Pesticides et effets sur la santé
Nouvelles données
2021
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Montée des préoccupations relatives aux effets
des
pesticides sur la santé
Les pesticides, un terme générique dérivé du latin «
pestis » (fléau)
et «
caedere » (tuer), sont largement utilisés en agriculture afin
d’améliorer les rendements, la qualité et l’aspect des produits en
détruisant des organismes jugés nuisibles tels que des insectes, des
champignons ou des plantes adventices
1
La présentation du classement et des différentes
familles chimiques de pesticides (insecticides, fongicides,
herbicides, organochlorés, organophosphorés, thiocarbamates,
pyréthrinoïdes...) ne sera pas reprise dans ce document et les
lecteurs sont invités à se reporter à la synthèse ou au chapitre 1
« Notions générales sur les pesticides et sur leurs utilisations en
France » de l’expertise collective « Pesticides : Effets sur la
santé » de 2013.
.
Si des inquiétudes relatives aux effets des pesticides sur la santé humaine
sont documentées de longue date par des travaux historiques, les conflits
politiques relatifs à ces enjeux ont pris une acuité sans précédent dans
notre pays. Ces conflits sont alimentés à la fois par des mobilisations
protestataires et par la concurrence entre administrations pour le contrôle
des politiques publiques dédiées à la protection des populations exposées à
ces produits.
Ces mobilisations françaises sont d’abord apparues dans le champ de la santé
au travail. La transformation de cas isolés de travailleurs malades en une
cause commune d’agriculteurs s’estimant victimes des pesticides a été rendue
possible par l’appui qu’ils ont reçu auprès de leurs familles, de militants
environnementalistes et de professionnels du droit, qui les ont aidés à
fonder l’association Phyto-Victimes en 2011. Aujourd’hui, plusieurs
associations dénoncent les dangers des pesticides sur la santé des
travailleurs agricoles ou des salariés de l’agro-alimentaire en exigeant une
réparation du tort subi, et en exigeant un plus strict contrôle de ces
produits. L’émergence de cet enjeu de revendication est le produit de
plusieurs dynamiques sociologiques et politiques conjointes, en particulier
la perte d’influence des syndicats agricoles historiques et du modèle
productiviste agricole, et les mutations des familles d’agriculteurs où
circule de plus en plus une parole critique sur les pesticides.
Parallèlement, des groupes de riverains se sont également constitués dans
les zones d’arboriculture et de viticulture pour exiger la limitation des
épandages à proximité de leurs lieux de résidence. Ces divers mouvements
sociaux sont connectés à ceux qui militent en faveur de l’alimentation
biologique et dénoncent les dangers des pesticides de synthèse.
L’ensemble de ces mutations sociales, économiques et politiques des zones
rurales et agricoles a contribué à rendre visibles les effets des pesticides
sur la santé, au-delà des seules publications scientifiques en épidémiologie
ou en toxicologie. Les mouvements sociaux qu’elles ont alimentés ont été
largement couverts par les médias d’information généralistes, en particulier
à l’occasion d’affaires judiciaires qui permettent aux journalistes de
mettre en récit des enjeux médicaux complexes, en se focalisant par exemple
sur l’opposition entre les populations exposées aux pesticides et les firmes
qui mettent ces produits sur le marché. De manière plus générale, les
mobilisations d’agriculteurs et de riverains dénonçant les dangers des
pesticides ont eu pour effet d’inscrire durablement cette problématique dans
l’agenda politique, et d’en faire un sujet central des discussions relatives
à l’avenir des filières agricoles, comme l’ont montré les états généraux de
l’alimentation en 2017.
Dans ce contexte, un nombre croissant d’institutions publiques se sont
saisies de cet enjeu, bien au-delà des acteurs administratifs du monde
agricole qui en ont eu historiquement la charge. Le contrôle administratif
de ces produits a longtemps été principalement exercé par les institutions
agricoles mais cette situation a considérablement évolué, et des
institutions extérieures au champ de l’agriculture, telles que l’Agence
française de sécurité sanitaire de l’alimentation (Afssa), qui a fusionné
avec l’Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du
travail (Afsset), et qui est devenue ensuite l’Agence nationale de sécurité
sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), ont
pris une place de plus en plus importante dans ce secteur d’action publique.
De manière générale, la période contemporaine constitue, pour les pouvoirs
publics, un moment de profondes interrogations sur la manière dont les
risques des pesticides sont évalués et gérés.
L’accumulation de données scientifiques probantes sur les liens entre
pesticides et santé humaine exacerbent les conflits sociaux et politiques
autour des pesticides et des modalités de leur contrôle. En effet, les
données scientifiques produites au cours des dernières années (articles
publiés dans des revues scientifiques, études menées par les industriels ou
par des organismes de recherche sous contrat mandatés par les
industriels...) sur les liens entre pesticides et santé apparaissent souvent
contradictoires et ne permettent pas de déterminer des moyens d’action
simples pour résoudre les éventuels problèmes identifiés.
L’évaluation réglementaire des risques des pesticides repose principalement
sur des données de toxicologie expérimentale. Ces données visent à établir
pour chaque substance active une dose acceptable d’exposition humaine, et à
déterminer les conditions d’utilisation permettant un usage contrôlé des
préparations commerciales qui les contiennent. Les modalités de cette
évaluation des risques ont évolué au fil du temps vers une codification
toujours plus précise. Celle-ci est le produit d’une histoire transnationale
dans laquelle se mêlent la science, la politique et l’économie. Les
discussions conduites au sein de l’Organisation de coopération et de
développement économiques (OCDE) ont conduit à l’adoption de lignes
directrices définissant les modalités devant être suivies pour produire des
données de toxicité recevables en vue d’évaluer les risques des pesticides
préalablement à leur mise sur le marché. À cette harmonisation
internationale s’est ajouté un effort d’harmonisation au sein de l’Union
européenne. L’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa), qui
évalue les risques des substances actives par voie alimentaire, a ainsi
défini un ensemble de lignes directrices s’imposant à l’ensemble des États
membres, même si ceux-ci conservent une marge de manœuvre en matière
d’évaluation des risques des préparations commerciales. Cette évaluation
réglementaire des risques a permis de produire, de façon systématique, de
nombreuses données de toxicité pour l’ensemble des pesticides
commercialisés. Pour autant, elle a été soumise, depuis quelques années, à
de nombreuses critiques. Certaines d’entre elles, portées notamment par des
mouvements sociaux environnementalistes, dénoncent son opacité et une
interprétation trop extensive du secret commercial. D’autres mettent en
avant le poids des industriels du secteur et de certaines sociétés savantes
qu’ils financent dans les négociations préalables à l’adoption des lignes
directrices et le biais qui peut en découler en leur faveur. Par ailleurs,
les données de toxicité produites par les industriels dans le cadre de
l’évaluation des risques permettent surtout d’objectiver les effets
d’exposition aux pesticides pris individuellement, et sont insuffisantes
pour évaluer les effets d’expositions diffuses et simultanées à une
multiplicité de produits. De même, certains facteurs comme les effets
transgénérationnels ou le dimorphisme sexuel, apparaissent peu ou mal pris
en considération dans l’évaluation des risques des pesticides. De manière
générale, plusieurs travaux de sciences sociales soulignent le risque d’une
séparation croissante entre la toxicologie « réglementaire », encadrée par
les lignes directrices de l’OCDE ou des agences d’évaluation des risques des
pesticides, d’une part, et la recherche académique en toxicologie.
À l’instar de ce qui s’est développé dans d’autres domaines, une autre source
de connaissances relatives aux effets des pesticides sur la santé humaine
est apparue : les études épidémiologiques qui utilisent une approche
observationnelle des populations et des outils statistiques permettant
d’identifier des facteurs de risque pour la santé humaine.
Les publications issues de ces recherches ont constitué un important signal
d’alarme sur les risques liés à l’exposition aux pesticides. Elles ont, en
particulier, montré une sur-incidence de la maladie de Parkinson, de
certaines hémopathies malignes, et du cancer de la prostate parmi les
populations de travailleurs agricoles exposés aux pesticides. Cependant, ces
données épidémiologiques restent faiblement prises en compte dans les
procédures réglementaires d’évaluation des risques des pesticides, les
agences en ayant la charge mettant souvent en avant leurs limites
méthodologiques. Afin d’obtenir des données d’exposition plus précises et/ou
moins biaisées et des résultats plus robustes, des épidémiologistes ont
développé, en absence de données structurées et organisées sur les usages
réels des pesticides, des matrices culture-exposition permettant d’établir,
pour chaque culture, une probabilité, une fréquence et une intensité de
l’exposition à chaque pesticide, ainsi que des outils de dosimétrie active
ou passive. Ils ont mis en place des enquêtes prospectives de cohorte qui
permettent un suivi sur un temps long des populations exposées. Si ces
innovations ouvrent la perspective de données épidémiologiques plus
facilement interprétables, il reste que les données actuellement disponibles
soulèvent de nombreuses questions sans pouvoir toujours apporter de réponse
définitive.
Cette littérature a nourri une montée des préoccupations relatives aux effets
des pesticides sur la santé des populations, et la saisine qui est à
l’origine de cette expertise collective se trouve à la confluence de
l’ensemble de ces éléments.
Exposition aux pesticides de la population
française
Les données disponibles sur la contamination environnementale font état de la
présence généralisée de pesticides ou de leurs métabolites et produits de
dégradation sur le territoire. Les sources de contamination sont multiples :
traitement des cultures, des animaux ou des bâtiments d’élevage ou de
stockage dans le secteur agricole qui est le principal consommateur de
pesticides en France (90 % des quantités vendues), leur utilisation non
agricole dans le cadre de l’entretien des infrastructures de transport
(routes, chemins de fer, aéroports...), les usages domestiques
(antiparasitaires, lutte contre les insectes...), le traitement des bois...
Des mesures récentes visant à réduire certaines sources ont été prises avec
l’interdiction de l’utilisation des pesticides de synthèse pour l’entretien
des espaces publics en 2017 (parcs, espaces verts...), et par les
particuliers en 2019.
Contamination des environnements
extérieurs
En 2017, des pesticides sont retrouvés dans 80 % des masses d’eaux
souterraines, avec environ un quart d’entre elles dépassant le seuil
réglementaire de 0,5 µg/l pour la somme des pesticides et de leurs
métabolites détectés et quantifiés. Parmi les près de 300 substances
recensées, la moitié sont des herbicides et 40 % sont des substances
actuellement interdites. La contamination des eaux de surface est
également généralisée avec, entre 2015 et 2017, 84 % des points de
mesures dépassant au moins une fois le seuil de 0,1 µg/l pour la
concentration de chaque pesticide pris isolément. Les dépassements
réguliers concernent plus d’un quart des points de mesure nationaux.
Pour ce qui concerne les milieux marins, alors que les niveaux de
pesticides organochlorés ont été nettement réduits récemment, la
contamination par le chlordécone aux Antilles françaises demeure un
sujet de préoccupation.
La contamination de l’air extérieur est relativement bien documentée,
mais comme pour pratiquement tous les autres pays, il n’existe pas de
valeurs réglementaires pour ce milieu. La base PhytAtmo, regroupant les
données de 2002 à 2017, montre qu’entre 40 et 90 substances actives sont
détectées annuellement, dans les zones rurales ou urbaines, à des
concentrations variables. Une campagne exploratoire nationale en 2018 a
analysé 75 pesticides dans des échantillons d’air prélevés sur 50 sites.
Les substances les plus fréquemment détectées sont plusieurs herbicides
(glyphosate, prosulfocarbe, S-métolachlore, pendiméthaline et
triallate), des insecticides (chlorpyrifosméthyl et lindane), et des
fongicides (chlorothalonil et folpel). L’étude a permis de prioriser des
analyses approfondies sur le lindane (détecté dans près de 80 % des
échantillons), et la surveillance systématique de 32 substances, dont
9 interdites.
Les sols sont également concernés, mais en l’absence de surveillance
réglementaire, les données sont parcellaires. Des niveaux localement
élevés de lindane et d’atrazine ont été mis en évidence dans le Nord en
2008, et une étude récente menée dans les Deux-Sèvres montre la présence
de l’herbicide diflufénican, de l’insecticide imidaclopride, et des
fongicides boscalide et époxiconazole dans plus de 80 % des échantillons
de sols de prairies et de cultures de céréales.
Des efforts de structuration et d’organisation des données sur la
contamination des environnements ont été déployés par des organismes et
réseaux nationaux ces dernières années. Ces efforts restent nécessaires
et doivent être soutenus pour assurer l’exhaustivité et la
représentativité géographique et temporelle de ces données.
Contamination de la chaîne
alimentaire
Les denrées alimentaires sont encadrées par des dispositifs de
réglementation et de surveillance fixant, entre autres, les limites
maximales de résidus (LMR) de pesticides. En 2016, une analyse par
l’Efsa de près de 7 000 échantillons d’aliments sur le marché français
(la moitié d’origine française) montre que 6,4 % sont non conformes,
dépassant la LMR pour au moins un pesticide. Selon les connaissances
scientifiques actuelles, l’agence a conclu que i) pour une
exposition aiguë aux pesticides, la probabilité d’être exposé à des
résidus de pesticides dépassant des concentrations susceptibles
d’entraîner des effets négatifs sur la santé est faible et que
ii) l’exposition alimentaire à long terme aux pesticides
surveillés était peu susceptible de présenter un risque pour la santé
des consommateurs. Il faut cependant noter que les études scientifiques
sur l’exposition chronique et les effets à long terme sont peu
nombreuses et particulièrement complexes à réaliser. En France, les
études de l’alimentation totale (EAT) ont analysé les aliments du marché
français et « tels que consommés ». Dans le cadre de l’EAT2 en 2011, une
analyse d’environ 300 pesticides dans plus de 1 200 échantillons montre
que 37 % présentent au moins un résidu détecté. Cependant, un seul
scénario d’exposition (au diméthoate dans le cas d’une consommation
importante de cerises) présente un risque de dépassement de la dose
journalière admissible. L’EAT infantile (EATi) présente en 2016 une
analyse des produits destinés à l’alimentation des enfants. Parmi les
309 échantillons analysés pour 469 substances, 67 % présentent au moins
un résidu détecté mais une évaluation de risque n’identifie aucun
pesticide en particulier. Bien que les risques potentiels liés à
l’alimentation semblent maîtrisés selon l’état des connaissances
actuelles, les analyses sur lesquelles les évaluations se fondent ne
prennent pas en compte l’impact des mélanges de pesticides (« effets
cocktails »). Il existe donc un besoin d’acquisition de données et de
modèles intégratifs pour mieux refléter la complexité des
expositions.
Contamination des environnements
intérieurs
Les usages domestiques des pesticides peuvent entraîner une exposition
directe des personnes occupant le domicile lors de l’utilisation, et la
contamination de l’environnement intérieur puisque les substances
peuvent subsister dans l’air et les poussières. Longtemps négligée, la
contribution de cette source d’exposition apparaît pourtant importante
pour la population française. L’usage des pesticides par les
particuliers a été examiné dans l’étude Pesti’home, qui montre que 75 %
des ménages rapportent avoir utilisé des pesticides au cours de l’année
précédente, dont notamment des insecticides pyréthrinoïdes (perméthrine,
cyperméthrine et tétraméthrine). Les foyers dans lesquels ils sont
utilisés le plus fréquemment sont aussi souvent ceux où leur nombre est
important, et dans plus d’un quart des foyers au moins un produit
interdit est stocké. Ces constats devraient inciter à plus de vigilance
et à diffuser l’information auprès du grand public quant à l’usage et au
stockage de ces produits.
La contamination des environnements intérieurs est majoritairement le
résultat des usages directs de pesticides dans le lieu de vie, de
l’émanation des substances à partir des matériaux traités et de la
contamination de l’air extérieur. Des études menées par deux
observatoires nationaux dans les années 2000 font état d’une
contamination de l’air intérieur par des pesticides. Les substances les
plus présentes sont la perméthrine, le lindane et dans une moindre
mesure d’autres organochlorés (DDT/DDE, α-endosulfan), et des
organophosphorés (chlorpyrifos, diazinon, fenthion). La contamination
des environnements intérieurs a également été étudiée via les
poussières. Une étude dans des écoles (entre 2013 et 2017), ou dans des
logements accueillant des enfants (entre 2008 et 2009) montre la
présence de nombreux pesticides (perméthrine, lindane, DDE,
cyperméthrine et chlorpyrifos), avec des profils qui sont cohérents avec
ceux retrouvés dans l’air.
Contamination des lieux de vie et proximité des zones
agricoles
De nombreuses questions existent sur le niveau d’exposition aux
pesticides et les risques potentiels encourus par les populations
riveraines des zones agricoles. Une vingtaine d’études se sont
intéressées à ces questions utilisant soit des mesures des pesticides
dans différentes matrices (air, sols, urines), soit en considérant la
proximité aux zones agricoles comme un proxy de l’exposition.
Trois études françaises ont mesuré les pesticides agricoles dans les
poussières domestiques ou les urines des populations riveraines. De
nombreux pesticides d’origine agricole sont détectés, mais ces études ne
permettent cependant pas de conclure quant à une contribution importante
de l’activité agricole voisine à l’exposition, probablement en raison
d’un manque de précision temporelle. Des études nord-américaines sur
cette question présentant, elles aussi, des limites méthodologiques ont
conduit à des résultats peu concordants, avec la moitié d’entre elles ne
trouvant pas de corrélation entre la distance aux cultures et les
concentrations en pesticides dans les poussières des habitations.
D’autres études ont utilisé une méthodologie intégrant à la fois des
données spatiales et temporelles afin de caractériser plus précisément
les expositions. Ainsi, au Royaume-Uni, une étude n’a pas trouvé
d’augmentation des concentrations urinaires de pesticides chez les
personnes habitant à moins de 100 m des parcelles dans les 2 jours après
les traitements. Une étude en Wallonie a montré une diminution des
dépôts de pesticides dans les sols en fonction du temps et de la
distance aux zones traitées. Enfin, dans une étude sur les populations
riveraines des champs de fleurs aux Pays-Bas, les concentrations en
pesticides sont plus importantes à moins de 250 m des parcelles qu’à
plus de 500 m, surtout à l’extérieur des habitations mais également à
l’intérieur, et de façon plus marquée pendant les périodes
d’application. Il existe donc des données, bien que limitées, qui
suggèrent une influence de la proximité aux zones agricoles sur la
contamination par les pesticides du lieu de vie. Cette influence est
cependant variable selon les substances, leur mode d’application et les
matrices environnementales ou biologiques considérées pour estimer
l’exposition.
Dans les recherches existantes en lien avec la santé humaine, les études
s’appuient sur une approche considérant la proximité des lieux de vie
aux zones agricoles comme un proxy de l’exposition. Il s’agit
principalement d’études « écologiques » visant à corréler un effet de
santé mesuré dans des unités géographiques avec des indicateurs
d’activité agricole définis pour ces mêmes unités (densité de fermes,
surface en cultures, quantité de pesticides utilisés...) et d’études
cas-témoins s’appuyant sur la caractérisation de l’activité agricole au
voisinage des adresses de résidence géolocalisées. Ces approches ont
déjà été utilisées par exemple dans des études sur la maladie de
Parkinson, le cancer de la vessie, et le cancer du système nerveux
central, et elles sont utilisées dans deux études françaises en cours :
l’étude Geocap Agri sur les cancers de l’enfant, et la cohorte ELFE
(Étude Longitudinale Française depuis l’Enfance). Ces types d’études
présentent l’avantage de pouvoir inclure un grand nombre de
participants, d’être basées sur des indicateurs d’exposition objectifs
et elles sont généralement moins coûteuses que les études reposant sur
des questionnaires ou des tests analytiques pour estimer l’exposition.
En revanche, de par leur nature, elles présentent des limites
importantes en lien avec l’évaluation de l’exposition (évolution des
activités agricoles difficile à prendre en compte, historique
résidentiel rarement disponible, précision du géocodage peu discuté, non
prise en compte des usages de pesticides agricoles...), et l’absence de
données individuelles. L’affinement de ces approches devrait permettre
de progresser dans l’évaluation des expositions aux pesticides des
personnes au sein même de leur domicile et l’estimation des risques pour
la santé.
Biomesurage et imprégnation de la population générale
française
par les pesticides
La mesure de la concentration d’un pesticide ou de ses métabolites dans
des matrices biologiques est souvent considérée comme une méthode de
référence pour évaluer l’exposition. Les résultats informent sur la
charge corporelle d’une substance en intégrant l’ensemble des voies et
des sources d’exposition. On distingue les matrices internes (sang,
tissu adipeux...) des matrices externes (urines, fèces...). Les matrices
internes présentent un intérêt pour le dosage des composés persistants
avec une demi-vie de plusieurs semaines à plusieurs années. Cependant,
leur utilité pour caractériser des expositions passées est limitée à
quelques années ou mois précédant le prélèvement. S’agissant des
matrices externes, l’urine est la plus souvent utilisée, surtout pour le
dosage des composés avec une demi-vie de plusieurs jours à quelques
heures, mais pour interpréter les résultats il faut tenir compte de la
diurèse et la cinétique d’élimination. Il existe un intérêt croissant
pour des matrices externes alternatives. Les cheveux sont intéressants
car leur croissance permet également d’estimer la ou les périodes
d’exposition, mais l’interprétation des résultats est délicate car les
processus toxicocinétiques conditionnant l’accumulation sont peu connus.
Le méconium (les premières selles du nouveau-né) suscite un grand
intérêt pour examiner l’exposition fœtale aux substances, mais il est
confronté à ces mêmes difficultés. Grâce aux développements en chimie
analytique, un grand nombre de substances peuvent être identifiées et
quantifiées. Toutefois, la pertinence du choix de la matrice et des
substances à y mesurer offre encore un champ d’investigation important,
incluant l’identification des métabolites encore inconnus.
Les études s’intéressant à l’imprégnation de la population générale
constatent une exposition répandue à de multiples
pesticides
2
L’estimation des niveaux de contamination des
professionnels et les méthodes et outils de mesure de
l’exposition professionnelle sont décrits en détail dans
l’expertise de 2013 et ne seront pas ré-abordés
ici.
. Certaines de ces études sont d’envergure nationale
mais jusqu’à présent limitées à quelques familles chimiques. Le volet
environnemental de l’Étude nationale nutrition santé en 2006-2007 montre
des niveaux d’organochlorés comparables à ceux observés à l’étranger,
alors que pour les pyréthrinoïdes et, dans une moindre mesure, les
organophosphorés, les niveaux sont plus élevés qu’aux États-Unis ou en
Allemagne. De même, les études sur la cohorte nationale ELFE confirment
la présence généralisée en 2011 des pyréthrinoïdes et montrent une
exposition faible ou absente aux organophosphorés et aux triazines. Les
premiers résultats de l’étude ESTEBAN, portant sur plus de 3 500 adultes
et enfants, sont attendus en 2021 et enrichiront les connaissances dans
ce domaine.
Il existe aussi des études académiques, réalisées au niveau régional, qui
sont à la fois plus complètes en termes de couverture de pesticides mais
plus exploratoires compte tenu d’incertitudes liées aux matrices
biologiques choisies. Trois études sur la cohorte mère-enfant PELAGIE
montrent la présence ubiquitaire d’organophosphorés et de pyréthrinoïdes
chez les participants, ainsi que la présence des triazines chez environ
30 % des mères. Une étude sur des prélèvements de méconium collectés
d’une cinquantaine de nouveau-nés sains montre la présence de
chlorpyrifos, diazinon, propoxur et isoproturon dans la majorité des
échantillons. Enfin, une analyse des mèches de cheveux dans une
sous-cohorte de l’étude ELFE a détecté 122 substances au moins une fois
et un minimum de 25 substances dans chaque échantillon. Les pesticides
les plus présents sont des pyréthrinoïdes et des organophosphorés, mais
l’ensemble des 18 familles chimiques examinées sont retrouvées,
objectivant la présence de mélanges complexes de pesticides. Il est
important de rappeler que la détection d’un pesticide ou de ses
métabolites dans une matrice biologique atteste très certainement d’une
exposition, mais ne peut conduire à une interprétation de toxicité ou
d’effet sanitaire sans l’analyse de toutes les données associées et
disponibles de toxicologie et d’épidémiologie.
Pathologies neurologiques et atteintes
neuropsychologiques
Cette partie présente l’analyse de la littérature scientifique publiée depuis
2013 sur le rôle des pesticides dans la survenue des pathologies
neurologiques et atteintes neuropsychologiques. Elle est organisée selon les
thématiques et la population concernée, et s’intéresse aux effets d’une
exposition aux pesticides en période prénatale et en particulier sur le
développement neuro-psychologique et moteur de l’enfant. Elle aborde ensuite
les pathologies neurologiques de l’adulte dont plusieurs maladies
neurodégénératives (maladie de Parkinson, maladie d’Alzheimer et sclérose
latérale amyotrophique), les troubles cognitifs et les troubles
anxio-dépressifs.
Développement neuropsychologique et moteur de
l’enfant
Dans l’expertise de 2013, la santé de l’enfant a été abordée en lien avec les
expositions des mères pendant la grossesse en étudiant des évènements
survenant à l’issue de grossesse (avortements spontanés, malformations
congénitales, diminution du poids de naissance ou de la durée de gestation),
des altérations fonctionnelles apparaissant après la naissance et affectant
entre autres le système reproducteur, le métabolisme et la croissance, le
développement psychomoteur et intellectuel et le comportement de l’enfant,
ainsi que le développement de cancers chez l’enfant.
Ces recherches s’inscrivent pour certaines dans le concept des origines
développementales de la santé et des maladies, qui suggère que des
modifications subtiles de certains paramètres de santé, non visibles
cliniquement, ayant lieu tôt dans la vie en réponse à un évènement/agent
toxique, peuvent induire des dysfonctionnements plus importants ou des
maladies plus tard au cours de la vie
3
Charles MA, Delpierre C, Bréant B. Le concept des
origines développementales de la santé : Évolution sur trois
décennies. Med/Sci 2016 ; 32 : 15-20.
. Certaines périodes dans la vie, en particulier celles de
développement, telles que la grossesse, la petite enfance et le passage à la
puberté, sont des fenêtres reconnues d’une plus grande vulnérabilité face à
la présence d’un évènement ou agent toxique.
Le groupe d’experts a choisi de faire une mise à jour des données sur les
liens entre l’exposition pré- et post-natale aux pesticides et le
développement neuropsychologique et moteur de l’enfant, le comportement de
l’enfant et la survenue de cancers chez l’enfant (dans la partie
« pathologies cancéreuses » ci-après), car c’est dans ce domaine que les
publications sont les plus nombreuses et les avancées les plus
significatives.
Une attention particulière a été portée aux études s’appuyant sur des outils
robustes et fiables de mesures de l’exposition et des paramètres de santé,
une cohérence temporelle entre les moments de l’exposition d’intérêt et les
évènements de santé, et la prise en compte de facteurs de confusion majeurs.
Dans certaines études, les estimations de l’exposition reposent sur des
mesures de biomarqueurs qui cumulent l’ensemble des voies d’exposition
(cutanée, alimentaire, respiratoire) et des sources d’exposition (activités
agricoles, professionnelles, domestiques...), sans distinction. Pour les
études s’intéressant au développement neuropsychologique et moteur et au
comportement de l’enfant, il s’agira souvent de suivis longitudinaux de
femmes enceintes et de leurs enfants, appelés cohortes mères-enfants, qui
sont indispensables pour cette recherche, mais elles sont rares compte tenu
du coût et du temps nécessaire à investir.
Le cerveau en développement est particulièrement sensible à l’exposition à
des agents toxiques. Pour certains toxiques comme le plomb et le mercure, de
nombreuses études indiquent que les conséquences sur le développement
neuropsychologique et moteur des expositions pendant la grossesse ne se
limitent pas à celles visibles à la naissance mais peuvent être plus
subtiles et révélées dans l’enfance. Ces moindres performances, déficits
sensoriels, retards ou troubles de l’apprentissage à l’âge scolaire
constituent un handicap possible pour l’individu et des conséquences pour la
société dans son ensemble.
Exposition aux insecticides
organophosphorés
Il existe à ce jour un grand nombre d’études utilisant des biomarqueurs
d’exposition qui se sont intéressées au rôle de l’exposition aux
insecticides organophosphorés pendant la grossesse sur le développement
neuropsychologique de l’enfant. Les premières cohortes de suivi de
femmes pendant la grossesse et de leurs enfants ont été décrites dans
l’expertise précédente de 2013 ; ces cohortes ont été conduites aux
États-Unis dans des minorités ethniques ou des populations à faibles
revenus et ont montré des déficits cognitifs jusqu’à l’âge de 7 ans en
lien avec l’exposition prénatale aux insecticides organophosphorés.
Depuis, ces observations n’ont pas été retrouvées, ni à des âges
ultérieurs dans ces mêmes cohortes, ni par deux des quatre études plus
récentes, européennes ou nord-américaines. Néanmoins, la diminution des
performances cognitives des enfants d’âge scolaire et des altérations du
développement psychomoteur et de l’acuité visuelle chez le jeune enfant
ont été observées par les cohortes récentes qui présentaient les niveaux
d’exposition parmi les plus élevés de la littérature, pour la majorité
des études asiatiques et une étude européenne.
Si la variabilité des niveaux d’exposition peut expliquer une partie des
différences entre les études, plusieurs hypothèses peuvent éclairer
l’apparente incohérence des résultats : i) une réversibilité
possible des effets par des mécanismes de compensation acquis avec l’âge
ou par des stimulations cognitives reçues au cours de la vie par
l’enfant/l’adolescent ; ii) l’existence d’une vulnérabilité
sociale et/ou ethnique face à ces expositions ; iii) la
diminution de l’usage des insecticides organophosphorés ces deux
dernières décennies et iv) une variation des sources d’exposition
et/ou les combinaisons (mélanges) d’insecticides organophosphorés
présents dans les produits agricoles et domestiques.
Deux études de cohorte, en poursuivant le suivi des enfants jusqu’à l’âge
de 14 ans, confirment une atteinte possible des capacités sociales des
enfants avec des comportements évocateurs du spectre autistique,
observée jusqu’à l’adolescence, en lien avec l’exposition prénatale aux
insecticides organophosphorés.
Les modèles animaux et mécanistiques étudiant la neurotoxicité
d’insecticides organophosphorés avaient été abordés dans l’expertise
précédente de 2013 (voir chapitre « Mécanismes d’action neurotoxique des
pesticides ») et confirmaient la plausibilité biologique d’une
neurotoxicité développementale, en particulier pour le chlorpyrifos, un
organophosphoré.
Pour le chlorpyrifos, une cohorte asiatique n’observe pas d’effet sur le
développement psychomoteur d’enfants de 3 ans tandis qu’une des cohortes
américaines confirme un lien avec les performances motrices fines des
enfants de 9-13 ans. En revanche, il n’existe pas de nouvelles études
publiées à ce jour chez l’être humain renforçant le lien suggéré par la
précédente expertise de 2013 spécifiquement pour le malathion et le
méthyl-parathion (famille des organophosphorés) ainsi que le propoxur
(famille des carbamates).
Exposition aux insecticides
pyréthrinoïdes
La littérature épidémiologique s’intéressant au rôle des insecticides
pyréthrinoïdes sur le développement neuropsychologique et moteur des
enfants est récente et fait suite à l’augmentation de leur usage en
substitution aux insecticides organophosphorés. Ces études sont
également pour la plupart des cohortes de femmes suivies pendant la
grossesse et de leurs enfants, et utilisent des biomarqueurs urinaires
pour la mesure de l’exposition. Une concordance de résultats entre les
études, quel que soit le contexte, est observée et suggère une
augmentation des troubles du comportement de l’enfant, en particulier de
type internalisé (par exemple : anxiété) en lien avec l’exposition
prénatale aux pyréthrinoïdes. Concernant son rôle sur une diminution des
capacités cognitives des enfants, les résultats sont moins convaincants.
Aucune molécule spécifique n’a pu être identifiée dans cette
littérature.
Un lien entre l’exposition aux insecticides pyréthrinoïdes pendant
l’enfance et une augmentation des troubles du comportement de l’enfant
dit externalisé (par exemple : déficit d’attention avec/sans
hyperactivité, agressivité) a été observé par plusieurs études
transversales pour lesquelles cependant les conclusions concernant une
causalité possible de l’association sont limitées.
Si plusieurs études toxicologiques démontrent effectivement un impact des
molécules pyréthrinoïdes sur les canaux sodiques voltage-dépendants,
ciblés chez les insectes, de nombreux autres modes d’action pertinents
ont aussi été identifiés : un dysfonctionnement de plusieurs types de
canaux calciques ou une augmentation d’expression du transporteur de la
dopamine. Ces mécanismes ont été observés à de faibles doses utilisées
in vivo ou in vitro et en lien avec un impact sur le
comportement animal. Des études animales menées à différents stades de
développement montrent que l’imprégnation cérébrale en deltaméthrine est
inversement proportionnelle à l’âge, suggérant que la plus grande
sensibilité aux insecticides pyréthrinoïdes chez les plus jeunes
organismes pourrait être expliquée par une barrière hémato-encéphalique
hyperperméable. La littérature toxicologique depuis 2013 rapporte
d’autres mécanismes d’action originaux (ciblage des protéines au
protéasome, modifications épigénétiques), ainsi que des éléments sur
d’éventuels effets synergiques de pyréthrinoïdes, qui pourraient
expliquer l’action de ces molécules souvent utilisées en mélange, et qui
sont des pistes de recherche à développer. Finalement, l’ensemble des
données sur les mécanismes d’action apporte des arguments en faveur du
rôle de l’exposition prénatale aux insecticides pyréthrinoïdes dans le
développement de troubles neuropsychologiques et moteurs chez
l’enfant.
Familles et substances actives impliquées dans les excès
de risque d’altération du développement neuropsychologique et
moteur* de l’enfant : résultats des études avec biomarqueurs chez
les femmes enceintes
Exposition pendant la
grossesse
|
Atteintes observées chez
l’enfant
|
Présomption d’un lien
|
Organophosphorés
| | |
Sans distinction
|
Altération des capacités motrices,
cognitives et des fonctions
sensorielles
|
++
|
|
Comportement évocateur des troubles du
spectre autistique
|
+ a
|
Chlorpyrifos
|
Altération des capacités motrices et
cognitives
|
+ b
Interaction avec
PON1
|
Malathion Méthyl-parathion
|
Altération des capacités motrices et
cognitives
|
+ c
Interaction avec
PON1
|
Carbamates/Thiocarbamates
| | |
Propoxur
|
Altération des capacités motrices et
cognitives
|
+ c
|
Pyréthrinoïdes
| | |
Sans distinction
|
Troubles du comportement de type
internalisé tels que l’anxiété
|
++
|
|
Altération des capacités motrices et
cognitives
|
±
|
Organochlorés**
| | |
Chlordécone
|
Altération de la motricité
fine
|
+ d
|
++ d’après les résultats de dix-huit cohortes pour les
organophosphorés, renforce les résultats de 2013 ; d’après les
résultats de trois cohortes pour les pyréthrinoïdes Données
nouvelles
+ a d’après les résultats de deux
cohortes Données nouvelles ; + b d’après les
résultats de deux cohortes supplémentaires par rapport à 2013 ; +
c aucune étude nouvelle depuis 2013 ; + d
d’après les résultats d’une cohorte, résultats de 2013
± d’après
les résultats de cinq études (positives et négatives) Données
nouvelles
* comprend le développement psychomoteur et
mental, les performances cognitives et le comportement
** La
littérature scientifique concernant les autres organochlorés n’a pas
été réexaminée.
PON1 : paraoxonase 1.
Exposition résidentielle aux
pesticides
L’exposition de la population générale aux pesticides par les usages
agricoles à proximité des lieux de vie des populations est
particulièrement difficile à évaluer. Plusieurs études ont utilisé le
géocodage des lieux de résidence pendant la grossesse ou l’enfance pour
estimer les distances par rapport à un usage agricole ou l’intensité des
usages agricoles environnants. Elles ont rapporté des déficits
intellectuels et un risque plus élevé de présence de troubles du spectre
autistique chez les enfants en lien avec la proximité résidentielle
(< 1,5 km) aux activités agricoles. En particulier, ont été
incriminées les familles des organophosphorés, des pyréthrinoïdes et des
carbamates, en cohérence avec les études utilisant des biomarqueurs
d’exposition. Concernant l’usage domestique pendant la grossesse de
produits pour lutter contre des insectes ou autres nuisibles, le niveau
de preuve d’une atteinte possible sur le développement
neuropsychologique et moteur de l’enfant reste faible.
Présomption d’un lien entre exposition aux pesticides et
développement neuropsychologique et moteur de l’enfant : résultats
des études sans biomarqueurs chez les femmes
enceintes
Exposition pendant la
grossesse
|
Atteintes observées chez
l’enfant
|
Présomption d’un lien
|
Exposition non professionnelle (usage
domestique, proximité résidentielle aux zones
d’épandage agricole)
|
Altération des capacités motrices et
cognitives
|
+
|
Comportement évocateur des troubles du
spectre autistique
|
± a
|
Exposition professionnelle aux pesticides
(sans distinction)
|
Altération des capacités motrices et
cognitives
|
± b
|
+ d’après les résultats de deux cohortes et une étude
cas-témoins (mais mesure de l’exposition insuffisante) Données
nouvelles
± a d’après les résultats d’une
étude cas-témoins Données nouvelles ; ± b
d’après les résultats de deux études transversales, résultats de
2013
Enfin, il est à noter que peu d’études se sont intéressées au lien entre
l’exposition professionnelle des mères et le développement psychomoteur,
intellectuel et le comportement des enfants en France ou ailleurs. Cette
littérature n’a ainsi pas pu être mise à jour dans cette nouvelle
expertise.
Troubles cognitifs chez l’adulte
La cognition est un processus cérébral complexe impliquant notamment la
mémoire, l’attention, le jugement, la compréhension et le raisonnement.
Certains agents environnementaux peuvent perturber la cognition,
probablement en interférant avec les neuromédiateurs. L’impact potentiel des
pesticides sur la cognition a été évoqué en raison de l’identification
clinique d’altérations chroniques des fonctions cognitives suite à des
intoxications aiguës par des insecticides organophosphorés. Ces
constatations ont été suivies d’études d’observation qui ont mis en évidence
des manifestations neurologiques chroniques à distance d’intoxications
aiguës, telles qu’une diminution des performances à divers tests (attention
visuelle, mémoire, abstraction...). Par la suite, d’autres études ont porté
sur les effets retardés d’expositions chroniques, en l’absence
d’intoxication aiguë, le plus souvent chez des utilisateurs
d’organophosphorés mais également d’organochlorés ou de pyréthrinoïdes.
L’expertise collective de 2013 avait identifié une quarantaine d’études
épidémiologiques portant sur l’impact des expositions aux pesticides sur la
cognition, la plupart transversales, mais également quatre cohortes
prospectives. Une quinzaine d’études originales ainsi que deux méta-analyses
ont été publiées depuis.
Trois études (en Éthiopie, en Chine et l’Agricultural Health Study aux
États-Unis), menées sur des travailleurs agricoles, ont apporté de nouvelles
données sur l’effet des intoxications aiguës aux pesticides sur les
performances cognitives mesurées à distance de l’exposition. Même s’il était
parfois compliqué de distinguer l’effet des expositions aiguës de celles des
expositions chroniques chez les professionnels exposés, ces trois études
renforçaient les conclusions concernant un lien entre les intoxications
aiguës par des pesticides (principalement les organophosphorés) et une
baisse des performances cognitives dans les domaines de l’attention
visuelle, la mémoire et l’abstraction.
Concernant les effets retardés d’expositions professionnelles aux pesticides
sur la cognition, huit nouvelles études transversales et quatre études de
cohorte ont été publiées depuis 2013. Les études transversales ont été
menées dans des pays très divers (Iran, Chine, Arabie Saoudite, Chili,
Suède, États-Unis). La moitié d’entre elles a concerné uniquement des
professionnels (horticulteurs, travailleurs agricoles, vétérans de la guerre
du Golfe, personnes chargées de la démoustication), tandis que les autres
portaient sur des riverains de cultures (vignes, agrumes), sur la population
rurale (en Chine) ou sur la population générale (aux États-Unis, en Suède).
Les pesticides étudiés étaient majoritairement des organophosphorés, mais
également des pyréthrinoïdes et des organochlorés. Les études portant sur
les effets chez les professionnels et les riverains concluaient toutes à une
baisse des performances cognitives, mesurées par des tests variés. Les
études en population générale montraient également des performances
abaissées, à l’exception de l’étude transversale National Health and
Nutrition Examination Survey (NHANES, États-Unis) lorsque
l’exposition était estimée à partir de biomarqueurs d’exposition
(métabolites urinaires de pesticides).
Quatre nouvelles analyses prospectives ont été menées en France, aux
États-Unis et en Grèce. Deux d’entre elles portaient sur des expositions
professionnelles : l’une sur les travailleurs de l’industrie de production
de pesticides (chlorpyrifos) aux États-Unis et l’autre chez les viticulteurs
en France. L’étude menée dans l’industrie ne met en évidence aucune
association entre l’exposition des travailleurs, suivis pendant une année,
et le déclin cognitif. La cohorte française (PHYTONER) analyse les résultats
à des tests cognitifs après 4 années de suivi d’un millier de travailleurs
viticoles, en estimant l’exposition à onze organophosphorés à l’aide d’une
matrice culture-exposition et d’algorithmes basés sur des études de terrain.
L’exposition cumulée était associée à une diminution des performances
cognitives, en particulier pour la mémoire de travail et la vitesse de
traitement, mais sans relation dose-effet. Deux autres analyses prospectives
portent sur le déclin cognitif de personnes âgées résidant à proximité de
zones agricoles. La première est une étude californienne de personnes de
60 ans et plus, résidant près de zones traitées par des organophosphorés,
dont le déclin cognitif et la survenue de démence ont été suivis pendant
10 ans. La deuxième est une cohorte grecque de personnes de 65 ans et plus,
vivant à proximité de champs traités par des pesticides. Ces deux études ont
mis en évidence une baisse des performances cognitives dans ces populations
âgées riveraines.
Dans l’expertise collective précédente, quatre revues et une méta-analyse
avaient été identifiées qui portaient sur les effets des expositions
chroniques aux pesticides sur la cognition et concluaient à un effet
délétère des expositions aux pesticides, de manière plus claire en présence
d’intoxication aiguë. Depuis, une revue et deux méta-analyses ont été
publiées sur le lien entre troubles cognitifs et expositions chroniques aux
pesticides. Toutes se sont centrées sur les effets des expositions
chroniques aux organophosphorés. Les auteurs soulignent la diversité des
tests réalisés et les différences dans les méthodes d’estimation des
expositions entre les études. Cependant, leurs conclusions sont convergentes
et confirment une augmentation de certains déficits cognitifs (attention,
capacités visuo-motrices, abstraction verbale, perception), plus cohérentes
dans le domaine de la mémoire et de l’attention, chez les personnes exposées
aux organophosphorés. Une relation durée-effet était mise en évidence dans
les analyses réalisées au niveau agrégé aussi bien qu’au niveau de
l’individu.
À la quarantaine d’études identifiées lors de la précédente expertise
collective, une quinzaine d’études originales sont venues s’ajouter depuis
2013, ainsi que trois revues de synthèse. Les études récentes restent
majoritairement transversales et comparent les fonctions cognitives de
personnes intoxiquées par des pesticides ou ayant été exposées de manière
prolongée au cours de leur parcours professionnel à celles de personnes non
exposées. La plupart identifient des liens entre les expositions aux
pesticides et les détériorations cognitives. Les pesticides impliqués sont
majoritairement les organophosphorés, mais d’autres molécules ont été
explorées comme les pyréthrinoïdes ou les organochlorés, qui se sont
également avérées associées à une atteinte des fonctions cognitives. De
plus, au cours des dernières années, les études se sont élargies à des
populations a priori moins exposées que les agriculteurs, comme les
riverains de zones agricoles ou la population générale, notamment au travers
de l’étude NHANES aux États-Unis. Un effet a également été mis en évidence
sur les performances cognitives dans ces populations. La dimension
longitudinale de l’impact des pesticides sur les fonctions cognitives est
une question importante si on considère que l’apparition de troubles
cognitifs serait prédictive de la survenue de certaines démences.
Présomption d’un lien entre exposition aux pesticides et
troubles cognitifs
Exposition
|
Populations
|
Présomption d’un lien
|
Pesticides*
|
Agriculteurs, avec ou sans antécédents
d’intoxications aiguës
|
++
|
Pesticides (sans distinction)
|
Populations générales ou riverains des zones
agricoles
|
+
|
* principalement insecticides organophosphorés
++
d’après les résultats d’une méta-analyse en 2013, de deux méta-analyses
récentes, de trois cohortes prospectives et de nombreuses études
transversales Niveau de présomption passe de moyen à fort
+
d’après les résultats de deux études transversales et deux études
prospectives Données nouvelles
Troubles anxio-dépressifs
L’évaluation des troubles anxio-dépressifs au sein des populations soulève de
nombreuses difficultés, la première étant de définir de manière claire et
consensuelle des entités pathologiques, identifiables et dénombrables avec
des outils épidémiologiques tels que des tests ou des questionnaires. Les
données de prévalence des troubles anxio-dépressifs restent de ce fait
débattues. Près d’une personne sur dix en France aurait vécu un épisode
dépressif dans l’année précédente, de manière plus fréquente chez les femmes
que chez les hommes. Le taux de prévalence national serait en hausse depuis
quelques années. Par ailleurs, une étude rapporte que plus de 1,3 million de
personnes ont été prises en charge pour des troubles anxieux en France entre
2010 et 2014. Les troubles anxio-dépressifs sont d’origine multifactorielle
et proviennent d’une interaction complexe entre des facteurs biologiques,
psychologiques et environnementaux. En raison de leur nature chronique, de
comorbidités et de la stigmatisation entourant les problèmes de santé
mentale, les troubles anxio-dépressifs peuvent engendrer une grande
souffrance chez les personnes qui en sont atteintes, avec des répercussions
importantes sur la vie professionnelle et personnelle, et un risque accru de
tentatives de suicide ou de suicide. L’Organisation mondiale de la santé
(OMS) estime entre 5 et 20 % le taux de suicide des patients souffrant d’un
épisode dépressif majeur. Par ailleurs, la mortalité par suicide serait
favorisée en population agricole par un accès facilité à des moyens les plus
fatals (armes à feu, pendaison, intoxications par des produits
chimiques).
De nombreux travaux, notamment en sociologie de la santé, menés dans
différents pays ont mis en évidence des taux de dépression et de suicide
plus élevés en population agricole que dans la population générale. Les
particularités du mode de vie agricole, telles que l’isolement résidentiel
et social et les contraintes professionnelles (fatigue physique, pression
temporelle liée à des journées de travail souvent longues, aléas saisonniers
et météorologiques, difficultés économiques liées aux incertitudes des prix
de l’agro-alimentaire) peuvent contribuer aux troubles anxio-dépressifs.
L’hypothèse du rôle des pesticides dans l’apparition de symptômes
anxio-dépressifs est sous-tendue par leur possible interférence avec les
nombreux neuromédiateurs, tels que la sérotonine, qui jouent un rôle majeur
dans les processus mentaux et comportementaux. Dès la fin des années 1970,
plusieurs observations de toxicologie clinique ont suggéré un effet des
pesticides sur l’humeur (symptômes dépressifs, troubles du sommeil, anxiété
et irritabilité) chez les personnes ayant subi une intoxication aiguë, en
particulier par des organophosphorés.
Depuis une trentaine d’années, des études épidémiologiques observent des
effets similaires lors d’expositions professionnelles chroniques, notamment
pour les insecticides organophosphorés. L’expertise collective précédente
avait identifié une trentaine d’études abordant la question des troubles
anxio-dépressifs en lien avec les expositions aux pesticides. Celles-ci
présentaient certaines limites méthodologiques en raison d’effectifs souvent
restreints, d’une hétérogénéité dans la définition des troubles, et de
l’existence de facteurs de confusion d’importance, comme l’isolement social
ou les difficultés économiques. Ces études convergeaient vers une plus
grande fréquence de troubles anxieux et dépressifs chez les personnes
exposées aux pesticides, aussi bien dans les suites d’intoxications aiguës,
que pour des expositions modérées mais prolongées. Par ailleurs, plusieurs
études suggéraient un lien possible avec des tentatives de suicide, sans
qu’il soit réellement possible d’affirmer le rôle spécifique des pesticides.
L’analyse de la littérature toxicologique évoquait l’existence d’arguments
biologiques en faveur d’un effet possible de certaines substances au niveau
du système nerveux central, tels que des perturbations des niveaux de la
sérotonine, un neuromédiateur jouant un rôle important dans la régulation de
l’humeur, expliquées par des expositions à certains pesticides, comme les
organophosphorés, ou d’autres substances.
Depuis l’expertise collective de 2013, trois articles de synthèse ont fait le
point sur cette question. Une revue de la littérature sur le lien entre
pesticides et dépression/suicide a été réalisée à partir d’une vingtaine
d’articles sur la période 1995 à 2011, dont onze traitaient du risque de
dépression et quatorze de suicides. Un lien entre les intoxications aiguës
par des pesticides et la dépression était mis en évidence dans 5 études,
avec des niveaux de risque allant d’un doublement à un quintuplement, alors
que les études portant sur les expositions chroniques trouvaient des risques
plus faibles. Le risque de suicide était augmenté dans la plupart des études
mais avec des limites méthodologiques. Une autre revue, centrée sur les
organophosphorés, n’a pu conclure définitivement sur leur rôle dans la
survenue des troubles neuropsychiatriques. La troisième revue, à partir
d’une trentaine de travaux, met en évidence le rôle des expositions à haute
ou faible dose sur la santé mentale des travailleurs agricoles et souligne
la nécessité de mieux caractériser à la fois les troubles de santé et les
expositions.
Intoxication aiguë
Depuis la précédente expertise collective, qui dénombrait 7 études sur
les troubles anxio-dépressifs pouvant survenir dans les suites d’une
intoxication aiguë par des pesticides, deux études de cohorte sont
venues compléter la littérature épidémiologique sur cette question. La
première de ces cohortes, rétrospective, a été menée en Grande-Bretagne
dans la population des éleveurs de moutons ayant utilisé des traitements
insecticides (et en particulier des organophosphorés) comme
antiparasitaires externes. Le risque de déclarer une dépression était
multiplié par 10 chez les personnes ayant été prises en charge pour une
intoxication par un pesticide mais l’association n’était pas retrouvée
chez les personnes ayant manipulé ces substances sans avoir subi
d’intoxication. La seconde cohorte, prospective, incluait des
agriculteurs sud-coréens, qui ont complété en face à face une échelle de
dépression. Le risque de symptômes dépressifs apparaissait plus élevé
chez ceux qui avaient rapporté un antécédent d’intoxication
professionnelle par un pesticide notamment si celle-ci était jugée
modérée à sévère. Ces troubles n’étaient pas associés avec l’exposition
cumulée au cours de la vie. Un lien était observé plus spécifiquement
avec les herbicides, et en particulier avec le paraquat.
Exposition chronique
Lors de l’expertise collective de 2013, la question du lien possible
entre les troubles neuropsychiatriques, en particulier le risque de
dépression, et l’exposition chronique aux pesticides avait été traitée
par une douzaine d’études dont deux longitudinales. Depuis 2013,
7 études transversales et 5 longitudinales ont été produites et ont
apporté de nouveaux résultats.
Les études transversales ont été menées en Amérique du Sud et centrale
(culture du café et du tabac au Brésil et culture de légumes au
Mexique), en Grande-Bretagne, en Turquie, au Bengladesh et en France.
Les trois études américaines ont mis en évidence une majoration des
symptômes dépressifs et anxieux chez les personnes exposées, aussi bien
chez les travailleurs agricoles que chez les résidents de zones
agricoles. Des liens étaient aussi mis en évidence chez les éleveurs de
moutons britanniques, sur la base des symptômes qu’ils avaient déclarés.
En Turquie, l’exposition aux pesticides chez les hommes qui
travaillaient en agriculture doublait le risque de dépression. Au
Bengladesh, il n’était pas mis en évidence de risque de dépression chez
des personnes résidant à moins de 200 mètres des champs. L’étude
française, menée au sein d’une étude cas-témoins portant sur la maladie
de Parkinson, montrait un lien entre l’exposition aux herbicides et
l’existence d’une dépression traitée ou prise en charge à l’hôpital,
rapportée par les participants, avec un effet de la durée d’exposition.
Ainsi, les nouvelles analyses transversales menées dans les différents
pays vont dans le sens d’une augmentation du risque de troubles
anxio-dépressifs en lien avec des expositions chroniques aux pesticides,
globalement moins fortes que celles mises en évidence avec les
intoxications aiguës, mais pouvant néanmoins atteindre un doublement.
Trois de ces études ont suggéré des liens avec des herbicides de natures
différentes (sulfonylurées, dinitroanilines, carbamates, dinitrophénols,
le glyphosate et l’acide picolinique...), mais pas avec les pesticides
organophosphorés.
Deux nouvelles analyses longitudinales ont été menées au sein de
l’Agricultural Health Study, auxquelles s’ajoutent une
cohorte rétrospective de céréaliers au Canada et deux cohortes agricoles
prospectives : l’une en Corée et l’autre dans l’Iowa. Dans l’expertise
de 2013, les publications sur les troubles anxio-dépressifs au sein de
l’AHS étaient de nature transversale et avaient montré des risques de
dépression doublés ou triplés en lien avec des intoxications aiguës par
des pesticides. Au sein de cette même cohorte, des analyses
longitudinales ont depuis été menées, portant sur les cas incidents
entre l’inclusion et le suivi à 12 ans. Chez les hommes, l’existence
d’une dépression a été associée à l’utilisation de certains pesticides
ou familles de pesticides (fumigants, organochlorés, phosphure
d’aluminium, dibromure d’éthylène, 2,4,5-T, dieldrine, diazinon,
malathion, parathion, lindane, captane...), parfois en lien avec
l’exposition cumulée au cours de la vie professionnelle. Une association
forte était observée entre la dépression et les antécédents
d’intoxication. Chez les femmes, il n’était pas mis en évidence de lien
entre la dépression et l’utilisation de pesticides au cours de la vie
professionnelle par elles-mêmes ou par leurs conjoints, mais le risque
de dépression était observé chez celles qui avaient un antécédent
d’intoxication aiguë. Dans la cohorte canadienne de céréaliers, le score
de santé mentale était associé négativement à l’utilisation de
phénoxyherbicides, mais ne montrait pas de lien avec d’autres
substances, notamment avec les organophosphorés. En Corée du Sud, la
survenue de cas incidents de symptômes dépressifs sur une période de
près de 3 ans était plus fréquente chez les hommes présentant un score
élevé d’exposition – basé sur la durée et l’intensité – et chez ceux qui
avaient des antécédents d’intoxication aiguë. Dans l’Iowa, une cohorte
de 257 agriculteurs, suivis chaque trimestre, a mis en évidence une
association entre l’usage de pesticides et la dépression. L’ensemble des
nouvelles analyses longitudinales menées depuis la précédente expertise
converge vers une association entre les expositions chroniques aux
pesticides et la survenue de troubles anxio-dépressifs, avec des liens
forts pour ceux qui ont un antécédent d’intoxication aiguë. Trois de ces
analyses évoquent des liens avec des molécules variées.
Neuf études présentées dans l’expertise collective précédente suggéraient
un lien possible entre l’exposition aux pesticides et le risque de
suicide. Mais ces études ne permettaient pas de distinguer le rôle
spécifique des pesticides de celui d’autres facteurs de risque, ni
d’argumenter la causalité du lien. Depuis, trois études se sont
ajoutées : des résultats provenant d’une cohorte agricole chinoise et
brésilienne, une étude cas-témoins en Chine et une étude écologique au
Brésil. Dans la cohorte sud-coréenne, des idées suicidaires dans l’année
précédant l’entretien apparaissaient jusqu’à trois fois plus fréquentes
chez les agriculteurs qui rapportaient un antécédent d’intoxication
aiguë par un pesticide. En Chine, l’étude cas-témoins de personnes ayant
tenté de mettre fin à leurs jours avec des pesticides (43 cas) a mis en
évidence une plus grande fréquence de symptômes liés à des expositions
aux organophosphorés, d’agressivité et d’impulsivité qu’en population
générale. L’étude écologique brésilienne a montré une surmortalité par
suicide à la fois en lien avec le métier d’agriculteur et avec le fait
de résider dans une région où la culture de tabac était présente (en
lien avec les traitements et/ou des intoxications à la nicotine). Ces
nouvelles études vont dans le sens d’un lien entre suicides et
exposition aux pesticides, mais présentent, comme les études
précédentes, des difficultés à écarter des facteurs de confusion liés au
milieu agricole.
En regard des constats épidémiologiques, le rôle de certains pesticides
sur le système nerveux central et les interférences possibles avec des
neuromédiateurs impliqués dans la régulation de l’humeur doivent
susciter des recherches mécanistiques.
Présomption d’un lien entre exposition aux pesticides et
les troubles anxio-dépressifs
Exposition
|
Populations
|
Présomption d’un lien
|
Exposition professionnelle aiguë ou
antécédent d’intoxication aux pesticides (sans
distinction)
|
Agriculteurs ou applicateurs
|
+ a
|
Exposition professionnelle chronique aux
pesticides (sans distinction)
|
Agriculteurs ou applicateurs
|
+ b
|
+ a d’après les résultats de trois cohortes
et d’études transversales Niveau de présomption passe de faible
à moyen
+ b d’après les résultats de quatre
études de cohorte et de sept études transversales Niveau de
présomption passe de faible à moyen
Maladie d’Alzheimer
La maladie d’Alzheimer est une affection neurologique caractérisée par une
atrophie cérébrale accompagnée de plaques séniles (dépôts extracellulaires
de peptide β-amyloïde) et de dégénérescence neurofibrillaire (accumulation
de protéine Tau phosphorylée). Elle est la cause la plus fréquente de
démence chez le sujet âgé, et peut affecter entre 15 et 40 % des sujets de
85 ans et plus. En dehors de l’âge et du sexe féminin, le seul facteur de
risque reconnu de la maladie est l’allèle epsilon 4 du gène codant pour
l’apolipoprotéine E (APOE4). D’autres facteurs de risque sont suspectés
parmi lesquels les traumatismes crâniens, la dépression, l’âge des parents,
les antécédents familiaux de démence, les déficits en vitamine B12 ou en
folates, les niveaux plasmatiques élevés en homocystéine ou encore les
facteurs de risque vasculaires tels que l’hypertension artérielle. La
proportion de cas familiaux est faible (de l’ordre de 10 %), ce qui suggère
la possible contribution de facteurs environnementaux parmi lesquels les
solvants, les champs électromagnétiques, le plomb, l’aluminium et les
pesticides.
L’expertise collective de 2013 avait montré que le nombre d’études explorant
l’hypothèse du lien entre pesticides et maladie d’Alzheimer était limité, de
l’ordre d’une dizaine. En effet, les troubles de mémoire présentés par les
patients rendent complexes la reconstitution de l’historique de leurs
expositions aux pesticides. Les résultats des études cas-témoins, qui
reposaient sur des définitions de l’exposition peu précises (intitulé des
professions sur des certificats de décès, données écologiques d’usage des
substances) n’étaient généralement pas concluants. Cependant, les trois
cohortes existantes, qui relevaient les expositions avant la survenue de la
maladie de manière suffisamment détaillée, identifiaient une élévation
significative du risque pour les utilisations professionnelles de
pesticides. Cette élévation de risque atteignait le quadruplement pour les
utilisateurs de défoliants et de fumigants dans une étude canadienne, et un
doublement dans les deux autres cohortes en France et aux États-Unis. Les
études, majoritairement menées en milieu agricole ne permettaient pas de
conclure pour des pesticides spécifiques, mais avaient exploré plus
particulièrement les insecticides et notamment les organophosphorés.
Récemment, une méta-analyse des études épidémiologiques portant sur le rôle
des pesticides dans la maladie d’Alzheimer a inclus sept études, toutes
identifiées dans la précédente expertise collective : trois études de
cohorte (France, États-Unis et Canada) et quatre études cas-témoins
(Australie, États-Unis et Canada), jugées de bonne qualité par les auteurs
de la méta-analyse. À partir de l’ensemble de ces études, une élévation du
risque de 34 % était calculée pour les personnes professionnellement
exposées aux pesticides, sans qu’il soit mis en évidence d’hétérogénéité
entre les études ou de biais de publication.
Trois nouvelles études ont été publiées sur le lien entre pesticides et
maladie d’Alzheimer depuis la précédente expertise collective. Elles ont
toutes tenté d’apprécier l’exposition des personnes aux organochlorés par
des mesures biologiques, en raison des difficultés spécifiques à
reconstituer l’historique des expositions chez des personnes souffrant de
troubles de la mémoire.
Une cohorte prospective canadienne a étudié la survenue de la maladie
d’Alzheimer en suivant des personnes de 65 ans et plus. Dans un
sous-échantillon de cette cohorte, l’exposition aux pesticides était estimée
à partir des taux plasmatiques de onze organochlorés. Après un suivi de
10 ans, il n’a pas été mis en évidence de lien entre ces expositions et la
survenue de la maladie d’Alzheimer.
Deux nouvelles études cas-témoins ont également été menées, la première aux
États-Unis et la seconde en Inde. Dans l’étude américaine, un quadruplement
du risque de maladie d’Alzheimer était observé chez les personnes présentant
les valeurs de dichlorodiphényldichloroéthylène (DDE) sérique les plus
élevées et une corrélation forte était observée entre le DDE sérique et la
teneur de DDE dans des prélèvements cérébraux. Dans l’étude indienne,
certains organochlorés ou métabolites d’organochlorés (β-hexachloro-benzène
(β-HCH), dieldrine et p,p’-DDE), mesurés dans des échantillons sanguins
étaient également plus élevés chez les patients atteints de maladie
d’Alzheimer.
Présomption d’un lien entre exposition aux pesticides et la
maladie d’Alzheimer
Exposition
|
Populations
|
Présomption d’un lien
|
Pesticides (sans distinction)
|
Professionnels
|
+
|
+ d’après les résultats de trois cohortes prospectives en
2013, de deux études cas-témoins et d’une méta-analyse incluant les
études analysées en 2013 ; les nouvelles études ne modifient pas la
force de la présomption.
Maladie de Parkinson
La maladie de Parkinson est la maladie neurodégénérative la plus fréquente
après la maladie d’Alzheimer. Elle est liée à la perte progressive des
neurones dopaminergiques d’une structure mésencéphalique impliquée dans la
régulation de l’activité des noyaux gris centraux, la substantia nigra
pars compacta, qui joue un rôle important dans le contrôle de la
motricité. Cette perte neuronale est caractérisée par la présence
d’inclusions neuronales typiques (corps de Lewy) et l’agrégation de la
protéine α-synucléine. À partir des bases de données de l’Assurance maladie,
on estime que près de 170 000 personnes étaient traitées en France pour une
maladie de Parkinson en 2015 (prévalence = 2,50 pour 1 000 personnes) et
qu’il y a environ 25 000 nouveaux cas traités chaque année (incidence = 0,39
pour 1 000 personnes-années). L’incidence de la maladie de Parkinson est
dans l’ensemble 1,5 fois plus élevée chez les hommes que chez les femmes.
Compte tenu de l’allongement de l’espérance de vie et d’après des
projections réalisées sous l’hypothèse d’une incidence constante, il est
prévu que le nombre de cas prévalents augmente progressivement pour
atteindre 260 000 en 2030, soit environ 1 personne sur 120 parmi les plus de
45 ans.
L’expertise collective « Pesticides : Effets sur la santé » de l’Inserm en
2013 avait principalement examiné la littérature sur la relation entre
l’exposition professionnelle aux pesticides et la maladie de Parkinson. Elle
concluait à l’existence d’une association entre l’exposition professionnelle
aux pesticides et la maladie de Parkinson, mais il était plus difficile de
conclure quant à l’effet de pesticides spécifiques. Dans ses rapports de
2013 et 2016, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) arrivait
à la même conclusion. D’après la méta-analyse la plus complète et détaillée
disponible à cette date, l’association était plus particulièrement présente
pour les herbicides et les insecticides. Parmi les herbicides, certaines
études retrouvaient une association avec le paraquat ou le 2,4-D. Parmi les
insecticides, plusieurs études retrouvaient des arguments en faveur d’une
association avec les insecticides organochlorés. La revue de la littérature
toxicologique retrouvait également des arguments en faveur du rôle de
certains pesticides ou familles de pesticides dans différents mécanismes
impliqués dans l’étiologie de la maladie de Parkinson (stress oxydant et
dysfonctionnement mitochondrial, activation du métabolisme de la dopamine,
formation d’agrégats cytoplasmiques d’α-synucléine, apoptose).
Plusieurs revues et méta-analyses ont été publiées depuis la précédente
expertise collective. Dans l’ensemble, toutes les méta-analyses confirment
l’existence d’une association entre l’exposition aux pesticides,
principalement d’origine professionnelle, et la maladie de Parkinson et
n’apportent pas d’élément nouveau par rapport aux méta-analyses discutées
dans l’expertise collective de 2013. Quelques études nouvelles, dont trois
en France (deux cohortes et une cas-témoins), retrouvent une augmentation de
la fréquence de la maladie de Parkinson chez les agriculteurs et une
association avec l’exposition professionnelle aux pesticides ; certaines de
ces études mettent en évidence une relation dose-effet et montrent qu’en
plus de la durée, l’intensité d’exposition est importante à prendre en
compte. Concernant les analyses par famille ou substances actives de
pesticides, deux méta-analyses sur le paraquat montrent des associations
significatives, ce qui va dans le sens des résultats de 2013. La cohorte
AGRICAN a exploré le lien avec 14 pesticides (11 fongicides
dithiocarbamates, le paraquat, le diquat et la roténone). Les analyses ont
montré une association pour l’ensemble de ces substances mais après
ajustement sur l’exposition à au moins un autre pesticide, seule
l’association pour le zirame et le zinèbe restait significative, et à la
limite de la significativité pour le mancopper. Dans des analyses prenant en
compte la durée d’exposition, une tendance significative existait pour 7 des
14 matières actives ; lorsque les analyses étaient ajustées sur l’exposition
à au moins un autre pesticide (sans distinction), la tendance était
significative pour le mancopper (p = 0,04), il n’existait pas de tendance
pour le zinèbe et le zirame. Une cohorte néerlandaise mentionne une
augmentation du risque pour le bénomyl mais les résultats ne sont pas
corroborés par la cohorte AHS.
Présomption d’un lien entre exposition aux pesticides et la
maladie de Parkinson
Exposition
|
Populations concernées par un excès de
risque
|
Présomption d’un lien
|
Pesticides (sans distinction)
|
Professionnels
|
++
|
Herbicides (sans distinction)
| |
++
|
Insecticides (sans distinction)
| |
++
|
Pesticides (sans distinction)
|
Population générale ou riverains des
zones traitées
|
±
|
++ d’après les résultats de la méta-analyse la plus récente
en 2013 ; plusieurs méta-analyses supplémentaires ne modifient pas la
conclusion.
± d’après les résultats d’une étude cas-témoins en 2013
et d’études écologiques récentes Données
nouvelles
L’expertise collective de 2013 avait pointé le manque d’études sur le rôle de
l’exposition environnementale aux pesticides. Seules les études cas-témoins
à partir du registre de ventes de pesticides en Californie étaient
disponibles à cette date. L’exposition environnementale aux pesticides était
évaluée en combinant les lieux de résidence et de travail avec un registre
de ventes de pesticides, grâce à un système d’information géographique. Il
existait une association entre l’exposition environnementale à certains
pesticides traceurs et la maladie de Parkinson. Depuis, plusieurs études,
avec des méthodologies différentes, ont été publiées dans d’autres pays,
mais également en France, permettant d’apporter des éléments d’information
complémentaires. Elles retrouvent des arguments en faveur d’une augmentation
du risque de maladie de Parkinson en relation avec l’exposition
environnementale aux pesticides ou l’habitat à proximité de terrains
agricoles traités. Elles rapportent des associations pour quelques
substances actives (mancozèbe et manèbe), mais il s’agit souvent d’études
écologiques avec des indicateurs d’exposition peu précis et des études
complémentaires, idéalement à partir de données individuelles, sont encore
nécessaires.
Aussi bien pour l’exposition professionnelle qu’environnementale aux
pesticides, il reste difficile de mettre en évidence le rôle de produits ou
de familles de produits spécifiques. Les études dont on dispose se sont
intéressées souvent à des produits différents, et donc ne se recoupent que
très partiellement et les analyses statistiques ne prennent pas toujours
bien en compte la question des expositions corrélées à plusieurs produits.
Néanmoins, hormis les substances déjà identifiées en 2013 (paraquat,
roténone et insecticides organochlorés notamment la dieldrine), deux
nouvelles méta-analyses récentes confirment le lien avec le paraquat (+),
mais les résultats pour la dieldrine sont inchangés et le niveau de
présomption d’un lien reste faible (±) et ne figure pas dans le tableau. Les
nouvelles études évoquent des associations avec les familles ou matières
actives suivantes : insecticides organophosphorés, fongicides
dithiocarbamates (mancozèbe, manèbe, zinèbe, zirame, mancopper) et
carbamates (bénomyl). Certains de ces résultats s’appuient sur des études
écologiques, sont à la limite de la significativité statistique ou bien
posent la question des corrélations entre produits et n’ont pas été inclus
dans le tableau (organophosphorés, mancozèbe, manèbe, bénomyl) et
mériteraient d’être confirmés par des études complémentaires.
Enfin, on note qu’aucune étude ne permet d’aborder le rôle des expositions
précoces aux pesticides, que cela soit pendant la grossesse ou dans
l’enfance.
Familles et substances actives impliquées dans les excès de
risque de maladie de Parkinson
Famille Substances actives
|
Population
|
Présomption d’un lien
|
Organochlorés
| | |
Insecticides
|
Professionnels
|
++
|
Dithiocarbamates
(fongicides)
| | |
Mancopper
|
Agriculteurs
|
±
|
Zinèbe
|
Agriculteurs
|
±
|
Zirame
|
Agriculteurs
|
±
|
Autres
| | |
Paraquat
|
Agriculteurs
|
+ a
|
Roténone
|
Agriculteurs
|
+ b
|
++ d’après les résultats de plusieurs études de
cohorte
+ a d’après les résultats d’une cohorte en 2013
et deux méta-analyses (qui reprennent essentiellement des études
analysées en 2013) ; les nouvelles études ne modifient pas le niveau de
la présomption ; + b d’après les résultats d’une cohorte en
2013
± d’après les résultats d’une cohorte (AGRICAN) Données
nouvelles
Sclérose latérale amyotrophique
La sclérose latérale amyotrophique (SLA) est une affection neurodégénérative
progressive responsable d’une faiblesse musculaire associée à une rigidité
s’étendant progressivement et responsable du décès en raison de difficultés
respiratoires et de troubles de la déglutition. Elle est secondaire à la
dégénérescence des neurones moteurs de la moelle épinière (corne
antérieure), du tronc cérébral et du cortex cérébral. La médiane de la durée
d’évolution après les premiers symptômes est en moyenne de 30 mois et après
le diagnostic de 19 mois.
La SLA est la plus fréquente des maladies du motoneurone et on estime que
près de 2 200 personnes ont développé une maladie du motoneurone chaque
année en France sur la période 2012-2014. Plusieurs études suggèrent que la
mortalité et l’incidence de la SLA ont augmenté dans les dernières décennies
mais les raisons qui expliqueraient cette évolution restent mal connues.
Plusieurs facteurs, génétiques et environnementaux, interviennent
vraisemblablement dans l’étiologie de la SLA. Parmi les facteurs de risque
environnementaux, le tabagisme serait associé à une augmentation du risque
de SLA de même que l’exposition au plomb, tandis que le rôle de l’activité
physique et celui des traumatismes, notamment crâniens, reste débattu.
L’expertise collective Inserm de 2013 avait identifié une dizaine d’études
sur la relation entre la SLA et l’exposition professionnelle aux pesticides.
Deux méta-analyses étaient en faveur d’une association, mais les études
qu’elles avaient prises en compte étaient hétérogènes, notamment quant aux
méthodes d’évaluation de l’exposition. De plus, il était difficile d’évaluer
l’existence d’un biais de publication compte tenu du petit nombre d’études
disponibles. L’expertise avait conclu au besoin d’études de grande taille et
comportant une évaluation de l’exposition plus précise (type de produits,
durée d’exposition) afin de mieux caractériser la relation entre
l’exposition professionnelle aux pesticides et la SLA.
Depuis la précédente expertise, deux méta-analyses ont été publiées qui sont
en faveur d’une association entre l’exposition, principalement
professionnelle, aux pesticides et la SLA. Elles reposent sur des études qui
avaient toutes été publiées en 2012 ou avant et la plupart avaient déjà été
prises en compte dans les méta-analyses précédentes. L’association était
similaire dans les études cas-témoins et de cohorte. Elle était en revanche
plus forte chez les hommes que chez les femmes et dans les études ayant
évalué l’exposition aux pesticides par des experts par rapport aux études
reposant sur l’auto-déclaration de l’exposition. Il n’existait pas
d’argument statistique pour un biais de publication.
Parmi les quatre nouvelles études publiées depuis la précédente expertise
collective, certaines apportent des arguments en faveur d’une association
entre l’exposition professionnelle aux pesticides et la SLA, mais elles sont
hétérogènes, notamment par rapport à l’évaluation des expositions et la
prise en compte des facteurs de confusion. Deux études de cohorte ont été
publiées, aux Pays-Bas et en France : l’une, qui repose sur un faible nombre
de cas exposés, ne retrouve pas d’association et l’autre ne porte pas sur
l’exposition aux pesticides, mais a montré une tendance à l’augmentation de
l’incidence de la SLA chez les exploitants agricoles français par rapport à
la population générale. Seules deux études se sont intéressées au rôle de
l’exposition environnementale et ne permettent pas de conclure en raison de
résultats discordants.
Ces nouvelles études ne modifient pas sensiblement les conclusions de
l’expertise collective de 2013. Des études de grande taille et comportant
une évaluation de l’exposition plus précise (type de produits, durée
d’exposition) demeurent nécessaires afin de mieux caractériser la relation
entre l’exposition professionnelle aux pesticides et la SLA et de déterminer
si l’exposition environnementale joue un rôle.
Présomption d’un lien entre exposition aux pesticides et
sclérose latérale amyotrophique
Exposition
|
Populations concernées par un excès de
risque
|
Présomption d’un lien
|
Pesticides (sans distinction)
|
Agriculteurs
|
±
|
± d’après les résultats de deux méta-analyses en 2013, deux
méta-analyses récentes (qui reprennent des études analysées en 2013),
deux études de cohorte (Pays-Bas et France) et plusieurs études
cas-témoins hospitalières ; pas d’études nouvelles qui soient
informatives et qui permettent de modifier le niveau de la
présomption
Pathologies cancéreuses
Certaines pathologies cancéreuses avaient déjà fait l’objet d’une analyse
dans l’expertise 2013 et les données ont été réactualisées pour les cancers
de l’enfant, les tumeurs du système nerveux central, les hémopathies
malignes et le cancer de la prostate. De nouvelles pathologies ont été
considérées dans cette expertise : le cancer du sein, les cancers du rein et
de la vessie et les sarcomes des tissus mous et des viscères.
Cancers de l’enfant
En France, environ 1 700 nouveaux cas de cancers sont diagnostiqués chaque
année chez des enfants de moins de 15 ans. Ce nombre correspond à un taux
d’incidence standardisé sur l’âge de l’ordre de 15,6 cas pour 100 000
enfants par an, comparable aux taux d’incidence observés globalement en
Europe et en Amérique du Nord, même si des différences entre pays persistent
pour certains types de cancer. Le taux d’incidence des cancers de l’enfant
en France est par ailleurs assez stable depuis 2000. De par le monde, les
cancers sont une des causes principales de décès chez les enfants. En France
en particulier, ils sont la deuxième cause de décès chez les 1-14 ans, après
les accidents.
Les principaux types de cancer diagnostiqués chez les enfants sont les
leucémies aiguës (environ 30 % des nouveaux cas), les tumeurs du système
nerveux central (SNC ; environ 25 %), les lymphomes (environ 10 %) et les
tumeurs embryonnaires (environ 20 %, répartis en neuroblastomes,
néphroblastomes, rhabdomyosarcomes, rétinoblastomes et hépatoblastomes).
Des étiologies différentes sont suspectées selon les types de cancers de
l’enfant, mais elles sont encore mal connues. Les facteurs de risque qui
sont établis pour les principaux groupes diagnostiques sont les rayonnements
ionisants à forte dose et certains syndromes génétiques rares. Parmi les
facteurs de risque fortement suspectés de jouer un rôle dans la survenue des
cancers de l’enfant, on peut citer des prédispositions génétiques, des
infections et l’exposition aux contaminants environnementaux, en particulier
la pollution liée au trafic routier et les pesticides.
Sur la base des résultats de plusieurs méta-analyses publiées avant 2013,
l’expertise collective Inserm de 2013 avait conclu à la présomption forte
d’un lien entre l’exposition professionnelle et domestique aux pesticides
(insecticides et herbicides sans distinction) de la mère pendant la
grossesse et le risque de leucémie chez l’enfant. De même, l’exposition liée
aux usages domestiques pendant l’enfance était associée au risque de
leucémie avec une présomption forte.
Depuis, quatre méta-analyses ont été publiées, trois explorant l’exposition
liée aux usages domestiques de produits pesticides par les parents (ou par
des professionnels) et une à l’exposition professionnelle.
Ces méta-analyses récentes confirment l’augmentation du risque de leucémie
aiguë chez les enfants lors d’une exposition maternelle aux pesticides due à
un usage domestique pendant la grossesse et lors d’une exposition pendant
l’enfance. La première, une analyse combinée des données du consortium
Childhood Leukemia International Consortium (CLIC), a mis en
évidence une augmentation du risque de leucémie aiguë lymphoblastique (LAL)
de 43 % chez les enfants dont les mères ont été exposées aux pesticides par
les usages domestiques pendant la grossesse (9 études) ainsi qu’une
augmentation de 55 % du risque de leucémie aiguë myéloïde (LAM ; 7 études).
Une association était également rapportée entre l’exposition de l’enfant aux
pesticides par les usages domestiques après sa naissance et le risque de LAL
mais pas de LAM quelles que soient les catégories de pesticides utilisées
(insecticides, herbicides, fongicides, rodenticides). La seconde
méta-analyse confirme que l’exposition aux pesticides par les usages
domestiques en périodes pré- et post-natale était associée globalement à une
augmentation du risque de LAL (8 études) et de LAM (5 études), avec des
élévations de risque du même ordre de grandeur que celles retrouvées dans la
première méta-analyse. La troisième rapporte également un lien entre
l’exposition aux pesticides pendant la grossesse et le risque de survenue de
leucémies. Notons que les résultats de ces méta-analyses ne sont pas
indépendants car elles incluent toutes les trois les études du CLIC dont la
contribution est importante.
L’association positive observée précédemment entre l’exposition maternelle
professionnelle pendant la grossesse et le risque de LAM chez l’enfant est
confirmée par une méta-analyse réalisée à partir de 13 études du CLIC,
auxquelles ont été ajoutées des études anciennes ne participant pas au
consortium et d’autres études récentes. Ce travail a permis également de
montrer un triplement du risque de LAM chez les enfants dont les mères ont
été les plus exposées professionnellement aux pesticides pendant la
grossesse (9 études). Une augmentation du risque de LAL est également
suggérée, en particulier dans la méta-analyse du CLIC (plus de 8 000 cas de
leucémies aiguës et 14 000 témoins) en cas d’exposition professionnelle
paternelle aux pesticides en période préconceptionnelle. Les résultats des
études incluses dans la méta-analyse étaient toutefois très hétérogènes.
Une méta-analyse sur les cancers de l’enfant et plusieurs études cas-témoins
de petite taille suggèrent également une association entre l’exposition liée
aux usages domestiques de pesticides et le risque de lymphomes non
hodgkiniens chez l’enfant (présomption faible d’un lien).
Présomption d’un lien entre exposition aux pesticides et les
hémopathies malignes de l’enfant
Exposition
|
Effets
|
Présomption d’un lien
|
Exposition professionnelle maternelle aux
pesticides (sans distinction) pendant la
grossesse
|
Leucémies (LAM)
|
++ a
|
Exposition professionnelle paternelle aux
pesticides (sans distinction)
préconceptionnelle
|
Leucémies (LAL)
|
+
|
Exposition domestique (usages domestiques)
aux pesticides (sans distinction) pendant la
grossesse ou chez l’enfant
|
Leucémies (LAL et LAM)
|
++ b
|
Exposition domestique aux pesticides (sans
distinction) pendant la grossesse ou chez
l’enfant
|
Lymphomes non hodgkiniens
|
±
|
++ a d’après les résultats de deux méta-analyses
en 2013 et une méta-analyse supplémentaire ; renforce les résultats de
2013
+ d’après une méta-analyse (avec hétérogénéité entre les
résultats des études) et une étude cas-témoins Données
nouvelles
++ b d’après les résultats de deux
méta-analyses en 2013, et de trois méta-analyses supplémentaires ;
renforce les résultats de 2013
± d’après les résultats d’une
méta-analyse de trois études et les résultats de plusieurs études de
petite taille Données nouvelles
LAL : leucémie aiguë
lymphoblastique ; LAM : leucémie aiguë myéloïde.
L’expertise collective Inserm de 2013 avait également conclu à la présomption
forte d’un lien entre l’exposition professionnelle aux pesticides du père et
de la mère pendant la période prénatale et le risque de tumeurs du système
nerveux central (SNC) chez l’enfant. Les études récentes sur le lien entre
l’exposition aux pesticides et le risque de tumeurs du SNC chez l’enfant
sont peu nombreuses et ont porté principalement sur l’exposition liée aux
usages domestiques de pesticides (insecticides et herbicides) pendant la
grossesse et l’enfance.
Deux méta-analyses ont été publiées, l’une incluant 18 études publiées entre
1979 et 2016, et l’autre une partie seulement de ces études. Les auteurs de
la première méta-analyse ont rapporté une association positive entre
l’exposition par usages domestiques aux pesticides et le risque de tumeurs
du SNC chez l’enfant avec une augmentation du risque de 26 %. Les analyses
montraient une association positive du même ordre de grandeur par catégorie
de pesticides (insecticides, herbicides) et une association avec le risque
de gliomes était suggérée.
Récemment, une étude cas-témoins, regroupant les données de deux études
françaises (études ESCALE et ESTELLE) réalisées en population générale, a
mis en évidence une association positive entre l’utilisation domestique de
produits pesticides (principalement des insecticides) par la mère pendant la
grossesse et le risque de tumeur du SNC chez l’enfant, avec une augmentation
du risque de 40 %, observée globalement et pour les principaux types de
tumeurs du SNC (épendymomes, tumeurs embryonnaires, gliomes).
Ainsi, de manière cohérente, une augmentation du risque de tumeurs du SNC
chez l’enfant a été rapportée. Ces résultats concernent les tumeurs du SNC
dans leur ensemble, les études ne permettant pas d’établir des conclusions
fermes pour les différents sous-types.
À l’heure actuelle, les études géographiques s’intéressant aux cancers de
l’enfant (leucémies et tumeurs du SNC principalement) en lien avec soit la
présence de cultures, soit l’utilisation de pesticides agricoles à proximité
du domicile, sont encore peu nombreuses. Les résultats sont hétérogènes et
ne permettent pas de conclure à une présomption de lien.
Des associations positives avec l’exposition aux pesticides sont suggérées
pour d’autres types de cancers de l’enfant (tumeurs embryonnaires, en
particulier), mais l’état actuel des connaissances épidémiologiques ne
permet pas de conclure de manière définitive.
Présomption d’un lien entre exposition aux pesticides et
tumeurs du système nerveux central de l’enfant
Exposition
|
Effets
|
Présomption d’un lien
|
Exposition professionnelle des parents aux
pesticides (sans distinction) pendant la période
prénatale
|
Tumeurs du système nerveux
central
|
++ a
|
Exposition domestique (usages domestiques)
aux pesticides (sans distinction) pendant la
grossesse ou chez l’enfant
|
Tumeurs du système nerveux
central
|
++ b
|
++ a d’après les résultats d’une méta-analyse en
2013
++ b d’après les résultats de deux méta-analyses et
d’une étude cas-témoins Données nouvelles
Tumeurs du système nerveux central de
l’adulte
Les tumeurs primitives du système nerveux central (SNC) regroupent des
entités diverses qui se développent à partir de cellules spécialisées. On
distingue de nombreux types histologiques, qui sont classés selon leur
origine en plusieurs groupes ; principalement les tumeurs neuroépithéliales
(représentées en majorité par les gliomes), les tumeurs des méninges, les
tumeurs des nerfs crâniens et les lymphomes primitifs du SNC. Les tumeurs
neuroépithéliales représentent près de la moitié des tumeurs du SNC. Elles
ont pour origine, soit les neurones, soit les cellules gliales entourant les
neurones.
Les tumeurs du système nerveux central sont rares et les formes malignes
représentent 1,5 % de toutes les formes de cancer en France. Le taux
d’incidence des formes malignes est d’environ 11 cas pour
100 000 personnes-années. Si l’on ajoute les tumeurs dites bénignes (et en
particulier les méningiomes), dont le pronostic peut également être
défavorable, le taux d’incidence atteint 20 pour 100 000 personnes-années
selon le registre de Gironde. En dehors des radiations ionisantes et de
certains syndromes génétiques particuliers, les tumeurs du système nerveux
central, quel que soit leur type histologique, ne disposent à ce jour
d’aucun facteur étiologique établi.
Lors de l’expertise collective réalisée en 2013, le nombre d’études portant
sur le lien entre tumeurs cérébrales et pesticides était d’environ une
vingtaine si on ne prend pas en compte les cohortes historiques et les
études cas-témoins professionnelles générales (c’est-à-dire s’appuyant sur
les intitulés des professions sans estimation précise des expositions) qui
n’explorent que très imparfaitement l’exposition aux pesticides ou portent
sur un nombre de cas très faible.
À partir de ces données, l’expertise collective de 2013 avait conclu à une
présomption faible d’un lien entre l’exposition aux pesticides dans les
populations agricoles et les tumeurs cérébrales (gliomes et méningiomes)
mais n’avait pas pu conclure concernant des matières actives précises. Seule
une élévation de risque significative d’incidence de tumeurs cérébrales
était rapportée dans la cohorte Agricultural Health Survey (AHS) chez
les personnes ayant le niveau d’exposition au chlorpyrifos le plus
élevé.
Depuis, 12 études nouvelles ont été réalisées dont 1 méta-analyse, 7 analyses
de cohorte (4 dans l’AHS et 3 dans AGRICAN) et 4 études cas-témoins.
Alors que les précédentes méta-analyses portaient de manière large sur les
tumeurs cérébrales en milieu agricole, sans distinction du type de tumeur ou
du schéma d’études et sans prise en compte de l’exposition aux pesticides,
la nouvelle méta-analyse était centrée sur 11 études cas-témoins ayant
estimé le risque de gliomes chez les adultes en lien avec l’exposition aux
pesticides. Elle conclut à une élévation de risque de 15 % non
statistiquement significative, mais souligne le faible nombre d’études et
l’hétérogénéité existant entre elles.
Les quatre nouvelles études cas-témoins ont été menées en Italie (deux
études), en France et en Inde. En Italie, les deux études cas-témoins
hospitalières, menées dans deux provinces différentes, ont mis en évidence
des élévations de risque chez les agriculteurs, pour l’une de l’ordre du
doublement et pour l’autre du triplement de risque. En France, l’étude
CERENAT a inclus environ 600 cas et 1 200 témoins en Gironde, dans le
Calvados, la Manche et l’Hérault. En se basant sur le calendrier résidentiel
recueilli sur la vie entière, l’analyse a pris en compte l’exposition liée à
la proximité résidentielle de zones agricoles. Des tendances à une élévation
du risque de méningiome ont été observées pour les personnes ayant résidé
dans des zones de grandes cultures, de vignes ou de vergers. Cette élévation
devenait statistiquement significative pour les scores d’exposition les plus
élevés à proximité de grandes cultures. En Inde, dans une région fruitière,
une baisse des niveaux d’acétylcholinestérase était observée chez les cas
atteints de tumeurs cérébrales primitives. Ainsi, les quatre nouvelles
études cas-témoins vont dans le sens d’une élévation du risque en milieu
agricole mais ne permettent pas de préciser la force de l’association ni les
substances potentiellement en cause.
Des résultats nouveaux ont également été produits par les deux grandes
cohortes prospectives, AHS aux États-Unis et AGRICAN en France. Dans la
cohorte américaine, des analyses chez les applicateurs de pesticides n’ont
pas mis en évidence de lien avec l’alachlore et le métolachlore. En
revanche, chez les conjointes des applicateurs, une élévation du risque de
gliomes était observée en lien avec l’utilisation d’organochlorés, en
particulier chez celles qui avaient utilisé du lindane. Chez ces mêmes
conjointes, il n’était pas mis en évidence d’association significative avec
les organophosphorés. Le suivi de la cohorte AGRICAN jusqu’en 2011 a
également permis de produire de nouvelles données sur les tumeurs du système
nerveux central. Les personnes ayant travaillé dans au moins une culture ou
un élevage présentaient une élévation du risque de tumeur, aussi bien pour
les méningiomes que pour les gliomes. Les risques étaient plus élevés pour
certaines cultures : pois fourrager, betteraves, pommes de terre. Par
ailleurs, les utilisateurs de pesticides avaient deux fois plus de risque de
développer une tumeur du système nerveux central que les autres participants
de la cohorte. Des analyses spécifiques ont été menées pour les pesticides
carbamates (insecticides, fongicides et herbicides). L’exposition à ces
substances augmentait le risque de gliomes et de méningiomes, d’autant que
l’exposition était longue, et plus importante pour certaines substances,
avec des niveaux de risque pouvant atteindre le triplement ou le
quadruplement.
Des données issues des études mécanistiques sur le lindane, le chlorpyrifos
et certains membres de la famille des carbamates sur des modèles neuronaux
renforcent la plausibilité d’un lien avec la survenue de tumeurs du système
nerveux central. En effet, le lindane, un cancérogène avéré, perturbe la
synthèse et le transport de protéines. Plusieurs pistes peuvent être
évoquées pour expliquer un effet cancérogène du chlorpyrifos ou de ses
métabolites : i) un blocage de la différenciation et un maintien dans
un état prolifératif par diminution des niveaux d’AMPc ou production
d’espèces réactives de l’oxygène, et ii) une survie cellulaire
favorisée par une augmentation de l’activité de la transglutaminase 2. Des
effets mutagènes ou génotoxiques ont été mis en évidence pour les
carbamates, mais à des doses relativement élevées. Deux membres de cette
famille, le manèbe et le zirame, ont été particulièrement étudiés dans le
cadre de la maladie de Parkinson et leurs effets suspectés de contribuer à
cette pathologie (agrégation de protéines, activité pro-oxydant) peuvent
également expliquer certains processus de cancérogénicité. En outre,
d’autres mécanismes potentiellement impliqués ont été mis en lumière tels
que la perturbation endocrinienne ou métabolique, la mitotoxicité, des
effets immunomodulateurs, ou la modification de la distribution d’autres
contaminants. Ces effets mériteraient d’être validés sur d’autres modèles
expérimentaux (co-cultures, systèmes 3D, « organoïdes de cerveaux ») et à
travers des études réalisées sur ces pesticides en mélange ou en présence
d’autres cancérogènes.
Présomption d’un lien entre exposition aux pesticides et
tumeurs du système nerveux central (gliomes et
méningiomes)
Exposition
|
Populations concernées par un excès de
risque
|
Présomption d’un lien
|
Pesticides (sans distinction)
|
Populations agricoles
|
+
|
+ d’après les résultats de trois méta-analyses, d’études de
cohorte et d’études transversales en 2013, et les résultats de deux
études de cohorte (AHS et AGRICAN) et de quatre études cas-témoins
Niveau de présomption passe de faible à
moyen
Hémopathies malignes de l’adulte
Les hémopathies malignes sont des tumeurs atteignant les tissus
hématopoïétiques, comme la moelle osseuse ou les tissus lymphoïdes
(ganglions, rate...). Il s’agit de proliférations monoclonales qui se
développent à partir des cellules sanguines ou du système immunitaire à
différents stades de leur maturation. Les progrès réalisés dans la
compréhension des hémopathies malignes ont entraîné de nombreux changements
dans la façon dont ces maladies étaient classées, diagnostiquées et
traitées. Depuis 2001, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a produit
une nouvelle classification consensuelle qui définit les tumeurs malignes
hématologiques en fonction de leur lignée cellulaire, des anomalies
génétiques et des caractéristiques cliniques, réactualisée en 2008 et 2016,
et qui est incorporée dans la Classification internationale des maladies
pour l’oncologie (CIM-O-3). On distingue d’abord les leucémies, qui sont des
« tumeurs liquides » dans le sang, et dérivent de la transformation d’un
précurseur hématopoïétique dans la moelle osseuse ou d’une cellule
hématopoïétique mature dans le sang. Les leucémies peuvent être lymphoïdes
ou myéloïdes, aiguës ou chroniques. Concernant les lymphomes, la
transformation de lymphocytes dans un tissu lymphoïde secondaire génère le
plus souvent une maladie se présentant cliniquement comme une tumeur solide.
Les lymphomes sont classés en lymphome de Hodgkin (LH) ou en lymphome non
hodgkinien (LNH) dont les sous-types sont nombreux.
La distinction des entités sur la base des caractéristiques morphologiques,
phénotypiques, génotypiques et cliniques reflète un changement de paradigme
dans l’approche de la classification des hémopathies malignes. Bien que le
maintien des regroupements d’origine soit utile pour les comparaisons
historiques, les statistiques descriptives contemporaines produisent, au
moins dans les pays occidentaux, des données épidémiologiques détaillées par
sous-types, pour refléter l’état actuel des connaissances. Dans un objectif
de clarté, nous avons décidé de garder la structure en quatre groupes de
l’expertise collective de l’Inserm publiée en 2013 (lymphomes non
hodgkiniens, myélome multiple, lymphome de Hodgkin et leucémie). En effet,
cela permet au lecteur de se repérer et de comparer les nouvelles données
épidémiologiques avec celles de la précédente expertise collective
Inserm.
Lymphomes non hodgkiniens
Les LNH sont des proliférations monoclonales de lymphocytes à différents
stades de leur différenciation. À bien des égards, les différents types
de LNH semblent récapituler les étapes de différenciation normale des
lymphocytes B ou T, et dans une certaine mesure, ils peuvent être
classés selon la cellule normale correspondante. Cependant, ce n’est pas
systématiquement le cas et la contrepartie normale de la cellule
tumorale ne peut pas être la seule base de classification. La
classification OMS distingue les types de LNH sur la base de
caractéristiques morphologiques et immunologiques. Le stade de
différenciation, la morphologie et les caractéristiques phénotypiques,
génotypiques, et cliniques sont également utilisés pour distinguer les
différents sous-types de LNH. Les LNH regroupent donc de nombreuses
entités nosologiques différentes de par leur physiopathologie, leur
diagnostic histologique, leur biologie et leur pronostic.
Les LNH représentent 60 % des hémopathies malignes avec environ
27 000 nouveaux cas en 2018 en France métropolitaine. Les taux
d’incidence standardisés sur la population mondiale sont respectivement
de 25,5 pour 100 000 personnes-années chez l’homme et de 16,1 chez la
femme.
L’augmentation du nombre de cas entre 1990 et 2018 est de 123 % chez
l’homme (7 000 à 15 500 cas incidents) et 109 % chez la femme (5 800 à
12 100 cas incidents) dont la moitié peut s’expliquer par l’augmentation
et le vieillissement de la population. L’autre moitié de cette
augmentation correspond à l’augmentation du risque, qu’il soit lié à
l’amélioration du diagnostic, un meilleur accès aux soins ou à des
facteurs de risque dont la prévalence augmente. Les variations annuelles
moyennes des taux d’incidence standardisés sur la population mondiale
sont de 1 % entre 1990 et 2018 chez l’homme et la femme. Les tendances
évolutives de l’incidence varient selon les sous-types histologiques de
LNH mais la majorité d’entre eux ont une évolution à la hausse.
Les principaux sous-types de LNH sont le lymphome diffus à grandes
cellules B (taux d’incidence de 4,7 et 3,2 pour
100 000 personnes-années, respectivement chez l’homme et la femme en
2018 en France ; 5 071 nouveaux cas estimés en 2018), le lymphome
folliculaire (taux d’incidence de 2,9 et 2,0 pour
100 000 personnes-années respectivement chez l’homme et la femme en 2018
en France ; 3 066 nouveaux cas en 2018), le lymphome de la zone
marginale (taux d’incidence de 2,3 et 1,7 pour 100 000 personnes-années
respectivement chez l’homme et la femme en 2018 en France ;
2 790 nouveaux cas en 2018). Ces trois hémopathies lymphoïdes ont une
incidence qui augmente depuis les années 1990. À noter que le myélome
multiple fait partie des hémopathies lymphoïdes les plus fréquentes. Il
est aujourd’hui regroupé avec les LNH mais sera traité dans un
paragraphe spécifique, de même que la leucémie lymphoïde chronique
regroupée aujourd’hui avec le lymphome lymphocytique en une seule entité
qui sera traitée dans le paragraphe sur les leucémies. Ces cinq maladies
représentent 80 % des nouveaux cas de LNH diagnostiqués chaque année en
France.
L’expertise collective « Pesticides : Effets sur la santé » de l’Inserm
en 2013 avait conclu à la présomption forte d’un lien entre l’exposition
aux pesticides, sans distinction de familles chimiques ou de substances
actives, chez les agriculteurs, chez les applicateurs de pesticides et
chez les ouvriers de l’industrie de production de pesticides et le
risque de survenue de LNH.
Plus spécifiquement, des associations entre LNH et familles ou substances
actives de pesticides avaient également été recherchées mais la majorité
des résultats par substances actives était issue de la cohorte
américaine AHS. D’après les résultats de plusieurs études (cohortes ou
études cas-témoins nichées ou études cas-témoins), les substances
actives comme le lindane, le dichlorodiphényltrichloroéthane (DDT), le
terbufos, le diazinon, le malathion, le butilate, le 2,4-D
phénoxyherbicide ou le glyphosate étaient spécifiquement associées à un
excès de risque significatif dans des populations de professionnels
(agriculteurs, applicateurs, éleveurs, ouvriers en industrie de
production). Dans plusieurs autres situations, la présomption de lien
reposait sur une seule étude cas-témoins (notée « ± »), lorsqu’étaient
considérées d’autres familles ou substances actives ou lorsque les
études concernaient des populations professionnelles plus largement
définies que celle des agriculteurs ou des populations exposées en
dehors de la profession. Aucune analyse par sous-types histologiques
n’était disponible.
Depuis l’expertise collective de l’Inserm publiée en 2013, treize
méta-analyses ont été publiées (deux abordent l’exposition à plusieurs
familles ou substances actives, dix se focalisent sur une famille ou
substance active particulière et la dernière s’intéresse aux éleveurs).
Chacune présente des analyses par sous-types de LNH. Trois analyses de
cohortes ont été publiées dont deux à partir des données de l’AHS et une
de la cohorte en population générale Women’s Health Initiative.
Enfin, trois études cas-témoins apportent également des résultats
probants. Les deux premières méta-analyses sont les plus complètes mais
de natures différentes, la première fait une revue exhaustive des études
cas-témoins ou cohortes publiées puis rapporte des estimations
d’associations entre les LNH et 21 familles de pesticides et
80 substances actives tandis que la seconde provient du consortium des
cohortes d’agriculteurs (Agricoh) et étudie le rôle de l’exposition
(14 familles de pesticides et 33 substances actives) sur le risque de
survenue de LNH et de ses principaux sous-types.
De la première méta-analyse on peut retenir que plusieurs familles de
pesticides étaient associées positivement avec le risque de LNH
(phénoxyherbicides, insecticides carbamates, insecticides
organophosphorés). Plusieurs substances actives étaient également
associées au risque de survenue de LNH (lindane, dicamba, DDT, carbaryl,
carbofuran, diazinon, malathion, glyphosate). Cependant, aucun
effet-dose n’était évalué dans cette étude (analyse en oui/non). Le
risque de lymphome B était associé à l’exposition aux phénoxyherbicides
(de même que le lymphome diffus à grandes cellules B), au glyphosate et
au DDT (tout comme le lymphome folliculaire). De la seconde méta-analyse
provenant du consortium Agricoh, on retient que la plupart des
associations testées étaient non statistiquement significatives, excepté
pour les LNH et le terbufos ou le lymphome diffus à grandes cellules B
et le glyphosate, après ajustement sur les autres pesticides. Aucun
élément d’hétérogénéité entre les résultats des trois cohortes n’était
objectivé.
Entre 2013 et 2019, dix autres méta-analyses ont étudié le lien entre une
famille spécifique de pesticides ou une substance active et le risque de
LNH : deux sur les organochlorés, une sur les organophosphorés, une sur
les insecticides carbamates et organophosphorés, trois sur le
glyphosate, deux sur le phénoxyherbicide 2,4-D et une sur le
pentachlorophénol. La première sur les organochlorés rapporte une
augmentation du risque de LNH avec la famille des organochlorés, et de
fortes associations avec le dichlorodiphényldichloroéthylène (DDE),
l’hexachlorocyclohexane (HCH), l’hexachloro-benzène (HCB), et le
chlordane. En revanche aucune association n’était observée avec le DDT.
L’étude récente du North American Pooled Project rapporte des
associations positives entre plusieurs substances actives organochlorées
et différents sous-ensembles de LNH, en particulier pour le lindane, le
chlordane et le DDT : le lindane avec le lymphome folliculaire, le
lymphome diffus à grandes cellules B et le lymphome lymphocytique, le
chlordane avec le lymphome folliculaire et le lymphome lymphocytique, et
le DDT avec le lymphome diffus à grandes cellules B et le lymphome
lymphocytique. Cette analyse suggère une hétérogénéité étiologique
possible des LNH vis-à-vis de l’exposition aux substances actives
étudiées.
Il ressort de la méta-analyse sur les organophosphorés qu’une
augmentation statistiquement significative du risque de LNH était
observée pour l’exposition à une des trois substances actives
suivantes : malathion, diazinon, terbufos. Cette association était
significative uniquement pour certains types d’études (cas-témoins ou
cas-témoins nichées dans la cohorte). Certains de ces résultats sont
retrouvés dans une autre méta-analyse portant sur l’exposition aux
insecticides carbamates et organophosphorés, en particulier avec le
malathion pour lequel le risque augmentait avec la durée de l’exposition
rapportée par les agriculteurs. Ces résultats sont également observés
pour les sous-types lymphome diffus à grandes cellules B et lymphome
folliculaire. L’évaluation du rôle du mélange de tous les insecticides
organophosphorés et carbamates montrait une association entre la durée
d’exposition et le risque de LNH.
Concernant les méta-analyses centrées sur l’exposition au glyphosate, on
peut retenir que le risque de LNH était augmenté selon les études de 30
à 45 % selon que l’on évaluait le risque chez l’ensemble des sujets
(exposés versus non exposés) ou uniquement dans les groupes les
plus exposés. Dans une méta-analyse regroupant les études cas-témoins,
les ajustements sur les expositions aux autres pesticides diminuaient le
risque, ce qui n’était pas observé dans la méta-analyse réalisée à
partir des données de cohortes d’agriculteurs.
Concernant le 2,4-D, les auteurs s’intéressaient aux expositions les plus
élevées de chaque étude et identifiaient une association positive
statistiquement significative avec le risque de LNH. Cependant, une
hétérogénéité inter-études modérée incite à une certaine prudence dans
l’interprétation des résultats.
La dernière analyse de la cohorte AHS distinguait 26 familles de
pesticides ou substances actives. L’association positive avec
l’exposition au terbufos était retrouvée (sans effet-dose). En revanche,
les risques de LNH associés à l’exposition au DDT ou lindane
augmentaient avec le nombre total de jours d’exposition bien qu’aucune
association ne soit observée en binaire (exposé/non exposé). Certaines
associations entre substances actives et certains sous-types de
lymphomes étaient observées mais reposaient sur un petit nombre de
sujets exposés : lymphome folliculaire et lindane, diazinon.
À noter que la dernière analyse de la cohorte AHS centrée sur le
glyphosate ne mettait pas en évidence d’élévation du risque avec les LNH
ou ses principaux sous-types.
Enfin, dans la seule cohorte féminine en population générale publiée, les
femmes de moins de 65 ans ayant appliqué au moins une fois des
insecticides présentaient une élévation du risque de lymphome diffus à
grandes cellules B. Ces résultats méritent d’être répliqués pour
confirmer le lien entre l’exposition domestique aux insecticides et le
risque de survenue des différents sous-types de LNH.
De même, une étude cas-témoins apporte de l’information sur l’exposition
à 27 produits chimiques environnementaux corrélés, mesurés dans la
poussière domestique : les résultats montraient une association positive
entre l’index d’exposition mesuré et le risque de LNH et certains
sous-types (lymphome folliculaire et lymphome de la zone marginale).
Enfin, il faut mentionner de nouveaux travaux étudiant le rôle de
l’exposition professionnelle agricole aux pesticides sur le devenir du
patient au cours de son traitement montrant que l’exposition
professionnelle agricole aux pesticides était associée à un échec du
traitement, à la survie sans évènement et à la survie globale des
patients atteints de lymphome diffus à grandes cellules B.
L’ensemble des résultats renforce la présomption de lien entre la
survenue de LNH et l’exposition aux pesticides qui reste forte, comme
indiqué dans l’expertise de 2013.
Présomption d’un lien entre exposition aux pesticides et
LNH
Exposition
|
Populations concernées par un
excès de risque
|
Présomption d’un lien
|
Pesticides (sans distinction)
|
Agriculteurs, applicateurs,
ouvriers en industrie de
production
|
++
|
++ d’après les résultats de sept méta-analyses et d’une
cohorte prospective (AHS) en 2013 ; les nouvelles études ne
modifient pas le niveau de présomption.
La synthèse concernant les familles et substances actives impliquées dans
les excès de risque significatifs de survenue de LNH a été actualisée.
Le niveau de présomption de lien a été mis à jour d’après les résultats
des études publiées depuis 2013 et classé en niveaux de présomption
fort, moyen et faible. Les niveaux de présomption qui étaient forts en
2013 restent inchangés (lindane, DDT, organophosphorés et malathion), en
revanche les niveaux de preuve pour le diazinon et le chlordane sont
plus élevés qu’en 2013 avec un passage au niveau fort pour le diazinon.
La présomption d’un lien entre le glyphosate et le risque de LNH dans
des populations d’agriculteurs passe à un niveau plus élevé (de faible à
moyen). Pour le dicamba, un niveau de présomption faible est rapporté
pour la première fois. Le niveau de présomption reste faible pour les
substances actives suivantes : aldrine, atrazine, carbaryl, carbo-furan,
coumaphos, chlorpyrifos, MCPA, mécoprop, fonofos (non présentées dans le
tableau).
Familles et substances actives impliquées dans les excès
de risque de LNH
Famille Substances
actives
|
Populations concernées par un
excès de risque
|
Présomption d’un lien
|
Organochlorés
| | |
Lindane (isomère γHCH)
|
Applicateurs, agriculteurs
|
++
|
HCH (mélange d’isomères)
|
Éleveurs
|
+
|
DDT
|
Agriculteurs
|
++
|
|
Professionnels
|
+
|
Chlordane*
|
Agriculteurs
|
+
|
Dicamba
|
Agriculteurs
|
±
|
Organophosphorés
| | |
Sans distinction
|
Agriculteurs
|
++
|
|
Personnes exposées (professionnellement
ou par usage domestique)
|
+
|
Terbufos
|
Applicateurs
|
+
|
Diazinon*
|
Agriculteurs
|
++
|
Malathion
|
Agriculteurs
|
++
|
Carbamates /
Dithiocarbamates
| | |
Sans distinction (carbamates)
|
Agriculteurs
|
+
|
Butilate
|
Applicateurs
|
+
|
Triazines
| | |
Sans distinction
|
Ouvriers en industrie de
production
|
+
|
Phénoxyherbicides non contaminés par
les dioxines
| | |
2,4-D
|
Agriculteurs
|
+
|
Aminophosphonate
glycine
| | |
Glyphosate*
|
Agriculteurs, professionnels
|
+
|
++ au moins une méta-analyse et au moins une étude de
cohorte
+ au moins une étude de bonne qualité (cohorte et/ou
plusieurs études cas-témoins)
± deux études cas-témoins
positives mais une méta-analyse négative de trois cohortes
Données nouvelles
* Matière active pour
laquelle le niveau de présomption est passé à un niveau plus
élevé par rapport à 2013
Des éléments de preuves étaient également décrits concernant des
populations particulières chez qui un risque accru de LNH était observé
pour des expositions à des familles ou substances particulières de
pesticides. Il s’agissait en particulier des agriculteurs porteurs d’une
translocation chromosomique t(14 ; 18) mais aussi des agriculteurs
présentant un antécédent d’asthme ou d’hémopathie maligne, il n’y a pas
de changement par rapport aux conclusions de 2013 (tableau non
présenté). En revanche, l’approche par sous-types de LNH qui s’est
développée depuis 2013 a apporté des résultats intéressants concernant
des hypothèses de lien entre certaines substances actives ou familles de
pesticides avec des sous-types histologiques de LNH.
Un chapitre complet a été consacré aux mécanismes d’action des pesticides
dans les hémopathies dans la précédente expertise et seuls quelques
éléments de toxicologie seront abordés ici et concerneront les
substances actives pour lesquelles l’analyse de la littérature
épidémiologique a révélé des présomptions fortes de liens : malathion,
diazinon (organophosphorés), DDT et lindane (organochlorés).
La précédente expertise collective avait conclu que certains
organophosphorés sont des composés que l’on peut considérer comme
génotoxiques et pro-oxydants en lien avec l’activation de certaines
voies de signalisation impliquées dans la régulation de la prolifération
et de la survie cellulaire. Des études récentes confirment que les
mécanismes d’action du malathion et du diazinon sont principalement la
production d’espèces réactives de l’oxygène associée à un état
inflammatoire et à une génotoxicité. Les propriétés immunosuppressives
potentielles du malathion pourraient être également à l’origine du
développement d’hémopathies malignes. Des résultats récents suggèrent
aussi des effets de perturbation endocrinienne pour le malathion, et des
altérations des profils de méthylation de l’ADN pour le diazinon.
Concernant les organochlorés, l’expertise collective de 2013 avait conclu
sur la base d’études menées sur plusieurs modèles cellulaires et en
particulier dans les lymphocytes humains, que le DDT et son métabolite,
le DDE, pouvaient être considérés comme des molécules pro-œstrogéniques
et génotoxiques en partie par la production d’un stress oxydant. Des
effets immuno-modulateurs ont aussi été observés avec une inhibition de
la fonction des cellules NK (natural killer), cellules du système
immunitaire qui ont pour propriété de lyser les cellules tumorales. Ce
type d’inhibition était aussi décrit pour le lindane. Une publication
récente confirme son effet génotoxique. De plus, le lindane est
susceptible d’induire un stress oxydant et d’activer les processus
pro-apoptotiques dans des lymphocytes humains, ce qui est cohérent avec
les effets immunosuppresseurs décrits pour le DDT.
Les effets mécanistiques des organochlorés (production d’un stress
oxydant, apoptose et immunomodulation, génotoxicité) caractérisés dans
la littérature à ce jour sont en faveur de la plausibilité d’une
relation entre l’exposition chronique de ces composés et l’apparition
d’hémopathies malignes. Par ailleurs, bien que ces composés soient
potentiellement persistants, leur capacité à activer l’expression de
cytochromes P450 (probablement par liaison à des récepteurs de
xénobiotiques, également facteurs de transcription), pourrait modifier
le métabolisme de nombreux organes dont le compartiment lymphocytaire et
favoriser un phénotype tumoral. Cette hypothèse intéressante mériterait
d’être investiguée.
Myélome multiple
Le myélome multiple (MM) est une des hémopathies malignes les plus
fréquentes en France. Il est caractérisé par la présence d’une
infiltration de la moelle osseuse par des plasmocytes, la présence d’une
protéine monoclonale non IgM (sérique et/ou urinaire) et de lésions
osseuses (lacunes à l’emporte-pièce ou déminéralisation osseuse). On
estime à 5 442 le nombre de nouveaux cas de MM en France métropolitaine
en 2018. Les taux d’incidence standardisés sur la population mondiale
sont respectivement de 4,2 pour 100 000 personnes-années chez l’homme et
de 2,9 chez la femme (rapport hommes/femmes égal à 1,4). L’âge médian du
MM au diagnostic est de 70 ans chez l’homme et de 74 ans chez la femme.
Les taux d’incidence standardisés sur la population mondiale ont
augmenté durant la période d’étude chez l’homme et la femme avec une
variation annuelle moyenne de +1,1 % chez l’homme et +0,6 % chez la
femme. Entre 1995 et 2018, le nombre de cas de MM est passé de 1 440 à
2 822 chez les hommes et de 1 510 à 2 620 chez les femmes. Cette
augmentation, de 96 % chez l’homme et 74 % chez la femme, est
attribuable aux changements démographiques pour respectivement 58 % et
43 % alors que 38 % et 31 % de l’augmentation sont attribuables au
risque (dont une part est liée à l’amélioration du diagnostic, de
l’accès aux soins ou liée aux facteurs de risque).
À partir des données de six méta-analyses et deux cohortes (AHS et
cohorte nord-européenne), l’expertise collective Inserm de 2013 a conclu
à la présomption forte d’un lien entre l’exposition aux pesticides, sans
distinction de familles chimiques ou de substances actives, chez les
agriculteurs et les applicateurs de pesticides et le risque de survenue
de MM. L’expertise de 2013 n’avait pas pu conclure à un excès de risque
entre l’exposition à des substances actives et la survenue de MM.
Depuis l’expertise collective de l’Inserm publiée en 2013, cinq
méta-analyses ont été publiées, deux à partir de données de trois
cohortes d’agriculteurs, une spécifiquement centrée sur l’exposition au
glyphosate et deux analyses « poolées » d’études cas-témoins dont une
abordant des expositions à des pesticides spécifiques (carbaryl, captane
et DDT). Les deux méta-analyses réalisées à partir des données de trois
cohortes de travailleurs agricoles retrouvent des associations modérées
avec l’usage de certaines substances actives mais aucune association
statistiquement significative n’est mise en évidence entre l’exposition
à la plupart des familles ou substances étudiées et le risque de MM. En
revanche, un risque significativement élevé chez les éleveurs de
volailles ou de moutons a été observé. Ce risque avait été mis en
évidence dans la cohorte AHS. Les deux analyses « poolées » du
consortium InterLymph réalisées à partir d’études cas-témoins des
années 1980 à 2000 réalisées en population générale montraient que la
profession de jardinier/ouvrier de pépinière était associée au risque de
survenue d’un MM, à la limite de la significativité statistique (mais
pas la profession d’agriculteur) et que les utilisations de carbaryl, de
captane ou de DDT étaient toutes trois associées à un risque élevé de MM
avec des risques statistiquement significatifs.
Concernant le glyphosate, une méta-analyse d’études cas-témoins montrait
un risque élevé de MM statistiquement significatif chez les agriculteurs
exposés au glyphosate sans hétérogénéité entre les études et sans
identification de biais de publication. Cette association était robuste
à plusieurs analyses secondaires. En revanche, la récente ré-analyse de
la cohorte AHS ne mettait pas en évidence d’association entre
l’exposition au glyphosate et le risque de MM.
La dernière analyse de la cohorte AHS mettait en évidence une association
statistiquement significative entre l’exposition à la perméthrine et le
risque de MM avec des risques qui augmentent avec l’exposition (p de
tendance = 0,002).
La cohorte AGRICAN montrait un risque élevé de MM chez les agriculteurs
et en particulier ceux ayant commencé à utiliser des pesticides sur les
cultures dans les années 1960, sur le maïs, et ceux qui utilisaient des
insecticides sur les animaux.
Enfin, une étude cas-témoins canadienne montrait des tendances positives
du risque de MM avec le nombre de pesticides utilisés, pour les
fongicides et les pesticides classés comme cancérogènes probables par le
Centre international de recherche sur le cancer (Circ). Les hommes ayant
déclaré utiliser au moins un pesticide carbamate, un phénoxyherbicide ou
trois organochlorés ou plus avaient un risque accru de MM. L’herbicide
mécoprop (utilisation supérieure à 2 jours par an) était également
significativement associé au risque de MM.
En conséquence, la présomption d’un lien entre exposition professionnelle
aux pesticides et MM reste forte car basée sur plusieurs méta-analyses
de bonne qualité montrant des associations significatives.
Présomption d’un lien entre exposition aux pesticides et
myélome multiple
Exposition
|
Populations concernées par un excès
de risque
|
Présomption d’un lien
|
Pesticides (sans distinction)
|
Agriculteurs, applicateurs
|
++
|
|
Éleveurs
|
+
|
++ d’après les résultats de six méta-analyses et de
deux cohortes prospectives (AHS et cohorte nord-européenne) en
2013 ; les nouvelles études ne modifient pas le niveau de
présomption.
+ d’après les résultats d’une méta-analyse réalisée
à partir de trois cohortes Données
nouvelles
Le niveau de preuve pour distinguer les substances actives en lien avec
le MM reste faible mais permet d’en retenir plusieurs, ce qui n’était
pas le cas en 2013. L’exposition à la perméthrine est associée à un
risque accru de MM, avec des risques qui augmentent avec l’exposition
(tendance significative, AHS). Cette exposition entraîne des altérations
des paramètres hématologiques pouvant indiquer une hématopoïèse
perturbée, ce qui apporte des arguments à la plausibilité biologique de
l’association observée entre l’utilisation de perméthrine et le risque
de MM chez les applicateurs de pesticides. On peut noter une association
positive avec le glyphosate dans une méta-analyse (études cas-témoins)
qui n’est cependant pas retrouvée dans la méta-analyse des trois
cohortes d’agriculteurs (États-Unis, France, Norvège), ni la dernière
analyse de la cohorte AHS. On peut citer des associations avec le
carbaryl, le captane et le DDT qui reposent uniquement sur une étude
cas-témoins bien faite. Pour ces molécules la présomption de lien est
considérée comme faible (±).
Familles et substances actives impliquées dans les excès
de risque de myélome multiple
Famille Substances
actives
|
Populations concernées par un
excès de risque
|
Présomption d’un lien
|
Organochlorés
| | |
DDT
|
Population générale
|
±
|
Carbamates
| | |
Carbaryl
|
Population générale
|
±
|
Pyréthrinoïdes
| | |
Perméthrine
|
Applicateurs
|
+
|
Aminophosphonate
glycine
| | |
Glyphosate
|
Agriculteurs
|
± a
|
Autres
| | |
Captane
|
Population générale
|
±
|
+ d’après les résultats d’une cohorte en 2013, confirmé
au suivi (AHS) Données nouvelles
± d’après les
résultats d’une analyse « poolée » de trois études cas-témoins
Données nouvelles
± a d’après les
résultats d’une méta-analyse de trois études cas-témoins et deux
analyses de la cohorte AHS qui se recoupent Données
nouvelles
Lymphome de Hodgkin
Le lymphome de Hodgkin est une maladie qui atteint les ganglions
superficiels ou profonds sur lesquels l’histologie affirme le diagnostic
d’une prolifération monoclonale de lymphocytes B composée en proportion
variable de cellules mononucléées de Hodgkin, de cellules plurinucléées
de Reed-Sternberg, au sein d’un infiltrat réactionnel composite. Le
lymphome de Hodgkin représente environ 10 % des lymphomes avec un nombre
de nouveaux cas en 2018 estimé en France à 2 130 cas. Les taux
d’incidence standardisés sur la population mondiale sont respectivement
de 3,7 et 2,7 pour 100 000 personnes-années chez l’homme et la femme en
2018 en France métropolitaine (rapport hommes/femmes égal à 1,4). L’âge
médian de survenue du lymphome de Hodgkin est de 33 ans chez la femme et
de 38 ans chez l’homme. Les taux d’incidence augmentent entre 1990 et
2018 de 1,2 % en moyenne par an chez l’homme et de 1,7 % chez la femme.
La majeure partie de cette tendance à la hausse est attribuable à une
augmentation du risque alors qu’une faible partie est attribuable à des
changements démographiques.
À partir des données de quatre méta-analyses et d’une cohorte
prospective, l’expertise collective Inserm de 2013 a conclu à la
présomption faible d’un lien entre le risque de survenue de lymphome de
Hodgkin et l’exposition aux pesticides, sans distinction de familles
chimiques ou de substances actives, dans le secteur professionnel
agricole. L’expertise de 2013 n’avait pas pu conclure à un excès de
risque entre l’exposition à des substances actives et la survenue de
lymphome de Hodgkin.
La littérature scientifique publiée depuis 2013 est peu abondante avec
seulement trois études. Une méta-analyse (basée sur deux études
cas-témoins) et une mise à jour de la cohorte AHS, toutes deux centrées
sur l’exposition au glyphosate et basées sur des effectifs faibles, qui
ne montrent aucune association avec l’exposition au glyphosate. La
troisième étude est une étude cas-témoins canadienne en population
générale ; elle montre une association avec le chlorpyrifos et repose
également sur de faibles effectifs. Une seconde analyse de cette étude
rapporte un risque élevé de lymphome de Hodgkin associé à l’utilisation
d’au moins trois pesticides classés comme « probablement cancérogènes »
chez l’être humain par le Circ. Enfin, le risque chez les sujets de
moins de 40 ans ayant déclaré avoir utilisé deux inhibiteurs de
l’acétylcholinestérase était également augmenté significativement.
En conséquence, la présomption d’un lien entre exposition professionnelle
aux pesticides et lymphome de Hodgkin n’est pas modifiée par rapport à
2013.
Présomption d’un lien entre exposition aux pesticides et
lymphome de Hodgkin
Exposition
|
Populations concernées par un
excès de risque
|
Présomption d’un lien
|
Pesticides (sans distinction)
|
Professionnels du secteur
agricole
|
±
|
± d’après les résultats de quatre méta-analyses et
d’une cohorte prospective (AHS) en 2013 ; et d’une méta-analyse
(deux études cas-témoins), de la mise à jour de la cohorte AHS et
d’une étude cas-témoins canadienne ; les données nouvelles ne
modifient pas le niveau de présomption par rapport à
2013.
Leucémies
Les leucémies sont des proliférations monoclonales de cellules du tissu
hématopoïétique (tel que la moelle osseuse), bloquées à différents
stades de différenciation et circulant dans le sang. Le type de leucémie
dépend du type de cellule sanguine transformée (lymphoïde/myéloïde) et
de la croissance rapide ou lente de cette dernière (leucémie aiguë ou
chronique). Au sein de chaque groupe de leucémies (lymphoïde ou
myéloïde), de nombreux sous-types sont identifiés selon des données
morphologiques, immunophénotypiques, génétiques et cliniques.
La leucémie survient le plus souvent chez les adultes de plus de 55 ans,
mais il s’agit également du cancer le plus répandu chez les enfants de
moins de 15 ans (voir chapitre « Cancers de l’enfant »). Les deux types
les plus fréquents de leucémie sont la leucémie lymphoïde chronique
regroupée aujourd’hui avec le lymphome lymphocytique (LLC/LL) en une
seule entité (incidence standardisée sur la population mondiale en
France en 2018 respectivement 4 et 2 pour 100 000 personnes-années chez
l’homme et la femme ; 4 700 nouveaux cas en 2018) et la leucémie aiguë
myéloïde (LAM) (respectivement 3 et 2 pour 100 000 personnes-années chez
l’homme et la femme en 2018 en France ; 3 450 nouveaux cas en 2018).
D’autres formes sont plus rares comme la leucémie/lymphome
lymphoblastique à cellules précurseurs (900 nouveaux cas en France en
2018), la leucémie myéloïde chronique (870 nouveaux cas en 2018), ou la
leucémie à tricholeucocytes (300 nouveaux cas en 2018). Les tendances de
l’incidence sont à la hausse pour la leucémie aiguë myéloïde (variation
annuelle moyenne d’environ 1 % dans les deux sexes) et la leucémie à
tricholeucocytes chez l’homme (cette leucémie rare étant 5 fois plus
fréquente chez l’homme que chez la femme).
À partir des données de sept méta-analyses et d’une cohorte prospective,
l’expertise collective Inserm de 2013 a conclu à la présomption moyenne
d’un lien entre l’exposition aux pesticides, sans distinction de
familles chimiques ou de substances actives, chez les agriculteurs, les
applicateurs et les ouvriers de l’industrie de production, et le risque
de survenue de leucémies. L’approche par familles chimiques avait permis
d’identifier les substances actives potentiellement concernées,
principalement des organochlorés et organophosphorés (tableau
ci-dessous).
Depuis 2013, trois méta-analyses ont été publiées : deux réalisées à
partir des données combinées de trois cohortes d’agriculteurs (AHS,
AGRICAN, CNAP), la troisième s’adressant spécifiquement à l’exposition
au glyphosate (trois études cas-témoins). Deux mises à jour de la
cohorte AHS ont été publiées, l’une porte sur un large panel de
substances actives tandis que l’autre est focalisée sur l’exposition
professionnelle au glyphosate. Enfin, les analyses « poolées » réalisées
dans le cadre du consortium InterLymph portent sur les principaux
facteurs de risque de leucémies lymphoïdes (leucémie lymphoïde
chronique, leucémie aiguë lymphoblastique, leucémie à tricholeucocytes)
analysés simultanément parmi lesquels la profession d’agriculteur.
Au regard des résultats de ces études, qui rapportent toutes des
associations entre le métier d’agriculteur et/ou l’utilisation de
substances particulières et le risque de leucémies, la présomption d’un
lien entre exposition professionnelle aux pesticides et leucémies reste
moyenne.
Présomption d’un lien entre exposition aux pesticides et
leucémies
Exposition
|
Populations concernées par un
excès de risque
|
Présomption d’un lien
|
Pesticides (sans distinction)
|
Agriculteurs, applicateurs,
ouvriers en industrie de
production
|
+
|
+ d’après les résultats de sept méta-analyses et d’une
cohorte prospective (AHS) en 2013, et de deux méta-analyses
supplémentaires ; les données nouvelles ne modifient pas le niveau
de présomption par rapport à 2013.
Chacune des études publiées depuis 2013 distingue le type de leucémie
étudiée et porte principalement sur les plus fréquentes (LLC/LL,
leucémie aiguë lymphoblastique) mais aussi sur des sous-types plus
rares, anciennement étudiés, comme la leucémie à tricholeucocytes. Des
éléments de preuve sont observés concernant la LLC/LL : une association
avec l’exposition professionnelle à la deltaméthrine à partir d’une
méta-analyse de trois cohortes (sans information sur un éventuel
effet-dose) ; une association avec le terbufos avec une tendance à une
augmentation du risque avec le nombre total de jours d’exposition
(cohorte AHS) ; une association avec le DDT chez les plus fortement
exposés (cohorte AHS). La majorité des associations identifiées repose
sur un faible nombre de personnes exposées. Aucune association n’est
observée avec le glyphosate ni avec la plupart des substances évaluées.
Concernant le risque de leucémie aiguë myéloïde, une association
positive avec l’utilisation de glyphosate est suggérée (cohorte AHS).
Malgré des effectifs faibles liés à la rareté de la leucémie à
tricholeucocytes, le risque d’occurrence de ce type de leucémie est
augmenté chez les agriculteurs et chez ceux qui ont été exposés au
glyphosate, mais sans atteindre la significativité statistique (niveau
de présomption faible ±).
Familles et substances actives impliquées dans les excès
de risque de leucémies
Famille Substances
actives
|
Populations concernées par un
excès de risque
|
Présomption d’un lien
|
Organochlorés
| | |
Organochlorés (sans
distinction)
|
Applicateurs
|
+
|
Lindane
|
Applicateurs
|
+
|
DDT
|
Applicateurs
|
+
|
Heptachlore
|
Applicateurs
|
+
|
Chlordane + heptachlore
|
Applicateurs
|
+
|
Toxaphène
|
Agriculteurs
|
+
|
Organophosphorés
| | |
Chlorpyrifos
|
Applicateurs
|
+
|
Diazinon
|
Applicateurs
|
+
|
Fonofos
|
Applicateurs
|
+
|
Malathion
|
Agricultrices
|
+
|
Terbufos
|
Applicateurs
|
+
|
Carbamates/Thiocarbamates/Dithiocarbamates
| | |
S-éthyl-dipropylthiocarbamate
(EPTC)
|
Applicateurs
|
+
|
Mancozèbe
|
Agriculteurs
|
+
|
Pyréthrinoïdes
| | |
Deltaméthrine
|
Agriculteurs
|
+ a
|
Chloroacétanilides
| | |
Alachlore
|
Ouvriers en industrie de
production
|
+
|
Aminophosphonate
glycine
| | |
Glyphosate
|
Applicateurs
|
±
|
+ d’après les résultats d’une cohorte ou d’une étude
cas-témoins nichée.
+ a d’après les résultats de la
méta-analyse de trois cohortes d’agriculteurs (Agricoh) Données
nouvelles
± d’après les résultats d’une étude de
cohorte (AHS) Données nouvelles
Cancer de la prostate
Cette glande est sujette, comme de nombreux autres organes, à une
transformation tumorale qui se révèle être dans la très grande majorité des
cas un adénocarcinome résultant de la transformation tumorale des cellules
de l’épithélium glandulaire.
Le cancer de la prostate est de nos jours la pathologie tumorale non-cutanée
la plus fréquente dans les pays développés chez l’homme. Son taux
d’incidence a augmenté de manière régulière au cours des dernières décennies
dans l’ensemble de ces pays. Depuis quelques années, dans certains pays et
régions où l’incidence avait le plus augmenté, on assiste à une moindre
progression, voire à une stabilisation ou à une diminution de l’incidence
(- 3,5 % par an entre 2010 et 2015 en France). De telles variations
pourraient correspondre à la conjonction de deux phénomènes : la plus grande
partie des cancers avancés ont déjà été diagnostiqués après plusieurs années
de dépistage, et des stratégies plus attentistes de la part des soignants et
de la population vis-à-vis du dépistage avec la prise de conscience d’un
risque de « sur-diagnostic ».
L’étiologie du cancer de la prostate est en grande partie inconnue.
Néanmoins, un certain nombre de facteurs de risque sont bien identifiés. Il
s’agit de l’âge, de la présence d’antécédents familiaux de cancer de la
prostate et des origines ethno-géographiques.
L’expertise collective Inserm 2013 avait conclu à la présomption forte d’un
lien entre l’exposition aux pesticides dans des circonstances d’usage
professionnel, sans distinction de familles chimiques ou de substances
actives, chez les agriculteurs, les applicateurs de pesticides et les
ouvriers de l’industrie de production de pesticides, et un risque accru de
survenue du cancer de la prostate.
De nouveaux travaux publiés depuis 2013 confirment que les populations
exerçant une activité professionnelle dans le secteur agricole sont plus à
risque de développer un cancer de la prostate que la population
générale.
Ces travaux récents en épidémiologie confortent donc les conclusions de 2013
sans qu’aucune conclusion supplémentaire ne puisse être avancée concernant
les catégories de pesticides impliqués selon leurs cibles d’emploi
(insecticides, fongicides, herbicides...) ou leurs familles chimiques
d’appartenance.
Présomption d’un lien entre exposition aux pesticides et
cancer de la prostate
Exposition
|
Populations concernées par un excès de
risque
|
Présomption d’un lien
|
Pesticides (sans distinction)
|
Agriculteurs, applicateurs, ouvriers en
industrie de production
|
++
|
++ d’après les résultats de six méta-analyses et une étude
de cohorte prospective (AHS) en 2013 ; les nouvelles études ne modifient
pas le niveau de présomption.
Pour ce qui concerne les substances actives de la famille des
organophosphorés, l’étude de cohorte AHS renforce le rôle, déjà suggéré lors
de l’expertise collective Inserm 2013, de l’insecticide fonofos dans la
survenue du cancer de la prostate chez les agriculteurs (associations
positives uniquement chez les sujets déclarant des antécédents familiaux de
cancer de la prostate ainsi que chez les sujets porteurs d’une forme
agressive de la maladie au diagnostic). D’autres insecticides de cette
famille, le terbufos et le malathion, ont été récemment associés chez les
agriculteurs à un risque augmenté de survenue du cancer de la prostate, mais
uniquement chez les sujets porteurs d’une forme agressive de la maladie au
moment du diagnostic. Aucune nouvelle publication n’a concerné les autres
organophosphorés potentiellement impliqués en 2013 dans la survenue du
cancer de la prostate chez les agriculteurs ou en population générale.
Pour les substances actives de la famille des organochlorés, en 2013, les
études sur l’exposition à l’insecticide DDT (ou le DDE, son principal
métabolite) et le risque de survenue du cancer de la prostate étaient
contradictoires. Une nouvelle étude cas-témoins en population générale
réalisée à la Guadeloupe, couplée à une mesure de l’exposition par le dosage
de la molécule dans le sang, a montré qu’il était associé positivement au
risque de survenue de cancer de la prostate avec une relation dose-effet
significative. Une autre étude suggère également le rôle du
trans-nonachlore, un composé minoritaire de l’insecticide chlordane,
en population générale. Comme pour les trois organophosphorés (fonofos,
terbufos et malathion), l’aldrine a été associée chez les agriculteurs à un
risque augmenté de survenue du cancer de la prostate, mais uniquement chez
les sujets porteurs d’une forme agressive de la maladie au moment du
diagnostic. Aucune nouvelle donnée n’a été identifiée pour la dieldrine, le
β-HCH ou le chlordane qui restent à un niveau de présomption faible (±, non
inclus dans le tableau). Notons finalement que de nombreuses substances
actives n’ont toujours pas fait l’objet d’études épidémiologiques concernant
leur lien avec le cancer de la prostate, en particulier les fongicides.
D’un point de vue mécanistique, la grande majorité des études ont été
réalisées sur des insecticides organochlorés, la plupart retirés du marché
en France mais qui sont toujours persistants dans l’environnement. Ces
études montrent que le β-HCH et le DDT/DDE présentent notamment des
capacités à interagir sur la régulation hormonale de la prostate, ce qui
rend biologiquement plausibles les associations observées dans les études
épidémiologiques en lien avec la survenue du cancer de la prostate.
Pour quelques substances actives moins persistantes (paraquat, glyphosate,
cyperméthrine, 2,4-D, atrazine, bénomyl, vinclozoline, prochloraze,
chlorpyrifos-méthyl et les fongicides cyprodinil, fenhexamide, fludioxonil),
pour lesquelles les études épidémiologiques n’ont pas montré d’association
avec le cancer de la prostate ou n’ont pas fait encore l’objet d’études
épidémiologiques, il existe des données mécanistiques compatibles avec ou
suggérant une implication dans le développement du cancer de la
prostate.
Familles et substances actives impliquées dans les excès de
risque du cancer de la prostate
Famille Substances actives
|
Populations concernées par un excès de
risque
|
Présomption d’un lien
|
Organochlorés
| | |
Aldrine
|
Agriculteurs porteurs de forme
agressive
|
+ a
|
Chlordécone*
|
Population générale
|
++
|
DDE
|
Population générale
|
+ b
|
Organophosphorés
| | |
Coumaphos
|
Agriculteurs avec antécédents familiaux de
cancer de la prostate
|
+ c
|
Fonofos
|
Agriculteurs avec antécédents familiaux de
cancer de la prostate
|
+ c
|
|
Agriculteurs porteurs de forme
agressive
|
+ a
|
Malathion
|
Agriculteurs porteurs de forme
agressive
|
+ a
|
Terbufos
|
Agriculteurs porteurs de forme
agressive
|
+ a
|
Carbamates/Thiocarbamates/Dithiocarbamates
| | |
Butilate
|
Agriculteurs
|
+ c
|
Carbofuran
|
Agriculteurs avec antécédents familiaux de
cancer de la prostate
|
+ c
|
Pyréthrinoïdes
| | |
Perméthrine
|
Agriculteurs avec antécédents familiaux de
cancer de la prostate
|
+ c
|
++ d’après les résultats d’une étude cas-témoins avec une
caractérisation par des marqueurs biologiques de l’exposition en 2013 et
d’une étude prospective ; renforce le résultat de 2013
+
a d’après les résultats de la cohorte AHS Données
nouvelles ; + b d’après les résultats d’études
cas-témoins contradictoires en 2013, et une étude cas-témoins avec une
caractérisation par des marqueurs biologiques de l’exposition
Données nouvelles ;
+ c d’après les
résultats d’une étude cas-témoins nichée dans la cohorte AHS en
2013
* voir « Focus sur le chlordécone »
ci-dessous
Focus sur le chlordécone
Aux Antilles françaises, le chlordécone a été employé pour lutter contre
le charançon du bananier de 1973 à 1993 alors qu’au niveau mondial son
utilisation s’est arrêtée en 1976 lorsque l’usine de production aux
États-Unis a fermé. On estime à près de 6 000 tonnes de formulation
commerciale (à 300 tonnes de substance active) la quantité employée et
épandue aux Antilles. L’emploi du chlordécone aux Antilles a entraîné
une pollution persistante des sols et les résultats des travaux de
l’Inra ont montré, pour toutes les espèces animales étudiées, une
contamination particulièrement élevée en chlordécone (atteignant jusqu’à
plusieurs dizaines de mg par kg de poids corporel). On estime qu’au
moins un tiers des surfaces agricoles (20 000 hectares) et près de la
moitié des ressources en eau douce et du littoral marin sont pollués par
le chlordécone. Les surfaces agricoles polluées correspondent pour
l’essentiel à des soles bananières existantes sur la période
1973-1993.
Confirmant la forte capacité du chlordécone à se bioaccumuler tout le
long de la chaîne trophique, la contamination des populations résidentes
aux Antilles a été documentée. Le dosage du chlordécone a permis de
détecter la molécule dans diverses matrices (sang, graisses, lait). Dans
le sang, les taux de détection pouvaient atteindre 90 % avec des
concentrations jusqu’à plusieurs dizaines de µg/l. L’exposition a été
principalement reliée à la consommation d’aliments d’origine locale
eux-mêmes contaminés (principalement légumes racines, viandes,
poissons).
En Guadeloupe et en Martinique, le taux d’incidence du cancer de la
prostate (standardisé sur l’âge de la population mondiale) est
respectivement de 173 et de 164 pour 100 000 personnes-années sur la
période 2007-2014. Ce taux d’incidence aux Antilles est près de deux
fois supérieur au taux d’incidence estimé en France métropolitaine sur
la même période (88,8 pour 100 000 personnes-années) mais peut
s’expliquer par les origines subsahariennes de la population, groupe
ethno-géographique qui présente un risque élevé de développer la
maladie.
En raison de la fréquence du cancer de la prostate aux Antilles et des
propriétés neurotoxiques, toxiques pour la reproduction, cancérogènes,
de perturbation endocrinienne du chlordécone, des études
épidémiologiques ont été entreprises ces dernières années aux Antilles
pour identifier les risques sanitaires.
L’expertise collective de 2013 avait estimé qu’il existait une
présomption forte d’un lien entre l’exposition au chlordécone et le
risque de survenue du cancer de la prostate. Cette évaluation était
basée sur l’étude cas-témoins Karuprostate réalisée en Guadeloupe au
cours de la période 2004 à 2007 montrant un excès de risque de cancer de
la prostate avec une relation dose-réponse, mais également sur les
principales études portant sur les modes d’action biologiques de la
molécule. Une nouvelle étude publiée en 2019, issue de la même
population de cas incidents présente dans l’étude cas-témoins
Karuprostate et s’adressant de manière prospective à un évènement de
santé autre que celui de la survenue du cancer, a montré que
l’exposition au chlordécone était associée à un excès de risque, avec
une relation dose-réponse, de récidive biologique de la maladie après
traitement par prostatectomie radicale.
Une analyse détaillée a été réalisée sur l’ensemble des données
toxicologiques et mécanistiques existantes sur le chlordécone ainsi que
ses relations avec les mécanismes de la cancérogenèse, notamment
prostatique. Elle soutient le rôle du chlordécone comme promoteur
tumoral et sa capacité à intervenir dans les processus qui favorisent le
développement et la progression tumorale. Cela rend biologiquement
plausibles les associations observées entre le chlordécone et le cancer
de la prostate. En accord avec les conclusions de l’expertise collective
de 2013 et à la lumière des données scientifiques existantes à ce jour,
il apparaît que la relation causale entre l’exposition au chlordécone et
le risque de survenue du cancer de la prostate est vraisemblable.
Cancer du sein
La grande majorité des cancers du sein sont des adénocarcinomes qui se
développent à partir des cellules épithéliales tapissant les canaux de la
glande mammaire. Le taux d’incidence de ce cancer chez la femme en France
est d’environ 100 cas pour 100 000 personnes-années (58 459 nouveaux cas en
2018), et il varie selon l’âge avec un maximum entre 70 et 74 ans. Alors que
le cancer du sein est au premier rang des décès par cancer chez la femme,
les taux de mortalité montrent une diminution moyenne annuelle de 1,3 %
entre 1990 et 2018, ce qui pourrait s’expliquer par l’amélioration des
traitements ainsi que par le dépistage permettant un diagnostic de la
maladie à des stades plus précoces et donc curables. Son étiologie est en
grande partie inconnue. Cependant, des facteurs de risque ont été
identifiés : facteurs hormonaux ou reproductifs (par exemple la prise de
certains traitements hormonaux, l’âge des premières règles, de la première
grossesse ou de la ménopause), consommation d’alcool, de tabac, surpoids et
sédentarité. La présence d’antécédents familiaux de cancers, notamment ceux
dits « hormono-dépendants » (sein, ovaire), est également un facteur de
risque.
Les premières études épidémiologiques portant sur l’exposition aux pesticides
et le risque de cancer du sein datent des années 1990 et concernaient
l’insecticide organochloré, le DDT et son principal métabolite, le DDE.
L’implication de ces composés, généralement considérés comme non
génotoxiques, dans le processus cancérogène a suscité de nombreuses études
sur l’exposition aux pesticides dans la survenue du cancer du sein. Des
études portant sur l’exposition professionnelle chez des femmes travaillant
dans le secteur agricole ont montré soit une augmentation soit une
diminution du risque relatif par rapport à la population générale. D’autres
ont examiné des circonstances d’exposition environnementale, liée à la
proximité résidentielle de zones agricoles, notamment aux insecticides
organochlorés. Alors qu’une étude de cohorte a montré un risque accru en
lien avec l’exposition au DDT avant l’âge de 20 ans (à une époque où
l’utilisation mondiale de cette substance était maximale), deux
méta-analyses d’une cinquantaine d’articles publiés jusqu’en 2013, utilisant
principalement le DDE comme un indicateur d’exposition, n’ont pas montré
d’excès de risque significatif du cancer du sein en lien avec l’exposition
environnementale au DDT.
Les données disponibles en 2013, qui ont été analysées dans la précédente
expertise collective de l’Inserm
4
Voir le chapitre sur le cancer du sein dans la section
« Communications » de l’expertise collective de l’Inserm
« Pesticides : Effets sur la santé », publiée en
2013.
, n’ont pas permis de conclure sur le lien éventuel entre
l’exposition professionnelle ou environnementale aux pesticides et le risque
de survenue d’un cancer du sein. Depuis, la littérature scientifique s’est
enrichie et il était important d’examiner à nouveau cette question dans la
présente expertise collective.
Concernant l’exposition professionnelle, une série de trois articles basés
sur la cohorte américaine Agricultural Health Study (AHS) ont examiné
le risque de survenue de cancer du sein chez environ 30 000 conjointes
d’agriculteurs ou utilisatrices de pesticides. Aucune association n’a été
retrouvée en lien avec l’utilisation des pesticides organochlorés (7 au
total), sauf pour la dieldrine dans le cas de tumeurs dont les récepteurs
hormonaux aux œstrogènes et à la progestérone sont négatifs (ER- PR-). Un
deuxième article, portant sur l’usage d’insecticides organophosphorés, a mis
en évidence une augmentation de risque du cancer du sein. Parmi les
8 substances actives analysées, seul le chlorpyrifos était associé à une
augmentation de risque à la limite de la signification statistique et
d’autant plus élevé en cas de tumeur ER- PR-. Un suivi ultérieur sur plus de
mille cas incidents de cancer du sein dans la cohorte AHS a confirmé un lien
avec le chlorpyrifos et a également retrouvé une association du même ordre
avec le terbufos.
D’autres études se sont intéressées au risque de la survenue du cancer du
sein en relation avec l’exposition environnementale aux pesticides. Quatre
publications ont mis en évidence des augmentations du risque statistiquement
significatives (OR entre 1,4 et 3,2) chez les femmes résidant à une distance
inférieure à 2 km d’une zone d’activité agricole ou industrielle ayant
recours à des pesticides. À noter que ces études n’apportent aucune
information sur les substances actives concernées (sauf pour le
chlorpyrifos, dans une étude) et elles reposent sur des évaluations
d’exposition peu précises.
Une dizaine d’études cas-témoins ont exploré le risque de survenue du cancer
du sein en lien avec les concentrations sanguines en pesticides
organochlorés. La majorité de ces études, portant sur des faibles effectifs,
rapportent des résultats discordants ou à la limite de la signification
statistique. Cependant, deux études sont intéressantes car elles montrent
que l’exposition environnementale au DDE ou DDT semblent influencer la
survie du cancer du sein. Portant respectivement sur 633 et 748 cas
incidents, ces études ont retrouvé un excès de décès spécifique par cancer
du sein à 5 ans pour le tercile d’exposition au DDT le plus élevé et à
20 ans pour le quartile d’exposition au DDE le plus élevé. Pour cette
dernière étude, le risque était encore plus élevé dans les cas de tumeurs
ER-.
La majorité des études épidémiologiques conduites à ce jour a porté sur des
périodes d’exposition à l’âge adulte et où la mesure des expositions a eu
lieu après le bannissement du DDT (1972 aux États-Unis). La question de la
période d’exposition aux pesticides en lien avec le risque de survenue du
cancer du sein a été explorée par plusieurs nouvelles publications aux
États-Unis, s’intéressant aux expositions à un âge plus jeune (moins de
20 ans), en particulier pour l’insecticide DDT. Une première étude a mis en
évidence un excès de risque du cancer du sein pendant la période de
transition de la ménopause (50 à 54 ans) chez les femmes directement
exposées au DDT (avant 1972) et ayant plus de 14 ans en 1945 (date de début
de l’emploi du DDT). Une autre étude, portant sur plus de 2 000 femmes
atteintes de cancer du sein, n’a pas trouvé de lien entre le cancer et
l’exposition aux pesticides pendant l’enfance et l’adolescence (avant
14 ans), quel que soit le statut hormonal de la tumeur. Cependant, un excès
de risque a été montré chez les femmes qui avaient moins de 18 ans en 1972.
Enfin, l’exposition maternelle au DDT avant 1972 pendant la grossesse, était
associée chez les filles à un excès de risque de survenue de cancer du sein
(OR = 3,7) pour le quartile d’exposition le plus élevé après ajustement sur
les autres composés organochlorés. Les données récentes constatent toujours
l’influence d’une exposition pendant la grossesse ou autour de la puberté
dans la survenue d’un cancer du sein avant la ménopause ou pendant la
période pré-ménopausique. Il est à noter que dans ces études, les périodes
d’âges d’exposition coïncident avec les années où l’utilisation du DDT dans
le monde était très élevée. Restent donc deux questions en suspens : Est-ce
que ces périodes d’exposition critiques le sont toujours de nos jours dans
la mesure où les niveaux d’exposition au DDT (ou à ses métabolites tels que
le DDE) ont fortement diminué ? Est-ce que ces périodes d’exposition
seraient également critiques au regard d’autres pesticides ? Le manque
d’études ne permet malheureusement pas d’y répondre.
Les études épidémiologiques publiées ces dernières années, prises dans leur
ensemble, n’apportent pas d’éléments supplémentaires permettant de réviser
les conclusions de la précédente expertise collective de l’Inserm selon
laquelle il n’est pas possible d’établir de liens convaincants entre
l’exposition professionnelle ou environnementale à des pesticides et la
survenue du cancer du sein. Néanmoins, de nouveaux travaux issus de la
cohorte AHS ont montré que l’exposition professionnelle à des insecticides
organophosphorés, notamment le chlorpyrifos, et dans une moindre mesure le
terbufos et le coumaphos, pourrait être associée à un risque augmenté de
cancer du sein. Ces associations, à la limite de la signification
statistique, mériteraient d’être confirmées par des études complémentaires.
Cette analyse critique de la littérature a été étendue au cancer du sein
masculin, mais aucune association n’a été retrouvée en lien avec
l’exposition aux pesticides en milieu professionnel dans les quelques études
épidémiologiques qui ont abordé cette question.
S’agissant des aspects mécanistiques issus d’études expérimentales, le DDT
comme la plupart des organochlorés ont un potentiel œstrogénique démontré
expérimentalement. Or, les cellules cancéreuses mammaires exprimant le
récepteur aux œstrogènes alpha, ont une prolifération stimulée en cas de
liaison d’agonistes à cette protéine. D’autres mécanismes stimulés par les
organochlorés autres que ceux passant par les récepteurs aux œstrogènes ont
été par ailleurs décrits dans les cellules mammaires (altération des
communications cellulaires, résistance à l’apoptose...). Cela confère une
certaine plausibilité biologique aux études épidémiologiques portant sur le
DDT à des périodes où ce pesticide était employé et où les expositions des
populations étaient importantes.
Pour ce qui concerne les insecticides organophosphorés, notamment le
chlorpyrifos, les études mécanistiques divergent en fonction des doses
employées. À de fortes doses, de faibles effets œstrogéniques, voire aucun,
sont observés. À l’inverse, à de faibles doses des effets pro-œstrogéniques
sont constatés par des mécanismes impliquant une stimulation du ERα mais
sans liaison directe au récepteur et plutôt par des modifications
post-traductionnelles. Ces éléments, susceptibles d’argumenter la
plausibilité biologique aux associations observées dans les quelques études
épidémiologiques concernant le chlorpyrifos, sont encore peu nombreux et
mériteraient d’être investigués plus en détail.
Familles et substances actives associées à un excès de risque
du cancer du sein
Famille Substances actives
|
Populations
|
Présomption d’un lien
|
Organochlorés
| | |
DDT
|
Population générale, exposition pendant la
période prénatale ou avant 18 ans*
|
+
|
Organophosphorés
| | |
Chlorpyrifos
|
Professionnels exposés en milieu
agricole
|
± a
|
Terbufos
|
Professionnels exposés en milieu
agricole
|
± b
|
+ d’après les résultats de deux études de cohorte
Données nouvelles
± a d’après les résultats
d’une étude de cohorte avec confirmation au suivi (AHS) Données
nouvelles
± b d’après les résultats d’une étude
de cohorte (AHS) Données nouvelles
* avant le bannissement
du DDT
Cancers de la vessie et du rein
Les cancers de la vessie et du rein représentent en France respectivement
environ 16 000 et 15 000 nouveaux cas par an, ce qui les situe aux
5e et 6e rangs parmi l’ensemble des localisations
de cancer. Vingt à trente pour cent des cas de cancer de la vessie sont des
tumeurs infiltrantes tandis qu’un tiers des cancers du rein se présentent
d’emblée lors du diagnostic avec des métastases. La survie à 5 ans de ces
cancers est de l’ordre de 75 %. Ils sont tous deux plus représentés chez les
hommes, avec des sex-ratios de six hommes pour une femme pour le cancer de
la vessie et de deux hommes pour une femme pour le cancer du rein.
Ces deux cancers sont très liés au tabagisme ainsi qu’aux rayonnements
ionisants. Le cancer de la vessie a été associé à certains secteurs
d’activité, notamment la production de colorants, d’aluminium, de caoutchouc
et la peinture industrielle. En effet, de nombreuses substances utilisées
dans ces secteurs professionnels, telles que les amines aromatiques et les
hydrocarbures aromatiques polycycliques, ont été associées avec un fort
niveau de preuve à ce cancer. Le cancer du rein a été associé pour sa part,
à un indice de masse corporelle élevé, à l’hypertension artérielle, et au
trichloroéthylène.
Sur le plan biologique, la survenue du cancer de la vessie s’expliquerait par
le contact des substances et des métabolites avec la muqueuse vésicale, qui
par leur réactivité, seraient susceptibles d’établir des liaisons covalentes
avec l’ADN et de former des adduits, un processus qui est reconnu comme une
étape de la cancérogénèse. Des susceptibilités génétiques interindividuelles
reposant sur des différences d’expression, d’inductibilité ou d’activité
d’enzymes participant à la bioactivation ou à la détoxification
expliqueraient également en partie la survenue de ce cancer. Par ailleurs,
de nombreuses altérations génétiques, plutôt liées à la prolifération
cellulaire ou l’instabilité du génome, et épigénétiques ont été impliquées
dans la formation des tumeurs de la vessie, selon des processus variables
pour les tumeurs superficielles ou infiltrantes. Les mécanismes conduisant
au cancer du rein, en particulier au carcinome rénal à cellules claires – la
forme la plus fréquente – seraient plutôt de nature épigénétique que
mutationnelle, impliquant notamment les voies de signalisation et les voies
impliquées dans la transition épithélio-mésenchymateuse, mais aussi
possiblement des modifications environnementales telles que l’hypoxie. Le
carcinome rénal à cellules claires est caractérisé par l’inactivation du
gène suppresseur de tumeur VHL, qui régule les réponses adaptatives à
l’hypoxie. Les étapes de cancérogénèse reposent entre autres sur
l’angiogenèse, l’assemblage de la matrice extracellulaire, la ciliogenèse,
la stabilisation des microtubules, la sénescence et la réparation de l’ADN.
Les données actuelles suggèrent toutefois que l’inactivation de VHL
n’est pas suffisante pour initier le cancer rénal. Une mutation de gène
PBRM1, un composant du complexe SWI/SNF de remodelage de la
chromatine, serait également impliquée dans la cancérogénèse.
Les premières études portant sur la survenue du cancer de la vessie en milieu
agricole, menées dès les années 1980, montraient généralement une moindre
incidence et une moindre mortalité qu’en population générale. Les
diminutions de risque étaient de l’ordre de 15 à 20 %. Le cancer du rein
n’était pour sa part que rarement étudié, et les résultats étaient peu
concordants entre les études. Cependant, celles-ci, en majorité de nature
rétrospective, ne prenaient souvent pas en compte le tabagisme et reposaient
sur des estimations imprécises de l’exposition aux pesticides. Aussi, compte
tenu de la force du lien entre le tabagisme et le cancer de la vessie,
l’association négative observée entre la profession d’agriculteur et le
cancer de la vessie pouvait s’expliquer, au moins en partie, par le moindre
tabagisme observé de manière répétée en population agricole, en particulier
dans les études portant sur des chefs d’exploitation. Cependant, comme pour
le cancer du poumon, ces résultats ne permettaient pas d’exclure l’existence
de facteurs de risque de cancer des voies urinaires en agriculture, et
notamment un éventuel rôle des pesticides.
Une méta-analyse a été publiée en 2016 concernant les effets des pesticides
sur le risque de cancer de la vessie. Elle a inclus 9 articles, dont
7 études cas-témoins et 2 études écologiques menées entre 1977 et 2011, et
calculé un risque combiné de 1,65 ; IC 95 % [1,22-2,22], mais avec une
hétérogénéité importante entre les études. Cependant, cette méta-analyse
n’était pas exhaustive : une vingtaine d’études ont été au total menées,
dont deux cohortes prospectives, deux cohortes rétrospectives et une
quinzaine d’études cas-témoins dont 8 concernaient des expositions
professionnelles.
Ainsi, en plus des études prises en compte dans cette méta-analyse, deux
cohortes prospectives, l’Agricultural Health Study et AGRICAN, ont
produit des connaissances sur le cancer de la vessie. La cohorte américaine,
à partir de 321 cas incidents a montré des associations positives
significatives avec certains herbicides (bentazone, bromoxynil, chlorambène,
diclofop-méthyl, imazaquine, 2,4,5-T, imazéthapyr) et certains insecticides
(DDT, aldicarbe, carbofuran, chlordane, toxaphène, fonofos, perméthrine)
ainsi que des tendances avec d’autres molécules (2,4-D, glyphosate). Dans la
cohorte française, le lien entre le cancer de la vessie et l’exposition aux
pesticides renseignée par le type d’activités agricoles a été étudié à
partir de 179 cas incidents. Le risque est apparu significativement élevé
chez les cultivateurs, en lien avec la durée de l’activité sur les cultures
au cours de la vie, approchant un quadruplement de risque chez les femmes
cultivatrices, et un triplement chez les hommes cultivateurs non-fumeurs. Le
travail sous serres et sur la culture de pois tendait à augmenter le risque,
notamment lorsque les personnes déclaraient utiliser des pesticides, de même
que les activités de ré-entrée en vignes.
La première cohorte rétrospective, menée en Colombie-Britannique (Canada),
portait sur des ouvriers de scierie et analysait sur la période 1950-1995 le
lien entre la survenue de cancers et l’exposition à des traitements du bois
à base de pentachlorophénol et tétrachlorophénol. Il n’apparaissait pas
d’association claire entre ces expositions et le cancer de la vessie. Par
ailleurs, la cohorte rétrospective d’éleveurs de moutons islandais observait
une association inverse avec l’exposition au traitement des moutons par le
lindane. Cependant ces deux cohortes rétrospectives ne prenaient pas en
compte le tabagisme des participants.
Sept des huit études cas-témoins ayant exploré les expositions
professionnelles aux pesticides, dont trois en Égypte, deux en Italie, une
en Turquie et deux aux États-Unis, ont mis en évidence des élévations de
risque de cancer de la vessie. Les contextes professionnels concernés
étaient variés (industrie pesticides, élevage, agriculture générale,
expositions para-professionnelles de femmes en Égypte). Les niveaux de
risque étaient parfois élevés, dépassant 2 dans 5 études (et au-delà de 4
dans 3 études), notamment pour des durées d’exposition dépassant 10 ans.
Par ailleurs, sept études cas-témoins ont porté sur des expositions de la
population générale (proximité de zones agricoles aux États-Unis et en
Belgique, contamination de l’eau par des dérivés arsenicaux utilisés en
agriculture aux États-Unis, teneurs plasmatiques en organochlorés) et n’ont
pas mis en évidence d’association significative avec le cancer de la vessie,
même si des tendances ont été observées dans trois d’entre elles.
Trois études écologiques ont mis en évidence des élévations modérées du
risque de cancer de la vessie en population générale, dont une menée en
France et basée sur les surfaces agricoles en viticulture sur la période
1986-1989.
Quelques études se sont intéressées au rôle de polymorphismes génétiques dans
l’association entre pesticides et cancer de la vessie. Elles ont en
particulier porté sur des gènes codant des enzymes impliquées dans le
métabolisme des xénobiotiques comme les glutathion S-transférases, les
N-acétyl-transférases ou les cytochromes P450, et suggéré l’existence de
certaines susceptibilités individuelles pouvant jouer un rôle dans la
survenue de ce cancer en lien avec les expositions aux pesticides.
Présomption d’un lien entre exposition aux pesticides et les
cancers de la vessie
Exposition
|
Populations concernées par un excès de
risque
|
Présomption d’un lien
|
Pesticides (sans distinction)
|
Professionnels
|
+
|
Pesticides au domicile (proximité,
usages domestiques)
|
Population générale
|
±
|
+ d’après les résultats de deux cohortes prospectives et de
huit études cas-témoins Données nouvelles
± d’après les
résultats de sept études cas-témoins et trois études écologiques
Données nouvelles
Une méta-analyse parue en 2016 a inclus 11 études (7 analyses de cohortes et
4 études cas-témoins) ayant porté sur le lien entre l’exposition aux
pesticides et le cancer du rein. Elle a mis en évidence une élévation du
risque de 10 à 30 % statistiquement significative mais avec une
hétérogénéité importante entre les études.
En raison du faible nombre de cas incidents, la cohorte américaine n’a pas
analysé à ce jour de manière spécifique le cancer du rein en lien avec les
50 molécules intégrées au questionnaire d’inclusion. Elle a cependant
produit des données dans plusieurs analyses portant sur des molécules
spécifiques (trifluraline, l’imazéthapyr et le diazinon), sans mettre en
évidence d’association statistiquement significative. La cohorte française
n’a pas à ce jour analysé spécifiquement le cancer du rein. La cohorte
rétrospective menée dans des scieries montrait un doublement du risque de
cancer du rein chez les ouvriers exposés au pentachlorophénol. Les études
toxicologiques ne rapportent pas de risque d’induction de cancer du rein
mais ce composé est classé cancérogène certain par le Circ depuis 2016 en
raison de liens avec des tumeurs hématopoïétiques. Une relation inverse
était observée entre le lindane et le cancer du rein dans la cohorte
rétrospective d’éleveurs de moutons islandais.
Quatre études cas-témoins, dont deux qui portaient sur plus de 1 000 cas, ont
exploré le lien entre l’exposition professionnelle aux pesticides et le
cancer du rein, toutes ont trouvé des élévations de risque, mais non
significative pour la plus petite d’entre elles (39 cas). Ainsi un
quadruplement de risque a été observé pour des expositions de plus de 20 ans
à des herbicides ou des insecticides, un doublement de risque au Canada pour
des utilisations de pesticides ou d’herbicides, et risque au-delà de 2 en
Europe Centrale et de l’Est pour des expositions aux pesticides de plus de
8 ans. Aucune étude cas-témoins n’a exploré le lien entre les expositions
non professionnelles aux pesticides et la survenue de cancer du rein, et une
seule étude écologique au Costa-Rica n’a pas trouvé de lien.
Présomption d’un lien entre exposition aux pesticides et les
cancers du rein
Exposition
|
Populations concernées par un excès de
risque
|
Présomption d’un lien
|
Pesticides (sans distinction)
|
Professionnels
|
+
|
+ d’après les résultats de quatre études cas-témoins
Données nouvelles
Des données épidémiologiques rapportent une association entre l’exposition à
l’arsenic (classé groupe 1 par le Circ), produit lors de la fabrication de
pesticides, et le développement des cancers du rein et de la vessie dont le
mécanisme repose pour partie sur l’induction d’espèces réactives de
l’oxygène qui induisent des cassures simple- et double-brins de l’ADN. Ces
dommages sont à l’origine de remaniements chromosomiques impliqués dans le
processus de tumorigenèse.
Des associations entre des pesticides ayant une structure proche d’amines
aromatiques (imazéthapyr et imazaquine) et le cancer de la vessie ont été
observées dans l’AHS, mais des liens ont également été mis en évidence avec
d’autres herbicides. Cependant l’exposition de rongeurs à l’imazéthapyr ou
l’imazaquine a conclu à une absence d’effet cancérogène, et les résultats
sont négatifs pour des effets génotoxiques ou mutagènes sur différents tests
in vitro ou in vivo.
Concernant les organochlorés, une association avec quelques substances
actives est rapportée d’après les études épidémiologiques. Le chlorothalonil
(fongicide) est classé en groupe 2B par le Circ (cancérogène possible) du
fait respectivement d’une perturbation de la respiration mitochondriale et
d’un effet perturbateur endocrinien avec une faible activité antagoniste
vis-à-vis du récepteur des androgènes. Cette activité cancérogène n’a pas
été retrouvée chez l’être humain. Le pentachlorophénol (PCP) est classé en
2019 cancérogène certain par le Circ (groupe 1). Les données de
cancérogenèse expérimentale in vivo indiquent un effet cancérogène
faible mais significatif chez les rongeurs. Les données issues des tests de
mutagenèse et génotoxicité concernant le PCP montrent un effet général
positif, et lorsque les tests sont réalisés avec le métabolite majeur
tétrachloro-hydroquinone les effets obtenus sont aussi positifs (adduits à
l’ADN ou de dommages oxydatifs).
Quelques études épidémiologiques mentionnent une association entre le cancer
de la vessie et des dérivés chlorophénoxy : le 2,4-D ou le 2,4,5-T. Ces
dérivés sont classés dans le groupe 2B par le Circ, dans le groupe D (Not
Classifiable as to Human Carcinogenicity) par l’Agence américaine de
protection de l’environnement (EPA) ou non classés par l’Agence européenne
des produits chimiques (Echa). Contaminants dans l’eau de boisson, ils sont
pour la plupart des composés hautement toxiques pour l’environnement et pour
certains, il est avancé un effet perturbateur endocrinien.
Les expérimentations de cancérogénèse du 2,4-D ou 2,4,5-T chez les rongeurs
aboutissent à des résultats ambigus positifs pour certains dérivés mais
contestés par les industriels en raison d’une contamination par des
impuretés dioxines/furanes classés comme cancérogènes ou d’expérimentations
mal conduites. Les résultats des tests in vitro de génotoxicité ou
mutagenèse conduits sur ces pesticides sont généralement négatifs avec
cependant quelques expérimentations qui orientent vers un effet génotoxique
en rapport avec l’induction d’un stress oxydant.
Parmi les organophosphorés, seul le malathion a été identifié comme
favorisant l’apparition d’anomalies rénales pré-cancéreuses chez le rat, en
cas de co-exposition au 17ß-œstradiol mais il n’apparaît pas dans les études
épidémiologiques.
Des recherches approfondies sont nécessaires pour mieux définir comment les
pesticides contribuent aux altérations moléculaires qui sont à l’origine du
développement du cancer de la vessie et du rein. L’analyse de la littérature
scientifique la plus récente a fait ressortir plusieurs domaines qui devront
faire l’objet des études fondamentales prioritaire en toxicologie :
i) pour les pesticides proches structurellement d’amines aromatiques,
rechercher d’autres mécanismes de cancérogenèse que le seul effet
génotoxique ; ii) étudier les interactions gènes-environnement
(polymorphismes des enzymes du métabolisme ou de la détoxification par des
enzymes anti-oxydantes), iii) étudier les effets cancérogènes dans
des contextes de co-exposition à d’autres agents environnementaux
(tabagisme).
Sarcomes des tissus mous et des
viscères
Les sarcomes des tissus mous et des viscères sont des tumeurs malignes rares,
représentant moins de 1 % de tous les cancers chez les adultes. Ils se
développent aux dépens des tissus de soutien de l’organisme ; les tissus
adipeux, les tissus fibreux comme les tendons et les ligaments, les muscles
striés ou lisses, les vaisseaux sanguins et lymphatiques et le derme. Ils
surviennent aussi au niveau de viscères, comme la paroi du système
digestif (estomac, intestin et côlon). Le pronostic est déterminé par la
présence de métastases qui sont majoritairement pulmonaires et présentes
dans environ 10 % des cas, ainsi que par la taille, le grade et le stade de
la tumeur, et son emplacement. On recense plus de 50 types histologiques,
dont la nature et le classement évoluent avec les progrès de la biologie
moléculaire et la découverte de nouvelles entités.
Les dernières estimations réalisées par le réseau FRANCIM portent à
2 658 nouveaux cas annuels le nombre de ces tumeurs chez l’homme et à
2 636 nouveaux cas chez la femme en France, soit des taux d’incidence
proches de 5 cas pour 100 000 personnes-années. D’après des registres
européens et américains, le taux de survie à 5 ans de ce cancer est, tous
types confondus, de l’ordre de 60 à 65 %.
L’étiologie de ces tumeurs est mal connue. La majorité sont des cas
sporadiques, mais des associations avec certains syndromes génétiques tels
que la maladie de Recklinghausen, le syndrome de Li-Fraumeni, le syndrome de
Werner et le rétinoblastome sont aujourd’hui établies. Certains sarcomes
apparaissent en lien avec des maladies du système immunitaire (sarcome de
Kaposi dans le SIDA). Des facteurs de risque de l’environnement général ou
professionnel sont par ailleurs également suspectés, tels que les
rayonnements ionisants, les dioxines, le chlorure de vinyle (pour
l’angiosarcome hépatique), l’arsenic, ou encore les pesticides.
La question du rôle des pesticides dans la survenue de sarcomes des tissus
mous et des viscères a émergé très tôt par rapport au questionnement général
sur les effets des pesticides sur la santé, dès la fin des années 1970 à la
suite d’observations cliniques en Suède. Le nombre de patients atteints de
cette pathologie et ayant manipulé des phénoxyherbicides était apparu
anormalement élevé à des oncologues suédois. Des études épidémiologiques sur
ces substances ainsi que sur les chlorophénols se sont alors multipliées
dans les années 1970 et 1980 afin de clarifier le rôle spécifique de ces
herbicides dans la survenue des sarcomes. C’est pourquoi plusieurs articles
de synthèse ont été publiés sur le rôle des pesticides dans la survenue des
sarcomes des viscères et des tissus mous, mais aucun d’entre eux n’a une
portée générale sur l’utilisation des pesticides en agriculture : ils se
sont généralement focalisés sur la question spécifique du potentiel
cancérogène des phénoxyherbicides (dont le 2,4-D) ou des chlorophénols. La
dernière revue sur le sujet incluait l’ensemble des études publiées jusqu’en
2014 concernant le rôle des phénoxyherbicides dans la survenue des sarcomes
des tissus mous, soit 10 études cas-témoins et 10 études de cohortes. Les
auteurs n’ont pas calculé de risque combiné à partir de ces études et, comme
les revues précédentes, concluaient qu’il n’était pas possible d’être
définitif quant à l’existence d’un risque associé à ces substances, sur la
base des données existantes.
En raison de la faible incidence de ces cancers, les cohortes prospectives
AHS et AGRICAN n’ont pas à ce jour produit de données sur le risque de
sarcome en lien avec des expositions agricoles. Neuf analyses de cohortes
rétrospectives, menées dans l’objectif d’explorer l’hypothèse d’un lien avec
les chlorophénols ou les phénoxyherbicides, ont été recensées entre 1979 et
1986, aussi bien dans le contexte industriel qu’en agriculture. Certaines de
ces cohortes ont ensuite été poursuivies de manière prospective dans les
années 1990. Quatre d’entre elles comportaient moins de 500 travailleurs de
sites de production et étaient très peu informatives car le nombre de cas
restait limité et ne permettait généralement pas de conclure même si des
tendances à des excès de sarcomes étaient observées. Un projet du Centre
international de recherche sur le cancer a permis de combiner les données de
24 cohortes à l’échelle internationale, réunissant au total 26 615 ouvriers,
et concernant des expositions aux phénoxyherbicides et chlorophénols sur la
période 1939-1992, en prenant en compte les expositions aux dioxines. À
partir de la survenue de 9 cas de sarcomes, l’exposition aux
phénoxyherbicides et aux chlorophénols était associée à un doublement de
risque de sarcome, à la limite de la significativité statistique (OR = 2,0 ;
IC 95 % [0,91-3,79]). Cette analyse a été complétée d’une étude cas-témoins
nichée, permettant une estimation approfondie des expositions aux
phénoxyherbicides et chlorophénols, en prenant en compte des durées et des
scores cumulés d’exposition (sur la base des secteurs, tâches, équipements
de protection...). Le risque était multiplié par 10 pour les expositions aux
phénoxyherbicides globalement et les risques étaient élevés pour le 2,4-D,
le 2,4,5-T et le MCPA, mais les résultats ne sont pas statistiquement
significatifs car les effectifs sont faibles. En revanche, il n’était pas
mis en évidence d’élévation du risque en lien avec les chlorophénols.
Par ailleurs, trois cohortes rétrospectives ont été menées dans le contexte
agricole. La première portait sur le rôle des expositions aux
phénoxyherbicides dans la survenue de sarcomes des tissus mous dans une
cohorte de 350 000 travailleurs agricoles et forestiers en Suède. Après
caractérisation des expositions en sous-catégories à partir de l’intitulé
des professions, il n’était pas observé d’élévation du risque de sarcome
globalement ni dans chacune des catégories de professions. La seconde, en
Finlande, incluait près de 2 000 applicateurs d’herbicides, mais ne décelait
pas de cas de sarcomes sur une période de suivi de 18 années. Enfin, une
cohorte danoise de plus de 3 000 jardiniers, menée sur la période 1975-2001,
montrait une fréquence plus élevée de sarcomes chez les jardiniers nés avant
1915, considérés comme les plus exposés aux pesticides.
Une quinzaine d’études cas-témoins a été menée concernant le rôle des
pesticides dans la survenue de sarcomes. La première de ces études,
suédoise, à partir de 52 cas et 208 témoins mettait en évidence un risque 5
à 6 fois plus élevé de sarcomes chez les personnes exposées soit aux
phénoxyherbicides soit aux chlorophénols. Cette étude s’appuyait sur un
registre national de cancers et confirmait les diagnostics par une expertise
anatomopathologique des tumeurs, et l’estimation des expositions reposait
sur la déclaration des individus. L’hypothèse d’une contamination de ces
pesticides par des dioxines (impuretés de fabrication) a été d’emblée
évoquée par les auteurs. Une seconde étude a été initiée dans le même pays
et selon un protocole identique, mais dans une autre région. Elle a mis en
évidence des résultats similaires en incluant 110 cas et 220 témoins, à une
période où le 2,4,5-TP, le phénoxyherbicide le plus fréquemment contaminé
par des dérivés de dioxine, était interdit. Dans cette deuxième étude, des
élévations de risque étaient observées aussi pour des phénoxyherbicides
(2,4-D ou MCPA) a priori moins ou pas contaminés par des dioxines.
Dans la suite immédiate de ces deux études suédoises qui montraient des
risques élevés, de nombreuses études cas-témoins ont été menées dans divers
pays : en Grande-Bretagne, en Nouvelle-Zélande, en Italie ; dans l’État du
Kansas, de Washington, et dans d’autres États nord-américains, en Suède, en
Australie. Ces études, menées dans les années 1970 à 1990, étaient au total
peu concordantes concernant le rôle des phénoxyherbicides et des
chlorophénols, certaines montrant des élévations de risque, parfois
statistiquement significatives, d’autres non, chez des travailleurs
agricoles, des travailleurs du bois ou des jardiniers.
Deux études se sont intéressées à d’autres secteurs professionnels. Aux
États-Unis, une étude a montré une élévation du risque chez les éleveurs
ayant réalisé des traitements insecticides sur les animaux, plus marquée
pour les périodes les plus anciennes, pour les applications par
pulvérisation et les poudrages, et chez les personnes qui ne portaient pas
d’équipements de protection, plus nette pour les sarcomes fibreux ou
myomateux. Une étude canadienne, qui n’observait pas de lien avec les
phénoxyherbicides, mettait en évidence une tendance à l’élévation du risque
avec les insecticides et les fongicides ainsi qu’avec le traitement des
semences de pommes de terre, et un risque significatif chez les éleveurs de
poulets était mis en évidence ainsi qu’une tendance chez les éleveurs de
moutons et de petits animaux. Des analyses portant sur des substances
actives spécifiques montraient des liens avec l’aldrine et le diazinon, pour
cette dernière molécule plus particulièrement pour les sarcomes
indifférenciés ainsi que les sarcomes fibromateux et myomateux.
Ainsi, au total, une dizaine d’études de cohorte et une quinzaine d’analyses
cas-témoins ont à ce jour exploré le lien entre les pesticides et les
sarcomes des tissus mous et des viscères. Une attention particulière a été
portée à deux familles de pesticides : les phénoxyherbicides et les
chlorophénols, notamment dans les années 1970 et 1980 suite à des études
cas-témoins suédoises qui montraient des associations particulièrement
fortes avec ces substances. La contamination de ces pesticides par des
dioxines lors de certains procédés de fabrication semblait pouvoir en partie
expliquer les résultats et la divergence entre les études des différents
pays. Mais les divergences pouvaient aussi s’expliquer par des différences
méthodologiques, notamment les difficultés de caractérisation des cas
(simple repérage sur des codes de la classification internationale des
maladies ou caractérisation histopathologique précise, prise en compte de
l’ensemble des sarcomes ou de sous-ensembles), ainsi que le choix des
groupes (témoins sélectionnés en population générale ou parmi d’autres cas
de cancer des registres), ou encore la caractérisation des expositions
(simple intitulé d’emploi ou enquête détaillée sur la nature des
expositions, leurs durées, leurs intensités). Par ailleurs, la rareté de la
maladie s’accompagnait d’estimations instables, basées sur des nombres de
cas très limités, en particulier dans les cohortes. Au final, si le rôle de
dioxines était plausible dans les études portant sur des populations
exposées de manière importante au 2,4,5-T, on ne pouvait exclure
formellement le rôle propre des phénoxyherbicides et des chlorophénols, ni
même celui d’autres pesticides dans la survenue de ces tumeurs. À partir des
années 1990, de nouvelles études ont ainsi suggéré des liens avec des
insecticides, notamment dans le traitement des animaux d’élevage, ainsi que
des élévations de risque dans d’autres contextes professionnels tels que les
métiers du bois.
Présomption d’un lien entre exposition aux pesticides et les
sarcomes des tissus mous et des viscères
Exposition
|
Populations concernées par un excès de
risque
|
Présomption d’un lien
|
Pesticides*
|
Travailleurs agricoles, travailleurs du bois,
jardiniers, éleveurs
|
+
|
* principalement des phénoxyherbicides et des
chlorophénols
+ d’après les résultats d’une cohorte et de plusieurs
études cas-témoins Données nouvelles
Autres évènements de santé
Les problèmes de santé respiratoire, les pathologies de la thyroïde et
l’endométriose n’avaient pas été analysés dans l’expertise de 2013 et font
l’objet dans cette partie d’une analyse des études épidémiologiques et
toxicologiques.
Santé respiratoire
L’asthme et la bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO) sont des
maladies respiratoires chroniques fréquentes dont la prévalence a augmenté
au cours des dernières décennies. L’asthme est la maladie chronique la plus
fréquente chez les enfants, avec une prévalence en France de 11 % ; la
prévalence de la BPCO atteint 5 à 10 % de la population des plus de 45 ans
en France. Plus qu’une maladie, l’asthme est un syndrome respiratoire qui
apparaît souvent dans l’enfance et se manifeste par des crises de durées et
d’intensités variables, pendant lesquelles le patient présente une
difficulté à respirer, une respiration sifflante, de la toux, et une
sensation d’oppression thoracique. La BPCO, qui se développe en général à
partir de 40-50 ans, est définie selon les dernières recommandations
internationales par l’existence concomitante de symptômes respiratoires et
d’un trouble ventilatoire obstructif fixé. Dans les études épidémiologiques,
l’asthme est souvent évalué par questionnaire, le plus souvent sur la base
d’une question sur la présence d’un diagnostic d’asthme qui est une
définition très spécifique, mais aussi par la présence de symptômes
respiratoires évocateurs d’asthme, en particulier les sifflements au cours
des 12 derniers mois, qui est une définition globalement plus sensible, mais
avec une spécificité moindre (bien qu’elle reste élevée). Le diagnostic de
BPCO auto-déclaré est une définition spécifique mais très peu sensible ;
cette définition est donc peu appropriée pour définir la prévalence de la
maladie, mais reste opérationnelle dans le contexte d’études étiologiques
dans lesquelles il est préférable de disposer de définition de la maladie
avec une grande spécificité. Bien sûr, quand cela est possible, une
définition basée sur les données de spirométrie post-bronchodilatation reste
la technique de référence pour évaluer la BPCO en épidémiologie.
L’étiologie de ces maladies respiratoires chroniques reste mal comprise.
L’asthme et la BPCO ont une composante génétique mais leur recrudescence
rapide dans les pays développés souligne l’impact majeur de l’environnement
au sens large. Plusieurs types de facteurs environnementaux, protecteurs
(vie à la ferme, contact avec des agents infectieux dans la petite
enfance...) ou nocifs (tabac, pollution de l’air, certaines expositions
professionnelles...) ont été mis en cause dans le développement de l’asthme.
Le tabac est le principal facteur de risque de la BPCO puisque 80 % des cas
sont attribuables au tabagisme actif ou passif. Néanmoins, d’autres facteurs
environnementaux ont été identifiés tels que la pollution de l’air, les
expositions professionnelles à certaines substances chimiques (poussière de
charbon, silice, poussières organiques...) ou sont suspectés, tels que
l’exposition aux pesticides.
La littérature sur l’impact des pesticides sur la santé respiratoire est
importante avec au total une centaine d’articles dont les deux tiers portent
sur les expositions professionnelles : 67 articles sur les expositions
professionnelles, dont 28 articles depuis 2014 (date de la dernière revue de
la littérature) et 34 articles sur les expositions environnementales, dont
14 depuis 2014. Une revue de la littérature publiée en 2015 portant sur le
rôle possible des expositions professionnelles aux pesticides dans
l’apparition de symptômes et maladies respiratoires (asthme, BPCO, bronchite
chronique) concluait que l’exposition professionnelle aux pesticides
présentait un risque pour la santé respiratoire. Elle soulignait cependant
la nécessité d’études supplémentaires, notamment des études de cohorte avec
une caractérisation approfondie des expositions afin de documenter les
relations dose-réponse et les expositions spécifiques aux pesticides et avec
des mesures objectives de la santé respiratoire, en particulier des mesures
de spirométrie pour évaluer l’obstruction bronchique. En ce qui concerne les
expositions environnementales, la revue de la littérature de 2015 concluait
à la nécessité d’études supplémentaires pour évaluer le rôle de l’exposition
environnementale aux pesticides sur la santé respiratoire des enfants et des
adultes. On note une forte variabilité de l’estimation de l’exposition et de
la définition de l’évènement de santé ; de ce fait seules deux
méta-analyses, l’une ciblant l’exposition professionnelle aux pesticides sur
le risque de BPCO/bronchite chronique chez l’adulte et une seconde sur
l’association entre l’exposition prénatale au DDE et la santé respiratoire
des enfants, ont été publiées.
Au sujet des expositions professionnelles, la méta-analyse récente basée sur
9 cohortes conclut à un risque de BPCO ou bronchite chronique
significativement augmenté avec l’exposition aux pesticides (OR = 1,33 ;
IC 95 % [1,21-1,47]). Par ailleurs, les résultats des récentes études de
cohortes en population générale, dont l’exposition était basée sur la
matrice emploi-exposition ALOHA, et des cohortes d’agriculteurs ont permis
d’étayer le rôle de l’exposition aux pesticides sur le niveau et le déclin
de la fonction ventilatoire et sur l’incidence de la BPCO. Les études
exposés-non exposés ou les études transversales conduites dans différentes
régions du monde convergent pour indiquer un effet délétère de l’exposition
professionnelle aux pesticides sur la santé respiratoire, et plus
particulièrement les symptômes respiratoires, l’asthme, la fonction
respiratoire, bien que la plupart de ces études aient été conduites sur des
échantillons de petite à moyenne taille (< 300 personnes).
Présomption d’un lien entre exposition aux pesticides et des
altérations de la santé respiratoire
Exposition/populations
|
Effets
|
Présomption d’un lien
|
Exposition professionnelle aux pesticides
(sans distinction)
|
Fonction respiratoire
|
+
|
Asthme, sifflements
|
+
|
BPCO, bronchite chronique
|
++
|
Exposition environnementale aux pesticides au
domicile (proximité, usages domestiques)
|
Fonction respiratoire
|
±
|
Asthme, sifflements
|
+
|
++ d’après les résultats d’une méta-analyse de très bonne
qualité et convergence avec les résultats des études publiées depuis la
méta-analyse Données nouvelles
+ d’après les résultats de
plusieurs études dont au moins une grande cohorte Données
nouvelles
± d’après les résultats de plusieurs études mais
pas d’études de cohorte Données nouvelles
En milieu professionnel, une dizaine d’études chez des agriculteurs, avec en
premier lieu la cohorte AHS (9 articles) portant sur un large nombre
d’agriculteurs (> 20 000), ont évalué l’impact de l’utilisation de
pesticides spécifiques sur différents paramètres de la santé respiratoire.
Ces études ont permis d’identifier des substances candidates pour la santé
respiratoire (tableau ci-dessous).
En ce qui concerne les expositions environnementales, 2 études de cohortes
récentes n’ont pas mis en évidence d’association significative entre
l’exposition pré- ou post-natale au DDE et la santé respiratoire des enfants
d’âge scolaire (sifflements, asthme ou fonction ventilatoire). Cependant,
une méta-analyse portant sur 10 études a conclu à un effet – à la limite du
seuil de signification statistique – de l’exposition prénatale au DDE sur
les symptômes de bronchite et sifflements à 18 mois (OR = 1,03 [1,00-1,07]
pour un doublement de la concentration de p,p’-DDE dans le sang du cordon),
mais l’étude ne retrouvait pas d’association avec les symptômes à 4 ans.
Pour ce qui est des expositions environnementales aux pesticides
organophosphorés, certains résultats d’études de cohorte basés sur des
biomarqueurs d’exposition suggèrent un impact potentiel de ces pesticides
sur la santé respiratoire des enfants, mais d’autres études sont nécessaires
pour conclure. Enfin pour la BPCO et la bronchite chronique, il n’y a pas
d’études rigoureuses permettant d’établir un lien de présomption.
Familles et substances actives impliquées dans les excès de
risque d’altération de la santé respiratoire
Famille Substances actives
|
Populations
|
Présomption d’un lien
|
Fonction respiratoire
|
Asthme, sifflements
|
Bronchite chronique, BPCO
|
Organochlorés
| | | | |
Organochlorés
|
Population générale
|
±
|
|
|
DDT
|
Agriculteurs
|
|
±
|
±
|
|
Population générale
|
+
|
+
|
|
Heptachlore
|
Agriculteurs
|
|
±
|
±
|
Hexachlorocyclohexane (HCH)
|
Agriculteurs
|
|
±
|
±
|
Organophosphorés
| | | | |
Organophosphorés
|
Population générale
|
|
±
|
|
Chlorpyrifos
|
Agriculteurs
|
±
|
±
|
|
Coumaphos
|
Agriculteurs
|
|
±
|
±
|
Diazinon
|
Agriculteurs
|
|
±
|
±
|
Dichlorvos
|
Agriculteurs
|
|
±
|
±
|
Malathion
|
Agriculteurs
|
|
±
|
±
|
Parathion
|
Agriculteurs
|
|
±
|
±
|
Carbamates/Dithiocarbamates
| | | | |
Carbamates/Dithiocarbamates
|
Milieu agricole
|
|
±
|
|
Carbaryl
|
Agriculteurs
|
|
±
|
±
|
Pyréthrinoïdes
| | | | |
Pyréthrinoïdes
|
Population générale
|
±
|
|
|
Perméthrine
|
Agriculteurs
|
|
±
|
±
|
Triazines
| | | | |
Atrazine
|
Agriculteurs
|
|
±
|
|
Phénoxyherbicides
| | | | |
Phénoxyherbicides
|
Vétérans/Agriculteurs
|
|
±
|
±
|
2,4-D
|
Agriculteurs
|
|
±
|
|
2,4,5-T
|
Agriculteurs
|
|
±
|
±
|
Aminophosphonate glycine
| | | | |
Glyphosate
|
Agriculteurs
|
|
±
|
|
Autres
| | | | |
Chlorimuron-éthyle
|
Agriculteurs
|
|
±
|
±
|
Paraquat
|
Agriculteurs
|
±
|
+
|
±
|
+ d’après les résultats qui ont été rapportés dans au moins
deux études indépendantes de bonne qualité (deux études conduites sur la
même cohorte, comme l’AHS, ne sont pas considérées comme indépendantes)
Données nouvelles
± d’après les résultats rapportés
dans une seule étude (ou plusieurs études conduites sur une même
cohorte) Données nouvelles
Les liens entre exposition à un certain nombre de pesticides et santé
respiratoire ont été évalués sur la base de mécanismes physiopathologiques
analysés sur des modèles animaux ou des lignées cellulaires in vitro.
Il ressort de la littérature une constante production de stress oxydant
suite à l’exposition aux 17 pesticides retenus à partir des données
épidémiologiques (tableau ci-dessus). Les trois effets recherchés, stress
oxydant, mitotoxicité et immunomodulation de la réponse inflammatoire sont
retrouvés pour le chlorpyrifos et la perméthrine. La participation de deux
facteurs (stress oxydant et mitotoxicité) est retrouvée pour le malathion,
l’HCH, le DDT, l’atrazine, le glyphosate et le paraquat ; pour la
participation du stress oxydant et de l’immunomodulation ces deux effets
sont retrouvés pour le diazinon, le parathion, et le 2,4-D. Ainsi, le lien
entre une exposition aux 17 pesticides et santé respiratoire est conforté
par des données mécanistiques, en particulier pour 11 d’entre eux, y compris
le chlorpyrifos et la perméthrine qui sont associés aux 3 effets. Parmi les
7 pesticides issus d’un classement moins restrictif, 6 sont associés à
l’induction d’un stress oxydatif. Outre l’effet stress oxydatif, le
carbofuran présente une activité mitotoxique, et la cyfluthrine et le
chlorothalonil un effet immunomodulateur. Ces données mécanistiques, en
particulier lorsqu’elles sont associées à un effet irritant (H317, H335)
pour le chlorothalonil, devront être validées par des résultats d’enquêtes
épidémiologiques, mais elles illustrent l’intérêt d’une réflexion partagée
entre épidémiologie et toxicologie moléculaire. Par ailleurs, sur la base
d’un effet immunomodulateur au niveau pulmonaire, 6 pesticides non retrouvés
dans les données épidémiologiques ont été considérés : mancozèbe,
méthoxychlore, deltaméthrine, indoxacarbe, imidaclopride et fipronil ainsi
qu’un agent synergisant, fréquemment associé aux pyréthrinoïdes, le PBO.
Pour ce qui concerne les organophosphorés et les insecticides carbamates,
l’effet toxique pulmonaire repose sur l’inhibition de l’acétylcholinestérase
(AChE), enzyme de dégradation de l’acétylcholine et cible de ces agents.
Cependant, l’effet bronchoconstricteur par activation des récepteurs
muscariniques M3 des muscles lisses des voies respiratoires a été observé à
des concentrations de pesticides qui n’inhibent pas l’AChE. L’impact des
pesticides sur la santé respiratoire a longtemps été peu exploré en
toxicologie, l’un des facteurs majeurs étant l’absence de recherche d’un tel
effet sur le modèle expérimental rongeur. La pertinence d’une démarche
allant d’un impact sur une cible vers la recherche d’un lien potentiel en
pathologie chez l’être humain est à tester, par exemple sur ces
composés.
Pathologies thyroïdiennes
La thyroïde est une glande endocrine qui synthétise des hormones intervenant
dans de nombreux processus physiologiques tels que le métabolisme
cellulaire, l’énergie musculaire, la température corporelle... Son
fonctionnement est sous le contrôle de l’axe
hypothalamo-hypophyso-thyroïdien, une voie impliquant l’hormone thyréotrope
(Thyrotropin-Releasing Hormone), produite par l’hypothalamus, qui
stimule la synthèse de la thyréostimuline (Thyroid-Stimulating
Hormone ; TSH) par l’antéhypophyse. La TSH agit sur les cellules
folliculaires de la thyroïde pour stimuler la synthèse et la sécrétion des
hormones thyroïdiennes tri-iodothyronine (T3) et thyroxine (T4).
L’hypothyroïdie est caractérisée par une insuffisance de sécrétion
d’hormones thyroïdiennes alors que c’est l’inverse en cas d’hyperthyroïdie.
On distingue des formes franches avec une modification de la TSH, T4 et T3
en dehors des valeurs normales, et des formes infracliniques où seule la TSH
est modifiée. Dans certains cas, l’origine est un déficit de stimulation
hypophysaire, c’est-à-dire de TSH.
L’iode est indispensable à la production des hormones thyroïdiennes et doit
être fourni par l’alimentation quotidienne. Dans les pays avec un apport
suffisant en iode, la prévalence de l’hyperthyroïdie franche se situe entre
0,2 % et 1,3 %, alors que celle de l’hyperthyroïdie infraclinique est entre
1 % et 5 %. Concernant les hypothyroïdies franches, la prévalence dans la
population générale est estimée entre 0,2 % et 5,3 % en Europe.
Parmi les facteurs de risque on retrouve le genre, l’auto-immunité, des
antécédents familiaux de dysthyroïdie, certains traitements médicamenteux,
l’âge, ou le déficit en iode. Les pesticides font partie des facteurs de
risque suspectés et les quelques données épidémiologiques disponibles
avaient été examinées lors de l’expertise de 2013, sans pouvoir se prononcer
sur l’existence d’un lien entre l’exposition aux pesticides et la survenue
de pathologies thyroïdiennes
5
Chapitre intitulé « Pesticides et pathologies
métaboliques : données épidémiologiques » de l’expertise collective
de l’Inserm « Pesticides : Effets sur la santé », publiée en
2013.
. La littérature s’est enrichie ces dernières années et sur
plus de 70 études épidémiologiques identifiées, une soixantaine d’études
portaient sur des populations en milieu professionnel ou en population
générale, en proportion équivalente, et une dizaine sur des riverains de
zones agricoles ou industrielles. La majorité des études est de type
transversal, avec 15 études de cohorte et 3 études cas-témoins dont une
nichée dans une cohorte.
Concernant le risque en milieu professionnel, une association entre
l’exposition aux pesticides organochlorés et un risque accru d’hypothyroïdie
a été retrouvée dans trois études de la cohorte américaine d’applicateurs de
pesticides Agricultural Health Study (AHS), alors que les résultats
sont moins concordants pour les autres familles de pesticides. Concernant
les analyses par substances actives, le risque d’hypothyroïdie était
augmenté chez les participants ayant utilisé certains insecticides
organochlorés (chlordane, aldrine, heptachlore et lindane), des
organophosphorés (diazinon, dichlorvos, malathion, et coumaphos), ainsi que
des herbicides (dicamba, glyphosate et 2,4-D). En ajustant sur des
pesticides corrélés, les associations sont restées significatives pour le
chlordane, l’heptachlore, le diazinon et le dicamba. Les insecticides
carbamates ou pyréthrinoïdes, ainsi que les fongicides et les fumigants
étudiés n’étaient, eux, pas associés au risque d’hypothyroïdie. Ces
résultats étaient généralement cohérents avec les précédentes analyses dans
cette même cohorte sur les cas prévalents ou sur les cas incidents avec un
moindre suivi. Une analyse plus fine des données issues de l’AHS a été menée
pour explorer le risque d’hypothyroïdie infraclinique (définie par les
auteurs comme une TSH > 4,5 mIU/l). Pour les catégories d’exposition les
plus élevées, un risque multiplié par environ 4,7 a été retrouvé en lien
avec l’exposition cumulée au cours de la vie à l’aldrine (avec une relation
exposition-effet), ainsi qu’un risque multiplié par environ 2,8 pour
l’herbicide pendiméthaline.
Toujours à partir de l’AHS, une étude transversale sur les conjointes des
applicateurs de pesticides a montré une augmentation du risque
d’hypo-thyroïdie avec l’exposition au chlordane, les fongicides bénomyl,
manèbe/mancozèbe, et l’herbicide paraquat. Une étude longitudinale sur cette
population a confirmé l’augmentation du risque d’hypothyroïdie en lien avec
bénomyl et manèbe/mancozèbe, et a montré un lien avec le métalaxyl. Un
risque accru d’hypothyroïdie était également retrouvé pour la
pendiméthaline, le parathion et la perméthrine après ajustement sur d’autres
pesticides corrélés. Il est à noter qu’une diminution du risque est observée
pour certaines substances actives (l’insecticide phorate et les herbicides
imazéthapyr et métolachlore).
Concernant le risque d’hyperthyroïdie, des analyses transversales et
longitudinales ont mis en évidence une association pour le manèbe/mancozèbe
chez les conjoints des applicateurs de pesticides dans la cohorte AHS. Dans
l’analyse longitudinale, une association a été également retrouvée pour le
diazinon et le métolachlore, tandis qu’une diminution du risque a été
retrouvée pour l’herbicide trifluraline. En revanche, chez les sujets de la
cohorte AHS (essentiellement des hommes), plusieurs pesticides étaient
associés à une diminution de risque d’hyperthyroïdie (malathion,
manèbe/mancozèbe, dicamba, métolachlore, atrazine et
chlorimuron-éthyle).
De nombreuses autres études en milieu professionnel, pour la plupart de
nature transversale, se sont intéressées aux liens entre l’exposition aux
pesticides et les concentrations sériques d’hormones thyroïdiennes et de TSH
en absence de diagnostic clinique de pathologie thyroïdienne. Les résultats
de ces études sont hétérogènes et ne permettent pas de conclure à une
dysthyroïdie.
Présomption d’un lien entre exposition aux pesticides et
pathologies thyroïdiennes
Exposition/populations
|
Effets
|
Présomption d’un lien
|
Exposition professionnelle aux pesticides
(sans distinction)
|
Hypothyroïdie franche ou
infraclinique
|
+
|
Exposition professionnelle aux fongicides
(sans distinction)
|
Hypothyroïdie
|
±
|
+ d’après les résultats de la cohorte AHS et études
transversales Données nouvelles
± d’après les résultats de
la cohorte AHS Données nouvelles
Une trentaine d’études en population générale ont été identifiées, dont trois
avec des effectifs importants : l’étude américaine NHANES (National
Health and Nutrition Examination Survey), une étude coréenne et une
étude thaïlandaise. Les résultats ne concernent pas les mêmes substances
actives et sont, en général, discordants selon le genre et l’âge. Il est
cependant possible de retenir de l’étude coréenne, que les concentrations
urinaires d’acide 3-phénoxybenzoïque (3-PBA), métabolite commun à plusieurs
pyréthrinoïdes (cyperméthrine, deltaméthrine, mais pas à la cyfluthrine)
étaient associées négativement aux T4 et T3 totaux, surtout chez les hommes.
De l’étude NHANES, on retient une association entre le
3,5,6-trichloro-2-pyridinol (TCPγ ; métabolite urinaire du chlorpyrifos et
du chlorpyrifos-méthyl), le p,p’-DDE sérique (métabolite du pesticide
organochloré DDT) et les hormones thyroïdiennes, même si les résultats
divergent entre les hommes et les femmes et selon l’âge. Les résultats
d’autres études en population générale portant sur des effectifs réduits
renforcent les associations ci-dessus, notamment pour TCPγ, dieldrine,
hexachlorobenzène et DDT. Néanmoins, les résultats des études en population
générale, pris dans leur ensemble, ne permettent pas de conclure de manière
certaine à une association entre l’exposition à des pesticides et des
variations cohérentes des concentrations circulantes en hormones
thyroïdiennes.
De nombreuses études ont exploré plus particulièrement le lien entre
pesticides et le risque de dysthyroïdies dans certaines populations
sensibles (femmes enceintes et nouveau-nés) ou des populations
particulièrement exposées (riveraines de zones agricoles ou
industrielles).
Les dysthyroïdies pendant la grossesse peuvent avoir des effets néfastes sur
la santé de la femme enceinte, mais aussi sur le développement et la
croissance du fœtus, et l’impact des pesticides sur la fonction thyroïdienne
pendant cette période sensible a fait l’objet de plusieurs travaux. Dans
l’étude de cohorte californienne CHAMACOS, l’exposition à
l’hexachlorobenzène est associée à une baisse de T4 libre et totale, et dans
une étude transversale ce pesticide est associé à une baisse de T3 totale.
Dans deux études transversales sur des femmes enceintes chinoises, les taux
urinaires des métabolites de pesticides organophosphorés étaient associés à
une diminution de la TSH et une augmentation de T4 libre, alors que les
pyréthrinoïdes étaient associés à une diminution de T3 libre.
Plusieurs études sur des couples mères-enfants ont exploré l’effet de
l’exposition prénatale aux pesticides sur la fonction thyroïdienne chez les
nouveau-nés. La plus récente, menée sur une cohorte prospective aux
Pays-Bas, n’a trouvé aucune relation entre l’exposition aux pesticides
organophosphorés et les taux d’hormones thyroïdiennes chez la mère ou dans
le sang de cordon, malgré un niveau d’imprégnation important. L’exposition
aux pyréthrinoïdes (mesurée par le métabolite 3-PBA dans les urines) a été
analysée au 1er trimestre de grossesse chez des femmes enceintes
japonaises et aucune association n’était retrouvée avec les concentrations
de TSH et T4 chez les femmes comme chez les nouveau-nés, tandis que dans une
autre étude de cohorte en Afrique du Sud, les pyréthrinoïdes étaient
positivement associés à la TSH chez les nouveau-nés. Quelques études
transversales de petite taille sur des couples mères-enfants ont montré que
les taux de certains pesticides organochlorés chez les mères étaient
généralement associés à une baisse d’hormones thyroïdiennes et/ou une
augmentation de la TSH chez les nouveau-nés.
Quelques études portant sur des populations riveraines ont été identifiées.
Dans une étude espagnole, les personnes résidant dans une zone d’agriculture
intensive où les pesticides étaient davantage utilisés présentaient une
augmentation de risque de 49 % d’hypothyroïdie et, dans une moindre mesure,
d’autres pathologies thyroïdiennes (goître, thyroïdite et thyrotoxicose).
Une étude brésilienne portant sur une population habitant une zone
industrielle contaminée par les pesticides organochlorés a retrouvé une
association négative entre l’endosulfan II et la T3 totale, et aussi entre
le DDT et la T4 libre chez les hommes, alors que ces associations étaient
positives chez les femmes. Cette étude a montré également une augmentation
d’hormones thyroïdiennes en lien avec α-chlordane, HCB, heptachlore et
méthoxychlore chez les femmes, et une diminution de T4 libre et une
augmentation de TSH en lien avec le β-HCH chez les hommes. Enfin, dans deux
études portant sur des populations habitant à proximité de zones
industrielles, une augmentation des taux d’HCB était associée à une baisse
de T4 totales.
Concernant le cancer de la thyroïde, une seule étude a mis en évidence une
augmentation de risque en lien avec l’exposition au malathion chez les
conjointes des applicateurs de pesticides de l’AHS. En revanche, aucune
augmentation de risque n’a été observée dans d’autres populations avec des
effectifs importants (familles d’agriculteurs, résidentes de fermes,
travailleurs dans une usine de production de pesticides). Pris dans leur
ensemble, les résultats de ces études ne montrent pas de lien robuste entre
l’exposition aux pesticides et la survenue d’un cancer de la thyroïde.
Les résultats d’études toxicologiques expérimentales apportent des éléments
de plausibilité biologique à certaines associations décrites ci-dessus. Les
pesticides pourraient être à l’origine de ces effets par des mécanismes
capables de perturber la fonction thyroïdienne en agissant sur de nombreux
processus biologiques au niveau de la glande ou dans les tissus
périphériques parmi lesquels une modification de la production des hormones
thyroïdiennes (l’inhibition de la thyroperoxydase, des désiodases, du
transport de l’iode), de leur biodisponibilité (altération de la fixation
aux protéines de transport), de leur métabolisation (stimulation ou
inhibition du métabolisme des enzymes hépatiques de phase II), de la
production/inhibition de T3 par modification de l’activité de désiodases ou
interaction avec les récepteurs génomiques ou non génomiques.
Parmi les familles de pesticides qui sont ressorties des études décrites
ci-dessus, les organochlorés, dans leur ensemble, semblent être associés à
une diminution de la T4 (les résultats obtenus sur la T3 libre sont
contradictoires). Une augmentation de l’activité uridine diphosphate
glucuronyltransférase (UGT) hépatique, qui est observée avec le DDT et le
HCB, pourrait être responsable de cet effet. Toutefois, des études in
vitro montrent que des mécanismes impliquant d’autres acteurs de
l’axe hypothalamo-hypophyso-thyroïdien, comme le fonctionnement du récepteur
à la TSH, sont possibles. D’autres études confirment dans des modèles
expérimentaux que certains fongicides carbamates (mancozèbe et thirame)
diminuent la production des hormones thyroïdiennes, un effet qui pourrait
être lié à une dérégulation de l’activité de la thyroperoxydase. Les
résultats des travaux in vitro et in vivo vont également dans
le sens d’une diminution des hormones thyroïdiennes liée à une exposition
aux organophosphorés (à des doses environnementales dans certains cas). Sur
le plan mécanistique, cet effet peut être attribué à une diminution de leur
synthèse. Les résultats expérimentaux sur les pyréthrinoïdes suggèrent
fortement un effet sur l’axe hypothalamo-hypophyso-thyroïdien. Des études
in vitro suggèrent un mécanisme d’action impliquant le récepteur
des hormones thyroïdiennes pour la perméthrine, la tétra-méthrine et la
deltaméthrine, notamment à des doses faibles (de l’ordre de
10-8 M) toutefois insuffisamment étudiées in vivo (à
l’exception de la perméthrine, pour laquelle les résultats in vitro
et in vivo sont concordants).
Le glyphosate, le fipronil et l’imidaclopride (appartenant à la famille des
néonicotinoïdes), pour lesquels les données épidémiologiques étaient faibles
(ou manquantes), ont été également analysés et ont montré qu’ils pouvaient
avoir un effet potentiel de perturbation thyroïdienne.
Les rongeurs représentent le modèle classiquement utilisé en toxicologie
réglementaire pour évaluer les potentiels effets sur la fonction
thyroïdienne, malgré ses limites telle que l’absence d’expression de la
protéine sérique de liaison des hormones thyroïdiennes (thyroxine binding
globulin ; TBG) et l’importance de la régulation de la conjugaison
hépatique des hormones thyroïdiennes. Des modèles reposant sur la
métamorphose des poissons ou batraciens pourraient remplacer celui des
rongeurs après une étape de criblage in vitro. Ces modèles rongeurs
et batraciens révèlent assez souvent un dimorphisme sexuel quant à
l’expression de gènes dans différents tissus, dont certains peuvent être
co-régulés par l’axe hypothalamo-hypophyso-gonadique avec des conséquences
phénotypiques ou physiopathologiques.
Par ailleurs, parmi les pistes à explorer trois d’entre elles méritent un
intérêt particulier : i) peu d’expérimentations concernent
l’évaluation de pesticides comme potentiels perturbateurs du système
immunitaire (par exemple dans la maladie de Basedow) lequel peut représenter
un évènement initial amplifié par les interférences sur les cibles de l’axe
hypothalamo-hypophyso-thyroïdien ; ii) peu d’expérimentations se sont
intéressées à la régulation non génomique (par exemple par liaison à
l’intégrine αvβ3) de l’axe
hypothalamo-hypophyso-thyroïdien suite à une exposition aux pesticides ;
iii) peu d’expérimentations sont orientées vers les mélanges qui
évaluent les effets spécifiques de différents principes actifs en
comparaison de combinaisons classiquement retrouvées en agriculture et
élevage.
Enfin, des pesticides présentant un effet perturbateur thyroïdien devraient
être suivis par les enquêtes épidémiologiques et réciproquement les
associations trouvées sur des populations exposées devraient provoquer des
recherches sur les mécanismes d’action. Ce domaine toxicologique manquait
jusqu’à très récemment d’une approche AOP
6
« Adverse Outcome Pathway » : une construction
conceptuelle assemblant les connaissances sur le lien entre un
évènement moléculaire et un effet néfaste à un niveau pertinent pour
une évaluation de risque.
qui lèvera les ambiguïtés et controverses générées par des
tests
in vivo avec leurs limites.
Familles et substances actives impliquées dans les excès de
risque d’hypo-thyroïdies franches ou infracliniques ou une augmentation
des niveaux de thyréostimuline
Famille Substances actives
|
Populations
|
Présomption d’un lien
|
Organochlorés
| | |
Organochlorés (sans distinction)
|
Applicateurs, agriculteurs
|
+
|
DDT/DDE
|
Applicateurs, agriculteurs, autres
professionnels
|
±
|
|
Population générale (femmes enceintes,
enfants et nouveau-nés)
|
+
|
Aldrine
|
Applicateurs
|
±
|
Heptachlore
|
Applicateurs/agriculteurs
|
+
|
Lindane
|
Applicateurs
|
±
|
Chlordane
|
Applicateurs/agriculteurs
|
+
|
Hexachlorobenzène (HCB)
|
Population générale (femmes enceintes
et nouveau-nés)
|
+
|
|
Populations riveraines des zones agricoles
ou industrielles
|
±
|
Carbamates/Dithiocarbamates
| | |
Bénomyl
|
Applicateurs
|
±
|
Manèbe/mancozèbe*
|
Applicateurs, travailleurs agricoles,
ouvriers en industrie de production
|
+
|
Organophosphorés
| | |
Chlorpyrifos
|
Population générale
|
±
|
Diazinon*
|
Applicateurs
|
+
|
Malathion*
|
Applicateurs
|
+
|
Parathion
|
Applicateurs
|
±
|
Pyréthrinoïdes
| | |
Pyréthrinoïdes
|
Population générale (adultes et
nouveau-nés)
|
±
|
Phénoxyherbicides
| | |
2,4-D
|
Agriculteurs
|
±
|
Autres
| | |
Paraquat
|
Applicateurs, agriculteurs
|
±
|
Glyphosate
|
Applicateurs, agriculteurs
|
±
|
Dicamba
|
Applicateurs
|
±
|
Pendiméthaline
|
Applicateurs
|
±
|
+ d’après les résultats qui ont été rapportés dans au moins
deux études indépendantes de bonne qualité (deux études conduites sur la
même cohorte, comme l’AHS, ne sont pas considérées comme
indépendantes) Données nouvelles
± d’après les
résultats rapportés dans une seule étude (ou plusieurs études conduites
sur une même cohorte) Données nouvelles
* excès de risque
d’hyperthyroïdie avec une présomption faible d’un lien
(±)
Endométriose
L’endomètre est une muqueuse qui recouvre la paroi interne de l’utérus et
dont les propriétés évoluent au cours du cycle menstruel : épaississement et
vascularisation dans la première phase, accueil éventuel de l’embryon au
cours de la deuxième phase, ou en l’absence de fécondation, desquamation
produisant les règles ou menstruations. L’inflammation chronique de ce tissu
(endométriose) est une maladie qui se caractérise par la présence anormale
(ectopique) de cellules endométriales en dehors de la cavité utérine et qui
pourrait, selon certaines données, toucher 5 à 10 % des femmes en âge de
procréer. On distingue (principalement) des localisations ovariennes
(endométriome ovarien), péritonéales superficielles et sous-péritonéales,
ces dernières pouvant être rétro-péritonéales ou profondes en infiltrant les
viscères abdominaux ou pelviens.
L’étiologie de la maladie reste largement méconnue. Diverses études suggèrent
des facteurs génétiques, nutritionnels ou hormonaux non exclusifs. Parmi les
facteurs les plus souvent associés au risque d’endométriose, on trouve un
âge précoce aux premières règles, un cycle menstruel plus court, un faible
poids de naissance, un indice de masse corporelle (IMC) plus faible au cours
de la vie ou le fait d’avoir moins d’enfants. Un rôle de certains
perturbateurs endocriniens qui contribueraient à son développement et à sa
sévérité est évoqué.
Les études épidémiologiques publiées à ce jour sur le lien entre les
pesticides et le risque d’endométriose, sont peu nombreuses et portent
uniquement sur l’exposition non professionnelle. La plupart des études
identifiées dans cette expertise collective ont examiné les pesticides
organochlorés, alors qu’une seule étude a concerné des pesticides peu
persistants.
Deux revues systématiques avec méta-analyse, publiées en 2019, ont examiné le
rôle de l’exposition aux polluants organiques persistants (POP), incluant
des pesticides organochlorés, dans la survenue de la maladie. L’exposition
aux pesticides organochlorés était associée avec une augmentation
statistiquement significative du risque d’endométriose sur la base des
résultats d’une étude de cohorte (mesurant l’exposition et posant le
diagnostic d’endométriose simultanément) et quatre études cas-témoins. Selon
les auteurs, ce résultat est à considérer avec précaution étant donnée
l’hétérogénéité de ces études. La seconde méta-analyse concluait également à
une augmentation statistiquement significative du risque sur la base de
8 études dont deux cohortes sur la même population et 6 études
cas-témoins.
Les premières études cas-témoins hospitalières portant sur le sujet,
réalisées au Canada et au Japon et publiées en 1998 et 2005, n’ont pas mis
en évidence une association entre le risque d’endométriose et l’exposition à
une douzaine de pesticides organochlorés. Cependant, l’interprétation des
résultats de ces études est difficile à cause des données non chiffrées et
d’incertitudes liées à la méthodologie. Deux autres études, réalisées aux
États-Unis et en Italie, se sont intéressées aux POP et ont aussi examiné
l’hexachlorobenzène (HCB) et/ou le dichlorodiphényldichloroéthylène (DDE),
mais aucune élévation de risque statistiquement significative n’a été mise
en évidence.
Deux publications dans lesquelles deux sous-cohortes américaines ont été
explorées, avec mesure de l’exposition et diagnostic de la pathologie
simultanés, ont été identifiées. Dans la première sous-cohorte de
600 femmes, les taux sériques de deux isomères d’un même pesticide
(hexachlorocyclohexane, HCH), étaient retrouvés associés à un risque accru
de la maladie. Le γ-HCH était le seul parmi une cinquantaine de POP (dont
onze pesticides organochlorés) associé à une élévation de risque dans une
sous-cohorte ayant subi une laparoscopie ou laparotomie pour d’autres
indications, tandis que le β-HCH était le seul associé dans une deuxième
sous-cohorte de femmes recrutées dans la population générale et
diagnostiquées par IRM. Une étude dans ces mêmes sous-cohortes, publiée en
2020, a mesuré les taux urinaires d’une douzaine de substances actives (ou
de leurs métabolites) appartenant aux familles des pesticides
organophosphorés, insecticides pyréthrinoïdes, et phénoxyherbicides. Aucune
différence significative dans la somme des concentrations des pesticides
entre les femmes atteintes ou non d’endométriose n’a été retrouvée,
toutefois les auteurs ont conclu que des expositions élevées au diazinon,
chlorpyrifos ou chlorpyrifos-méthyl (des pesticides organophosphorés)
pourraient être associées à un risque d’endométriose en raison de
l’observation de tendances.
L’existence d’un lien potentiel entre l’exposition au HCH et au HCB et la
maladie a été suggérée par trois études cas-témoins. Dans une étude
américaine, les concentrations sériques de pesticides organochlorés ont été
mesurées chez 248 cas et 538 témoins de la population. Deux composés, β-HCH
et mirex, étaient positivement associés à l’endométriose (pour les
3e et 4e quartiles d’exposition). L’association
avec β-HCH était plus forte lorsque l’analyse était restreinte aux cas
d’endométriose ovarienne.
Dans une autre étude américaine portant sur des très faibles effectifs
(84 femmes dont 32 diagnostiquées avec endométriose), les taux sériques de
six pesticides organochlorés ont été mesurés. Le HCB était associé à une
augmentation statistiquement significative du risque pour le tercile
d’exposition le plus élevé (multiplié par 5), alors que des tendances
étaient observées pour l’aldrine, le β-HCH et le mirex, mais
l’interprétation de ces résultats est limitée par le faible nombre de sujets
avec des dosages au-dessus de la limite de détection. Une étude cas-témoins
hospitalière en France a évalué l’association entre l’exposition aux POP,
dont plusieurs pesticides organochlorés, et l’endométriose profonde avec ou
sans endométriose ovarienne chez 55 cas et 44 témoins. Des associations
positives ont été montrées pour trans-nonachlore, dieldrine, β-HCH et
HCB et cis-heptachlore époxyde (risque multiplié par 5).
Sur le plan mécanistique, l’immunomodulation de l’activité cytotoxique des
cellules NK ou de la fonction macrophagique (associée à une inflammation)
est retrouvée à de multiples niveaux (association clinique et/ou études
expérimentales) avec différentes classes de pesticides dont les
organochlorés et les organophosphorés examinés dans les études
épidémiologiques ci-dessus. Ces dérégulations peuvent expliquer à la fois la
migration favorisée des cellules endométriales et l’absence d’élimination de
celles-ci au niveau des lésions. L’influence des œstrogènes semble
essentielle, mais avec une complexité qui nécessite de prendre en compte la
temporalité d’action de pesticides pro- ou anti-œstrogéniques (notamment
pour les formes profondes). Le rôle de l’épigénétique en tant que processus
conduisant à des variations d’expression d’acteurs clés de l’endométriose
(aromatase, récepteurs aux œstrogènes...), demeure insuffisamment exploré et
pourrait permettre de définir des profils de sensibilité au développement de
cette pathologie.
L’endométriose est une maladie complexe impliquant probablement plusieurs
mécanismes physiopathologiques pour expliquer les multiples formes
cliniques. Plusieurs hormones, notamment les œstrogènes, sont suspectées
d’intervenir dans ces mécanismes et il est donc logique de poser l’hypothèse
d’un rôle des perturbateurs endocriniens environnementaux, et notamment
certains pesticides, comme agents étiologiques.
Les résultats d’une dizaine d’études épidémiologiques sur le sujet, pris dans
leur ensemble, conduisent à la présomption faible d’un lien entre
l’exposition aux pesticides organochlorés et le risque d’endométriose. Deux
substances actives appartenant à cette famille, β-HCH et HCB, semblent être
impliquées mais avec une force de preuve faible. Une étude récente a suggéré
un lien avec certains pesticides organophosphorés, mais cette observation
doit être confirmée. Des difficultés à évaluer précisément le degré et la
temporalité d’exposition en raison d’un manque de marqueurs adaptés et une
variabilité des taux de détection sont des sources importantes
d’incertitude. Des études observationnelles de haute qualité méthodologique
semblent donc nécessaires pour confirmer ces liens et approfondir les
recherches sur d’autres agents perturbateurs endocriniens.
Présomption d’un lien entre exposition aux pesticides et
l’endométriose
Exposition
|
Populations concernées par un excès de
risque
|
Présomption d’un lien
|
Pesticides organochlorés
|
Population générale
|
±
|
± d’après les résultats de deux méta-analyses publiées à la
même période (basées sur cinq études et huit études qui se recoupent
partiellement) Données nouvelles
Familles et substances actives impliquées dans les excès de
risque de l’endométriose
Famille Substances actives
|
Populations concernées par un excès de
risque
|
Présomption d’un lien
|
Organochlorés
| | |
β-hexachlorohexane (β-HCH)
|
Population générale
|
± a
|
Hexachlorobenzène (HCB)
|
Population générale
|
± b
|
± a d’après les résultats d’une étude de cohorte
et deux études cas-témoins Données nouvelles
± b
d’après les résultats d’une étude de cohorte et une étude cas-témoins
Données nouvelles
Focus sur des substances actives
Alors que la logique qui avait été utilisée dans l’expertise depuis 2013
était une entrée par pathologie, trois substances ont fait l’objet d’un
focus, le chlordécone et le glyphosate à la demande des commanditaires de
l’expertise, auxquels se sont ajoutés les fongicides inhibiteurs de la
succinate déshydrogénase ou SDHi. L’exposition au chlordécone, n’abordant
que l’association avec le cancer de la prostate, est analysée dans la
section correspondante « Cancer de la prostate, focus sur le chlordécone ».
Ces trois substances ont été examinées parce qu’elles font l’objet de débats
scientifique et sociétaux et qu’elles sont parfaitement représentatives de
la complexité du domaine de la santé environnementale. En effet, le
chlordécone est une substance active qui a été utilisée dans une région
restreinte, les Antilles françaises, essentiellement sur une culture, la
banane, et pour laquelle il existe des données toxicologiques, mais
seulement deux études épidémiologiques. À l’inverse, le glyphosate est
l’herbicide le plus utilisé dans le monde et de nombreuses études
épidémiologiques et toxicologiques sont disponibles. Mais, ces études sont
parfois contradictoires et difficiles à interpréter et l’analyse du
potentiel cancérogène du glyphosate a généré en 2015 une différence
d’interprétation entre le Circ et l’Efsa. Enfin, pour les SDHi, très peu
d’études sont disponibles et l’appréciation du risque repose à l’heure
actuelle essentiellement sur le mécanisme d’action de ces pesticides.
Glyphosate et formulations à base de
glyphosate
Les propriétés herbicides du glyphosate ont été découvertes par la
société Monsanto en 1970 et la première formulation commerciale
contenant du glyphosate a été mise sur le marché en 1974 sous
l’appellation Roundup. Le glyphosate est l’herbicide le plus utilisé
dans le monde, sa consommation est passée de 56 000 tonnes en 1994 à
plus de 820 000 tonnes en 2014 avec un usage principalement agricole.
C’est également l’herbicide le plus utilisé en France, avec des
quantités annuelles vendues de 6 421 tonnes (en 2009) et 10 070 tonnes
(en 2014). Une partie de ces quantités est vendue sous forme de produits
commerciaux autorisés pour le grand public (les non professionnels) :
entre 13,9 % (2017) et 23,7 % (2013).
Du fait de ses modalités et circonstances d’application, l’absorption
cutanée est considérée comme la principale voie d’exposition chez les
utilisateurs professionnels ou non. Cependant, la contamination des
denrées alimentaires peut également entraîner une exposition des
consommateurs par voie orale. Une fois absorbé dans l’organisme, le
glyphosate est très peu métabolisé (moins de 1 %) et est éliminé dans
les urines sous forme inchangée. Sans potentiel d’accumulation notoire,
sa demi-vie chez l’être humain est estimée entre 5 et 10 h. Par
conséquent, la quantification du glyphosate dans les urines représente
la méthode la plus appropriée pour estimer et suivre au cours du temps
l’exposition des populations. Néanmoins, cela exige des méthodes
analytiques rigoureuses combinant des techniques d’extraction, de
séparation et de détection.
Les concentrations urinaires fréquemment retrouvées dans les populations
exposées professionnellement ou en population générale sont de l’ordre
du µg/l. Ces valeurs sont inférieures d’un facteur 100 à 1 000 à celles
attendues pour une exposition chronique correspondant à la dose
journalière admissible (DJA) actuellement déterminée par l’Efsa, soit
0,5 mg/kg/j. Pour autant, cette valeur de référence, basée sur des
données expérimentales chez l’animal de laboratoire, ne permet pas
d’exclure tout risque chez l’être humain, en particulier lors
d’expositions répétées et sur le long terme. C’est ainsi que de
nombreuses études épidémiologiques se sont intéressées à la survenue de
pathologies tumorales et non tumorales lors d’expositions
professionnelles (et dans une moindre mesure dans des circonstances
d’exposition résidentielle) à des préparations à base de glyphosate.
En 2013, l’expertise collective Inserm avait conclu que l’exposition au
glyphosate était associée à un excès de risque de lymphomes non
hodgkiniens (LNH) avec une présomption faible d’un lien s’agissant des
agriculteurs et une présomption moyenne d’un lien s’agissant des
populations exposées professionnellement sans distinction de leur
catégorie d’emploi. De nouvelles données ont été acquises depuis 2013.
Le suivi de la cohorte AHS aux États-Unis n’a pas montré d’associations
entre le fait d’appliquer du glyphosate dans un cadre professionnel et
le risque de survenue de LNH ou de ses principaux sous-types. Néanmoins,
une méta-analyse publiée par le consortium Agricoh, combinant la cohorte
AHS ainsi que deux autres cohortes de travailleurs agricoles (AGRICAN en
France et CNAP en Norvège) et totalisant plus de 300 000 sujets dont
2 430 cas de LNH, a montré une association statistiquement significative
entre le risque de survenue d’un lymphome diffus à grandes cellules B et
l’exposition au glyphosate. De ce fait, la présomption de lien entre
l’exposition au glyphosate et le risque de survenue de LNH a été
considérée comme moyenne quelle que soit la catégorie d’emploi
(agriculteur ou autres).
Concernant le myélome multiple (MM), l’expertise collective Inserm 2013
n’avait pas pu établir de lien de présomption entre l’exposition au
glyphosate et le risque de survenue de cette pathologie car les quelques
études cas-témoins, françaises et nord-américaines, ainsi que la cohorte
AHS s’appuyaient sur un nombre de cas limité. Récemment, un nouveau
suivi de la cohorte AHS n’a pas mis en évidence d’association avec le
MM. Cependant, une méta-analyse reprenant des études cas-témoins
antérieures y compris certaines données issues de la cohorte AHS a
montré un risque augmenté, à la limite de la significativité
statistique, chez des agriculteurs exposés au glyphosate. Tenant compte
de ces nouvelles données, la présomption de lien au regard du risque de
survenue du MM est considérée comme faible (±). Elle repose sur un
faible niveau de preuves : risque élevé mais à la limite de la
significativité statistique dans une méta-analyse de trois études
cas-témoins et d’une cohorte.
Très peu d’informations étaient disponibles concernant l’exposition au
glyphosate et la survenue de lymphome de Hodgkin (LH) lors de
l’expertise collective Inserm de 2013. La littérature scientifique
publiée depuis cette date est peu abondante avec trois études dont une
méta-analyse (basée sur deux études cas-témoins antérieures) et un suivi
de la cohorte AHS. Aucune association entre l’exposition au glyphosate
et la survenue de LH n’a été observée. Au regard de ces résultats,
aucune présomption de lien ne peut être établie.
En 2013, l’expertise collective Inserm rapportait une seule étude
concernant l’exposition professionnelle au glyphosate et le risque de
survenue de leucémies. Cette étude, basée sur la cohorte AHS, suggérait
une augmentation du risque dans le deuxième tercile d’exposition au
glyphosate. De ce fait, aucune présomption de lien n’a pu être établie
et cette étude n’incluait pas les leucémies aiguës myéloïdes. Depuis
2013, deux méta-analyses ont été publiées à partir des données issues du
consortium Agricoh et ont conclu à l’absence d’association avec le
risque de survenue de leucémie lymphoïde chronique (LLC). Une troisième
analyse a porté sur trois études cas-témoins et a également conclu à
l’absence d’association avec la LLC. Deux des trois études cas-témoins
ayant évalué le risque de survenue de leucémie à tricholeucocytes ont
montré une augmentation du risque, bien que non statistiquement
significative, en lien avec l’exposition au glyphosate. Un suivi récent
de la cohorte AHS n’a pas confirmé la tendance à l’élévation de risque
de LLC mise en évidence antérieurement. Enfin, ce nouveau suivi de
l’étude AHS est la première étude à évaluer le risque de leucémie aiguë
myéloïde en lien avec l’exposition au glyphosate ; à partir d’un nombre
de cas limité, l’étude a rapporté un doublement non significatif du
risque de leucémie aiguë myéloïde chez les sujets les plus exposés.
Tenant compte de ces derniers résultats de la cohorte AHS, la
présomption de lien entre l’exposition au glyphosate et le risque de
survenue de leucémies est considérée comme faible.
Le cancer de la prostate et le cancer de la vessie ont fait l’objet
d’études en lien avec l’exposition au glyphosate au sein de la cohorte
AHS. S’agissant du cancer de la prostate, les différents suivis de la
cohorte au cours du temps n’ont pas montré d’excès de risque. Quant au
cancer de la vessie, les auteurs ont constaté une élévation de risque
mais non statistiquement significative. Actuellement, sur la base des
études disponibles, il n’est pas possible d’établir une présomption de
lien entre l’exposition au glyphosate et la survenue de cancers de la
prostate et de la vessie.
Concernant les pathologies non tumorales, quelques études,
majoritairement au sein de la cohorte AHS, indiquent que l’exposition
professionnelle dans le secteur agricole à de multiples pesticides, dont
le glyphosate, est associée à un risque augmenté de sifflements
respiratoires (avec ou sans composante allergique) chez les hommes
agriculteurs et applicateurs industriels et d’asthme allergique chez les
conjointes applicatrices de pesticides. Compte tenu du nombre limité
d’études et du fait que les résultats reposent principalement sur une
seule cohorte (AHS), la présomption de lien sur la santé respiratoire
est qualifiée de faible.
D’autres travaux, provenant exclusivement de la cohorte AHS, ont signalé
un excès de risque d’hypothyroïdie chez les hommes applicateurs de
glyphosate, sans pouvoir mettre en évidence une relation dose-effet.
Chez les conjointes, elles-mêmes applicatrices de glyphosate, aucune
association avec le risque d’hypothyroïdie n’a été observée.
Finalement, différentes études se sont intéressées à la survenue de
troubles anxio-dépressifs, de la maladie de Parkinson, de maladies
rénales chroniques d’étiologie inconnue chez l’adulte, à la durée de la
grossesse, aux caractéristiques staturo-pondérales des nouveau-nés, à
des malformations congénitales ou à la survenue de troubles
neurocomportementaux chez le jeune enfant en lien avec une exposition
professionnelle ou résidentielle au glyphosate. Cependant, la nature des
études (écologiques pour la plupart), l’imprécision des mesures
d’exposition, les faibles effectifs ou l’incohérence des conclusions, ne
permettent pas à ce jour de conclure et donc d’établir de présomption de
lien avec une exposition au glyphosate.
Qu’en est-il de la plausibilité biologique des associations observées ?
De nombreuses études expérimentales ont été réalisées et celles-ci se
sont intéressées au développement de pathologies cancéreuses mais aussi
non cancéreuses en regard des données récentes en épidémiologie.
Ces dernières années, le glyphosate a été au centre d’un débat sur sa
cancérogénicité. À l’origine se trouve une divergence entre les
conclusions du Circ et d’autres agences, nationales ou internationales,
chargées du classement et de la réglementation des substances chimiques.
Elle s’explique en grande partie par les différentes approches et
critères employés.
S’agissant des essais de cancérogénicité chez l’animal de laboratoire
tout comme des études de mutagénicité, le niveau de preuve est
relativement limité. Cependant, de nombreuses études mettent en évidence
des dommages génotoxiques (cassures de l’ADN ou modifications de sa
structure). Ces dommages, s’ils ne sont pas réparés sans erreur par les
cellules, peuvent conduire à l’apparition de mutations et déclencher
ainsi un processus de cancérogenèse. De tels effets sont cohérents avec
l’induction directe ou indirecte d’un stress oxydant par le glyphosate,
observée chez différentes espèces et systèmes cellulaires, parfois à des
doses d’exposition compatibles avec celles auxquelles les populations
peuvent être confrontées.
Au-delà de la capacité du glyphosate à induire la production d’espèces
réactives de l’oxygène, d’autres caractéristiques toxicologiques ont été
décrites. Le glyphosate est utilisé pour bloquer la synthèse des acides
aminés chez les plantes. Son mode d’action principal repose sur le
blocage d’une enzyme essentielle exprimée par les plantes mais aussi par
les champignons et certaines bactéries. Contrairement à ces organismes,
les animaux et l’être humain ne possèdent pas le gène codant cette
enzyme. Or, des études expérimentales suggèrent des effets délétères en
lien avec un mécanisme de perturbation endocrinienne, une toxicité
mitochondriale (mitotoxicité associée à des perturbations
comportementales dans des modèles comme le poisson zèbre), une
activation des voies œstrogéniques sans liaison aux récepteurs de
l’œstradiol ou une altération de la stéroïdogenèse. De nouvelles études
publiées depuis 2013, qui demandent à être confirmées, indiquent
également une dérégulation de la concentration de neurotransmetteurs
(compatibles avec des altérations comportementales), mais aussi du
microbiote du système digestif chez plusieurs espèces animales (dont
l’humain), cible logique du glyphosate puisque certaines bactéries
expriment l’enzyme ciblée chez les plantes. De tels mécanismes
mériteraient d’être approfondis et davantage pris en considération dans
les procédures d’évaluation réglementaires.
La question environnementale et ses retentissements indirects sur la
santé humaine via l’hypothèse d’un effet de l’utilisation du
glyphosate sur les écosystèmes et leur régulation dépassent le cadre de
cette expertise. Elle mériterait d’être abordée dans le cadre de
l’approche intégrée et systémique « One Health » et devrait être
intégrée par les décideurs au même titre que les aspects sociaux et
économiques pour la prise de décision.
Fongicides inhibiteurs de la succinate
déshydrogénase
Les fongicides inhibiteurs de la succinate déshydrogénase ou SDHi
constituent une famille de fongicides, dont certains, comme la carboxine
et le flutolanil sont utilisés depuis plus de trente ans, et d’autres,
tels que ceux de seconde génération depuis une dizaine d’années
(boscalide, benzovindiflupyr, isopyrazam, penthiopyrade, sédaxane...).
Alors que l’utilisation de la première génération de ces pesticides en
France a diminué ces dix dernières années, celle des SDHi de nouvelle
génération est en hausse et s’élargit à d’autres spectres d’activité
(par exemple pour le traitement contre les nématodes sur les
gazons).
La population française est potentiellement exposée aux SDHi par l’air,
l’alimentation, l’eau, et le sol (utilisation sur les pelouses de stades
ou de golfs), ou en milieu professionnel lors de la manipulation et
l’épandage des produits. En France, les programmes de surveillance dans
les différents milieux s’intéressent à plusieurs SDHi, notamment le
boscalide (le plus vendu) qui est surveillé et détecté dans le
compartiment aérien et les systèmes aquatiques. Le boscalide, avec le
flutolanil et la carboxine ont été inclus dans les études françaises de
l’alimentation totale (EAT) qui visent à évaluer le risque pour la santé
du consommateur et ils font l’objet (avec le bixafène, le fluopyram, le
fluxapyroxade, le penthiopyrade et le benzovindiflupyr) d’une
surveillance dans les denrées alimentaires. Au niveau européen, les
fongicides SDHi ont été quantifiés dans 2,2 % de plus de
500 000 analyses des échantillons d’aliments réalisées en 2018. Parmi
seize SDHi mesurés, le fluopyram et le boscalide étaient, de loin, les
plus souvent quantifiés et le boscalide a dépassé la limite maximale en
résidus dans 0,08 % des échantillons testés. Les SDHi ne figurent pas
dans les programmes existants de surveillance biologique humaine en
France ; par conséquent, il existe très peu de données sur
l’imprégnation de la population générale par ces substances. En France,
une seule étude académique, portant sur 311 femmes enceintes de la
cohorte ELFE, a quantifié le boscalide avec une fréquence de détection
de 63 % dans les cheveux. Aucune étude n’a été retrouvée permettant
d’évaluer l’exposition des professionnels aux SDHi.
Le mécanisme d’action des fongicides SDHi est basé sur la perturbation du
fonctionnement mitochondrial par l’inhibition de l’activité SDH, un
complexe enzymatique impliqué dans la respiration cellulaire
(complexe II) et donc essentiel à la vie. Chez l’être humain, les
conséquences d’une inactivation génétique de la SDH (mutation de l’un
des quatre gènes codant les sous-unités de l’enzyme) sont bien
documentées avec le développement de pathologies neurologiques et
cancéreuses, notamment liées à l’accumulation du substrat de la SDH, le
succinate. Un niveau élevé de cet « oncométabolite » peut entraîner des
processus associés à la tumorigenèse : notamment une dérégulation de
l’homéostasie métabolique, un stress oxydant induisant un état de
« pseudo-hypoxie » cellulaire, des modifications épigénétiques, et la
mise en place d’une transition épithélio-mésenchymateuse impliquée dans
le processus métastatique. Si les perturbations mitochondriales
d’origine génétique chez l’être humain prédisposent à de nombreuses
pathologies, cela ne signifie pas ipso facto qu’une inhibition
partielle ou totale de l’activité de la SDH, par exemple dans le cas
d’une exposition chronique aux SDHi, entraînerait les mêmes effets
physiopathologiques.
Néanmoins, le complexe SDH est fortement conservé entre espèces. En
effet, des études de cristallographie et de génétique ont montré que la
structure de la SDH est conservée d’une espèce à l’autre avec des
séquences peptidiques homologues au niveau du site catalytique. Tout
ceci conduit à s’interroger légitimement sur les conséquences délétères
des expositions aux SDHi sur la santé humaine et sur la biodiversité.
Malgré la conservation de la structure de la SDH au cours de
l’évolution, certains travaux suggèrent une variabilité importante du
profil d’inhibition de son activité par différents SDHi selon les
espèces. Ces études reposent sur des mesures de la concentration
inhibitrice médiane (IC50), ce qui correspond, dans ce
cas-ci, à la concentration d’un SDHi donné inhibant à moitié l’activité
de la SDH. Toutefois, les résultats de ces études sont difficiles à
comparer du fait de différences voire de lacunes méthodologiques. Les
données actuellement disponibles sont donc insuffisantes pour conclure à
une spécificité des SDHi pour la SDH des champignons et à leur innocuité
pour les espèces non-cibles. Pour cela, il est nécessaire d’une part de
produire in vitro des données d’IC50 à partir
d’échantillons de nature homogène et d’autre part de générer des données
expérimentales in vivo dans des modèles animaux, prenant en
compte les caractéristiques de toxicocinétique, de toxicodynamique et de
biotransformation des SDHi dans les organismes entiers.
Concernant les effets toxiques potentiels des SDHi sur différentes
espèces, une série d’études sur les poissons-zèbres, dont la moitié ont
été publiées par le même groupe de recherche, montrent que l’exposition
aux SDHi pourrait entraîner des anomalies de développement et de
nombreuses malformations ainsi que des perturbations du métabolisme, de
la fonction thyroïdienne, ou de la reproduction. Ces effets suggèrent
que ces fongicides pourraient être considérés, au moins chez cette
espèce, comme des perturbateurs endocriniens.
Quelques études ont exploré les effets des SDHi sur les écosystèmes.
Elles ont montré que, chez les abeilles, l’exposition au boscalide
modifie la composition du microbiote intestinal et a un impact sur le
comportement. D’autres études ont mis en évidence des effets délétères
sur des organismes du sol (toxicité et effets sur le comportement chez
les nématodes et lombrics) et les organismes aquatiques (toxicité chez
les algues et effets tératogènes chez des amphibiens). Ces études
mériteraient d’être poursuivies afin de documenter les impacts des SDHi
sur la biodiversité et éventuellement sur la régulation des écosystèmes
et leurs répercussions sur la santé humaine.
Les données de cancérogénicité sur les SDHi, analysées ici, proviennent
exclusivement des rapports des agences sanitaires européennes qui
publient les conclusions des évaluations des dossiers de demande
d’autorisation de mise sur le marché élaborés par les entreprises. Selon
ces conclusions, la majorité des SDHi ne présentent aucune génotoxicité.
Cependant, pour la majorité des SDHi, les études chez les rongeurs
montrent une augmentation de l’incidence des adénomes et des carcinomes
dans différents organes : principalement le foie mais aussi la thyroïde,
le poumon et l’utérus avec pour certains un dimorphisme sexuel. En dépit
de ces observations, la grande majorité des SDHi autorisés au niveau
européen ne sont pas classifiés par les instances réglementaires comme
des substances susceptibles ou suspectées de provoquer le cancer. Ces
conclusions ont été tirées sur la base du mode d’action rapporté par des
études industrielles pour rendre compte des effets cancérigènes des SDHi
chez le rongeur qui implique l’activation du récepteur nucléaire CAR
(constitutive androstane receptor). Ce mode d’action est
considéré comme spécifique aux rongeurs et n’a pas été jugé pertinent
pour l’être humain par les agences sanitaires. Ces problématiques
concernant le mode d’action ainsi que les modèles expérimentaux utilisés
font encore l’objet de débat au sein de la communauté scientifique et au
sein même des agences et il n’est pas possible d’exclure actuellement
que d’autres mécanismes d’action mis en jeu dans la transformation
tumorale que celui concernant le récepteur CAR soient impliqués, et
pertinents pour l’être humain.
Concernant les tests réglementaires, des réflexions sont en cours au sein
de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE)
sur l’évaluation du potentiel cancérogène des substances non reconnues
comme étant génotoxiques telles que les SDHi. Le groupe d’experts
international de l’OCDE a reconnu dans cette déclaration de consensus le
besoin d’élargir l’évaluation avec des essais in vitro/ex
vivo, selon une approche intégrative basée sur le concept des
voies d’effets indésirables (adverse outcome pathway), qui
consiste à décrire une séquence logique d’évènements liés de façon
causale à différents niveaux d’organisation biologique. Certains
mécanismes identifiés par l’OCDE sont pertinents pour les SDHi, dont le
stress oxydant et l’épigénotoxicité, alors que d’autres mécanismes
d’intérêt qui n’ont pas été retenus pourraient comprendre notamment la
mitotoxicité et la transition épithélio-mésenchymateuse. Les tests
visant à établir le caractère cancérogène ou non d’une substance
pourraient également intégrer la notion d’impact sur la progression
tumorale (promotion/métastase), le processus d’initiation criblé
notamment par les tests de génotoxicité et de mutagénicité n’étant pas
le seul impliqué dans la pathologie cancéreuse. Cependant, faire des
recommandations précises sur l’amélioration des essais et des modèles en
toxicologie réglementaire nécessiterait d’analyser l’ensemble des
processus et des essais utilisés, ce qui dépasse largement le cadre de
cette expertise.
Enfin, comme pour tous les pesticides, la toxicologie réglementaire
évalue les substances actives et pas les formulations. Or, pour les
SDHi, certaines formulations contiennent des fongicides de la famille
des strobilurines qui inhibent la respiration cellulaire au niveau du
complexe III de la chaîne respiratoire et qui pourraient donc
potentialiser les effets sur la fonction mitochondriale. Cela souligne
l’importance de tester non seulement les substances actives mais aussi
les formulations dans des études de toxicologie.
Concernant les effets chez l’être humain, il n’existe à ce jour
pratiquement aucune donnée épidémiologique portant sur les effets
possibles des substances actives SDHi sur la santé des agriculteurs ou
de la population générale. La seule étude ayant examiné cette question,
menée sur les participants de la cohorte ELFE, n’a pas montré
d’association entre l’exposition au boscalide pendant la grossesse et la
croissance intra-utérine. En utilisant une estimation indirecte de
l’exposition aux SDHi, c’est-à-dire en considérant les tâches ou
activités agricoles potentiellement exposantes aux SDHi, présents sur le
marché depuis plusieurs décennies et compatibles avec les délais
d’apparition de pathologies (par exemple cancéreuses ou dégénératives),
les rares données disponibles ne révèlent pas de signal laissant
supposer un sur-risque spécifique dans ces populations agricoles. Très
peu de données sont donc disponibles chez l’être humain pour évaluer le
risque lié à l’utilisation des SDHi. Un renforcement de la
biosurveillance humaine, l’exploitation de cohortes existantes (AGRICAN,
ELFE...) à court terme et à plus long terme, la mise en place de
nouvelles études épidémiologiques, pourraient permettre de mieux cerner
les conséquences potentielles d’une exposition professionnelle ou non
professionnelle aux SDHi sur la santé humaine.