Logo of MSmédecine/sciences : m/s
Med Sci(Paris). 34: 45–47.
doi: 10.1051/medsci/201834s124.

Vers plus de thérapies pour les maladies rares dans un système de santé contraint

Mondher Toumi

Professeur de Santé Publique, Département de Santé Publique, Université Aix-Marseille II, 13100Aix-en-Provence, France
Corresponding author.
 

inline-graphic medsci180153s-img1.jpg

Cette présentation a pour objectif de faire un tour d’horizon des problèmes qui se posent pour les médicaments en général et les médicaments destinés aux maladies rares en particulier, en matière de prix. La demande augmente de façon rapide, dans un environnement contraint. Nous ne disposons pas de l’élasticité nécessaire pour augmenter la capacité à payer des produits.

Les dépenses de santé en proportion du PIB dépassent 10 % dans un certain nombre de pays. Lorsque l’on canalise vers la santé une proportion croissante de notre PIB, il arrive un seuil à partir duquel on génère de la non-santé, car les déterminants de la santé ne sont pas forcément les soins. Il existe de multiples déterminants dans l’éducation ou les prises en charge, par exemple. En canalisant les ressources hors de ces secteurs pour les amener vers la santé, on détruit de la santé.

Il existe une question d’équilibre entre les différents postes de dépenses. La progression des dépenses de santé est beaucoup plus rapide que la progression du PIB. Autrement dit, chaque année, l’investissement en santé accapare une proportion plus importante de notre revenu au niveau national.

Dans un certain nombre de pays, le GDP progresse de manière plutôt stable. Ailleurs, il croît de manière extrêmement rapide. Un fossé se creuse, qui menace la pérennité de l’assurance maladie. L’offre de soins et de médicaments est de plus en plus attractive. Il est désormais possible d’identifier des populations de taille de plus en plus petite au sein d’une pathologie. L’arrivée de la médecine digitalisée représente également des opportunités de coúts importants et de bénéfices en cours de clarification, car non maîtrisés aujourd’hui.

L’échantillon de produits susceptibles d’arriver sur le marché est impressionnant. Nous ne pourrons vraisemblablement pas les payer si nos modalités de paiement n’évoluent pas.

Le prix des médicaments orphelins

S’agissant des prix des médicaments orphelins, les désignations de médicaments orphelins augmentent de façon extrêmement rapide, notamment aux états-Unis et en Europe. Le démarrage est plus lent, mais réel, au Japon. Avec des prix pour ces thérapies qui varient d’un million d’euros à près de 400 000 dollars par patient et par an. 67 produits orphelins sont aujourd’hui remboursés en France. Cela exclut les médicaments hospitaliers. En Italie et en Grande-Bretagne, le nombre de produits officiellement remboursés est plus important, mais leur utilisation est, dans la pratique, contrainte. Leur disponibilité est donc réduite.

En fonction des pays, il existe des écarts très importants entre les prix des produits. Les moyennes varient dans un ratio de 1 à 1,5. La médiane varie dans un ratio de 1 à presque 2. Il semble exister une relation entre la prévalence et le prix. Celle-ci est toutefois ténue et n’explique que 40 % à 50 % du prix de ces médicaments. En comparant les prix de ces médicaments et en les mettant en perspective avec le PIB de différents pays, il apparaît que la Bulgarie paie par exemple jusqu’à six fois ce que paient d’autres pays plus riches, comme la Grande-Bretagne, la France et l’Allemagne. Il existe donc une énorme disparité dans la réalité des prix et la capacité d’accès des pays à ces produits.

Depuis 2010, on constate une accélération de l’augmentation des prix des produits, certains pouvant atteindre des prix extrêmement élevés. Cette accélération significative est relativement récente.

Une question importante se pose. Concernant les médicaments ayant une cible en matière de nombre de patients extrêmement faible, les prix doivent être nettement plus élevés que pour les pathologies plus communes, de façon à rendre le retour sur investissement possible pour les entreprises.

Certains auteurs se sont intéressés à cette question. Un travail comparatif porte sur différents types d’entreprises, certaines étant des sociétés spécialisées dans les médicaments orphelins. Il apparaît que le profit brut des produits commercialisés est plus important que pour les autres types de laboratoires. Il s’agit donc d’un marché extrêmement attractif. Ces laboratoires jetteinvestissent pratiquement deux fois plus en R&D, en pourcentage, que les autres types de laboratoires. Leur profit net est moins important, car les investissements sont importants, et non parce que le retour sur investissement est faible.

Concernant l’impact de la désignation, un médicament destiné aux maladies rares qui n’a pas reçu de désignation orpheline a un prix médian d’environ 16 euros. Le même produit ayant reçu une désignation orpheline a un prix médian d’environ 138 euros. Le simple fait de recevoir une désignation orpheline permet d’aboutir à un prix entre 8 et 10 fois plus élevé.

S’agissant de la progression des parts de marché et des dépenses dans le marché pharmaceutique des médicaments orphelins, la croissance est extrêmement rapide par rapport à celle du marché moyen.

En tenant compte des coúts afférents aux médicaments, le retour sur investissement des médicaments est de 12,7 % pour les maladies rares et de 11,1 % pour les maladies non rares. Le champ des maladies dites rares ne manque donc pas d’attractivité.

L’amyotrophie spinale infantile de type I est une pathologie neurologique génétiquement transmissible et rare. Elle a pour conséquence le décès des patients entre 6 mois et 2 ans. Dans le cadre d’une thérapie génique efficace, les enfants traités peuvent vivre une vie entière normale. Si on ne change pas notre mode de calcul de financement de ce type de produit, un produit arrivant sur le marché coútera 14, 625 millions d’euros pour une administration unique permettant de guérir la maladie. Il s’agit de la réalité de demain.

Le contrôle de la dépense budgétaire

On peut faire une série d’exercices pour essayer de contrôler la dépense budgétaire, mais si l’on ne change pas la façon d’évaluer et de financer ces produits, nous n’y arriverons pas.

Dans l’hypothèse oú la seringue et le produit étaient en or, ceux-ci représenteraient 250 grammes d’or, qui coúteraient 9 100 euros. Ce type de produit va coúter mille fois plus cher que l’or. En termes de référence, cela invite à une certaine réflexion, l’or étant un référentiel de métal cher.

Dans l’hypothèse oú une vingtaine de produits de ce type arrivaient avec des coúts plus faibles, on arriverait à un pic d’impact budgétaire pouvant atteindre 35 milliards d’euros en un an. Le niveau de référence serait ensuite d’environ 15 milliards par an. L’impact budgétaire est impossible à financer, si les modalités de fixation des prix ne changent pas.

Ces produits seront coút-efficaces, voire davantage que ceux que l’on utilise actuellement. Nous allons évoluer d’une situation oú l’on privilégie l’évaluation coút-efficacité à une situation oú l’on privilégie l’impact budgétaire. Cela étant, nous ne disposons pas d’outils d’aide à la décision pour mesurer un impact budgétaire. Un travail important reste à faire sur ce point.

En termes de solutions, différents systèmes ont été proposés par les différents auteurs au cours des dix dernières années pour financer ces produits extrêmement chers (Figure 1). Il apparaît que la très grande majorité des recommandations consiste à contenir un peu plus le budget. C’est ce que nous faisons aujourd’hui pour ne pas que le système explose.

Toutefois, avec des produits à 13 millions d’euros, l’enveloppe explosera si nous ne faisons pas évoluer la façon dont nous finançons les produits.

Les experts évoquent souvent la nécessité de créer un fonds spécial, dans lequel seraient définis des critères d’éligibilité et des critères de financement qui seront dramatiquement différents des financements des produits existants et dans lesquels sera intégrée une dimension de cost plus (retour sur investissement). Dans le cadre des thérapies géniques et cellulaires, les risques vont diminuer rapidement. Dès lors que le modèle fera les preuves de son fonctionnement, le danger que le système ne fonctionne pas avec les thérapies ultérieures est relativement faible. De nouveaux paramètres devront être intégrés.

Tout cela ne pourra pas se faire sans processus d’évaluation HTA qui évolue. Deux techniques sont envisageables, qui sont encore à l’état de recherche et sur lesquelles les agences se penchent assez peu. Il s’agit d’une part de l’analyse de décision des critères, une piste intéressante pour favoriser la transparence dans les décisions, et d’autre part l’évaluation de modèles d’optimisation sous contrainte budgétaire. Ces pistes sont intéressantes, mais n’intéressent pas les pouvoirs publics.

Un autre élément important est le processus délibératif. Dans la prise de décision HTA, il existe un processus délibératif oú l’on pèse le pour et le contre et oú l’on met en perspective la valeur par rapport aux connaissances. Or, les critères, leur poids et leur contribution au processus délibératif mériteraient d’être plus transparents dans l’ensemble des pays. Pour ce faire, ils devraient être plus standardisés.

Les perspectives d’avenir

En conclusion, je souhaiterais rappeler que l’augmentation des dépenses de santé pourrait représenter une menace pour la santé publique, dans la mesure oú elle canaliserait des ressources qui aujourd’hui sont affectées aux déterminants de la santé. En retirant l’argent des déterminants de la santé, les patients iront plus mal et il faudra plus d’argent pour les soigner.

Les médicaments orphelins sont rentables pour les industriels qui les développent. Le processus est important en termes de retour sur investissement pour ces derniers. D’ailleurs, tous les laboratoires se ruent sur les marchés des médicaments orphelins.

Le profil de ces produits va évoluer. Ceux-ci seront bien plus coút-efficaces qu’ils ne le sont aujourd’hui. Ils seront également inaccessibles, si l’on ne change pas les modalités de financement. On doit travailler à des processus HTA qui soient plus transparents. Je ne jetterai par la pierre aux agences HTA, qui fournissent de nombreux efforts. Cela étant, celles-ci doivent poursuivre sur cette voie.

Nous devons également trouver de nouvelles règles de financement des produits, qui intègrent les besoins, les retours sur investissements et la propension à payer des payeurs. Je vous remercie.

Avant d’aborder les pistes de réflexion, je tiens à rappeler que les niveaux d’accès sont assez bons et équitables en France et en Europe. Nous disposons en outre d’un avantage avec les ATU. La nouvelle réglementation prévoit que la différence entre le prix au moment de l’ATU et le prix de lancement soit remboursée, ce qui pourrait constituer un frein pour certains laboratoires. Nous pourrons le vérifier si le nombre de produits entrant en ATU diminue.

Les prix ne sont pas fixés par les laboratoires, mais par le CEPS. Il les définit au niveau qu’il estime légitime. Nous ne pouvons donc pas reprocher aux laboratoires d’être intéressés et de proposer des produits trop chers.

Je ne suis pas convaincu que l’évaluation médico-économique reste inutilisée en termes de résultats. Dans tous les pays qui l’ont introduite, elle ne s’est matérialisée qu’après plusieurs années d’expérience. En France, elle est arrivée plus tardivement.

En ce qui concerne les solutions, nous devons déterminer ce que nous sommes disposés à payer. La réponse doit venir d’un débat de société et d’évaluations techniques. Nous savons mener des études dans ce domaine. Il faut en faire un débat. Les solutions susceptibles de fonctionner sont des fonds spécifiques, qui pourraient être destinés aux maladies rares et produits innovants technologiquement, avec des modèles de financement particuliers. Ces produits sont censés apporter des améliorations très conséquentes, et ne pourront jamais être payés sur la base des critères actuels. Ces derniers doivent donc être revus, avec une période de transition pour évoluer progressivement vers un modèle plus homogène. Aujourd’hui, personne ne fait d’effort pour se projeter dans l’avenir. Les pouvoirs politiques ne se sont pas préoccupés de ces sujets. Ils ont été alertés, sans résultat. Nous avons un système, et nous essayons de tout y intégrer. Quand le système ne le permettra plus, nous aviserons.

Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.