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Med Sci (Paris). 34(8-9): 665–670.
doi: 10.1051/medsci/20183408012.

Organisation bipartite de la lymphopoïèse humaine

Kutaiba Alhaj Hussen,1 Emna Chabaane,1 and Bruno Canque1*

1Inserm U1126, université Paris-Diderot, école pratique des hautes études/Paris Sciences et Lettres (PSL research university), institut universitaire d’hématologie, hôpital Saint-Louis, 1, avenue Claude Vellefaux, 75010Paris, France
Corresponding author.
 

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Vignette (Photo © Inserm/U949).

L’essor de l’hématologie expérimentale humaine

En dépit des efforts consentis depuis près d’un demi-siècle, l’architecture développementale du système immunitaire humain est longtemps restée mal connue. Du fait de l’absence de modèles expérimentaux adéquats, les caractères immuno-phénotypiques, moléculaires et fonctionnels des progéniteurs et des précurseurs hématopoïétiques humains, ainsi que leurs relations développementales, et plus encore les déterminants intra- et extracellulaires de leur émergence et de leur spécification, demeurent à ce jour encore discutés, tout particulièrement en ce qui concerne le lignage lymphoïde. En hématologie, la recherche fondamentale est généralement menée sur des modèles expérimentaux murins, qui offrent des possibilités d’investigation optimales principalement à travers le développement d’approches génétiques. Celles-ci permettent par exemple de suivre, à l’échelon clonal, le devenir in vivo des cellules souches hématopoïétiques (CSH) ou d’évaluer dans des conditions de fiabilité optimale, la contribution de gènes candidats au développement des différentes lignées hématopoïétiques. Les travaux de biologie humaine arrivent généralement en seconde ligne, avec comme principaux objectifs la généralisation des concepts préalablement établis dans le modèle murin et/ou leur utilisation pour aborder la physiopathogénie des maladies hématologiques humaines. Il existe cependant quelques exceptions notables à ce cadre général. On peut en effet rappeler, à cet égard, que c’est dans l’espèce humaine qu’a été identifiée, en 1995, la première population de progéniteurs engagés dans la voie de développement lymphoïde [1]. La transposition de ces résultats au modèle murin a cependant permis, deux ans plus tard, à Akashi et al. de formuler le concept de progéniteur lymphoïde commun (common lymphoid progenitor, ou CLP) [2]. De la même façon, le rôle des composants de la voie de signalisation de l’IL(interleukine)-7, principalement celui de la chaîne γ commune (γc/CD132) aux récepteurs des cytokines de cette famille [35], et de la tyrosine kinase JAK3 (janus kinase 3) [68] dans le développement lymphoïde, a d’abord été démontré dans l’espèce humaine, grâce à l’étude des bases génétiques des déficits immunitaires combinés sévères de l’enfant (DICS). La mise en évidence de la participation de Notch1 à la physiopathogénie des leucémies lymphoblastiques T humaines (LALT), en 1991, a également précédé de huit années la démonstration de son rôle unique dans la régulation de l’engagement vers le lignage T [9, 10].

Cette logique, qui a longtemps prévalu en hématologie, est principalement liée aux contraintes méthodologiques imposées par l’étude de l’hématopoïèse humaine. Le caractère restrictif de la législation limite en effet considérablement l’accès aux prélèvements fœtaux humains. L’utilisation de plus en plus fréquente de sang mobilisé pour la greffe de cellules souches hématopoïétiques rend aussi de plus en plus difficile l’accès à la moelle osseuse (MO) post-natale. Les résultats générés à partir de l’étude des prélèvements primaires fœtaux ou adultes posent également des problèmes de reproductibilité, en raison des disparités liées à l’âge des individus prélevés et aux variations interindividuelles.

Au cours des dernières décennies, deux avancées majeures ont toutefois permis à l’hématologie expérimentale humaine de prendre un relatif essor. Il s’agit, tout d’abord, de la mise en évidence par Broxmeyer et Gluckman, en 1989, de la présence en grand nombre de CSH circulant dans le sang placentaire, lesquelles se sont avérées alors être utilisables aussi bien pour la réalisation d’études expérimentales qu’en clinique humaine, pour traiter l’anémie de Fanconi, une maladie génétique de phénotype complexe, incluant une pancytopénie, des malformations congénitales ainsi qu’une prédisposition au cancer [11, 12]. Depuis les années 1990, le sang placentaire est ainsi devenu la source de référence pour la caractérisation phénotypique et fonctionnelle des CSH et des progéniteurs hématopoïétiques humains. Il convient toutefois d’insister sur le fait que, de façon contre-intuitive, le sang placentaire est très pauvre en précurseurs hématopoïétiques, et qu’il contient une très large majorité (> 90 %) de CSH et de progéniteurs multipotents. Dans la mesure où la composition des sous-populations de progéniteurs du sang placentaire ne reflète pas directement celle de la moelle osseuse, l’étude des populations circulantes ne permet pas de conclure correctement quant à leurs relations développementales, ni d’aborder les mécanismes régulant leur émergence, ce qui limite considérablement la portée de ce type d’études. La seconde avancée majeure qui a contribué à l’essor de l’hématologie expérimentale humaine est postérieure au développement des méthodes de culture in vitro de progéniteurs hématopoïétiques dans des conditions favorisant le développement de la lignée lymphoïde. Il s’agit du développement de modèles murins immunodéficients supportant la greffe de CSH humaines. L’histoire de ces modèles de xénogreffes de cellules humaines commence en 1983, avec la caractérisation de la mutation scid (severe combined immunodeficiency) chez les souris BALB/c, CB17-scid [13], qui induit une déficience des lymphocytes T et B. Elle se déploie ensuite sur près de deux décennies pour culminer en 2004-2005 avec le développement des lignées de souris immunodéficientes NOD(nonobese diabetic)-scid-IL2R γcnull (ou NSG) [14, 15] et BALB/c RAG2(recombination activating gene 2)-/-γc-/- (ou BRG) qui sont désormais utilisées en routine par la plupart des laboratoires d’hématologie expérimentale [16, 17]. Concernant les modèles de xénogreffe de CSH humaines, il convient de rappeler l’importance des travaux pionniers de J. Dick, à Toronto (Canada), qui a largement contribué, depuis le début des années 1990, à la diffusion de ce type d’approche pour l’étude de l’hématopoïèse humaine normale et leucémique [18, 19].

Architecture développementale de la lymphopoïèse humaine
Les études pionnières : 1995-2010
L’objet de cette revue n’est pas de retracer l’histoire récente de l’hématologie expérimentale, mais de faire un point sur l’état des connaissances en matière d’ontogénie lymphoïde humaine. Nous nous contenterons donc de rappeler ici quelques épisodes saillants de l’histoire récente, utiles à notre propos. Il s’agit, en premier lieu, des travaux pionniers de Shaper et al. [20] et de Bernstein et al. [21] qui ont permis l’identification de la molécule CD341 comme un marqueur membranaire des cellules du compartiment hématopoïétique immature, incluant les CSH, les progéniteurs et les précurseurs hématopoïétiques, et, en second lieu, des travaux de Gabner et al. [22] qui ont montré que l’expression différentielle de CD45RA permettait de distinguer le compartiment des CSH et des progéniteurs érythro-mégacaryocytaires (n’exprimant pas ce marqueur, CD45RA-), de celui des progéniteurs lympho-granulo-macrophagiques. Ces résultats, rapidement confirmés par Chen et al. [23], ont abouti, deux ans plus tard, en 1995, à l’identification de la première population de progéniteurs lymphoïdes [1]. Cette population, isolée à partir de la moelle osseuse de donneurs adultes, se caractérisait par son phénotype (CD34+CD45RA+CD10+), par un triple potentiel de différenciation en lymphocytes B, T et en cellules NK (natural killer), et par son incapacité à générer des cellules érythroïdes et granulo-macrophagiques en culture in vitro. Les travaux fondateurs de Chen et al. sont également à l’origine d’une longue controverse sur le statut développemental de la population de cellules exprimant CD10 (aussi appelé Calla, pour common acute lymphocytic leukemia antigen) ainsi que sur les autres marqueurs de surface associés à l’engagement lymphoïde des progéniteurs hématopoïétiques humains [24].

L’objectif initial de notre laboratoire, qui s’intéresse à la lymphopoïèse humaine depuis près de vingt ans, était de caractériser les progéniteurs lymphoïdes circulant dans le sang placentaire. Les travaux qui ont été réalisés ont débouché sur l’identification dans le sang de cordon ombilical d’une population originale de cellules de phénotype CD34+CD45RA+CD7+ [25], puis sur la mise en évidence d’une ségrégation des précurseurs lymphoïdes du sang placentaire en 2 fractions distinctes, l’une de phénotype CD7+CD10- déjà fortement polarisée vers le versant T/NK, l’autre de phénotype CD10+(CD7+/-) présentant un potentiel de différenciation prédominant vers le lignage B [26]. Durant la même période, Crooks et al. ont caractérisé une population proche de celle que nous avons décrite [27]. Ces observations ont été confirmées en 2007 par Plum et al. [28], puis par Dick et al., en 2010 [29]. Durant la période 2004-2006, les travaux sur la population CD34+CD45RA+CD7+ ont été poursuivis en recherchant son éventuelle participation à la colonisation du thymus humain fœtal. L’étude de sa dynamique au cours de la vie fœtale et post-natale devait montrer que cette population est détectée dans la moelle fœtale, vers la 8e semaine de développement, qu’elle exprime le récepteur de domiciliation thymique CCR9 (C-C chemokine receptor type 9), circule dans le sang fœtal et s’accumule ensuite au niveau du parenchyme thymique, confirmant ainsi sa participation à la colonisation de cet organe [30]. De façon plus inattendue, la population CD34+CD45RA+CD7+ atteint son pic de représentation dans le sang fœtal à la fin du second trimestre de développement, pour ensuite décroître et n’être plus détectée qu’à l’état de trace dans la moelle osseuse post-natale.

Modélisation in vivo de l’hématopoïèse humaine fœtale : 2009-2014
À partir de l’année 2009, la diffusion des modèles de xénogreffes de cellules humaines aux souris immunodéficientes nous a conduits à développer une approche de modélisation de l’hématopoïèse fœtale humaine chez la souris immunodéficiente [31]. Ce modèle repose sur la greffe de progéniteurs CD34+ du sang placentaire à des animaux irradiés. L’objectif recherché était d’utiliser cette approche de xénogreffe, non pas comme un simple outil de validation des résultats obtenus à partir de l’étude de prélèvements primaires, mais d’en faire un outil d’investigation à part entière, pour étudier l’architecture de l’hématopoïèse humaine ainsi que pour aborder des aspects plus moléculaires du développement lymphoïde en utilisant des approches génétiques, par surexpression ou invalidation de gènes candidats. Le suivi cinétique des animaux greffés a permis de réaliser une observation décisive qui a orienté la suite de nos travaux. Nous avons montré, en effet, qu’au 21e jour après la greffe, une hématopoïèse complètement diversifiée, dont le profil immuno-phénotypique et transcriptionnel est superposable à celui du second trimestre de vie fœtale, était détectée dans la moelle osseuse des souris immunodéficientes (Figure 1) [24]. La pertinence de notre modèle a fait l’objet d’une procédure de validation rigoureuse, en comparant tout d’abord le profil phénotypique des cellules ayant pour origine l’hématopoïèse xénogénique des souris greffées avec celui des progéniteurs isolés du sang placentaire ou de la moelle osseuse de donneurs adultes ou fœtaux, puis en comparant le potentiel de différenciation des cellules issues de l’hématopoïèse xénogénique à celui de leurs homologues primaires issus de moelle osseuse humaine et, enfin, en comparant les signatures moléculaires des populations générées en conditions xénogéniques à celle des populations de la moelle osseuse fœtale humaine. La comparaison des phénotypes cellulaires a permis d’établir un calendrier précis de l’hématopoïèse fœtale humaine et de montrer que le modèle xénogénique reproduit fidèlement l’hématopoïèse qui advient lors du second trimestre de la vie fœtale.

Il convient de souligner la robustesse de ce modèle de xénogreffe (stable et reproductible) qui peut désormais être utilisé pour l’étude du développement hématopoïétique normal mais aussi pathologique, notamment leucémogénique. Dans la mesure où ce modèle rétablit le continuum développemental normal des populations de la moelle osseuse humaine, il permet de générer et, par conséquent, d’accéder à l’ensemble des stades de différenciation hématopoïétique, depuis les CSH jusqu’au stade d’effecteurs matures prêts à subir le processus d’intravasation sanguine. Ce modèle expérimental représente donc une source facilement accessible et aisément manipulable de progéniteurs et précurseurs humains. Si ce type d’approche place désormais l’étude de l’hématopoïèse humaine à un niveau équivalent à celui des travaux réalisés sur l’hématopoïèse murine, il conserve néanmoins certaines limites qui méritent d’être rappelées ici. Il s’agit d’un modèle d’hématopoïèse régénérative particulièrement puissant pour l’étude du processus de diversification hématopoïétique précoce et la modélisation des hémopathies malignes humaines, mais qui reste limité pour aborder la biologie des CSH humaines. Au-delà de la troisième semaine post-greffe, on observe en effet une chute des progéniteurs hématopoïétiques médullaires, dont le phénotype s’altère ensuite progressivement. Il convient également de rappeler que la thymopoïèse humaine xénogénique, détectée à partir de 6-8 semaines post-greffe, reste insuffisamment efficace pour envisager l’étude du développement intra-thymique du lignage T.

Vers un modèle d’organisation bipartite de la lymphopoïèse humaine : 2015-2017
Cette approche de modélisation, développée chez la souris immunodéficiente, nous a permis d’établir une nouvelle cartographie de l’hématopoïèse humaine et d’apporter des réponses précises à des questions qui sont restées longtemps controversées. Afin de ne pas alourdir notre propos, nous nous limiterons ici à un descriptif rapide des principales caractéristiques des populations de progéniteurs que nous avons décrites. L’article original pourra être consulté afin d’approfondir ces aspects de la problématique [24].

Nos travaux confirment la ségrégation initiale des progéniteurs hématopoïétiques (CD34++) sur la base de l’expression différentielle de CD45RA. Ils montrent également que la fraction la plus immature CD34++CD45RA- présente un mode de structuration relativement simple reposant sur une bipartition en CSH multipotentes (CD38-CD117+) et en progéniteurs granulocytaires (CD38+CD117++). La stratification immuno-phénotypique et fonctionnelle de la fraction CD34++CD45RA+ est, en revanche, nettement plus complexe. C’est en effet à ce niveau que siège le processus de diversification primaire des lignages lymphoïde, monocytaire et dendritique. La fraction CD34++CD45RA+ présente une organisation quadripartite incluant : (1) une fraction multipotente (ITGB7-CD115-Lin-)2 de progéniteurs LMDP (lympho-mono-dendritic progenitors) à partir de laquelle émergent (2) les précurseurs monocytaires et dendritiques (ITGB7-/+CD115+), appelés MDCP (monocyte-dendritic cell progenitors), ainsi que (3) les deux populations de progéniteurs lymphoïdes précoces (ELP pour early lymphoid progenitors) que nous avons identifiées : les ELP CD127-/IL7R- et CD127+/IL7R+ (Figure 2). Au stade suivant de leur différenciation, les MDCP, qui sont dépourvus de potentiel lymphoïde, font l’objet d’une ségrégation secondaire en précurseurs de cellules dendritiques plasmacytoïdes (pDC) (CD116+CD123+) et en précurseurs communs aux monocytes et cellules dendritiques (CD116+CD123-). Les ELP CD127-/IL7R- et CD127+/IL7R+ font, eux aussi, l’objet d’un processus de diversification secondaire en fractions multi-lymphoïdes et en fractions cellulaires biaisées vers les lignages lymphoïdes T-NK/ILC (innate lymphoid cells) ou B, repérables par l’expression différentielle des marqueurs CD7, CD9 et CD2. Les deux familles lymphoïdes, CD127-/IL7R- et CD127+/IL7R+, présentent des propriétés communes, à savoir une certaine redondance fonctionnelle, et des caractères spécifiques. Elles se distinguent notamment par leur mode de structuration populationnelle, leurs capacités de différenciation, leurs modalités de restriction de potentiel, leur dépendance vis-à-vis de voies de signalisation de Notch1, de l’IL-7 et de l’IL-15, ainsi que par leurs signatures moléculaires (Figure 2).

La famille CD127-/IL7R- comprend une fraction immature de progéniteurs multilymphoïdes (MLP, pour multilymphoid progenitors, de phénotype ITGB7++CD7-CD2-), des précurseurs déjà biaisés vers le lignage T (ETP, ou early T progenitors, de phénotype ITGB7++CD7++CD2-), des précurseurs NK/ILC (NKIP, pour natural killer/innate lymphoid cell precursors, de phénotype ITGB7++CD7+CD2+), qui présentent un potentiel NK prédominant, caractérisés par une dépendance exclusive vis-à-vis de l’IL-15, ainsi que des précurseurs B précoces (EBP, ou early B progenitors, de phénotype ITGB7++CD9+) qui génèrent principalement des lymphocytes B de la zone marginale. Enfin, au plan transcriptionnel, les populations lymphoïdes CD127-/IL7R- conservent l’expression d’un nombre limité de gènes du lignage myéloïde et peuvent être facilement réorientées vers le lignage monocytaire en conditions de culture hétérologue. Leur capacité de différenciation n’est donc pas restreinte au seul lignage lymphoïde.

Si la famille CD127+/IL7R+ ne possède qu’un potentiel modeste de différenciation vers le lignage T, elle comprend, en revanche, elle aussi, une fraction multilymphoïde (MLP) (de phénotype ITGB7++CD7+CD2-), des NKIP (ITGB7++CD7+CD2+) présentant une triple dépendance vis-à-vis de Notch1, de l’IL-7 et de l’IL-15, et dont le potentiel de différenciation est plutôt orienté vers la production d’ILC3, ainsi que des EBP (ITGB7++CD7-CD2-CD9-) capables de générer des lymphocytes B folliculaires et des lymphocytes B de la zone marginale. À la différence de leurs homologues de la famille CD127-/IL7R-, les populations CD127+/IL7R+ sont complètement dépourvues de potentiel myéloïde. Elles partagent en revanche une signature moléculaire caractérisée par l’expression de gènes du lignage B. C’est sans doute la raison pour laquelle les progéniteurs et précurseurs de la famille lymphoïde CD127+/IL7R+ font l’objet d’une diversion massive vers le lignage B lorsqu’ils sont cultivés in vitro en l’absence de facteurs de croissance.

Perspectives d’avenir

En conclusion, nos travaux des cinq dernières années ont permis d’établir une nouvelle cartographie de l’hématopoïèse humaine articulée autour de l’organisation bipartite de l’ontogénie lymphoïde. Les résultats que nous avons obtenus démontrent la pertinence de notre approche de modélisation chez la souris immunodéficiente. Ils mettent également un terme à de longues controverses sur l’existence d’une contrepartie humaine du progéniteur lymphoïde commun (CLP) murin, ainsi que sur l’éventuelle valeur des marqueurs CD7 et CD10 pour la définition phénotypique des populations lymphoïdes. Ils montrent également qu’entre les périodes de vie fœtale et post-natale, les progéniteurs lymphoïdes précoces (ELP) CD127+/IL7R+ subissent une conversion phénotypique massive caractérisée par l’acquisition d’un fort niveau d’expression de CD10, et qu’ils se superposent alors à la population décrite originellement par Chen et al. [1]. Nous confirmons enfin que le marqueur CD7 n’est pas restreint au seul lignage lymphoïde et qu’il est préférentiellement détecté pendant la période de vie fœtale durant laquelle son expression par les ELP est associée à une polarisation vers les lignages T et/ou NK/ILC. Les analyses transcriptomiques trans-espèces, comparant les signatures moléculaires des ELP humains à celles des sous-populations de CLP murins [32], montrent enfin que si les réseaux de régulation génique contrôlant l’émergence des populations de précurseurs lymphoïdes sont conservés entre l’homme et la souris, leur structuration populationnelle, ainsi que les marqueurs les définissant sont spécifiques de chaque espèce. À la différence du modèle murin, pour lequel la population de CLP fait l’objet d’une diversification secondaire en précurseurs T, B ou NK/ILC, on observe en effet dans l’espèce humaine une duplication initiale des axes de développement lymphoïde, dont les bases moléculaires et les implications en pathologie humaine seront explorées dans un avenir proche.

Dans ce contexte, le modèle d’ontogénie lymphoïde à 2-familles que nous avons établi devrait contribuer à une meilleure compréhension de la physiopathologie des déficits immunitaires héréditaires. Ainsi, contrairement aux souris invalidées pour les gènes codant la chaîne γc ou JAK3, qui sont alymphoïdes, c’est-à-dire dépourvues de lymphocytes T, B et NK/ILC, les patients XSCID (X-linked severe combined immunodeficiency), porteurs de mutations nulles pour l’un ou l’autre de ces gènes, conservent un développement B normal. Ce phénotype dissocié pourrait être lié à la préservation de la voie CD127- de développement des lymphocytes B. Concernant l’hématopoïèse maligne, la persistance d’un trait myéloïde chez les ELP CD127- suggère qu’il pourrait s’agir de candidats possibles comme cellules d’origine des leucémies de phénotype ambigu co-exprimant des marqueurs lymphoïdes et myéloïdes.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 CD34 est une glycoprotéine transmembranaire fortement glycosylée (ou sialomucine), qui participe à la localisation et à l'adhérence des progéniteurs hématopoïétiques dans la moelle osseuse.
2 ITGB7 : integrin subunit beta 7 ; Lin- correspond à un cocktail d’anticorps permettant d’é liminer les cellules qui possè dent à leur surface des marqueurs spé cifiques.
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