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Med Sci (Paris). 34(11): 907–909.
doi: 10.1051/medsci/2018228.

Ribosomes stressés, une nouvelle facette de l’oncogenèse induite par EBNA1

Slovénie Pyndiah1*

1Inserm UMRS1162, équipe labellisée la ligue contre le cancer, institut de génétique moléculaire, université Paris 7, hôpital Saint Louis, 75010Paris, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Animaux, Carcinogenèse, Cycle cellulaire, Transformation cellulaire néoplasique, Antigènes nucléaires du virus d'Epstein-Barr, Gènes myc, Humains, Protéines des oncogènes viraux, Ribosomes, Transduction du signal, Stress physiologique, génétique, métabolisme, anatomopathologie, physiologie

 

Les bases moléculaires de l’oncogenèse reposent sur les mécanismes et le contrôle de la progression du cycle cellulaire. Cela fait déjà plus d’un siècle que, grâce à l’étude de la transmission des particules virales, un lien a été mis en évidence entre la présence de virus et la croissance cellulaire incontrôlée [1]. Dans les années 1970, des études réalisées par des virologues ont ainsi permis d’identifier les premières protéines oncogènes chez des oiseaux, comme SRC1 (Rous sarcoma virus ) [2] et Myc2 [3].

Un virus a une implication directe dans la transformation du phénotype cellulaire si au moins un transcrit lié à la tumorigenèse est présent dans chacune des cellules transformées. Ainsi, le virus du papillome humain, le polyomavirus de Merkel, l’herpèsvirus humain 8 et le virus Epstein-Barr (EBV) répondent à ces critères et des études d’extinction de l’expression de gènes viraux confirment leurs implications dans une croissance cellulaire aberrante. La première tumeur découverte associée à un virus chez l’être humain a été décrite en 1958 en Ouganda [4]. Elle sera reconnue plus tard comme le lymphome de Burkitt lié à l’EBV, une tumeur à croissance rapide. Ce lymphome est généralement associé à une translocation du gène c-Myc sans doute provoquée par l’EBV, mais à l’heure actuelle le mécanisme exact demeure encore une énigme.

La notion de cycle cellulaire pour comprendre l’oncogenèse

La majeure partie de l’énergie utilisée par la cellule est dédiée à la machinerie de traduction des protéines. Les ribosomes constituent le composant majoritaire d’une cellule eucaryote, équivalant à environ 40 % de la masse cellulaire totale et à 90 % de la masse totale des ARN de la cellule. Avec la réplication de l’ADN, la synthèse des protéines joue un rôle majeur dans la croissance cellulaire et une étroite synchronisation existe entre les deux machineries lors de la prolifération des cellules normales. Lorsque la croissance cellulaire est activée par la présence de nutriments ou par des cascades de signalisation induites par des facteurs de croissance, c’est en priorité la synthèse des protéines qui est assurée, entraînant ensuite la division cellulaire. Une dérégulation de ces évènements peut causer la mort cellulaire. Dans les cellules eucaryotes, il existe ainsi une étroite coordination entre les deux, relayée par des mécanismes de surveillance qui permettent d’assurer que le pool protéique se dédouble avant que la cellule duplique son matériel génétique, puis qu’elle se divise [5] ().

(→) Voir la Synthèse de Y. Pommier et K.W. Kohn, m/s n° 2, février 2003, page 173

Le mode d’action généraldes oncogènes viraux

Les virus à ADN et les cellules cancéreuses ont tous deux évolué et développé des stratégies pour contourner les mécanismes de surveillance afin de proliférer, même dans un microenvironnement cellulaire hostile. Les mécanismes utilisés par les cellules tumorales pour forcer l’entrée en phase S (synthèse de l’ADN) du cycle cellulaire sont désormais mieux compris grâce à l’étude des virus à ADN. Par exemple, séquestrer la protéine suppresseur de tumeur RB (du rétinoblastome) est l’un des mécanismes les mieux décrits permettant aux virus à ADN de manipuler la machinerie cellulaire. Séquestrer la protéine RB permet en effet de libérer les facteurs de transcription E2F [6] pour initier directement l’entrée en phase S. Dans le cas des cancers, le mécanisme d’activation de la biogenèse des ribosomes par le proto-oncogène c-Myc, qui accroît la synthèse des protéines cellulaires, est parfaitement décrit. En effet, la surexpression du gène c-Myc a un impact significatif sur l’augmentation de la prolifération, la croissance et la taille cellulaires, en étroite corrélation avec un ajustement de la vitesse de synthèse du pool protéique [7]. De façon similaire, le gène RB peut être muté et par conséquent libérer le facteur E2F, décrit pour activer directement c-Myc.

Ces mécanismes rétroactifs révèlent des fonctions profondément interconnectées entre virus à ADN et cellules cancéreuses pour contourner les dispositifs de surveillance de la prolifération. Cependant, les candidats cellulaires interférant directement avec l’activité des ribosomes pour augmenter la croissance cellulaire demeurent inconnus.

Le mécanisme d’action unique de la protéine virale EBNA1

Le virus Epstein-Barr (EBV) exprime un polypeptide de 235 acides aminés (GAr) (Figure 1A), répétition de glycine-alanine, dont le mécanisme traductionnel est unique et universel. Le GAr est présent au sein de la protéine EBNA1 (Epstein-Barr antigen nuclear 1), seul antigène viral qui est systématiquement exprimé dans toutes les cellules infectées par l’EBV. EBNA1 a en effet un rôle essentiel pour maintenir la réplication et la stabilité du génome viral. Il est également son propre facteur de transcription pour contrôler le pool d’EBNA1 cellulaire [8]. La mission du GAr est de contrôler le niveau d’expression d’EBNA1 dans les cellules infectées, sans pour autant que ces dernières soient détectées par le système immunitaire. Cet échappement viral au système immunitaire est lié à une présentation de peu de peptides antigéniques dérivés d’EBNA1 aux molécules du complexe majeur d’histocompatibilité (CMH) de classe I. En effet, pendant la traduction d’EBNA1, le polypeptide GAr naissant sortant du ribosome bloque la traduction de son propre ARN. Ce mécanisme d’inhibition de la traduction en cis est universel et nécessite une position spécifique du GAr dans tous les ARN contenant cette séquence nucléique répétitive (Figure 1B). Le processus peut être réversible lorsque la séquence non codante interagissant avec les facteurs d’initiation de la traduction (Figure 1B) est modifiée [9, 10], ou lorsque la séquence nucléotidique du GAr est exprimée à l’extrémité 3’ d’une séquence codante (Figure 1B). Pour compenser cette lenteur de traduction d’EBNA1 due à l’action du GAr, EBNA1 a une longue demi-vie qui peut dépasser 20 heures [11].

Cette capacité du GAr à inhiber la traduction en cis est donc un outil unique pour étudier la réponse cellulaire face à un dysfonctionnement de la traduction d’ARN messager.

Les ribosomes stressés par le polypeptide GAr accélèrent le cycle cellulaire

Jusqu’à présent, aucun mécanisme reliant l’activité ribosomale et le contrôle du cycle cellulaire n’avait été décrit. Nos résultats montrent que le mécanisme d’inhibition de la traduction en cis par le GAr agit sur la synthèse et la stabilité d’E2F1, un facteur clé de la progression du cycle cellulaire. Vingt années plus tôt, il avait été montré que l’extrémité C-terminale d’E2F1 est utilisée comme signal dans son processus de dégradation par la voie du protéasome  : en l’absence de cette extrémité, la dégradation protéique n’est pratiquement pas observée [13]. L’interaction de RB avec E2F1 bloque la machinerie cellulaire d’ubiquitinylation d’E2F1, et E2F1 libéré de RB et actif a une demi-vie plus courte que lorsqu’il est complexé et inactif. En concordance avec ce mécanisme de contrôle du cycle cellulaire par E2F1, nos résultats démontrent que GAr utilise le pool d’E2F1 actifs qui peut être stabilisé par d’importantes quantités de RB exogène.

Nous démontrons que le stress traductionnel causé par les propriétés uniques du GAr active la synthèse d’E2F1 via la voie de signalisation de la phosphoinositide 3-kinase delta (PI3Kδ), induisant ensuite l’expression du proto-oncogène c-Myc (Figure 2). La voie de la PI3Kδ est déclenchée à la suite d’une activation du récepteur à activité tyrosine kinase, qui entraîne une cascade d’évènements cellulaires impliqués dans la prolifération, le métabolisme et la survie. L’Idelalisib, un inhibiteur spécifique de complexes protéiques recrutés par cette voie de signalisation, permet d’annuler l’effet du GAr sur la synthèse d’E2F1 [14, 15].

Les implications cliniques

Les patients développant le syndrome de PI3Kδ activée souffrent de façon chronique d’une prolifération active du virus EBV. Ce syndrome est lié à une mutation d’un gène de la famille PI3K entraînant une immunodéficience par gain de fonction. La voie des PI3Kδ pourrait donc jouer un rôle dans le cycle de vie d’EBV. L’utilisation d’inhibiteurs de la PI3Kδ est en effet efficace chez les patients souffrant de leucémie lymphoïde chronique et de lymphome hodgkinien indolent. Environ 40 % des cas de lymphomes hodgkiniens sont associés à l’EBV et il serait intéressant de corréler l’efficacité de l’Idelalisib dans le traitement de ces cancers avec la présence du virus. Chez les patients porteurs d’EBV, les cellules cancéreuses du nasopharynx expriment toutes EBNA1. Cibler la voie de la PI3Kδ pourrait donc représenter une stratégie thérapeutique dans ces pathologies.

Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 Src est un gène exprimé par le rétrovirus Rous sarcoma virus, qui code une tyrosine kinase impliquée dans l’apparition de cancers chez le poulet.
2 c-Myc est un proto-oncogène qui est surexprimé dans des cellules cancéreuses.
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