion de limitation et arrêt de traitement, l’avis des parents étant systématiquement recueilli pour ces enfants. Ces discussions ont impliqué des infirmières ou puéricultrices dans 80 % des cas et ont fait l’objet d’un compte rendu écrit dans 88 % des cas. Ces discussions ont abouti à une limitation et à un arrêt de traitement pour 40 enfants dont tous les parents ont été informés, et ont exprimé leur accord avec la décision dans la très grande majorité des cas (93 %) (Ravanello et coll., 2016renvoi vers). On retient de ces données, la fréquence des situations d’accompagnement de fin de vie en services spécialisés pédiatriques, nécessitant des moyens dédiés afin de permettre de répondre aux besoins des patients, familles et professionnels en termes d’évaluation et d’adaptation des traitements, capacités d’accueil et temps d’échange suffisants en amont, pendant le décès mais également après, avec la poursuite des échanges multidisciplinaires et collégiaux ainsi que la formation des professionnels.
La répétition d’épisodes de décompensation aiguë conduisant à une hospitalisation dont un séjour en réanimation ou en unité de soins continus est plus fréquente chez les enfants polyhandicapés, et rappelle à chaque épisode la grande vulnérabilité de ces patients. Une équipe américaine (Berry et coll., 2011renvoi vers) a ainsi étudié rétrospectivement les données concernant 317 643 enfants admis dans 37 hôpitaux sur une année, avec ensuite un suivi de leurs réhospitalisations éventuelles. En effet, 21,8 % des enfants étaient réadmis au moins une fois dans l’année avec 3 % des enfants qui étaient admis au moins 4 fois par an (et ces hospitalisations représentaient 19 % des admissions totales). La prévalence des patients avec une pathologie chronique complexe était d’autant plus élevée que le nombre de réadmissions augmentait, avec ainsi 89 % des enfants réadmis au moins 4 fois qui avaient une pathologie chronique complexe. Parmi les pathologies chroniques complexes, les atteintes neurologiques étaient les plus fréquentes (39,6 %) et parmi elles notamment les maladies neurodégénératives (8,6 %), les malformations cérébrales (8,6 %) et la paralysie cérébrale (8 %) dont on peut penser qu’un certain nombre d’enfants relevaient du périmètre du polyhandicap tel qu’il est défini dans cette expertise collective (voir chapitre « Notion de polyhandicap, mise en perspective historique et internationale »).
Parmi les patients ayant été réadmis plus de 4 fois, les patients avec pathologie neurologique complexe et le recours à une aide technologique (digestive ou neurologique comme une dérivation ventriculaire) étaient les plus nombreux (33,4 %). Concernant la paralysie cérébrale, les patients qui étaient le plus fréquemment réadmis étaient très majoritairement également porteurs d’une gastrostomie (77,1 %). Ces données soulignent que les patients les plus fragiles sur le plan médical (fragilité ici appréciée par la nécessité d’aides technologiques) sont ceux de fait qui sont le plus régulièrement réadmis à l’hôpital, avec fréquemment (28,5 %) un motif d’admission identique lors des réadmissions (respiratoire ou neurologique le plus fréquemment) (Berry et coll., 2011renvoi vers).
Concernant les soins intensifs, une étude de Dosa et ses collaborateurs a ainsi repris les données de 248 enfants admis de façon non programmée en unité de soins intensifs sur un an (Dosa et coll., 2001renvoi vers). Parmi ces enfants, 45 % (n = 112) avaient une pathologie chronique complexe dont 15 % (n = 37) d’origine neurologique (épilepsie, malformations du système nerveux central, tumeurs cérébrales) et étaient alors admis pour des états de mal épileptique ou une décompensation respiratoire (infection, pneumopathie d’inhalation). Le risque relatif d’admission en unité de soins intensifs était ainsi de 3,3 pour les patients avec une pathologie chronique complexe et montait à 373 en cas de recours à une assistance technologique (dont la gastrostomie et l’oxygénothérapie sur lunettes). Par ailleurs, 32 % des admissions pour les patients avec une pathologie chronique complexe étaient considérées comme évitables, soit en rapport avec des facteurs parentaux (non-compliance au traitement, retard à la consultation), ou avec le système de santé (manque de coordination entre les acteurs, absence de soutien psychologique, non-recours à une équipe de soins palliatifs (Dosa et coll., 2001renvoi vers). On retient de ces travaux la fréquence des admissions et réadmissions en unités de soins intensifs, souvent pour un même motif chez les enfants avec pathologie chronique complexe fréquemment neurologique, et ce d’autant plus qu’ils ont des soins techniques au long cours.
Concernant les soins de réanimation et plus spécifiquement le polyhandicap, une thèse de médecine (Tencer, 2017renvoi vers) a repris les données rétrospectives de 96 enfants (âge moyen 11 ans) polyhandicapés hospitalisés dans l’un des 4 services de réanimation pédiatrique de la région Île-de-France sur 2 ans, ce qui représentait 143 hospitalisations, avec 35 % des enfants hospitalisés au moins deux fois. Soixante-treize pour cent des patients de cette étude présentaient une épilepsie, 34 % une scoliose. Les patients étaient hospitalisés depuis le domicile (40 %), depuis un service d’hospitalisation (40 %) ou depuis leur établissement médico-social (20 %). Seize pour cent ont nécessité des mesures thérapeutiques invasives ou des gestes de réanimation (dont une intubation, pose de voie intra-osseuse). Les motifs d’admission en unité de soins intensifs étaient une détresse respiratoire dans 59 % des cas, un état de mal épileptique dans 15 % des cas, une détresse hémodynamique dans 10 % des cas dont 5 arrêts cardio-respiratoires. Quarante pour cent des patients ont eu la mise en place d’une ventilation non invasive (VNI) et 35 % (dont certains avaient eu une VNI au préalable) ont été intubés avec ventilation mécanique au décours, 31 % ont eu un support hémodynamique. Aucun geste invasif n’a été réalisé pour 42 % des patients lors de leur première admission. Les réadmissions dans l’année suivant le premier séjour concernaient 31 % des patients avec un délai moyen de 99 jours. La mortalité globale était de 16 % dans cette étude, la détresse respiratoire étant le motif d’hospitalisation le plus fréquent. Sur l’ensemble des 143 hospitalisations, une réunion collégiale en vue de discuter d’une décision de limitation et arrêt de traitement a été rapportée dans 25 cas (18 %), et 4 enfants avaient par ailleurs déjà fait l’objet d’une réunion au préalable. Ces réunions collégiales ont abouti à une décision de limitation de traitement dans 19 cas (ventilation, amines, réanimation arrêt cardio-respiratoire, dialyse), un arrêt de certains traitements dans 5 cas, et à une non-limitation dans 1 cas ; cependant, les modalités d’organisation et les participants à ces réunions n’étaient ici pas rapportés (Tencer, 2017renvoi vers). On retient donc de ce travail que l’atteinte respiratoire est la plus associée à la nécessité d’une hospitalisation en unité de soins intensifs chez les enfants polyhandicapés dont elle représente la première cause de décès. Ces données confirment le recours répété aux hospitalisations y compris en service de réanimation où sont réalisés des gestes invasifs pour une majorité de ces enfants, avec des discussions concernant une éventuelle limitation de traitements à l’occasion de ces hospitalisations.
Sur cette question des discussions collégiales conduisant à des limitations ou arrêt de traitement (LAT) en réanimation pédiatrique, en moyenne 40 % des décès (toutes pathologies confondues) qui surviennent dans ces services font suite à une décision de LAT (Saint Blanquat et Viallard, 2018renvoi vers) dont le cadre juridique a beaucoup évolué depuis le début des années 2000 (voir infra), avec des recommandations établies par le Groupe Français de Réanimation et d’Urgences Pédiatriques (GFRUP) plaçant bien entendu la réunion collégiale au centre de ce dispositif, avec information des parents de la tenue de cette réunion et de la décision prise, leur accord étant recherché (Saint Blanquat et Viallard, 2018renvoi vers).

Les lieux de fin de vie

En ce qui concerne les lieux de la fin de vie, une étude américaine a interrogé 114 parents d’enfants décédés sur 10 ans d’une pathologie chronique complexe telle que définie par Feudtner (pathologie médicale chronique, c’est-à-dire dont on s’attend à ce qu’elle persiste au moins un an, et qui implique soit plusieurs organes soit un seul organe mais avec une sévérité nécessitant des soins pédiatriques spécialisés et/ou des hospitalisations en service pédiatrique spécialisé de 3e recours) (DeCourcey et coll., 2018renvoi vers) et analysé les modalités d’accompagnement selon la pathologie : 24 % des enfants avaient une maladie neurodégénérative, 17 % une encéphalopathie fixée type paralysie cérébrale, 39 % une encéphalopathie génétique non progressive, 11 % une maladie neuromusculaire, et 11 % une maladie pulmonaire (dont mucoviscidose). La majorité des décès survenaient à l’hôpital (62,7 %) et éventuellement en unité de soins intensifs (53,3 %), avec une proportion plus importante d’enfants avec maladie neurodégénérative qui décédaient à domicile comparativement aux autres pathologies (DeCourcey et coll., 2018renvoi vers).
Selon Ponsot et coll. (2011renvoi vers), la fin de vie de la personne polyhandicapée devrait intervenir de préférence dans le cadre familier de son lieu habituel de vie (l’établissement médico-social et/ou le domicile), auprès de ceux qu’elle connaît et qui l’ont accompagnée toute sa vie. Et en cas de nécessité de transfert en milieu hospitalier, il conviendrait de mettre en place des dispositifs d’accueil des aidants habituels, non seulement à même d’être médiateurs de la personne auprès de l’équipe soignante mais également de pouvoir rassurer la personne par leur présence pour l’accompagner au mieux (Ponsot et coll., 2011renvoi vers).

La fin de vie en institution

Les situations de fin de vie dans les établissements résidentiels médico-sociaux rendent nécessaire de trouver de nouvelles façons de travailler. En effet, si la fin de vie est une réalité dans ces établissements, les professionnels sont malheureusement peu formés et peu préparés à ce type d’accompagnement. Cela nécessite de réfléchir sur le sens de cet accompagnement, de savoir faire une analyse de l’évolution de l’état de santé des résidents, de collaborer avec un service extérieur de soins palliatifs et d’accorder du temps pour « l’après » (Gabolde et coll., 2021renvoi vers).
Dans les établissements, ce sont le projet de vie de la personne, les évaluations régulières de ses habitudes de vie et les observations quotidiennes qui apportent les éléments les plus significatifs permettant de définir quand il est opportun d’enclencher un accompagnement de fin de vie, qu’il soit fait par le personnel éducatif, paramédical ou médical. Dès lors, la qualité des observations des professionnels présents au quotidien auprès des personnes est primordiale. Cependant, ces observations et analyses qui en découlent sont parfois de l’ordre du ressenti et de l’intangible (« il ne réagit pas comme d’habitude, c’est difficile à expliquer ») ou de la subjectivité de la personne qui observe, et les différentes échelles d’évaluation de la douleur (San Salvadour, FLACC – Face, Legs, Activity, Cry, Consolability) notamment (voir chapitre « Douleur »), sont quelque peu compliquées dans leur utilisation ou envisagées trop tardivement, ne permettant pas une comparaison significative entre un avant et maintenant (Gabolde et coll., 2021renvoi vers).
Des études soulignent l’importance de reconnaître que ces expériences sont difficiles pour les aidants professionnels (Falconnet et coll., 2016renvoi vers ; Gabolde et coll., 2021renvoi vers) et d’accepter que l’accompagnement de la fin de vie puisse être « choisi » par le professionnel uniquement s’il s’en sent « capable », ainsi que d’éviter les discours culpabilisants sur « la juste distance » du professionnel. Il faut également veiller à bien ancrer dans le réel les procédures initiées (Gabolde et coll., 2021renvoi vers). Les infirmières mais également des personnels non médicaux, du secteur social et éducatif des établissements médico-sociaux, sont confrontés à la question de la fin de vie et de la mort sans y être spécifiquement formés et a fortiori préparés, avec un recours insuffisant aux équipes ressources de soins palliatifs (Bekkema et coll., 2014renvoi vers).
L’étude de l’Observatoire National de la Fin de vie (Falconnet et coll., 2016renvoi vers) présentée précédemment a ainsi rapporté que dans trois quarts des établissements, l’accompagnement de fin de vie n’était pas inscrit au projet de l’établissement, et seuls 12 % avaient mis en place un protocole formalisé d’accompagnement. Les enfants étaient alors réorientés dans la grande majorité des cas (78 %) vers le domicile ou un établissement de santé, car l’accompagnement de l’enfant était alors considéré comme trop lourd pour l’équipe de l’établissement (87 %) et/ou par choix de la famille (35 %). Des liens étaient ainsi établis avec des équipes mobiles de soins palliatifs (EMSP) (55 %) ou l’équipe ressource régionale de soins palliatifs pédiatriques (ERRSPP) (31 %) avant tout en vue d’un soutien psychologique des équipes, et par ailleurs des démarches de soutien à destination des professionnels étaient mises en place dans la plupart des établissements lors de la fin de vie (57 %), du décès (68 %) ou après celui-ci (56 %). Concernant la formation aux soins palliatifs, seuls 46 % des établissements déclaraient avoir au moins un professionnel spécifiquement formé à la question, et parmi les autres, le besoin de formation sur la question était rapporté dans 43 % des cas (Falconnet et coll., 2016renvoi vers).
Les établissements doivent donc se montrer soutenants pour les professionnels confrontés à ces situations difficiles : il est indispensable que les structures d’accueil mettent dans leur projet la formation au vieillissement et à la fin de vie. L’appel aux ressources en soins palliatifs doit être encouragé et des rencontres régulières être organisées entre équipes de soins palliatifs et équipes accompagnantes pour apprendre à se connaître et à collaborer (Quignard et Lassaunière, 2018renvoi vers ; Ribrault et coll., 2019renvoi vers). Il est également nécessaire de mener une réflexion sur les questions que posent la mort dans nos vies, la séparation, le désir, le rejet de la différence… (Bounon et Lassauniere, 2018renvoi vers) et de former les différentes hiérarchies. Pour intégrer la démarche palliative dans l’établissement, il est indispensable de mener une réflexion sur des changements de fonctionnement là où les pratiques de concertations font défaut (Thyrion, 2015renvoi vers). La procédure d’accompagnement de la fin de vie dans l’établissement doit être collégiale. Il faut dégager des moyens, tant dans le domaine des formations, des ressources humaines que des partenariats à développer (Grimont-Rolland, 2016renvoi vers ; Gabolde et coll., 2021renvoi vers). L’anticipation de la réflexion avec les familles peut amener des conséquences positives : cela permet d’organiser par avance les aides techniques et humaines nécessaires afin d’optimiser l’accompagnement de fin de vie (Hémonel, 2020renvoi vers).

La fin de vie à l’hôpital

Concernant la fin de vie en milieu hospitalier, rappelons tout d’abord les données de l’enquête de l’Office National de la Fin de vie (Ravanello et coll., 2016renvoi vers) présentée précédemment. Tous services confondus, la présence constante des parents ainsi que la visite de la fratrie étaient autorisées au sein des services, qui rapportaient cependant une capacité d’accueil insuffisante pour répondre à ces besoins. Un soutien psychologique pour les parents et la fratrie était également proposé par la majorité des services mais pas toujours réalisé. Un quart des services de neurologie pédiatrique rapportaient n’avoir aucun personnel spécifiquement formé aux soins palliatifs mais sollicitaient systématiquement une équipe de soins palliatifs (EMSP et/ou ERRSPP), et un soutien pour les équipes sur ces questions existait dans 83 % des services. Pour rappel, 96 % des enfants décédés avaient fait l’objet d’une discussion de limitation et arrêt de traitement, qui avaient impliqué des infirmières ou puéricultrices dans 80 % des cas (Ravanello et coll., 2016renvoi vers). Ces données confirment également la nécessité d’une collaboration avec les équipes de soins palliatifs, de formation des professionnels et l’importance de disposer des moyens matériels et humains suffisants pour répondre à ces besoins. La fréquence de participation des paramédicaux aux discussions collégiales en réanimation a presque doublé sur les vingt dernières années (46 % en 2000 à plus de 80 % désormais), mais en terme qualitatif, 60 % des professionnels pensent que leur avis n’est jamais ou rarement pris en compte lors de ces réunions collégiales (Saint Blanquat et Viallard, 2018renvoi vers).
Concernant la participation aux discussions de limitation et arrêt de traitement avec les familles, la participation des infirmières à ces discussions a été plus précisément étudiée dans le cadre des patients avec Profound Intellectual and Multiple Disabilities (PIMD) par une équipe néerlandaise (Zaal-Schuller et coll., 2018renvoi vers) : les parents de 12 enfants avec PIMD ayant fait l’objet d’une réunion collégiale dans les 2 ans, avaient désigné l’infirmière ayant été le plus impliquée dans le processus de décision, qui ont ensuite été interrogées à l’aide d’un entretien semi-dirigé. Ces infirmières pouvaient travailler soit en service hospitalier soit dans l’établissement médico-social de l’enfant, et avaient soit directement participé à la discussion collégiale, soit avaient abordé avec les parents avant ou après cette réunion la question de la prise de décision relative à la fin de vie de l’enfant (seules ou lors d’un entretien avec un médecin). Les entretiens duraient environ une heure et abordaient les thèmes discutés avec les parents et médecins concernant la fin de vie, la participation des infirmières à ces discussions, la façon dont elles soutenaient les parents lors de ces discussions, leur vécu et les voies d’amélioration qu’elles envisageaient. Treize infirmières ont ainsi été interrogées, dont 3 travaillaient dans un service hospitalier et 6 avaient participé à la discussion collégiale. Les infirmières en établissement médico-social rapportaient notamment se sentir à l’aise pour aborder avec les parents, en amont de la réunion collégiale, de façon informelle la question de l’aggravation des symptômes de l’enfant, sans forcément aborder spécifiquement la question de la fin de vie mais échangeant avec les parents autour de leurs questionnements sur le futur de leur enfant et l’altération de sa qualité de vie, étant bien souvent les interlocutrices privilégiées des familles. Un tiers de ces infirmières rapportaient également avoir été interrogées par les parents à propos de leur point de vue concernant les décisions envisagées autour de la fin de vie de leur enfant, en amont de la réunion collégiale. Six infirmières avaient donc participé aux échanges entre parents et médecins concernant la fin de vie de l’enfant, et qu’elles aient ou non participé à ces réunions, elles étaient en revanche toutes sollicitées au décours par les parents qui reprenaient avec elles les éléments de la discussion. Quand elles participaient à la discussion, les infirmières apportaient notamment au médecin des informations sur le confort de l’enfant, elles soutenaient émotionnellement les parents, et les aidaient à formuler des questions au médecin ou faire clarifier certains points. La moitié des infirmières considéraient qu’elles se devaient d’adopter une opinion neutre concernant les décisions autour de la fin de vie, servant de médiateur entre le médecin et les parents voire considérant que leur opinion n’était pas pertinente. Au décours de la discussion, elles reformulaient avec les parents les données de la discussion et les soutenaient émotionnellement. De façon intéressante, quand elles n’avaient pas assisté aux discussions entre le médecin et les parents, les infirmières se questionnaient quant à leur rôle éventuel lors de ces échanges : elles soulignaient d’une part leur manque de formation sur ces questions et sa communication, craignaient que les parents ne souhaitent pas leur présence et d’une manière générale ne voyaient pas ce qu’elles pourraient apporter. A contrario, celles qui avaient assisté à ces discussions pensaient avoir apporté quelque chose aux échanges, sauf quand leur opinion n’était sollicitée ni par les parents ni par le médecin. Par ailleurs, un tiers d’entre elles soulignaient que, qu’elles aient ou non participé à la discussion, la mise en œuvre de la décision prise (par exemple pas de manœuvre de réanimation) leur incombait la plupart du temps, qu’elles soient ou non en accord avec la décision prise. Ainsi dans cette étude, les infirmières des établissements médico-sociaux (qui pourtant sont bien souvent les premiers interlocuteurs des familles et peuvent apporter des éléments autour de la qualité de vie de l’enfant notamment) participaient peu aux discussions concernant les décisions autour de la fin de vie, et rapportaient un besoin de formation spécifique à ces aspects (Zaal-Schuller et coll., 2018renvoi vers).

Les soins palliatifs

Les soins palliatifs font aujourd’hui partie du mandat social confié à la médecine : les patients y ont droit et les professionnels et les accompagnants bénévoles ont à s’y former (Debril, 2014renvoi vers).
La médecine palliative peut soutenir une démarche soignante et humaine qui tient compte des vulnérabilités de l’enfant polyhandicapé. Cela pas seulement à la fin de sa vie, mais tout au long de sa vie. Sans renoncer aux apports indiscutables de l’Evidence-Based Medicine (EBM), il est nécessaire de développer de façon scientifique ce que l’on pourrait appeler une « médecine basée sur l’humain » (Viallard, 2014renvoi vers). Dans l’objectif du projet de soins de la personne polyhandicapée, les soins palliatifs doivent être intriqués avec les soins curatifs, dans une perspective de soins continus qui s’adaptent progressivement à son état et à ses besoins.
L’accompagnement palliatif fait donc partie du quotidien des équipes impliquées dans les soins et l’éducation des personnes polyhandicapées. Entre le savoir-faire ou le savoir-être, le débat des soins palliatifs prend une acuité toute particulière (Pfister, 2004renvoi vers). Les soins palliatifs visent à assurer la meilleure qualité de vie possible aux enfants et adultes polyhandicapés (Liben et coll., 2008renvoi vers). Il faut déconstruire les représentations des soins palliatifs associées à la mort et appréhender les situations sous l’angle de l’incertitude, concept qui semble particulièrement pertinent pour accompagner les enfants polyhandicapés, leurs familles et les équipes professionnelles. Travailler avec cette incertitude permet également de construire une alliance avec les familles sur la base d’un échange authentique (Étourneau et coll., 2018renvoi vers). Une telle alliance est indispensable pour garantir la qualité de l’accompagnement et pour permettre, dans les temps d’aggravation, de penser ensemble le juste niveau de prise en charge, entre obstination déraisonnable et perte de chance, dans un mouvement adaptatif permanent (Mehler-Jacob et coll., 2019renvoi vers). Rappelons que si la mise en place de soins palliatifs est possible pour les sujets ayant fait l’objet d’une décision de LAT depuis la loi Clayes-Leonetti de 2016, cette démarche palliative ne doit pas être réservée à ces situations et dans les situations de pathologies chroniques complexes, a fortiori non curables ; la notion de démarche palliative intégrée précocement (et en associant le cas échéant avec une démarche dite curative) a montré un bénéfice dans un certain nombre de situations, avec notamment des enfants qui décédaient avec moins de supports techniques agressifs et plus fréquemment en dehors du service de réanimation quand une démarche palliative intégrée avait été mise en place (Keele et coll., 2013renvoi vers). Au-delà de la gestion de la douleur, de la qualité de vie de l’enfant et sa famille, la communication avec les équipes et leur soutien, l’aide à la décision mais aussi le suivi du deuil des parents et fratries relèvent du champ de la médecine palliative (Saint Blanquat et Viallard, 2018renvoi vers). S’il n’existe pas à notre connaissance d’étude ayant étudié spécifiquement l’impact d’une démarche palliative intégrée précoce dans le champ du polyhandicap, des études récentes tendent à montrer cependant un effet positif aussi bien pour le patient (sur les symptômes, la gestion émotionnelle, les relations sociales, la qualité de vie) que pour ses proches aidants (gestion émotionnelle et des symptômes, santé de l’aidant, qualité de vie), par exemple dans le champ des maladies neurodégénératives (Bužgová et coll., 2020renvoi vers).
Cependant, le recours aux équipes de soins palliatifs est probablement insuffisant : ainsi une équipe belge rapportait en 2019 (Friedel et coll., 2019renvoi vers) le suivi par des équipes de soins palliatifs pédiatriques d’une population d’enfants suivis dans la région de Bruxelles : sur 5 ans, 22 533 étaient suivis pour une pathologie chronique complexe relevant d’un suivi par ces équipes de soins palliatifs, mais seuls 384 enfants leur avaient été adressés (1,7 %). Ces difficultés d’accès, mais également la trop faible sollicitation des services de soins palliatifs, combinées aux aspects relatifs à la communication, le manque de formation des médecins et soignants, et le manque d’outils adaptés, ont ainsi été identifiés comme des freins à l’accès aux soins palliatifs pour les personnes avec déficience intellectuelle (Velepucha-Iniguez et coll., 2022renvoi vers). Notons ainsi qu’un livre blanc des normes de consensus sur l’accès aux soins palliatifs pour les personnes atteintes de déficience intellectuelle en Europe a été rédigé en 2015, qui aborde notamment l’égalité d’accès, la nécessité d’une communication adaptée, l’identification des besoins en soins palliatifs de cette population, ainsi que des besoins globaux, la gestion des symptômes, la prise de décisions autour de la fin de vie, l’implication des proches familiaux et aidants professionnels, la collaboration nécessaire, le soutien aux proches, notamment à l’approche du décès et lors du deuil, et enfin la nécessité d’une formation et d’une éducation aux soins palliatifs et les politiques en termes de développement et de gestion des services (EAPC – European Association for Palliative Care, 2015renvoi vers).
En France, rappelons le recours plus fréquent désormais des établissements médico-sociaux aux équipes mobiles de soins palliatifs et équipes ressources régionales rapporté dans l’étude de l’Observatoire National de la fin de vie (Falconnet et coll., 2016renvoi vers). Sur cette thématique des collaborations entre établissements médico-sociaux et ERRSPP dans le champ du polyhandicap de l’enfant, une étude rétrospective nationale a été menée par Antoine-Gauzes et coll. en 2017 (Antoine-Gauzes et coll., 2018renvoi vers) : les dossiers de 97 enfants polyhandicapés ont été repris sur 2 ans par 9 ERRSPP. Des collaborations étaient ainsi mises en place et concernaient des IME (Instituts médico-éducatifs) (64 %), des EEAP (Établissements et services pour enfants et adolescents polyhandicapés) (9 %), des CAMSP (Centres d’action médico-sociale précoce) (9 %) et des SESSAD (Services d’éducation spéciale et de soins à domicile) (15 %). Les interventions concernaient l’équipe seule (16 %), l’entourage de l’enfant (3 %), l’enfant lui-même (13 %) ou des associations (dont 29 % des demandes qui concernaient les 3 composantes). Les motifs de sollicitation étaient le soutien aux équipes (24 %), la gestion de symptômes de l’enfant (21 %), une aide sur le parcours (16 %) ou le projet de soins (11 %), des discussions de limitation et arrêt de traitement (7 %). Les interventions ont ainsi consisté en la mise en place de réunions pluridisciplinaires (18 %), la participation au projet de vie et de soin (16 %), avec du lien entre les différents acteurs impliqués autour de l’enfant (Antoine-Gauzes et coll., 2018renvoi vers).
Ces éléments confirment bien que le champ d’intervention des soins palliatifs pédiatriques est plus large que la seule question de la gestion de la fin de vie autour des enfants polyhandicapés, avec des échanges et des coopérations nécessaires autour des situations complexes de ces enfants, et des besoins de soutien et de formation dédiée des équipes.

Les enjeux de la fin de vie

La fin de vie de la personne handicapée soulève de multiples enjeux : des enjeux éthiques, liés à la spécificité du polyhandicap (que nous avons précédemment évoqués) ; des enjeux de politique publique et des moyens à y consacrer ; des enjeux liés à la prise de décision ; des enjeux liés au rôle de la famille et à la collaboration avec celle-ci (Gabolde et coll., 2021renvoi vers).

Des enjeux de politique publique et de moyens

La fin de vie est d’abord devenue un objet de discussion publique, ensuite d’enjeux de santé publique, puis de législation. L’éthique du soin (ou care) questionne les limites actuelles des politiques de santé publique concernant la fin de vie, au regard de leur orientation générale, mais aussi des moyens accordés. La question est posée de savoir s’il y a encore une place pour une réflexion éthique dès lors que les questions de coût et d’organisation prennent le dessus, notamment pour les groupes de population vulnérables et les décisions médicales dites « difficiles » (Gaille, 2021renvoi vers).
Au cours des deux dernières décennies, la loi française a statué et évolué concernant les droits des personnes malades et la fin de vie, avec un maintien à ce jour de l’interdiction de l’euthanasie, et l’affirmation du droit à l’accès aux soins palliatifs. La loi du 4 mars 2002 sur les droits des malades et la qualité du système de santé affirme le principe d’autonomie du patient, qui peut refuser – après information éclairée – de recevoir un traitement. La loi Leonetti (22 avril 2005) met en place le dispositif des directives anticipées et crée le statut de personne de confiance, et autorise – dans les situations où le patient est incapable d’exprimer sa volonté – le médecin à limiter ou arrêter un traitement dès lors qu’il est jugé inutile ou disproportionné (notion d’obstination déraisonnable) dans le cadre de la procédure de réunion collégiale. Enfin, la loi Claeys-Léonetti (3 février 2016) renforce le poids des directives anticipées et de la personne de confiance dans la décision médicale, et autorise la mise en place d’une sédation profonde et continue jusqu’au décès, pour les patients avec une affection grave et incurable et dont le pronostic vital est engagé à court terme, en cas de souffrance réfractaire ou lors de la mise en œuvre d’un arrêt/limitation de traitement susceptible d’engager le pronostic vital à court terme et d’induire une souffrance insupportable (Saint Blanquat et Viallard, 2018renvoi vers). Dans ces textes législatifs, le mineur est considéré comme une personne vulnérable, au même titre qu’un majeur incapable d’exprimer sa volonté. Le consentement du mineur doit être systématiquement obtenu s’il est apte à exprimer sa volonté et à participer à la décision. La décision est prise par le médecin référent qui en assume la responsabilité juridique. Cependant, la loi mentionne que les titulaires de l’autorité parentale, le plus souvent les parents, doivent être informés de la décision, et leur avis doit être sollicité. Aussi la recherche du maintien de l’alliance thérapeutique dans ces situations difficiles est habituellement privilégiée (Saint Blanquat et Viallard, 2018renvoi vers ; Gabolde et coll., 2021renvoi vers).
En ce qui concerne les personnes polyhandicapées, la décision d’arrêt de soins de support, comme l’alimentation et l’hydratation entérales (qui semblent relever des besoins élémentaires ainsi que d’une attitude digne), suscite des problèmes complexes, douloureux et encore non résolus. Certains proches de la personne polyhandicapée pourraient considérer qu’interrompre ces soins consisterait à engager un processus qui mènerait à la mort « de faim et de soif ». Leur approche est toute autre pour des thérapeutiques antalgiques et sédatives, y compris s’agissant de la sédation en phase terminale dont ils comprennent les justifications dans un contexte donné, avec pour finalité le respect du bien-être de la personne en fin de vie (Gabolde et coll., 2021renvoi vers). À l’heure où l’évolution de la législation française sur la fin de vie est en discussion, le Collectif Handicaps a ainsi rédigé une contribution à destination du législateur, préconisant notamment d’améliorer la communication autour de la fin de vie (avec des moyens adaptés) et son cadre légal, de renforcer le développement des soins palliatifs notamment en lien avec le secteur médico-social, la prise en compte de l’avis des proches aidants familiaux et professionnels dans la réunion collégiale (l’alimentation et l’hydratation entérales considérées comme des actes de la vie quotidienne et non des actes de soins), renforcer la formation et l’acculturation des professionnels du médico-social aux soins palliatifs et à l’accompagnement de la fin de vie (Collectif Handicaps, 2023renvoi vers).

Des enjeux sur le respect du droit de la personne :
la prise de décision assistée

Pour le majeur sous tutelle, l’article L. 1111-2 alinéa 4 du Code de la santé publique prévoit qu’il doit recevoir des informations de la part de son médecin et participer à la prise de décision « d’une manière adaptée à ses facultés de discernement ». Selon la loi, la volonté du majeur sous tutelle doit être constamment recherchée. Il peut consentir ou refuser un soin, mais l’autorisation s’avère du seul fait du tuteur, sauf si son avis « risque d’entraîner des conséquences graves pour la santé du majeur sous tutelle ». Dans les situations de fin de vie, la loi Claeys-Leonetti a accordé une place plus importante à la volonté du majeur sous tutelle qu’auparavant. Néanmoins, il ne peut consentir seul, ce qui donne lieu à des situations dans lesquelles l’équilibre entre autonomie et assistance du majeur sous tutelle est fragile, en particulier lorsque les personnes sont dans des situations de dépendance et ont des troubles cognitifs, de sorte qu’aborder la question des directives anticipées semble difficilement envisageable.
Pourtant, l’article 12 de la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées stipule que : « les personnes handicapées jouissent de la capacité juridique sur la base de l’égalité avec les autres dans tous les aspects de la vie ». La convention conteste donc l’utilisation par les nations signataires de la prise de décision au nom d’autrui et souligne l’importance d’une prise de décision assistée, indiquant que les pays signataires « prendront les mesures appropriées pour permettre aux personnes handicapées d’accéder au soutien dont elles peuvent avoir besoin dans l’exercice de leur capacité juridique. » (Nations unies, 2006renvoi vers).
Watson et collaborateurs constatent que les opportunités de voir satisfaites les préférences des personnes polyhandicapées en fin de vie sont plus susceptibles d’être accordées aux personnes considérées comme ayant une capacité cognitive et décisionnelle. Pour permettre aux personnes polyhandicapées d’être associées, ils promeuvent l’utilisation de la narration et du multimédia (photos et vidéo) comme approche afin de voir leurs expressions de préférences reconnues et prises en compte en fin de vie (Watson et coll., 2019renvoi vers). Par ailleurs, il existe une forte association entre la réactivité de l’aidant (un facteur jugé important dans la prise de décision assistée), la proximité relationnelle (l’aidant ayant une meilleure connaissance de l’histoire et de la qualité de vie de la personne étant celui le plus à même de « défendre ses intérêts ») dans la prise de décision de fin de vie. Cette connaissance ne s’acquiert pas nécessairement par la longévité de la relation, mais par des histoires et des images visuelles partagées à propos de cette personne (Watson et coll., 2017renvoi vers).
Voss et coll. ont cherché à caractériser la prise de décision assistée pour les personnes ayant une déficience intellectuelle sévère ou profonde. Dans cette étude, les praticiens de la santé interrogés ont indiqué que les personnes atteintes de PIMD sont souvent exclues de la participation à la prise de décision liée aux soins de fin de vie, en évoquant que les raisons de cette exclusion sont notamment des problèmes de communication et de cognition. En se concentrant sur le rôle de soutien, les chercheurs ont identifié les processus, les catalyseurs et les obstacles à la prise de décision assistée pour les personnes ayant une déficience intellectuelle grave ou profonde. Quatre thèmes ont émergé : le fait que les personnes polyhandicapées avaient une participation limitée, que leurs accompagnants avaient des préjugés importants (professionnels et familiaux), l’importance de préserver leur dignité et de privilégier la qualité de la mort. Les participants ont signalé une concentration disproportionnée des praticiens des soins palliatifs sur le bien-être physique plutôt que sur le bien-être émotionnel et spirituel des personnes polyhandicapées en fin de vie. Enfin, les participants ont rapporté que les personnes atteintes de PIMD ne mouraient généralement pas dans des établissements de soins palliatifs spécialisés, mais dans des environnements de vie assistés séparés. Tous les participants ont signalé un besoin de soutien et de conseils supplémentaires pour fournir des soins aux personnes atteintes de PIMD en fin de vie (Voss et coll., 2021renvoi vers).
Ainsi dans la littérature a émergé la notion de « Advance care planning » ou planification préalable des soins dans le contexte des pathologies relevant des soins palliatifs. Ce concept relève d’une démarche dynamique, qui évolue au cours du temps et peut s’inscrire sur plusieurs années, où l’équipe médicale va évaluer la situation médicale du patient et la perception qu’en a le patient, sa famille, ses proches aidants, et recueillir les possibilités et souhaits de ceux-ci concernant la fin de vie, le décès et l’après. Les décisions prises concernant le plan de soins et le projet de vie et de fin de vie du patient sont notifiées par écrit, et réévaluées tout au long de l’accompagnement du patient si besoin, au gré de son évolution. Notons cependant qu’il n’y a à ce jour pas de preuve scientifique permettant de valider ce processus en termes de « meilleure qualité » d’accompagnement en fin de vie (Rosa et coll., 2023renvoi vers). La question du temps pour construire cette planification des soins semble ici essentielle et rejoint ainsi l’idée que les soins palliatifs ne devraient pas intervenir uniquement pour la gestion des « derniers instants de vie » mais s’intégrer en amont, justement dans cette recherche d’un consensus autour des souhaits du patient et de sa famille, d’autant moins pris en compte que la déficience intellectuelle est plus sévère (Watson et coll., 2019renvoi vers).
Au-delà de la déficience intellectuelle, des freins à la mise en œuvre de ce processus anticipé existent, notamment en pédiatrie et ont été étudiés auprès de soignants d’enfants avec maladie sévère par une équipe de sociologues (Basu et coll., 2021renvoi vers). Trente-quatre soignants ont ainsi été observés dans des focus groupes (pédiatres généralistes ou spécialistes, infirmières, assistants sociaux, psychologues…), et les freins à la mise en œuvre d’une démarche de planification des soins ont été questionnés, de leur point de vue et de ceux qu’ils imaginaient pour les patients et leurs familles. Du côté des soignants, la question de la multidisciplinarité a été soulevée comme un frein, des informations multiples pouvant être données aux patients et familles avec des informations pas toujours homogènes et perturbant la compréhension des familles. Ainsi une meilleure coordination autour de la communication dans le cadre d’un accompagnement multidisciplinaire est nécessaire. L’importance de bien connaître le patient et sa famille était également identifiée, de même que la difficile question de l’incertitude pronostique et de sa communication à la famille. La question du juste moment pour aborder la mise en place de cette planification des soins était également soulevée, ainsi que la formation et le temps nécessaires pour le faire, avec de ce fait un risque majeur d’évitement de se confronter à la discussion et ainsi ne pas mettre en place ce processus de planification adaptée des soins (Basu et coll., 2021renvoi vers). Aussi la notion de médecin référent, qui délivrera une information tout au long de l’accompagnement, connaîtra les parents et reconnaîtra leur expertise et saura recueillir leurs souhaits et inquiétudes concernant la santé de leur enfant, semble primordiale (Bogetz et coll., 2022arenvoi vers). La question de l’évaluation de la qualité de vie du patient, au sein de sa famille et de son établissement est ici essentielle et les parents y jouent un rôle majeur, apportant des éléments permettant d’appréhender de manière holistique la vie de la personne (Bogetz et coll., 2022brenvoi vers).
Cette question de la planification des soins de la fin de vie, des directives anticipées telles qu’elles existent pour les citoyens majeurs dans la loi française pose ainsi la question centrale du consentement des aidants proches (souvent familiaux) à la décision prise par des équipes médicales en charge d’accompagner la fin de vie des personnes polyhandicapées. Dans un article récent, Frédéric Blondel (Blondel, 2023renvoi vers) aborde cette question sous l’angle de la construction d’un lien social, où il définit le consentement comme « la reconnaissance et l’adhésion au point de vue suggéré ou proposé par un autrui à qui on prête une légitimité suffisante pour consentir à son point de vue ou à sa décision. (…) le consentement équivaut à accepter ou à opter pour la solution qui propose le moindre mal ». Dans ce cadre, la décision médicale qui fait suite à la réunion collégiale est la résultante d’une « co-construction avec les aidants familiaux afin d’obtenir leur consentement. » Cette construction sociale nécessite d’une part une empathie du référent médical à l’égard de son patient et de ses proches aidants, et des capacités de dialogue afin d’accompagner la famille à la prise en compte de la dégradation de l’état de santé du patient à l’origine de la discussion collégiale de limitation et arrêt de traitement éventuels. D’autre part, cela nécessite la reconnaissance des compétences expertes des aidants familiaux dans leur connaissance et leur accompagnement du patient, permettant l’instauration d’un lien de confiance. La question du temps, de prendre le temps pour construire ce lien social est ainsi primordiale et doit s’inscrire dans les projets d’établissement (Blondel, 2023renvoi vers).

Des enjeux de collaboration avec les familles

Les parents se considèrent, sur la base de leurs connaissances, comme étant les mieux équipés pour interpréter les tentatives de communication de leur enfant. Selon les parents, les soignants professionnels et les professionnels de la santé dans plusieurs études, les parents sont les experts de leur enfant et appliquent leurs connaissances spécialisées dans divers domaines, tels que le bien-être de leur enfant ou son absence (Geeter et coll., 2002renvoi vers ; Axelsson et coll., 2014renvoi vers ; Zaal-Schuller et coll., 2016arenvoi vers). Cette connaissance est décrite comme un « sens de savoir », un « sixième sens » ou une « intuition » qui s’est développée parce que les parents « étaient à l’écoute de leur enfant en étant une présence constante » (Carter et coll., 2017 ; p. 9renvoi vers). Ils pouvaient « sentir » que la santé de leur enfant se détériorait avant que le médecin ne s’en rende compte (Zaal-Schuller et coll., 2016brenvoi vers) ou avaient une connaissance de leur enfant de manière intuitive, manière différente des connaissances des professionnels de la santé (Geeter et coll., 2002renvoi vers ; Zaal-Schuller et coll., 2016arenvoi vers ; Carter et coll., 2017renvoi vers ; Kruithof et coll., 2020renvoi vers). Cette connaissance repose sur le lien particulier qu’ils ont développé avec leur enfant, par la proximité et au fil du temps (Geeter et coll., 2002renvoi vers).
Les parents sont également perçus, tant par eux-mêmes que par les professionnels, comme des experts lorsqu’il s’agissait de comprendre la douleur de leur enfant (Hunt et coll., 2003renvoi vers). Hunt et coll. ont utilisé des entretiens semi-structurés avec des parents et des professionnels pour montrer que les parents « savaient juste » quand leur enfant avait mal, ce qui était « une intuition », un « sentiment », « quelque chose qui vient de l’intérieur ». Leur étude a rapporté que les professionnels se sentaient incertains et manquaient de confiance concernant l’évaluation de la douleur des personnes atteintes de PIMD, et leurs connaissances étaient plus fragmentées que celles des parents. Ils se sont donc souvent tournés vers les parents, en particulier les mères, qui avaient développé un « sens du savoir » par essais et erreurs. Les parents se sentent souvent isolés par rapport à la gestion de la douleur et sous-utilisés comme ressource par les professionnels de la santé (Hunt et coll., 2003renvoi vers).
D’autres affirment que les connaissances des parents, étant les experts de leur enfant, devraient être reconnues afin d’améliorer les soins (Gauthier-Boudreault et coll., 2017renvoi vers). Ils exposent que les soignants professionnels devraient créer un espace pour la connaissance expérientielle des parents. À l’aide d’un questionnaire (n = 723), ils ont montré comment la co-création entre parents et soignants professionnels avait pour résultat que les parents étaient plus satisfaits de la prise en charge médicale de leur enfant (Geeter et coll., 2002renvoi vers).
Les parents utilisent également leur connaissance de leur enfant atteint de PIMD dans leur rôle de défenseurs, contrecarrant l’approche plus objectiviste des professionnels de la santé (Graham et coll., 2009renvoi vers ; Zaal-Schuller et coll., 2016arenvoi vers ; Carter et coll., 2017renvoi vers), par exemple lorsque ces derniers n’avaient aucune connaissance personnelle de leur enfant (Gauthier-Boudreault et coll., 2017renvoi vers). Dans leur revue de la littérature sur les décisions de fin de vie, Zaal-Schuller et coll. (Zaal-Schuller et coll., 2016brenvoi vers) ont montré comment les parents assumaient le rôle de défenseurs : tant que les parents voyaient la vie de l’enfant comme « positive et enrichissante », ils préconisaient fortement des mesures de prolongation de la vie (Zaal-Schuller et coll., 2016arenvoi vers). Une étude qualitative auprès de 25 parents d’enfants (Bogetz et coll., 2021brenvoi vers) avec atteinte neurologique sévère (Severe Neurological Impairment) qui avaient tous un support technologique (assistance ventilatoire, gastrostomie…), étaient suivis par plus de 5 spécialistes et étaient régulièrement hospitalisés, a ainsi rapporté que les parents considéraient que leur rôle dans la prise de décision consistait à « défendre leur enfant » (expliciter les symptômes, échanger avec les médecins), se tenir au courant de son évolution voire intervenir dans les décisions, avec une attention toute particulière accordée aux soins portés à l’hôpital. Ils devaient également s’ajuster sur le plan « matériel » (financier, disponibilités vis-à-vis de la fratrie), capacité de prise de décision, etc. dans une incertitude importante en lien avec la pathologie de leur enfant. Ils rapportaient ces expériences comme particulièrement stressantes (au-delà de la situation médicale de leur enfant) du fait des intervenants multiples, de l’isolement ressenti (social parfois), d’une impression de ne pas être entendu, de leurs besoins propres non satisfaits et enfin du fait du poids des décisions et de leurs conséquences (Bogetz et coll., 2021brenvoi vers). L’utilisation des connaissances de leur enfant à des fins de défense nécessite que les parents aient la compétence de « traduire » leurs connaissances expérientielles sous forme de connaissances objectives qui seraient plus facilement acceptées par les professionnels de la santé. Par exemple, Carter et coll. (2017renvoi vers) (p. 7) ont montré que les mères « avaient du mal à fournir le niveau de « preuve » qu’elles pensaient que les professionnels de la santé voulaient ».
Les parents d’une autre étude qualitative, menée aux États-Unis, ont mentionné qu’ils estimaient que les professionnels de la santé sous-estimaient le niveau de fonctionnement de leur enfant, ne reconnaissant ni les connaissances parentales ni le plein potentiel de l’enfant. Ces parents ont essayé d’influencer l’opinion des professionnels en défendant leur enfant, par exemple en montrant des images de moments heureux où leurs enfants étaient à la maison (Graham et coll., 2009renvoi vers).
Une autre étude a révélé que lorsque les médecins respectaient les liens solides entre les parents et l’enfant, y compris la protection des parents envers leur enfant, cela pouvait amener les parents à « ouvrir » leur lien avec le médecin. Dans ce cas, une confiance mutuelle s’est développée entre parents et médecins, entraînant une plus grande appréciation par les parents des soins médicaux prodigués à leur enfant (Stringer et coll., 2018renvoi vers).
Sur la base des résultats concernant la nature des connaissances des parents et la manière dont ils les utilisent, Fonteine et coll. (Fonteine et coll., 2008renvoi vers) ont examiné la transférabilité de ces connaissances. Ils ont réalisé une analyse textuelle de 12 journaux utilisés dans un centre d’activités de jour pour personnes atteintes de PIMD, en se concentrant sur l’échange d’informations entre les parents et les soignants professionnels. Ils ont découvert que les connaissances des parents n’étaient pas facilement transférables par le biais d’un journal. Ils ont fait valoir que les connaissances expérientielles riches et approfondies que possèdent les parents devraient être transférées par d’autres méthodes, de préférence par la pratique et l’interaction. Ils ont recommandé que les parents soient autorisés à passer quelques jours avec leur enfant au centre d’activités pour montrer comment ils faisaient des choses comme manger ou résoudre des conflits, transférant ainsi leurs « connaissances incarnées » (Fonteine et coll., 2008renvoi vers). Les conclusions de Hunt et coll. ont souligné la validité de ces recommandations. Basées sur des entretiens avec des parents et des professionnels, elles ont montré comment les infirmières ont appris à connaître le patient et ses signaux en observant les manières dont les parents interagissaient avec leur enfant (Hunt et coll., 2003renvoi vers). Quant à Watson et coll. (Watson et coll., 2017renvoi vers), ils ont fait valoir que les connaissances approfondies et fondées sur l’expérience des parents peuvent être indirectement transférées à d’autres par le partage d’histoires de vie et d’images visuelles. Sur la base d’observations et de discussions informelles avec des parents et des soignants professionnels, ils ont montré comment ces soignants professionnels se sentaient plus connectés et donc plus capables de prendre soin d’une personne atteinte de PIMD lorsqu’ils connaissaient l’histoire de la personne. Dans le même temps, ces soignants se sentaient plus détachés des personnes atteintes de PIMD que les parents et avaient donc plus de mal à estimer le sens de leur interaction s’ils manquaient de connaissances sur la personne (Watson et coll., 2017renvoi vers).
Au-delà de l’aide à la décision que l’expertise parentale peut apporter auprès des équipes médicales, dans une approche holistique du patient, cette reconnaissance d’expertise joue également un rôle dans l’établissement et le maintien de lien de confiance avec l’équipe médicale, y compris après le décès, et participe également du soutien attendu par les familles, au même titre qu’une information loyale et adaptée, coordonnée entre les spécialistes (Bogetz et coll., 2021arenvoi vers).

Des enjeux de communication

Perifano et coll. (2018renvoi vers) soulignent l’importance de parler de la mort avec la personne polyhandicapée et d’annoncer les décès de ses pairs ou de ses proches. L’annonce du décès doit être pensée comme un point de départ d’un processus d’appropriation du deuil. Les résidents peuvent supporter la nouvelle, à condition qu’ils soient soutenus au moment de l’annonce et tout au long de la période où les effets de cette annonce se déploient. Les professionnels doivent se montrer présents et prendre en considération les dimensions émotionnelles et cognitives (par exemple, qui annonce la situation et comment ? Est-ce le référent ?) et penser l’accompagnement de façon individuelle et collective. La création de rituels au sein de l’institution ou d’un atelier hommage peut permettre aux résidents de s’approprier les évènements douloureux (Perifano et coll., 2018renvoi vers) et d’annoncer les disparitions (Belot, 2016renvoi vers).
À noter que des équipes se sont intéressées à la question de la communication autour des décès auprès des personnes avec déficience intellectuelle au sein d’institutions médico-sociales et ont montré qu’au-delà de la sévérité de la déficience (plus elle est importante, moins le sujet était évoqué), les difficultés rapportées par le personnel étaient en lien d’une part avec leurs propres peurs sur la question, leurs expériences vécues et leurs références culturelles. L’attitude des équipes encadrantes et l’accompagnement proposé au sein de l’établissement pour les membres du personnel face aux décès étaient également soulignés comme des éléments majeurs (Ryan et coll., 2011renvoi vers ; Tuffrey-Wijne et Rose, 2017renvoi vers). Ces données confortent également l’importance de l’intervention des équipes ressources de soins palliatifs auprès des établissements médico-sociaux autour de l’accompagnement des professionnels sur ces questions.

L’importance de s’accorder sur la signification des mots

Le cadre de référence est différent pour les familles et les médecins d’où l’importance de s’accorder sur les mots, les concepts pour éviter les malentendus. Par exemple, que signifient les mots « tout faire » ou « il n’y a plus rien à faire » ? Il est indispensable d’avoir un discours clair et de veiller à ce que l’on parle de la même chose. « Nous nous demandons toujours ce que nous pouvons faire pour aider le patient. Pour répondre à cette question, nous devons être clairs sur ce que nous espérons – rétablissement, confort, dignité – et faire tout ce qui est en notre pouvoir pour avoir une chance raisonnable d’y parvenir » (Feudtner et Morrison, 2012renvoi vers). Partant de cette phrase « Faites tout ce que vous pouvez », le risque est ici de se retrancher derrière cette demande a priori de non-limitation, pour ne pas prendre une décision de limitation ou arrêt de traitement qui serait cependant plus adaptée au patient. Il est de toute façon toujours impossible de « tout » faire, par contre il est du devoir des équipes médicales de faire « de leur mieux » dans une situation donnée pour un patient donné, et y compris échanger avec le patient et ses proches sur ce que cela signifie et implique, dans un plan de soins partagé.

Conclusion

Lors d’un épisode de décompensation ou d’une maladie venant aggraver son état de santé, la personne polyhandicapée est souvent confrontée à la question de l’obstination thérapeutique déraisonnable. Cette étape pose la délicate question de l’évaluation de ce qui est déraisonnable ou de ce qui doit être tenté. Le critère de la qualité de vie doit rester l’élément de la pertinence des traitements. Or la représentation de la qualité de vie est partiellement construite par les tiers, la famille et les professionnels de santé. La vie singulière de la personne polyhandicapée ne semble pas pouvoir être évaluée par projection de notre point de vue de valide mais plutôt en respectant ses attentes et ses besoins singuliers. L’intérêt premier de l’enfant ou de l’adulte polyhandicapé doit impérativement guider la décision.
Cette évaluation peut être également perturbée par les ressentis de l’entourage : perte du sens du soin pour les soignants qui se sentent démunis face à la personne, attachement à la vie de la part de l’entourage familial, engagement de la responsabilité du médecin. Il paraît nécessaire de respecter la temporalité de chacun et de permettre à chacun de cheminer dans le temps et dans la prise de décision.
La fin de vie de la personne polyhandicapée doit être considérée comme faisant partie de son projet de vie. L’accompagnement de l’équipe pluridisciplinaire habituelle de la personne et l’accompagnement de la famille par une équipe de soins palliatifs peuvent être précieux pour garantir un questionnement éthique tout au long de ce moment, aider à un positionnement et garantir une démarche optimisée dans la lutte contre la souffrance physique mais également psychique de la personne et de son entourage. Il est important de repérer le moment opportun de l’orientation des objectifs de prise en charge éducative ou rééducative vers un accompagnement de la fin de vie centré alors exclusivement sur le confort. Les équipes de soins palliatifs sont une ressource en fin de vie pour la personne polyhandicapée. Les soins palliatifs ne doivent pas se limiter à la période de la mort de la personne polyhandicapée, mais commencer bien avant et continuer dans l’accompagnement des proches pendant la phase du deuil (Gabolde et coll., 2021renvoi vers).

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