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Med Sci (Paris). 34(12): 1022–1025.
doi: 10.1051/medsci/2018284.

La boucle est bouclée
Des enzymes qui détyrosinent les microtubules enfin découvertes

Marie-Jo Moutin,1* Christophe Bosc,1 Leticia Peris,1 and Annie Andrieux1

1Grenoble Institut de Neurosciences, Inserm U1216, Université Grenoble Alpes, chemin Fortuné Ferrini, bâtiment Safra, 38700La Tronche, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Animaux, Histoire du 20ème siècle, Histoire du 21ème siècle, Humains, Microtubules, Complexes multienzymatiques, Maturation post-traductionnelle des protéines, Tyrosine, métabolisme, isolation et purification

 

Les microtubules sont des fibres du cytosquelette constituées par l’assemblage de dimères d’α- et de β-tubuline. Ces polymères en remodelage permanent jouent de multiples rôles dans les cellules. Organisés en fuseau, ils distribuent les chromosomes entre les cellules filles lors de la division cellulaire. Organisés en réseau, ils contribuent à la morphologie, la mobilité et la polarité des cellules, et constituent un réseau de rails pour le transport de divers constituants et organelles cellulaires. Pour assurer leurs nombreuses fonctions, les microtubules peuvent être très dynamiques ou stables. Cette plasticité dynamique est régulée de manière spatio-temporelle par plusieurs modifications post-traductionnelles que les microtubules subissent [1] ().

(→) Voir la Synthèse de K. Sadoul et al., page 1047 de ce numéro

La détyrosination, une modification réversible des microtubules connue de longue date

La détyrosination est la première étape d’une modification post-traductionnelle spécifique à la tubuline généralement nommée cycle de détyrosination/tyrosination. Ce cycle, découvert par une équipe argentine il y a 40 ans (en 1977) [2], fait intervenir deux enzymes. La première enzyme qui modifie la tubuline est l’enzyme de détyrosination, ou tubuline carboxypeptidase (TCP) : elle clive la tyrosine présente au C-terminus de la plupart des isoformes de tubuline α1. Une deuxième enzyme, la tubuline tyrosine ligase (TTL), inverse l’action de la TCP en rétablissant cette tyrosine. Le cycle module ainsi dans les cellules la présence de deux formes de tubuline α, détyrosinée et tyrosinée, dont les propriétés physicochimiques et les partenaires protéiques cellulaires diffèrent. Il conduit également à la genèse d’autres formes de tubuline α tronquées à l’extrémité C-terminale dont le rôle reste encore très peu étudié [3, 4]. Le cycle est intimement lié à la dynamique des microtubules. Les microtubules nouvellement polymérisés sont majoritairement tyrosinés (la TTL agissant uniquement sur le dimère soluble de tubuline α/β), alors que les microtubules stables sont préférentiellement détyrosinés. De plus, la détyrosination renforce la stabilisation des microtubules en inhibant le recrutement de moteurs moléculaires dépolymérisant, comme la kinésine 13 [5].

L’identification de la TTL en 1993 et les études qui en ont découlées, en particulier l’analyse des cellules et des souris déficientes pour cette enzyme, ont révélé le rôle vital de ce cycle pour la cellule et pour l’organisme [6]. En revanche, bien que la réaction de détyrosination soit connue depuis 1977 [7], le(les) acteur(s) cellulaire(s) en charge de cette activité restai(en)t à découvrir.

Une méthode originale, une découverte inattendue

À partir des années 1980, plusieurs purifications biochimiques partielles de l’enzyme de détyrosination ont été reportées, toutes réalisées à partir de tissu cérébral dans lequel l’activité s’était révélée abondante. Nous nous sommes appuyés sur ces travaux pour concevoir une procédure de purification biochimique en trois étapes qui nous a permis d’enrichir 400 fois l’activité de détyrosination dans des homogénats de cerveaux (Figure 1A) [8]. L’activité enzymatique a été suivie lors des différentes étapes de purification par un test utilisant des microtubules radio-marqués comme substrat. Une tyrosine marquée au 14C a été additionnée sur la tubuline α, puis les dimères α/β ont été polymérisés pour former des microtubules, stabilisés par du taxol. Utiliser des microtubules comme substrats permettait de s’assurer de la fiabilité du test, puisque plusieurs travaux avaient montré que la TCP préférait les microtubules à la tubuline non polymérisée.

Pour isoler la ou les protéine(s) responsable(s) de l’activité de détyrosination dans la fraction enrichie, nous avons utilisé un inhibiteur irréversible comme hameçon dans une stratégie de chimie click. La chimie click consiste à associer deux molécules l’une à l’autre par une réaction très maîtrisée, le plus souvent entre des groupements alcyne et azide. Nous avons commencé par déterminer la famille enzymatique de la TCP cérébrale en étudiant sa sensibilité à différents inhibiteurs de protéases et en avons déduit que son activité catalytique dépendait d’une cystéine réactive. L’équipe de Matthew Bogyo, de l’université de Stanford, a alors développé plusieurs inhibiteurs mimant la partie C-terminale de la tubuline et comprenant un groupement époxyde capable - s’il est correctement orienté dans la poche catalytique - de se fixer irréversiblement sur la cystéine réactive de l’enzyme. Plusieurs molécules ont été testées et la plus simple, epoY (contenant seulement la tyrosine de l’extrémité C-terminale de la tubuline), a permis de « capturer » l’enzyme parmi d’autres protéines (Figure 1). Pour cela, un groupement alcyne a été additionné sur l’inhibiteur liant irréversiblement l’enzyme, ce qui permet sa fixation sur des billes d’agarose portant un groupement azide (Figure 1B). Après analyse par spectrométrie de masse des protéines immobilisées sur les billes, un seul candidat TCP d’intérêt a été identifié : la vasohibine-1. Un article récent avait révélé la présence d’une triade d’acides aminés catalytiques sur cette protéine et son homologue, la vasohibine-2, classant ainsi les vasohibines dans la famille des protéases à cystéine proches des transglutaminases [9]. Les vasohibines restaient cependant sans substrat avéré.

Un mystère résolu : les vasohibines associées à la petite protéine SVBP forment des complexes enzymatiques de détyrosination

Les vasohibines étaient connues depuis longtemps, mais aucun lien avec les microtubules n’avait été établi jusqu’à notre récent travail [8]. La vasohibine-1 a été nommée ainsi en 2004 quand elle a été identifiée lors d’une étude recherchant des facteurs anti-angiogéniques. Depuis, la fonction des deux membres de la famille a été analysée lors de travaux sur l’angiogenèse et/ou en cancérologie, essentiellement par l’équipe de Yasufumi Sato au Japon [10]. Alors que la vasohibine-1 est anti-angiogénique, la vasohibine-2 semble pro-angiogénique. Les deux protéines sont enrichies dans plusieurs cancers et sont des facteurs de mauvais pronostic. Les vasohibines sont des protéines de 41‑42 kDa qui se lient avec une très forte affinité à une protéine nommée SVBP (small vasohibin-binding protein), considérée comme une protéine chaperonne nécessaire à leur stabilité et leur sécrétion [11].

Nos résultats de protéomique, associés aux données de la littérature, nous ont conduits à examiner la capacité des vasohibines à détyrosiner la tubuline α en l’absence ou en présence de SVBP. Nous avons montré que les complexes vasohibine‑1/SVBP et vasohibine-2/SVBP ont une activité tubuline carboxypeptidase (TCP) dans les cellules et dans les tests réalisés in vitro avec les complexes purifiés : une tyrosine ou une phénylalanine peut être clivée à l’extrémité de la tubuline α par ces complexes, générant des formes détyrosinées de la tubuline. La cystéine prédite catalytique est indispensable : sa mutation abolit l’activité TCP. Et, comme attendu, les complexes enzymatiques ont une nette préférence pour les microtubules comparativement aux dimères libres de tubuline α/β.

Les complexes vasohibines/SVBP régulent la différenciation neuronale

Nous avons ensuite examiné l’importance physiologique des complexes enzymatiques de détyrosination en nous focalisant sur les neurones et le cerveau pour lesquels le cycle de détyrosination/tyrosination s’était révélé fondamental. Dans les neurones, la réduction de l’expression des deux vasohibines, ou de SVBP, par des ARN interférents induit des défauts morphologiques (une augmentation du nombre des neurites et des branchements neuritiques) et ralentit la différenciation axonale (Figure 2A). Des résultats équivalents sont obtenus avec l’inhibiteur epoY. L’effet observé est donc opposé à celui qui avait été constaté en l’absence de l’enzyme inverse TTL : les neurones issus de souris chez lesquelles le gène codant la TTL est invalidé présentent un développement axonal prématuré [6], alors que les neurones dans lesquels l’expression des complexes vasohibine/SVBP est réduite ont un retard de différenciation. Cependant, l’addition simultanée des ARN interférents et de l’inhibiteur ne conduit pas à une réduction totale de la détyrosination dans les neurones, laissant suspecter la présence d’autres enzymes de détyrosination dans ces cellules. La présence de tubuline α4, qui n’a pas de tyrosine C-terminale, pourrait également contribuer à ce résultat. Les complexes enzymatiques vasohibine/SVBP sont de plus impliqués dans le développement du système nerveux central puisque la diminution de leur expression dans le cortex cérébral d’embryon de souris affecte la migration radiale de ces neurones.

Perspectives

La méconnaissance des enzymes portant l’activité de détyrosination a longtemps bloqué la compréhension du cycle de détyrosination/tyrosination de la tubuline. Nous avons récemment découvert l’activité de détyrosination des complexes de vasohibine/SVBP pour la détyrosination de la tubuline (Figure 2B), ce qui a été simultanément confirmé par une équipe hollandaise utilisant une approche génétique [12]. Un test réalisé sur des cellules haploïdes (ne possédant qu’un seul exemplaire de chaque chromosome et donc de la plupart des gènes) leur a en effet permis de révéler l’importance du gène SVBP pour la détyrosination de la tubuline, puis d’étudier les complexes formés avec les vasohibines. Ainsi, cette énigme de 40 ans vient donc d’être résolue par deux équipes européennes. C’est très probablement parce qu’il s’agissait de complexes enzymatiques que leur révélation a été si compliquée et si longue, nécessitant des approches inédites.

L’identification de ces enzymes devrait permettre de mieux comprendre les liens entre détyrosination et dynamique microtubulaire, et comment les cellules utilisent la détyrosination pour contrôler certaines fonctions des microtubules. Il s’agira donc de déterminer dans quels tissus les complexes enzymatiques vasohibine/SVBP jouent un rôle majeur, d’évaluer la spécificité de chacun d’entre eux (tissulaire, cellulaire ou subcellulaire), et de décrire comment leur activité est régulée puis relayée dans les cellules pour des fonctions microtubulaires dépendant de leur détyrosination. La génération d’animaux déficients pour ces protéines sera d’un grand intérêt pour aborder ces différentes questions. Les futures études in vitro (structure-fonction) apporteront, quant à elles, des réponses aux questions d’ordre moléculaire : comment se lie la vasohibine à la protéine chaperonne SVBP ? Comment interagissent ces complexes enzymatiques avec la tubuline α des microtubules ? Ces enzymes sont-elles processives (c’est-à-dire capable de catalyser des réactions successives sur un microtubule sans le relâcher) ?

D’autres questions intéressantes sont soulevées par ces travaux. Les vasohibines sont sécrétées par les cellules épithéliales [11]. Qu’en est-il des autres types cellulaires ? Quel rôle jouent les vasohibines à l’extérieur des cellules ? La protéine chaperonne SVBP étant sécrétée simultanément, ces protéines sont-elles actives dans le stroma et sur quel(s) substrat(s) ?

Les nombreuses questions relatives aux complexes vasohibine/SVBP devraient trouver des réponses dans des délais plus raisonnables que celui qui a été nécessaire à l’identification de leur fonction enzymatique.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 Les isoformes de tubuline α1A, α1B, α1C, α3A, et α3B portent une tyrosine, α8 une phénylalanine et α4 est néosynthétisée directement sans tyrosine dès sa néosynthèse.
References
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