Pesticides et effets sur la santé
Nouvelles données
2021
Avant-propos
Les questions de santé publique que pose l’usage des pesticides sont
nombreuses et concernent des pathologies et populations multiples, notamment les
consommateurs, les résidents de zones agricoles, les travailleurs du secteur
agricole mais aussi d’autres secteurs tels que les employés des parcs et jardins et
les particuliers qui recourent à ces produits dans leur foyer. Au cours de la
dernière décennie, les controverses relatives aux pesticides se sont surtout
multipliées en lien avec leurs usages agricoles et leurs effets sur la santé des
agriculteurs, des riverains des parcelles agricoles et des consommateurs de produits
traités. Les inquiétudes liées à ces expositions se sont considérablement accrues.
Largement relayées par les médias spécialisés et généralistes, elles revêtent des
dimensions inextricablement scientifiques et politiques.
En avril 2018, l’Inserm a été saisi par cinq directions de l’État en vue
d’actualiser les données contenues dans le rapport d’expertise collective intitulé
« Pesticides : Effets sur la santé », publié par l’Institut en 2013. Au cours des
six années passées, de nombreuses études ont en effet été publiées dans la
littérature scientifique sur les liens entre l’exposition aux pesticides et la santé
humaine.
Ce rapport s’appuie sur ces nouvelles données pour dresser un bilan
actualisé des connaissances relatives aux liens entre exposition aux pesticides et
santé humaine. Il a été rédigé par un groupe de 12 experts de plusieurs disciplines
(épidémiologie, toxicologie, expologie et sociologie). Outre ce bilan général
portant sur l’ensemble des pesticides, il répond également à deux demandes plus
spécifiques de ses commanditaires, relatives à deux substances particulièrement
controversées ces dernières années : le glyphosate, dont l’éventuel renouvellement
d’autorisation fait actuellement l’objet de discussions au niveau communautaire ; et
le chlordécone, insecticide longtemps utilisé en Guadeloupe et en Martinique et
soupçonné d’être à l’origine de cas de cancers de la prostate. Les fongicides
inhibiteurs de la succinate déshydrogénase ou SDHi, qui font actuellement l’objet
d’un débat, ont été également abordés dans un chapitre spécifique.
Le groupe d’experts a sélectionné les pathologies ou évènements de santé
pour lesquels suffisamment de nouvelles données ont été publiées au cours des six
dernières années pour justifier un travail d’actualisation de l’expertise collective
de 2013. Pour certains, lorsque les résultats étaient assez solides, le groupe
d’experts a décidé de faire une mise à jour des connaissances sur le domaine qui a
évolué pendant cette période ; et pour d’autres, lorsque les résultats étaient plus
fragiles, ou s’il y avait peu de publications, l’ensemble des données produites
depuis 2013 a été analysé. Des pathologies qui n’avaient pas pu être abordées en
2013 et pour lesquelles des données sont désormais disponibles, ont été considérées
(cancer du sein, cancers du rein et de la vessie, sarcomes des tissus mous et des
viscères, pathologies respiratoires, pathologies de la thyroïde et endométriose).
Pour chaque pathologie ou évènement de santé d’intérêt pour cette expertise, le
groupe s’est d’abord appuyé sur les données issues d’enquêtes épidémiologiques
portant sur des populations exposées aux pesticides. En vue d’identifier des
relations plus spécifiques entre les problèmes de santé étudiés et certaines
substances actives, le groupe d’experts s’est ensuite appuyé sur les résultats des
études toxicologiques.
Pour chacune des pathologies ou évènements de santé, après une rapide
définition et quelques éléments de contexte, les résultats de l’expertise collective
de 2013 sont résumés. Les nouvelles études épidémiologiques publiées depuis sont
analysées ainsi que les données toxicologiques qui permettent d’évaluer la
plausibilité biologique d’un effet de certaines substances actives. Ces études
toxicologiques peuvent également mettre en exergue certaines substances dont le
mécanisme d’action apparaît compatible avec le développement de la pathologie et
pour lesquelles des études épidémiologiques devraient être
envisagées.
Comme pour l’expertise collective Inserm de 2013, les résultats de
l’analyse des études épidémiologiques sont synthétisés sous forme de tableaux ; la
présomption d’un lien entre l’exposition aux pesticides et la survenue d’une
pathologie est appréciée à partir des résultats des études mentionnées en dessous de
chacun des tableaux : présomption forte (++), présomption moyenne (+) et présomption
faible (±).
Les niveaux de présomption sont évalués selon les grandes lignes
suivantes qui sont adaptées de Wigle et coll. (2008) et d’un rapport de l’Académie
nationale de médecine des États-Unis (anciennement US Institute of Medicine)
publié en 20001
, et qui ont été également utilisées dans l’expertise collective
Inserm de 2013 :
• (++) la présomption du lien est forte s’il existe une méta-analyse de
bonne qualité qui montre une association statistiquement significative, ou plusieurs
études de bonne qualité et d’équipes différentes qui montrent des associations
statistiquement significatives ;
• (+) la présomption du lien est moyenne s’il existe au moins une étude
de bonne qualité qui montre une association statistiquement
significative ;
• (±) la présomption du lien est faible si les études ne sont pas de
qualité suffisante ou sont incohérentes entre elles ou n’ont pas la puissance
statistique suffisante pour permettre de conclure à l’existence d’une
association.
Ces niveaux de présomption représentent un cadre de raisonnement mais ne
sont pas dogmatiques et peuvent être modulés en fonction du jugement du groupe
d’experts. Par exemple, s’il existe une méta-analyse mais avec un nombre insuffisant
d’études ou avec des études hétérogènes, le groupe d’experts se réserve la
possibilité de lui accorder peu de poids dans l’évaluation de la présomption du
lien. Inversement, une étude cas-témoins rigoureuse reposant sur une très bonne
caractérisation de l’exposition peut être considérée comme plus informative et plus
robuste que plusieurs études de cohorte de qualité moyenne où la caractérisation de
l’exposition reposerait sur un questionnaire.
De plus, un grand nombre de résultats associant la survenue d’une
pathologie à l’exposition professionnelle à une substance active est issu de la
cohorte américaine Agricultural Health Study (AHS), ce qui lui donne un poids
important dans l’évaluation du niveau de présomption du lien pour de nombreuses
substances actives. Il s’agit d’une étude clé sur le sujet compte tenu de son schéma
prospectif et de sa taille. Toutefois, comme toute étude, elle comporte certaines
limites : i) les 50 pesticides analysés (essentiellement des insecticides ou
des herbicides) reflètent les spécificités agricoles de l’Iowa et de la Caroline du
Nord (principalement des grandes cultures et des élevages) ; ii) les
personnes exposées aux pesticides sont essentiellement des hommes agriculteurs
blancs dont les tâches majeures associées à l’exposition sont les traitements
(absence de prise en compte des contacts indirects avec les substances notamment
lors de tâches de ré-entrée dans les cultures) ; iii) l’identification des
pesticides utilisés se fait uniquement par déclaration personnelle (questionnaires
avec les noms des matières actives avec des exemples indicatifs de noms de
spécialités commerciales). Les résultats apportés par cette cohorte sont donc
pondérés en fonction de la qualité et du nombre d’études disponibles et des
spécificités liées à la pathologie étudiée, les limites évoquées pouvant avoir plus
ou moins d’importance.
Les données toxicologiques issues de la littérature scientifique sont
analysées pour évaluer la plausibilité biologique d’un lien entre l’exposition à une
substance active et la survenue de la pathologie mais également pour alerter sur des
effets non observés ou non recherchés en épidémiologie. Ces données sont issues des
domaines de la biochimie, de la biologie cellulaire, de la génétique, de
l’histologie et de la physiologie qui utilisent des modèles in silico, in
vitro et in vivo (modélisation moléculaire, lignées cellulaires et de
tissus, expérimentation animale). Ont été prises en compte i) la pertinence
des modèles expérimentaux, ii) les doses d’exposition des produits
phytopharmaceutiques et biocides et iii) la cohérence des résultats sur les
mécanismes explicatifs des effets toxiques. Un des objectifs de cette démarche
consiste à rechercher des voies d’effets indésirables (AOP – adverse outcome
pathway) pour un agent chimique, c’est-à-dire décrire une séquence logique
d’évènements liés de façon causale à différents niveaux d’organisation biologique
provoqués par l’exposition à cet agent et qui conduit à un effet néfaste sur la
santé des humains ou de la faune.
Cette expertise commence par une analyse sociologique de la montée des
préoccupations concernant les pesticides et la présentation des connaissances sur
l’exposition aux pesticides de la population française. Ensuite, l’analyse est
structurée en quatre parties. La première partie comprend l’exploration du lien
entre l’exposition aux pesticides et la survenue de troubles du développement
neuropsychologique et moteur de l’enfant, et une section sur des pathologies
neurologiques de l’adulte comprenant les troubles cognitifs, les troubles
anxio-dépressifs et des pathologies neurodégénératives (maladie d’Alzheimer, maladie
de Parkinson et sclérose latérale amyotrophique). La deuxième partie aborde les
pathologies cancéreuses de l’enfant et de l’adulte, et fait un focus sur le
chlordécone dans le cas du cancer de la prostate. La troisième partie est consacrée
aux autres évènements de santé analysés pour la première fois dans cette expertise
(la santé respiratoire, les pathologies thyroïdiennes et l’endométriose). Enfin, la
quatrième partie est consacrée à une substance et à une famille de substances
particulières : le glyphosate et les fongicides inhibiteurs de la succinate
déshydrogénase ou SDHi.
Ce document présente les différents chapitres qui s’appuient sur
l’analyse de la littérature effectuée par les experts dans chacune de leurs
disciplines à partir de la bibliographie qui a été mise à leur disposition. L’apport
complémentaire d’intervenants extérieurs venus présenter leurs travaux apparaît sous
la forme de communications en fin d’ouvrage2
. L’analyse est précédée d’une synthèse élaborée et validée
collectivement par le groupe d’experts.
Dans la synthèse, les résultats sont résumés dans des tableaux où les
zones grisées indiquent les données nouvelles par rapport aux données de l’expertise
2013. Pour plus de concision, les tableaux par familles ou substances actives ne
présentent, sauf exception, que les substances ayant un niveau de présomption fort
ou moyen. Les familles ou substances avec un niveau de présomption faible sont
mentionnées dans le texte. Le terme « sans distinction » signifie que dans les
études, il n’a pas été possible de distinguer les familles de pesticides ou les
substances actives impliquées.
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