Polyhandicap

2024


ANALYSE

II-

Clinique et prise en soins du polyhandicap


13-

Douleur

La douleur est un symptôme fréquent dans la population des personnes polyhandicapées. La présence d’une douleur et sa prise en soins nécessitent d’évaluer son intensité, sa fréquence et sa durée par des outils d’évaluation adaptés, d’identifier la (ou les) cause(s) qui peuvent être multiples et les facteurs de risque afin de la prévenir ou la soulager par des traitements médicamenteux ou des méthodes non pharmacologiques.

Définition

D’après l’Association internationale sur l’étude de la douleur (IASP) dans sa version révisée de 2020 (Raja et coll., 2020renvoi vers), la douleur se définit comme « une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable associée à, ou ressemblant à celle associée à, une lésion tissulaire réelle ou potentielle ».
Cette définition permet d’une part de considérer l’existence de la douleur y compris en l’absence de lésion tissulaire à l’origine de la douleur ; d’autre part elle permet de reconnaître l’existence de la douleur – à l’aide d’indicateurs validés comme nous le verrons plus loin – y compris pour les personnes dans l’impossibilité de l’exprimer par les moyens usuels de communication.
Cette définition souligne que la douleur est une expérience personnelle influencée à des degrés divers par des facteurs biologiques, psychologiques et sociaux, incluant des facteurs spécifiques à la pédiatrie, notamment l’influence de l’âge et de la maturation cérébrale, mais également les conditions environnementales associées aux expériences douloureuses dès les débuts de la vie, et l’influence de la culture et de l’entourage familial. Chaque individu apprend ainsi ce qu’est la douleur à travers ses expériences de vie.
La description de sa propre expérience douloureuse doit être respectée, et il est donc essentiel d’avoir des moyens de l’évaluer, adaptés à la personne concernée.
La douleur ne peut être limitée à la notion de nociception qui renvoie à l’activité des neurones sensoriels, car la douleur influence l’état de l’enfant aussi bien sur le plan physique que mental, avec pour corollaire une éventuelle limitation de ses activités et une restriction de sa participation sociale (Stevens, 2021renvoi vers).
Cette prise en compte de la douleur est désormais inscrite dans la loi1 et a fait l’objet d’un guide à destination des professionnels des établissements médico-sociaux en 2017 (ANESM, 2017renvoi vers).

Un symptôme fréquent chez le sujet polyhandicapé

Peu d’études se sont spécifiquement intéressées à la fréquence de la douleur dans des populations de patients polyhandicapés, avec une évaluation de la douleur qui repose avant tout sur les observations de l’entourage. L’équipe de Stallard et coll. a par exemple étudié le nombre d’épisodes douloureux rapportés sur 2 semaines par les parents de 34 enfants n’ayant pas accès à une communication verbale ou signée, âgés de 9,4 ans en moyenne. Ces patients avaient une atteinte neurologique et les diagnostics rapportés étaient variés, comprenant la paralysie cérébrale, spina bifida, une atteinte post-encéphalitique, des mucopolysaccharidoses, un syndrome de Rett, des anomalies chromosomiques. Au cours des 2 semaines d’études, 73,5 % (n = 25) des enfants avaient eu au moins un épisode douloureux, incluant 21 enfants (84 %) ayant eu des douleurs au moins 5 jours et 8 enfants (32 %) au moins pendant 12 jours. La durée médiane des épisodes douloureux était de 6 jours (2-14), et 52 % des enfants avaient des douleurs pendant au moins 4 jours consécutifs sur la période d’étude. Soixante-sept pour cent (n = 23) des enfants avaient des épisodes douloureux jugés d’intensité modérée à sévère, survenant surtout la nuit entre minuit et 8 heures du matin (26,9 %). Il est important de noter que la méthodologie de cette étude ne se basait pas sur une ou plusieurs échelles spécifiques, mais reposait sur la description des parents et leur classification de la douleur entre faible/modérée/sévère sur une échelle de Likert. Dans cette étude, aucune médication antalgique n’était prescrite (Stallard et coll., 2001renvoi vers).
Breau et coll. (2003renvoi vers) se sont intéressés également à la fréquence des épisodes douloureux dans une population de 94 enfants avec atteinte neurologique sévère (Severe Neurological Impairment) âgés de 3 à 18 ans, dont 77 avaient une déficience intellectuelle sévère à profonde (Breau et coll., 2003renvoi vers). Les étiologies de l’atteinte neurologique étaient anténatales (n = 67) pour la majorité des patients. Cinquante-neuf patients étaient épileptiques. Sur le plan moteur, 51 n’avaient pas d’utilisation (ou une utilisation partielle) des membres supérieurs, et 73 des membres inférieurs. Quarante et un patients avaient une déficience visuelle partielle ou totale et 15 une déficience auditive partielle ou totale. Vingt-cinq recevaient une nutrition entérale. Dans cette étude, les parents remplissaient initialement une grille d’évaluation de la douleur pour enfant non communiquant (GED-DI : Grille d’Évaluation de la Douleur – Déficience Intellectuelle) afin de déterminer comment s’exprimait la douleur chez l’enfant, puis les parents étaient contactés au total 4 fois dans l’année pour évaluer la fréquence, l’intensité (sur une échelle numérique de 1 à 10) et la durée des épisodes douloureux de leur enfant sur les sept derniers jours. Sur la totalité de l’étude, seuls 22 % des enfants n’avaient aucun épisode douloureux rapporté, tandis que 406 épisodes douloureux étaient relevés, concernant 78 % des enfants. En moyenne, les enfants présentaient un épisode douloureux par semaine qui durait plus de 9 heures. Il n’était pas retrouvé dans cette étude de corrélation avec le sexe ou l’âge des enfants et la fréquence des épisodes douloureux (Breau et coll., 2003renvoi vers).
Une étude prospective française portant sur 240 enfants âgés de 3 à 10 ans à l’inclusion dans l’étude et ayant une paralysie cérébrale avec un score GFMCS (Gross Motor Function Classification System) à IV ou V dont 166 (69,2 %) étaient non verbaux, a évalué la présence d’une douleur lors de la visite d’inclusion ou dans le mois précédent cette visite, en sachant que cette étude s’inscrivait dans un travail plus global sur l’évolution orthopédique de cette population. Si une douleur était rapportée, une évaluation de l’intensité de la douleur par des outils adaptés était proposée, de même que le recueil de données sur la ou les causes de la douleur, sa durée, les traitements mis en œuvre. Une douleur était rapportée chez 65 enfants (prévalence de 27,1 %) et par ailleurs 114 enfants (47,5 %) recevaient de façon occasionnelle un traitement antalgique (Poirot et coll., 2017renvoi vers).
Dans la population des patients avec paralysie cérébrale, une large enquête nationale a été menée en France (Enquête Espace, Fondation Paralysie Cérébrale), auprès de 354 enfants, 145 adolescents et 511 adultes (avec 38,5 %, 43,5 % et 54,5 % respectivement de patients non marchants) dans laquelle 53 % des enfants, 63 % des adolescents et 75 % des adultes rapportaient avoir une douleur en rapport avec leur paralysie cérébrale mais qui n’était prise en compte efficacement que dans 38 %, 58 % et 63 % des cas respectivement. Un quart des patients rapportait que si la kinésithérapie motrice occasionnait des douleurs lors des séances (notamment étirements passifs, appareillages d’aide à la marche ou à la posture), elle permettait cependant de les diminuer en dehors des séances de kinésithérapie motrice (Fondation Paralysie Cérébrale, 20182 ). Il a ainsi été montré dans le cadre de cette enquête que la fréquence des douleurs était l’un des facteurs associé à une moins bonne satisfaction vis-à-vis du suivi en kinésithérapie, et a contrario une prise en compte effective de la douleur était associée à une meilleure satisfaction vis-à-vis des soins de kinésithérapie (Cornec et coll., 2021renvoi vers).
Une revue de la littérature a été réalisée par une équipe australienne (Mckinnon et coll., 2019renvoi vers) afin d’estimer plus précisément la prévalence de la douleur dans la population des enfants et jeunes adultes avec paralysie cérébrale et d’en ressortir des facteurs de risques : une prévalence variant de 14 à 76 % était retrouvée dans les 57 études analysées, avec une fréquence accrue chez les filles, les patients plus âgés et avec une atteinte motrice plus sévère (score GFMCS à V). Les douleurs concernaient principalement les membres inférieurs, le dos et l’abdomen et étaient associées à une moindre qualité de vie (Mckinnon et coll., 2019renvoi vers). Cette même équipe a par la suite notamment montré une prévalence élevée (85 %) de la douleur dans une population de 75 enfants avec paralysie cérébrale de type dyskinétique ou mixte dystono-spastique, ces différents types d’atteinte motrice pouvant ainsi expliquer pour partie la variabilité des prévalences de douleur observées dans des populations d’enfants avec paralysie cérébrale tous types confondus (Mckinnon et coll., 2020renvoi vers).
Ce même lien entre le type d’atteinte motrice (dyskinétique versus spastique ou ataxique) est également rapporté dans une étude portant sur 153 adultes avec paralysie cérébrale en Suède, où la douleur est rapportée dans 65 % des cas sur l’ensemble de cette population, avec une douleur quotidienne pour 47 % des patients, évoluant depuis plus de 3 mois pour 75 % des patients, avec cependant une prise d’antalgiques pour seulement 30 % des patients de la série (Jonsson et coll., 2021renvoi vers). Par ailleurs une méta-analyse portant sur 15 études totalisant 1 243 patients d’âge moyen 34 ans avec paralysie cérébrale, a retrouvé une prévalence de la douleur de 70 % (van der Slot et coll., 2021renvoi vers), le sexe féminin et un score GFMCS plus élevé étant associés à des prévalences plus élevées, mais sans corrélation avec le type d’atteinte motrice dans cette méta-analyse (van der Slot et coll., 2021renvoi vers).
Si l’on s’intéresse à l’évolution de la fréquence de la douleur dans cette population avec l’âge, peu de données sont disponibles. Nous citerons cependant les travaux de Rousseau (2018renvoi vers) où dans la cohorte Eval-PLH, la douleur est rapportée plus fréquemment chez les sujets plus âgés. Ainsi elle n’est rapportée que dans 3,9 % des cas dans le groupe des 3-5 ans, 11,4 % des cas chez les 6-11 ans, 8 % chez les 12-17 ans, 12,5 % chez les 18-25 ans (p = 0,154) et dans la population adulte chez 10,1 % des 18-34 ans, 24,5 % des 35-49 ans et 61,5 % des plus de 50 ans (p<10-3). Notons cependant que s’agissant des prescriptions d’antalgiques dans cette même cohorte, la tendance à plus de prescription avec l’âge s’observe dès l’enfance et est plus importante que la fréquence des douleurs rapportées : 28,2 % des 3-5 ans, 44,8 % des 6-11 ans, 63 % des 12-15 ans, 62,2 % des 18-25 ans (p<10-3), et chez l’adulte 60,4 % des 18-34 ans, 68,7 % des 35-49 ans et 78 % des plus de 50 ans (p<10-3) (Rousseau, 2018renvoi vers). S’agissant de la prévalence de la douleur parmi les patients les plus jeunes, citons toutefois l’étude de Stallard et coll. (2002renvoi vers) ayant interviewé les parents de 29 enfants âgés de 2 à 21 ans avec atteinte neurologique sévère et non communicants (paralysie cérébrale, spina bifida, atteinte post-encéphalitique, anomalies chromosomiques, syndrome de Rett, mucopolysaccharidose). Quarante et un pour cent des parents (n = 12) rapportaient dans cette étude une douleur quotidienne, et 17 % au moins une fois par semaine. La durée des épisodes était de moins de 3 heures dans 31 % des cas, et a contrario de plus de 24 heures dans 38 % des cas. Parmi les parents qui rapportaient des douleurs régulières de leur enfant, 54 % rapportaient que ces épisodes étaient survenus dès la première année, ce qui souligne l’importance de la question de l’évaluation notamment au plus jeune âge dans cette population. De plus, notons que dans certaines étiologies génétiques de polyhandicap comme par exemple le syndrome d’Angelman, la sensibilité à la douleur semble être diminuée jusque dans 67 % des cas même si les mécanismes physiopathologiques pour expliquer cette élévation du seuil de sensibilité à la douleur restent non élucidés à ce jour (McCoy et coll., 2017renvoi vers).
On retient de ces données la fréquence de la douleur dans la population des personnes polyhandicapées, avec probablement des variations en fonction de l’âge, mais aussi du type d’atteinte motrice et de la sévérité de l’atteinte motrice. Il est donc important de rechercher systématiquement la présence d’une douleur, d’évaluer son intensité, sa fréquence et sa durée, d’en rechercher la ou les causes, afin de la prévenir ou la traiter de façon adéquate.

Causes de la douleur

Dans leur étude portant sur 94 enfants avec atteinte neurologique sévère, Breau et coll. (2003renvoi vers)se sont intéressés aux causes rapportées des épisodes douloureux. Ils distinguaient les causes accidentelles (30 %) des causes non accidentelles et liées aux soins (62 %) avec une proportion non négligeable de causes non identifiées (8 %). Les douleurs accidentelles étaient rapportées comme les moins intenses et les plus brèves (moins de 1 heure), et survenaient préférentiellement chez les patients ayant les meilleures capacités motrices (p = 0,009). Les douleurs d’étiologie inconnue étaient les plus intenses et avaient une durée moyenne de 11 heures. Parmi les causes non accidentelles, les douleurs d’origine digestive étaient les plus fréquentes (22 %), d’intensité importante et de durée plus prolongée (jusqu’à 72 heures). Ces douleurs étaient attribuées à un reflux gastro-œsophagien, aux troubles de la motricité intestinale et ballonnements plus ou moins localisés ainsi qu’à une constipation. Suivaient les douleurs d’origine musculo-squelettique (19 %), un peu moins intenses et prolongées (jusqu’à 24 heures). Des douleurs en rapport avec des épisodes infectieux (respiratoires, oropharyngés) étaient également fréquentes (20 %) et pouvaient durer plusieurs jours. Des douleurs en rapport avec les poussées dentaires (5 %) et les menstruations (4 %) étaient également rapportées. Enfin s’agissant des douleurs liées aux soins (13 %), nous citerons bien entendu les ponctions veineuses, mais également les douleurs post-opératoires et celles liées à la présence d’une sonde nasogastrique. Les patients avec des capacités adaptatives moindres, que ce soit dans le domaine de la communication, la socialisation, les capacités motrices ou dans les tâches de la vie quotidienne à la Vineland, présentent plus fréquemment des douleurs non accidentelles (Breau et coll., 2003renvoi vers). Notons que ni les douleurs d’origine dentaire ni les douleurs neuropathiques n’étaient mentionnées dans cette étude. Celles-ci seront à évoquer notamment en cas de symptômes évocateurs de l’existence d’une neuropathie périphérique (amyotrophie, abolition des réflexes ostéotendineux) mais également et surtout sur la description de douleurs à l’effleurement, au toucher ou par exemple à l’habillage, et pourront alors faire l’objet de traitements spécifiques (Avez-Couturier et coll., 2018renvoi vers).
S’agissant des douleurs d’origine orthopédique, dans leur étude portant sur 240 enfants de moins de 10 ans avec paralysie cérébrale, Poirot et coll. (2017renvoi vers) retrouvaient au moins une cause neuro-orthopédique systématique chez les patients qui rapportaient une douleur, associée pour 46 % d’entre eux à une douleur d’autre localisation dont digestive (Poirot et coll., 2017renvoi vers). Ces douleurs se situaient au niveau des hanches (43,4 %) ou des pieds (26,9 %) principalement. Les mobilisations articulaires étaient très fréquemment douloureuses chez ces patients (58 %) (Poirot et coll., 2017renvoi vers). S’agissant des hanches, la relation entre douleur et excentration de la hanche a été étudiée dans une population de 67 adolescents âgés de 12 à 17 ans avec paralysie cérébrale et un score GFMCS d’au moins III (22 % pour un score GFMCS de III, 25 % pour IV, 52 % pour V) principalement spastiques (79 %). Quarante-sept patients avaient été opérés dont 21 avec un geste chirurgical sur les muscles et tendons, et 26 un geste osseux. Les parents de 28 patients rapportaient une douleur d’une ou des deux hanches. La prévalence de la douleur était plus importante (89 %) dans le groupe des 9 patients avec subluxation importante de 50 à 89 % de la hanche considérée. Cependant, il n’était pas trouvé de différence de prévalence de la douleur pour les patients sans ou avec migration modérée (<50 %) de la hanche. De façon intéressante également, parmi les 5 patients avec une luxation complète de la hanche (8 hanches luxées au total), seul un rapportait une douleur. Les facteurs associés à une douleur de hanche que l’on retrouvait dans cette étude étaient un score GFMCS à V, une déformation de l’extrémité supérieure du fémur, la présence d’une plaque de fixation d’ostéotomie fémorale (matériel non retiré à distance de la chirurgie), et une excentration de hanche entre 50 et 89 % (Larsen et coll., 2021renvoi vers). Une étude italienne rétrospective s’est également récemment intéressée à la prévalence et aux déterminants des douleurs de hanche dans une population de 504 enfants (0-18 ans) avec paralysie cérébrale ayant un score GFMCS à IV (n = 202) ou 5 (n = 302), majoritairement spastiques (n = 432), avec un suivi moyen sur 6 ans (0,1-17 ans). La prévalence d’une douleur en rapport avec les hanches était de 8,9 % (n = 45), avec une prévalence de luxation totale de 19 % (n = 96). Trente-neuf pour cent des hanches luxées étaient douloureuses, et dans cette étude un lien était retrouvé entre douleur de hanche et pourcentage d’excentration de la hanche plus élevé, y compris la luxation totale (excentration>90 %). Les facteurs associés à une douleur de hanche étaient dans ce travail l’âge, le sexe, le pourcentage d’excentration de la tête fémorale et l’existence d’une scoliose. Enfin, au cours de leur suivi, 28,5 % des patients avaient une douleur de hanche qui était transitoire (sans intervention chirurgicale) (Faccioli et coll., 2023renvoi vers). Chez l’adulte, nous citerons le travail de Taussig et coll. qui a repris les données de 111 adultes polyhandicapés (âge supérieur à 20 ans) : il n’était pas rapporté de douleur de hanche pour 85 d’entre eux, et s’il était retrouvé une corrélation statistiquement significative entre l’excentration des hanches et la présence d’une douleur, on note cependant que 20 des 25 patients qui avaient une subluxation de hanche étaient indolores, 21 des 38 patients qui avaient une luxation totale de hanche étaient indolores, et 20 des 128 patients avec les hanches en place étaient douloureux (Taussig et Vo Toan, 2010renvoi vers).
On retient de ces éléments la fréquence des douleurs musculo-squelettiques des hanches dans la population des patients polyhandicapés, douleurs dont les liens avec les modifications anatomiques sont à préciser (pourcentage de subluxation ? luxation totale ? scoliose associée ? obliquité du bassin) et nécessiteraient d’être étudiés sur de larges cohortes afin d’établir une stratégie thérapeutique adaptée, en fonction de l’âge.
S’agissant des douleurs liées aux soins, une étude observationnelle prospective randomisée a été récemment menée en France (Dubois et coll., 2023renvoi vers) dans 23 centres de rééducation et établissements médico-sociaux de la région Bretagne, auprès de 280 enfants (0-18 ans, âge moyen 12 ans) avec une déficience motrice et/ou cognitive, transitoire ou permanente (88 %). Soixante-huit pour cent des enfants avaient une atteinte neurologique dont 33 % une paralysie cérébrale de sévérité variable. Au total, 7 107 soins ont été évalués sur le plan de la douleur à l’aide d’une échelle adaptée (FLACC-r : Face Legs Activity Cry and Consolability-revised que nous détaillerons plus loin). Sur les 32 soins étudiés, 30 ont au moins une fois été considérés comme douloureux, avec au total 6,3 % des soins effectués qui étaient considérés comme douloureux, et 48 % des enfants ont expérimenté au moins un soin évalué comme douloureux sur la période de l’étude. Parmi les soins considérés comme les plus fréquemment douloureux, on retiendra la verticalisation (jugée douloureuse dans 14,1 % des cas), la prise alimentaire (13,8 %), les mobilisations (13,1 %). Les soins à l’origine des douleurs de plus forte intensité étaient la pose de sonde urinaire, la verticalisation, les mobilisations au lit, les transferts et l’habillage/déshabillage. Les facteurs associés à des douleurs étaient le jeune âge, une plus grande dépendance et la réalisation d’un acte thérapeutique quel qu’il soit. Des mesures préventives des douleurs liées aux soins étaient mises en œuvre dans 26,5 % des cas, médicamenteuses ou non, et préférentiellement dans les situations d’habillage complexe (Dubois et coll., 2023renvoi vers). Bien que la population étudiée dans cette étude ne concerne pas uniquement des enfants polyhandicapés, il ressort de ces données la nécessité d’une vigilance pour tous les actes de soins où il y a un contact physique avec le patient, a fortiori chez ceux ayant la plus grande dépendance, dont les patients polyhandicapés, ce qui nécessite d’évaluer ces interventions sur le plan de la douleur et des mesures préventives à mettre en œuvre.
On retient donc de ces données que les causes de la douleur chez le sujet polyhandicapé peuvent être multiples et nécessitent donc une enquête approfondie, afin d’identifier et de traiter ces causes (Hauer et Houtrow, 2017renvoi vers), qu’elles soient accidentelles (moins fréquentes, mais il faut alors garder une vigilance sur les traumatismes non accidentels à l’origine de fractures par exemple comme cela est mentionné dans le chapitre relatif à la fragilité osseuse de cette expertise), non accidentelles (digestives, bucco-dentaires, musculo-squelettiques, cutanées) et y compris les douleurs liées aux pathologies que l’on retrouve dans la population générale (poussées dentaires, menstruations, urgences chirurgicales comme l’appendicite par exemple), ou liées aux soins, sans oublier les effets indésirables éventuels de certains traitements comme sources d’inconfort. Des revues de littérature en langue anglaise (Hauer et Houtrow, 2017renvoi vers) ou française (Avez-Couturier et coll., 2018renvoi vers) reprennent également ces éléments.
Au-delà de ces dimensions nociceptives de la douleur, il est essentiel de ne pas sous-estimer des éléments pouvant majorer l’expérience de la douleur chez les personnes polyhandicapées. Nous avons cité préalablement les douleurs neuropathiques avec des données en faveur d’une altération des circuits neuronaux dans le cortex sensoriel notamment chez l’enfant avec paralysie cérébrale. Par ailleurs, n’oublions pas également les implications d’une atteinte du système nerveux autonome que ce soit en termes de causes de douleur (dysmotilité digestive, urinaire, sphinctérienne) ou d’expression (troubles dysautonomiques tels que variations de la fréquence cardiaque, de la sudation, etc.) chez ces patients cérébro-lésés. Enfin chez ces patients dont l’atteinte neurologique est précoce, constituée en anténatal ou en périnatal pour la majorité d’entre eux, l’exposition très précoce à des soins répétés potentiellement douloureux (ponctions veineuses, intubations, interventions chirurgicales…) constitue une « mémoire » d’épisodes douloureux vécus qui va augmenter la sensibilité des récepteurs nociceptifs de la douleur et les rendre ainsi plus susceptibles de développer des douleurs notamment aux soins (Hauer et Houtrow, 2017renvoi vers ; Warlow et Hain, 2018renvoi vers). Enfin, il est essentiel de mentionner les aspects psychosociaux et culturels comme facteurs participant de l’expérience douloureuse, notamment les difficultés de régulation émotionnelle mais également l’importance de l’attitude des aidants (professionnels ou familiaux) dans l’accompagnement de l’épisode douloureux que ce soit en terme d’identification, d’évaluation ou d’aide à la gestion de celui-ci (Warlow et Hain, 2018renvoi vers). Ces éléments ont cependant peu fait l’objet d’études spécifiques à ce jour.

Évaluation de la douleur

L’expression de la douleur chez les sujets polyhandicapés passe bien évidemment rarement par une plainte verbale directe du sujet, mais plutôt par des modifications comportementales et des manifestations indirectes qui peuvent être similaires à celles observées dans la population générale (pleurs, cris, grimaces, agitation, difficultés à être consolé) mais également plus spécifiques de cette population. Ainsi, on pourra observer des manifestations polymorphes telles que des modifications du tonus (majoration de la spasticité, des mouvements anormaux), de la fréquence des crises épileptiques, une atonie motrice, des réactions paradoxales (éclats de rire), des comportements auto ou hétéro-agressifs, une perturbation du sommeil, des signes végétatifs (sueurs, variations de la fréquence cardiaque, troubles de la coloration cutanée, etc.). Les conséquences de la douleur seront reconnues en termes de retentissement sur le fonctionnement habituel de la personne polyhandicapée (Avez-Couturier et coll., 2018renvoi vers), ce qui a également été montré par l’équipe de Breau et coll. dans une étude menée auprès de proches aidants de 63 enfants (3-18 ans) avec un âge développemental entre 8 et 14 mois (Breau et coll., 2007renvoi vers). Breau et coll. ont comparé les performances des enfants à l’échelle des comportements adaptatifs de Vineland (VABS : Vineland Adaptive Behavoir Scale) déclarées par les aidants selon les jours où les enfants étaient douloureux ou non. Ils retrouvaient dans cette étude une diminution des capacités adaptatives des enfants dans tous les domaines (communication, socialisation, gestes de la vie quotidienne, motricité) quand ils étaient douloureux, et cela était d’autant plus marqué que le niveau de développement était plus faible (Breau et coll., 2007renvoi vers). Le sommeil est également impacté de façon importante par la douleur avec dans une étude auprès de 212 enfants polyhandicapés (âge moyen 10,4 ans) un risque 4 fois plus élevé de présenter un sommeil de mauvaise qualité en cas de douleur (Dreier et coll., 2018renvoi vers). Le retentissement est également à prendre en compte s’agissant de l’entourage, que ce soit du fait de la diminution de la qualité du sommeil mais également du stress généré par la situation (Avez-Couturier et coll., 2018renvoi vers).
On retiendra que toute modification comportementale, du tonus, du sommeil devra faire évoquer la possibilité d’une douleur nécessitant une évaluation spécifique (Hauer et Houtrow, 2017renvoi vers ; Avez-Couturier et coll., 2018renvoi vers). Du fait de ces modalités particulières d’expression mais également en vue d’évaluer l’intensité et l’évolution de la douleur, l’utilisation d’outils d’évaluation adaptés à la population est nécessaire.

Échelles

Il est ici important de rappeler que l’utilisation d’outils d’auto-évaluation reste à privilégier lorsque les capacités de la personne polyhandicapée le permettent. Parmi ces outils, l’échelle des visages peut être utilisée chez des enfants d’âge développemental d’au moins 3 ans (Hauer et Houtrow, 2017renvoi vers).
Dans les situations où l’auto-évaluation n’est pas possible, le recours aux outils d’hétéro-évaluation fait appel à l’évaluation par les proches aidants, familiaux ou professionnels.
Différents outils d’hétéro-évaluation sont validés à ce jour (Hauer et Houtrow, 2017renvoi vers ; Avez-Couturier et coll., 2018renvoi vers) :
• Grille d’évaluation de la douleur – déficience intellectuelle (GED-DI) également appelée Non Communicating Children’s Pain Checklist (NCCPC) et dont la version française a été validée auprès de 81 patients âgés de 3 mois à 56 ans avec déficience intellectuelle (âge développemental moyen de 24 mois). Cette échelle existe avec une version post-opératoire (qui ne prend pas en compte les items portant sur le sommeil et l’alimentation) (Zabalia et coll., 2011renvoi vers). Elle ne nécessite pas de connaissance de l’état de base du patient, et peut être utilisée pour l’évaluation d’une douleur aiguë, elle comporte une observation de 5 à 10 minutes et donne un score sur 90 (81 pour la version post-opératoire) avec une douleur considérée comme modérée à sévère à partir d’un score de 11/90 ;
Face Legs Activity Cry Consolability (FLACC) dont la version révisée a été validée auprès de 52 enfants âgés de 4 à 19 ans (69 % avec déficience intellectuelle évaluée comme modérée à sévère) (Malviya et coll., 2006renvoi vers). Elle ne nécessite pas de connaissance de l’état de base du patient, peut être utilisée pour l’évaluation d’une douleur aiguë ou post-opératoire, avec une observation de 1 à 2 minutes, et donne un score sur 10 qui quand il est supérieur à 3 marque l’existence d’une douleur chez le patient ;
• Échelle Douleur Enfant San Salvadour (DESS) validée auprès de 50 patients polyhandicapés âgés de 6 à 33 ans (Collignon et Giusiano, 2001renvoi vers), et nécessite d’avoir une connaissance de l’état de base du patient, que l’on compare au comportement observé. Il est conseillé de la remplir en équipe afin d’affiner l’observation sémiologique du patient, et est particulièrement adaptée aux structures médico-sociales ou services de soins et réadaptation long séjour. Elle donne un score sur 40 et la douleur est reconnue de façon certaine au-delà de 6 ;
• Profil Douleur Pédiatrique (Pediatric Pain Profile ou PPP) qui comprend également une évaluation de l’état de base aussi bien au cours d’une journée où l’enfant est confortable (« bonne journée ») et au cours de situations de douleur passées, que l’on compare à la situation actuelle. Elle nécessite une connaissance préalable de l’enfant et est destinée à une évaluation par les soignants et/ou proches aidants habituels. Elle donne un score sur 60 avec un seuil de douleur à 14. Cette échelle a été validée auprès de 140 enfants âgés de 1 à 18 ans, avec un âge développemental évalué entre moins de 1 mois et 32 mois au maximum (âge développemental médian de 7 mois) (Hunt et coll., 2004renvoi vers) ;
• Pour les adolescents et adultes, l’échelle EDAAP (Expression de la Douleur chez l’Adolescent et l’Adulte Polyhandicapés) a été développée par l’équipe de l’hôpital marin de Hendaye et testée auprès de 171 patients polyhandicapés adultes (pas de données sur leur âge). Elle donne un score entre 0 et 41 avec un seuil de douleur à plus de 7. C’est un outil simple d’utilisation qu’il est préférable de réaliser en binôme. Notons cependant que cette échelle reste peu citée dans la littérature, avec une stabilité de la mesure inter-observateurs de 91 % (en tolérant au plus 2 points d’écart) en situation non douloureuse et de 67 % en situation douloureuse, et sans données sur la stabilité intra-observateur (Jutand et coll., 2008renvoi vers ; Rondi et coll., 2008renvoi vers).
Le choix de l’échelle reste à la discrétion des équipes en étant vigilant au contexte (douleur aiguë/chronique) et à l’âge auquel elle a été validée (Hauer et Houtrow, 2017renvoi vers). Notons que les outils à destination des adultes, en dehors de la DESS qui a été validée jusqu’à 33 ans, manquent à ce jour. Des travaux sont en cours pour valider spécifiquement chez l’adulte avec PIMD (Profound Intellectual and Multiple Disabilities) un outil d’évaluation comportementale de la douleur (Enninga et coll., 2023renvoi vers) en sachant que la même équipe avait montré que l’utilisation d’outils développés en pédiatrie n’est pas applicable dans la population des adultes avec PIMD (van der Putten et Vlaskamp, 2011renvoi vers).

En pratique reconnaît-on la douleur ?

Savoir reconnaître la douleur, l’évaluer et évaluer l’efficacité des traitements proposés est reconnu comme prioritaire aussi bien pour les soignants que pour les parents des personnes polyhandicapées. Ainsi dans une étude internationale récente (Diskin et coll., 2022renvoi vers) menée auprès de 49 médecins (neuropédiatres, médecins de médecine physique et réadaptation, pédiatres généralistes, orthopédistes, neurochirurgiens, médecins de soins palliatifs, gastroentérologues, pneumologues) et 12 aidants familiaux auprès d’enfants avec atteinte neurologique sévère et une situation médicale complexe, la douleur et l’irritabilité sont ressorties comme la première thématique d’intérêt de recherche (Diskin et coll., 2022renvoi vers). Préalablement, dans le cadre du développement du Profil Pédiatrique de la Douleur, l’équipe de Hunt et coll. avait mené une étude qualitative auprès de familles de 21 enfants avec atteinte neurologique sévère (paralysie cérébrale sévère, atteinte neurologique sévère post-traumatique, maladies neurodégénératives) et de 26 soignants (Hunt et coll., 2003renvoi vers). Il était souligné dans cette étude que la reconnaissance et l’évaluation de la douleur nécessitaient d’une part bien évidemment des connaissances médicales (aussi bien s’agissant de l’identification des symptômes s’y rapportant, de la recherche des causes pouvant être à l’origine de la douleur, des traitements proposés et leur évaluation, que dans la capacité à être à l’écoute des familles et proches aidants), et d’autre part une connaissance de l’enfant (les parents et proches aidants étant alors souvent les mieux placés pour apporter des informations d’intérêt), et plus généralement des personnes polyhandicapées (Hunt et coll., 2003renvoi vers).
S’agissant de la reconnaissance de la douleur par les soignants professionnels, Oberlander et coll. (2001renvoi vers) ont ainsi mené une enquête auprès de 50 professionnels non médicaux (16 infirmières, 23 kinésithérapeutes ou ergothérapeutes, 4 orthophonistes), dont 58 % avaient plus de 6 ans d’ancienneté, et qui s’occupaient au quotidien majoritairement d’enfants avec déficience intellectuelle sévère (Oberlander et O‘Donnell, 2001renvoi vers). Soixante et onze pour cent des soignants rapportaient la présence d’une douleur quotidienne (en rapport avec l’alitement pour 41 % d’entre eux, la position assise exclusive pour 88 %, lors des transferts pour 61 %, la prise alimentaire pour 47 %, les soins bucco-dentaires pour 66 %), et 79 % signalaient l’existence de soins « invasifs » au quotidien (sonde nasogastrique, prises de sang, soins dentaires, soins orthopédiques) qu’ils estimaient dans 75 % des cas comme douloureux et dans 65 % des cas comme engendrant des douleurs intenses. Cependant, ces soignants estimaient seulement dans 20 % des cas que la douleur était clairement exprimée par les patients et ainsi dans 69 % des cas ils estimaient ne pas bien en estimer l’intensité. Chez l’adulte, un travail de thèse en sciences infirmières rapportait également la nécessité d’utiliser des outils d’hétéro-évaluation adaptés même s’ils sont peu nombreux à être validés dans cette population, mais également d’avoir une bonne connaissance des signes comportementaux évocateurs et donc soulignait l’importance d’avoir une formation spécifique – au cours des études infirmières sur la prise en soins des personnes polyhandicapées – et la nécessité d’une collaboration avec les proches aidants familiaux ou institutionnels dans cette évaluation (Dupuis et Brovarone, 2017renvoi vers).
Concernant les médecins, une étude menée en Suisse auprès de 480 pédiatres (177 libéraux, 303 hospitaliers, 19 en exercice mixte) avec un taux de réponse de 25,5 % (121 réponses) qui s’occupent d’enfants polyhandicapés (51,2 % plus d’une fois par mois), retrouvait que pour 20 % de ces médecins, ces enfants avaient plus fréquemment des douleurs par rapport aux enfants de la « population générale ». Pour 25 % des pédiatres, ces douleurs étaient moins bien tolérées tandis que pour 25 % d’entre eux la tolérance était considérée comme meilleure. Les pédiatres estimaient dans la majorité des cas (90 %) que plus l’atteinte neurologique est sévère, plus la douleur est difficile à reconnaître. Ils reconnaissaient que la douleur chez les enfants polyhandicapés avait bien une composante émotionnelle dans 78,5 % des cas, mais 52 % des médecins estimaient que son expression était alors différente des enfants sans atteinte neurologique. Concernant l’évaluation de la douleur, 95 % estimaient qu’elle était sous-évaluée. Si plus de la moitié (52,1 %) soulignaient l’importance d’utiliser des échelles adaptées, à peine la moitié (49,6 %) d’entre eux connaissaient des outils (FLACC, DESS) et 51,2 % n’en utilisaient jamais. Concernant la gestion de la douleur, 80 % des professionnels estimaient qu’elle n’était pas prise en charge et traitée, et 60 % estimaient que les enfants polyhandicapés avaient besoin de plus de médicaments antalgiques, dont l’efficacité leur semblait moindre. Les pédiatres identifiaient comme frein à la mise en œuvre de soins adaptés les difficultés de communication de l’enfant (84 %), leur manque d’expérience (72 %) et plus généralement leur manque de connaissance de la population des enfants polyhandicapés (72 %). Leurs craintes concernant la mise en œuvre d’une analgésie adaptée concernaient d’une part le risque de masquer la cause de la douleur et donc de ne pas la traiter de façon adaptée (68 %), la crainte qu’une addiction se développe (17 %), la crainte des effets indésirables (28 %) et de façon plus fréquente la crainte d’une dépression respiratoire sous opioïdes (46 %), mais également la difficulté à gérer les réticences parentales vis-à-vis des traitements (27 %) (Petigas et Newman, 2021renvoi vers).
On retient de ces données que s’il existe des outils d’évaluation de la douleur chez la personne polyhandicapée, les outils dans la population adulte méritent d’être développés et/ou évalués spécifiquement, et par ailleurs leur dissémination et leur vulgarisation auprès des soignants (médicaux et paramédicaux) ainsi que la formation à leur utilisation sont à encourager, avec également l’encouragement des évaluations croisées.

Traitement

Le traitement de la douleur commence par sa reconnaissance, l’évaluation de son intensité, mais aussi la recherche de la cause, avec un examen physique détaillé aussi bien des yeux (recherche d’un ulcère de cornée, d’un glaucome), que des dents (recherches de caries, abcès, gingivite), de l’appareil digestif (recherche d’un reflux gastro-œsophagien, de constipation, de ballonnements, de problèmes en lien avec une gastrostomie), de la peau (recherche d’escarres), orthopédique (recherche de fracture non traumatique, d’une luxation de hanches) mais aussi des aides techniques et matériels éventuels implantés (recherche d’une dysfonction de valve ventriculopéritonéale, vérification du matériel d’ostéosynthèse et des appareillages). Il conviendra alors bien évidemment de traiter spécifiquement la cause (Hauer et Houtrow, 2017renvoi vers ; Avez-Couturier et coll., 2018renvoi vers). Cependant, cette enquête étiologique et la prise en charge de la cause identifiée ne doivent pas faire retarder la mise en œuvre d’un traitement symptomatique de la douleur.
Les recommandations de l’Afssaps de 2009 (Afssaps, 2009renvoi vers), révisées en 2016, concernant le non recours à la codéine sont ici applicables. L’utilisation des solutions sucrées chez le nourrisson de moins de 6 mois, l’anesthésie locale topique à la lidocaïne et l’utilisation du mélange oxygène-protoxyde d’azote (MEOPA) en prévention des soins douloureux sont notamment recommandées.
Pour les douleurs légères, il est recommandé d’utiliser des antalgiques non opiacés en première intention, et pour les douleurs modérées à sévères on utilisera des antalgiques opiacés en adaptant les doses à l’intensité de la douleur mais également en étant vigilant au risque d’interactions avec les traitements de fond du patient. La monothérapie sera privilégiée tant que faire se peut. Des études pharmacologiques, prenant en compte notamment ces interactions sont nécessaires.
On retiendra également que dans le cas des douleurs neuropathiques, anciennement l’Afssaps (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé) – aujourd’hui l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé) – recommande l’usage de la gabapentine ou de l’amitryptiline et par extension dans le cadre des douleurs chroniques d’étiologie indéterminée dans cette population, notamment possiblement viscérales, le recours à la gabapentine a été rapporté (Afssaps, 2009renvoi vers ; Hauer et Houtrow, 2017renvoi vers ; Avez-Couturier et coll., 2018renvoi vers). En cas d’échec de ces traitements de douleurs neuropathiques, le recours à une association avec des morphiniques ou de la clonidine, voire les cannabinoïdes, est rapporté mais nécessite d’être plus amplement étudié dans la population polyhandicapée (Hauer et Houtrow, 2017renvoi vers). S’agissant de cette situation clinique de douleur d’origine indéterminée dans cette population, une équipe (Siden et coll., 2013renvoi vers) a notamment étudié la variabilité d’attitude thérapeutique chez 6 médecins expérimentés auprès d’enfants avec atteinte neurologique sévère d’une même unité. Ces praticiens confrontés à un cas clinique fictif n’avaient pas la même attitude thérapeutique que ce soit en termes de classe pharmacologique ou de séquence d’utilisation des traitements. À partir des données de cette première partie d’étude, les auteurs proposaient un protocole d’évaluation et de traitement des causes et traitement symptomatique de la douleur et l’appliquaient ensuite à un petit groupe d’enfants avec atteinte neurologique sévère, pour lesquels la mise en œuvre du protocole n’aboutissait à la mise en place d’un traitement antalgique spécifique que pour 3 enfants. Les auteurs soulignaient ainsi l’importance et la faisabilité d’une démarche diagnostique et thérapeutique protocolisée dans cette population (Siden et coll., 2013renvoi vers).
Au-delà des thérapeutiques médicamenteuses, les méthodes non pharmacologiques du fait de leur effet notamment sur les composantes comportementale et émotionnelle de la douleur, sont également très importantes. L’hypno-analgésie et la distraction font partie des méthodes psychocorporelles et si leur application auprès de personne ayant un âge développemental de plus de 4 ans est avérée, elles sont insuffisamment étudiées chez les patients polyhandicapés (Avez-Couturier et coll., 2018renvoi vers). Il en est de même des techniques de toucher-massage, musicothérapie, balnéothérapie, approche sensori-motrice, des thérapies assistées par l’animal (chiens), etc. (Goumas et coll., 2014renvoi vers ; Lima et coll., 2014renvoi vers ; Dufour, 2018renvoi vers). Il est donc nécessaire d’encourager des études cliniques portant sur l’évaluation des effets de ces mesures associées non pharmacologiques, en vue de permettre justement une épargne médicamenteuse pour ces patients polymédicamentés.

Conclusion

La douleur est donc un symptôme fréquent dans la population polyhandicapée et toute modification de l’état habituel de la personne devra faire questionner la présence éventuelle d’une douleur, nécessitant alors la mise en œuvre d’un processus d’évaluation tant de son intensité en s’appuyant sur des échelles adaptées, que de ses origines en vue de la soulager de façon adaptée. Cette démarche nécessite l’implication des différents acteurs impliqués auprès de la personne polyhandicapée, aussi bien professionnels qu’aidants proches, dans une approche globale de la personne aussi bien corporelle en lien avec les différents organes pouvant être à l’origine de douleur, que psychique mais aussi de son environnement. Cette approche palliative, globale et intégrée, de la personne polyhandicapée et notamment dans la gestion de la douleur qu’elle peut être amenée à expérimenter, permettra également de prévenir au maximum les situations potentiellement douloureuses futures (Pfister, 2002).

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