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doi: 10.1051/medsci/20183404016.

Le modèle poisson zèbre dans la lutte contre le cancer

Pamela Völkel,1 Babara Dupret,2 Xuefen Le Bourhis,2 and Pierre-Olivier Angrand2*

1CNRS Lille, Inserm U908, Université de Lille, Bâtiment SN3, Cité Scientifique, 59655Villeneuve d’Ascq, France
2Inserm U908, Université de Lille, Bâtiment SN3, Cité Scientifique, 59655Villeneuve d’Ascq, France
Corresponding author.
 

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Vignette (Photo © Inserm/Leclerc, Philippe).

Dès le 9 avril 1910, William H. Taft, le vingt-septième président des États-Unis d’Amérique, demandait 50 000 dollars au Congrès pour la création d’un laboratoire fédéral de recherche focalisé sur l’étude du cancer chez les poissons. Dans son mémorandum, il déclarait : « We have every reason to believe that a close investigation into the subject of cancer in fishes, which are frequently swept away by an epidemic of it, may give us light upon this dreadful human scourge » [ 1]. Cette proposition était accompagnée d’un rapport du Docteur Harvey R. Gaylord, directeur du New York State Cancer Laboratory, qui avait montré que les cancers de la thyroïde chez la truite possédaient de grandes similarités avec les cancers humains. Au cours des ans, de nombreuses autres espèces de poissons telles que le xipho (Xiphophorus hellerii), le platy (Xiphophorus maculatus), le guppy (Poecilia reticulata), le medaka (Oryzias latipes), le cyprinodon (Cyprinodon variegatus), la gambusie (Gambusia affinis) ou l’anguille du Japon (Aguilla japonica), ont fait l’objet d’études de carcinogenèse. Ces études ont montré que, sur le plan histologique, les néoplasmes des poissons étaient identiques aux cancers humains [ 2]. Mais parmi tous les poissons utilisés en cancérologie, le modèle poisson zèbre (Danio rerio) a pris ces dernières années une importance particulière dans la recherche contre les cancers.

Le poisson zèbre est un petit téléostéen1 de 3 à 4 cm de la famille des Cyprinidés, originaire de l’Inde et de la péninsule Malaise. Son élevage est extrêmement facile, peu coûteux et chaque femelle peut pondre de 100 à 200 œufs par semaine. La fécondation et le développement des embryons s’effectuent ex utero, et rapidement, puisque la plupart des organes sont mis en place au cours des 24 premières heures du développement. La relative transparence des embryons permet de suivre l’organogenèse avec une résolution cellulaire. Mais, la véritable force du modèle poisson zèbre a été démontrée par l’utilisation de cribles génétiques directs à grande échelle qui ont permis d’identifier des mutants dans lesquels le développement de pratiquement tous les organes et types cellulaires était affecté [ 3, 4]. Les méthodes puissantes de génétique inverse comme la transgenèse [ 5], ou les techniques d’édition du génome par les TALEN (transcription activator-like effector nucleases) et le système CRISPR/Cas9 sont applicables au poisson zèbre [ 52, 53] ➔.

Voir la Synthèse de B. Dupret et P.O. Angrand, m/s n° 2, février 2014, page 186, et la Nouvelle de H. Gilgenkrantz, m/s n° 12, décembre 2014, page 1066

L’ensemble de ces caractéristiques et le fait que 70 % des gènes humains aient au moins un orthologue chez le poisson zèbre [ 6], en font un modèle de choix pour l’étude du développement [ 54, 55] ➔ mais également pour la recherche translationnelle [ 56] ➔.

Voir la Synthèse de M. Ekker et M.A. Akimenko, m/s n° 6, juin 1991, page 553 et la Nouvelle de K. Kissa et al., m/s n° 8-9, août-septembre 2007, page 698

Voir la Synthèse de L. Ryckebüsch, m/s n° 10, octobre 2015, page 912

Le poisson zèbre a été la première espèce de poisson utilisée dans des tests de carcinogenèse. Dans les années 1960, Mearle Stanton avait en effet montré que son exposition à la N-nitrosodiéthylamine (DEN) provoquait l’apparition de tumeurs hépatiques [ 7], alors que le taux d’incidence de cancers chez ce poisson est, normalement, relativement faible [ 8]. L’exposition à différents carcinogènes, comme la N-nitroso-N-éthylurée (ENU), le 7,12-diméthylbenzanthracène (DMBA) ou la N-méthyl-N’-nitro-N-nitrosoguanidine (MNNG), est aussi à l’origine de l’apparition chez le poisson, de plusieurs types de néoplasies telles que des papillomes de la peau, des rhabdomyosarcomes2,, des séminomes3, des tumeurs du côlon, du rein, des ovaires, du pancréas ou des vaisseaux sanguins [9-11]. En plus d’être proches des cancers humains sur le plan histologique, ces cancers présentent des similitudes d’altérations moléculaires avec celles observées dans les tumeurs humaines [ 12, 13]. Ces études de carcinogenèse, conjuguées aux attributs qui ont fait le succès du poisson zèbre dans la recherche en biologie du développement, font ainsi de ce poisson, un modèle exceptionnel pour la recherche en oncologie (Figure 1).

Mutagenèse pour un modèle de cancérogenèse

La découverte, au cours des années 1990, que la N-nitroso-N-éthylurée (ENU) pouvait induire des mutations ponctuelles dans le génome du poisson zèbre [ 14] a ouvert la voie à la recherche de mutants, à grande échelle. Ces cribles génétiques ont permis d’identifier de nombreux mutants touchant le développement [3, 4], mais également des mutants susceptibles de développer des tumeurs. C’est notamment le cas de mutations dans les gènes suppresseurs de tumeurs ptena, ptenb [ 15], apc [ 16], mlh1, msh2, msh6 [ 17], brca2 [ 18] ou tp53 [ 19] (Tableau I et voir Glossaire). En particulier, Berghmans et al. [19] ont analysé les allèles du gène tp53 chez le poisson soumis à une mutagenèse à l’ENU. Parmi les mutations identifiées, certaines sont retrouvées à des positions qui s’avèrent orthologues à celles que l’on observe dans des tumeurs chez l’homme. C’est le cas des mutations tp53N168K et tp53M214K qui affectent le domaine de liaison à l’ADN de Tp53 et dont des mutations en positions identiques sont rencontrées dans plus d’une centaine de tumeurs humaines. Ces altérations n’affectent pas le développement du poisson zèbre, mais le prédisposent à la tumorigenèse. En effet, 28 % des poissons porteurs de mutations dans ce gène présentent des tumeurs malignes des nerfs périphériques à l’âge de huit mois et demi. Ces tumeurs sont souvent aneuploïdes et présentent des altérations génétiques similaires à celles des cancers humains [13]. La prédisposition des poissons mutants tp53-/- à développer des tumeurs reflète ainsi l’aspect séquentiel du développement tumoral. Et le fait que TP53 soit non fonctionnel ou muté dans un grand nombre de cancers humains fait de ces poissons un excellent modèle génétique pour analyser l’action coopérative potentielle d’oncogènes. L’expression dans les mélanocytes des oncogènes BRAFV600E ou NRASQ61K est ainsi responsable de l’apparition d’une pigmentation anormale et de nævus4 chez les poissons zèbres sauvages. En revanche, elles conduiront à la formation de mélanomes dans un fond génétique dépourvu d’expression de tp53 (tp53-/-) [ 20, 21].

L’utilisation de vecteurs rétroviraux est une stratégie qui permet de générer des mutants à grande échelle par mutagenèse par insertion aléatoire dans le génome. Cette approche a permis de montrer que la perte de fonction de plusieurs gènes codant des protéines ribosomales pouvait être impliquée dans l’apparition de cancers [22]. Les technologies récentes d’édition de génomes qui ciblent des gènes spécifiques participent à la génération de modèles qui permettent de mimer les altérations génétiques observées dans les cancers humains. Les nucléases à doigts de zinc (ZFN) et les TALEN ont ainsi été utilisés pour l’ingénierie de poissons zèbres porteurs de mutations dans les gènes nf1a et 1b [23], tet2 [24] ou rb1 [25]. Il est très probable que ces technologies soient également employées dans les années à venir afin d’introduire des mutations somatiques mimant les altérations trouvées dans de nombreuses tumeurs humaines. Si la mutagenèse a conduit à la génération de poissons qui modélisent des cancers chez l’homme, elle a aussi permis, inversement, l’identification d’altérations génétiques de tumeurs humaines. Ainsi, il a été observé que les poissons zèbres identifiés dans un crible à l’ENU et porteurs d’une mutation hétérozygote dans le gène qui code la protéine Lrrc50 (leucine-rich repeat containing protein 50 aussi appelée Dnaaf1) développaient des séminomes [ 26]. L’implication de ce gène dans la tumorigenèse chez l’homme était jusqu’alors inconnue, mais la recherche de mutations dans l’orthologue humain LRRC50 a montré qu’il était effectivement altéré dans environ 13 % des séminomes chez l’homme [26]. Cette étude représente ainsi un bon exemple qui illustre comment l’analyse des cancers chez le poisson zèbre peut conduire à la découverte de mécanismes moléculaires impliqués dans les pathologies humaines.

GLOSSAIRE

Akt1 : protéine kinase B alpha

apc : adenomatous polyposis coli

brca2 : breast cancer antigen 2

cd10 : common acute lymphoblastic leukemia antigen

CDKN2A : cyclin-dependent kinase inhibitor 2A

dnaaf 1: dynein, axonemal, assembly factor 1

fgf8 : fibroblast growth factor 8a

fli1 : friend leukemia virus integration 1

LMO2 : LIM domain only 2

mitfa : microphthalmia-associated transcription factor a

mlh : mutL homolog

mTOR : target of rapamycin

myf5 : myogenic factor 5

myog : myogenin

nf1/2 : neurofibromin 1/2

PI3K : phosphoinositide 3-kinase

ptena/b : phosphatase and tensin homolog A/B

rag2 : recombination activating 2

rb1 : retinoblastoma 1

TAL1/SCL : T-cell acute lymphoblastic leukemia 1/stem cell leukemia

tet : tet methylcytosine dioxygenase 2

tp53 : tumor protein p53

Transgenèse et poissons zèbres

La facilité d’introduction d’un ADN exogène dans le génome du poisson zèbre par transgenèse a ouvert la voie à la génération de nombreux modèles développant des leucémies ou des tumeurs solides. Le premier cancer induit par transgénèse dans ce modèle a été une leucémie lymphoblastique T aiguë [ 27]. Dans ce modèle, l’oncogène murin Myc est fusionné au gène codant la GFP (green fluorescent protein), et placé sous le contrôle du promoteur du gène rag2 exprimé dans les lymphocytes. Dans ce système, l’expression de Myc est responsable de l’expansion rapide des cellules leucémiques. Ces cellules, qui expriment la protéine de fusion GFP-Myc, émergent du thymus, colonisent les muscles squelettiques et d’autres organes voisins, et provoquent la mort des poissons transgéniques avant l’âge de 3 mois. Les cellules leucémiques exprimant la GFP (et donc Myc) conservent leur pouvoir tumorigène après transplantation dans des poissons zèbres sauvages. Leur analyse transcriptomique montre qu’elles ont pour origine des précurseurs des lymphocytes T. Elles expriment les orthologues des oncogènes TAL1/SCL et LMO2 et présentent des caractéristiques génétiques que l’on observe dans un sous-groupe de leucémies lymphoblastiques aiguës humaines très répandues et résistantes aux traitements [27]. Les poissons transgéniques qui expriment la protéine de fusion TEL-AML1 développent une leucémie lymphoblastique B aiguë. Elle se caractérise par l’expression des marqueurs ikaros, rag2, scl et cd10, comme cela est le cas chez les patients porteurs d’une leucémie lymphoblastique aiguë pré-B associée à la translocation t(12;21)(p13;q22) [ 28]. Ces exemples illustrent ainsi parfaitement la pertinence de la transgénèse en cancérologie, et de nombreux autres poissons zèbres modèles ont été générés depuis. Ainsi, la surexpression de Myc ou KRASG12V conduit à la formation d’hépatomes ou de cancers du pancréas [ 29, 30], l’amplification de MYCN promeut la formation de neuroblastomes [ 31], et l’activation d’Akt1 augmente la formation de lipomes [ 32]. Dans un fond génétique tp53-/-, la surexpression de différents oncogènes est à l’origine de plusieurs types de cancers chez le poisson, tels que des hépatomes (src) [ 33], des mélanomes (NRASQ61K ou BRAFV600E) [20, 21], ou des sarcomes d’Ewing (EWS-FLI1) [ 34], suggérant que les poissons zèbres transgéniques peuvent contribuer à l’étude de la coopération et des relations entre différentes voies impliquées dans la tumorigenèse.

Allogreffes et xénogreffes de cellules tumorales

La transplantation de cellules tumorales dans un organisme de même espèce (allogreffe) ou d’une espèce différente (xénogreffe) est une approche clé qui permet l’étude de la tumorigénicité de ces cellules dans l’environnement d’un organisme entier.

Les techniques de transplantation de cellules tumorales sont très bien établies chez les souris immunodéprimées (telles que les souris NOD/SCID/IL2rgtmWjl/sz)5. Néanmoins, le poisson zèbre se révèle être un modèle complémentaire très intéressant. Comme chez la souris, la transplantation de cellules tumorales chez le poisson adulte nécessite que son système immunitaire soit altéré (par radiation, chimiquement ou génétiquement comme chez les mutants rag2E450fs). Les poissons syngéniques permettent également de pratiquer des allogreffes sans rejet des implants. Les mutants translucides Casper [ 35] (Figure 2A) permettent, quant à eux, un bon suivi du développement tumoral in vivo [ 36].

Parmi les expériences de xénogreffe qui ont été réalisées chez le poisson zèbre, citons celles de Stoletov et al. [ 37] dans lesquelles des cellules humaines de mélanome (la lignée MDA-MB-435) ou de sarcome (les cellules HT1080) ont été transplantées dans la cavité péritonéale de poissons zèbres âgés de 1 mois immunodéprimés par un traitement à la dexaméthasone. Dans cette étude, si les deux types cellulaires développent des tumeurs localement, seules les cellules sarcomateuses HT1080 ont un pouvoir métastatique, ce qui est également observé dans les modèles de xénogreffe chez la souris. En utilisant des poissons transgéniques Tg(fli1:GFP) [ 38], chez qui le promoteur du gène fli1 dirige l’expression de la protéine fluorescente GFP dans les vaisseaux sanguins (Figure 2B), les auteurs ont également pu montrer que les cellules de mélanome MDA-MB-435 avaient un pouvoir angiogénique plus faible que celui des cellules de sarcome, probablement en raison de leur faible capacité métastatique. Dans une autre étude, Ignatius et al. [ 39] ont réalisé une allogreffe de cellules tumorales chez des poissons zèbres « sauvages » marquées par différentes molécules fluorescentes selon leur degré de différenciation, et isolées de poissons transgéniques Tg(rag2:KRASG12V) qui développent des rhabdomyosarcomes [ 40]. Des dilutions successives des cellules tumorales, avant transplantation, ont permis de montrer que les cellules qui possédaient le plus important pouvoir de propagation tumorale étaient les cellules les moins différenciées, qui expriment le marqueur myf5, mais qu’elles ne pénétraient pas dans les vaisseaux sanguins. À l’inverse, les cellules différenciées, qui expriment myog, présentaient, elles, un fort pouvoir d’intravasation. Ces observations peuvent être reliées à la notion que, chez l’homme, les rhabdomyosarcomes qui expriment la myogénine (MYOG), sont généralement associés à un plus mauvais pronostic. Cette étude suggère également que les cellules initiatrices de tumeur, les cellules métastatiques, et les populations plus différenciées, pourraient avoir des identités moléculaires distinctes et occuper des niches différentes [39].

La transplantation de cellules tumorales dans des embryons de poisson zèbre de 2 jours est également une approche extrêmement utilisée. À ce stade de développement, le système immunitaire du poisson est encore immature et la transparence des embryons permet un suivi aisé des cellules transplantées. Les propriétés tumorigène ou angiogénique de cellules tumorales peuvent ainsi être évaluées dans les jours qui suivent leur transplantation [ 41]. De nombreuses lignées cellulaires humaines ont été analysées après leur injection en divers sites de l’embryon du poisson zèbre (Figure 3). En combinaison avec la manipulation ou le tri des cellules cancéreuses, cette approche de xénogreffe a permis d’étudier les facteurs moléculaires impliqués dans le processus métastasique ou dans le comportement des cellules souches cancéreuses [ 42, 43]. Outre les lignées de cellules cancéreuses, la xénogreffe dans les embryons peut être utilisée pour l’étude des propriétés de tumeurs primaires issues de patients (PDX, patient-derived xenograft). Marques et al. [ 44] ont ainsi injecté des explants tumoraux provenant de patients porteurs de cancers gastro-intestinaux dans des embryons de poissons zèbre transgéniques Tg(fli1:GFP) de 2 jours et ont montré que les cellules cancéreuses se disséminent et forment des micrométastases principalement au niveau du foie et de l’intestin dans les 24 heures qui suivent la transplantation. En revanche, les cellules des explants d’origine péritumorale ne migrent pas [44].

La xénogreffe de cellules est donc utilisée pour prédire le pouvoir tumoral et métastatique des cellules cancéreuses. Ce type d’expériences constitue également une excellente plateforme pour les évaluations ou la recherche de molécules anticancéreuses.

Identification de molécules anticancéreuses

En raison de leur petite taille, les embryons et les larves de poisson zèbre constituent des systèmes idéaux pour les cribles de molécules pharmacologiques à grande échelle réalisables dans des plaques de culture à 96 puits. Dans le cadre de la recherche contre le cancer, plusieurs molécules d’intérêt ont ainsi pu être identifiées.

L’expression par le poisson du gène crestin s’éteint lors de la différenciation terminale des cellules de la crête neurale à l’origine des mélanocytes. Chez les poissons transgéniques Tg(mitfa:BRAFV600E);tp5J-/-, qui développent des mélanomes, cette expression persiste au niveau de la tête, de l’épiderme dorsal et de la queue de l’embryon âgé de 72 heures. L’oncogène BRAF activé maintiendrait en effet l’état multipotent des progéniteurs de la crête neurale qui se disséminent lors de la tumorigénèse [ 45]. Cette observation a conduit l’équipe de Leonard Zon à rechercher des molécules susceptibles de supprimer le développement des progéniteurs de la crête neurale, afin d’identifier des molécules qui seraient actives contre les mélanomes [45]. Partant d’un ensemble de 2 000 molécules, un composé, le leflunomide, capable d’inhiber le lignage Crestin+ au cours du développement embryonnaire du poisson zèbre a pu être identifié. Cette molécule qui bloque la croissance des cellules de mélanome humain en culture, et en modèle de xénogreffe chez la souris, est désormais en essai clinique de phase I/II, en combinaison avec le vermurafenib, un inhibiteur de BRAF. Le leflunomide est ainsi la première molécule en essai clinique pour la lutte contre le cancer initialement identifiée dans un crible chez le poisson zèbre. En se fondant sur la similitude des signatures moléculaires entre lymphoblastes T embryonnaires et blastes leucémiques, Ridges et al. [ 46] ont cherché des molécules capables d’inhiber le développement des lymphoblastes, visibles chez les embryons de poissons transgéniques Tg(lck:GFP). Cette approche a permis d’identifier une molécule, le lenaldekar, qui bloque le développement des leucémies lymphoblastiques T aiguës in vitro et in vivo dans un modèle de xénogreffe chez la souris. Cette molécule inhibe la voie de signalisation PI3K-Akt-mTOR [46]. Un autre crible destiné à la recherche de molécules inhibant l’angiogenèse chez l’embryon de poisson zèbre transgénique Tg(flk1:GFP) a conduit à l’identification de la rosuvastatine capable de bloquer la croissance de cellules de cancer de la prostate dans un modèle de xénogreffe chez la souris [ 47]. Ce dernier exemple montre ainsi que des molécules identifiées grâce au poisson zèbre peuvent en fait avoir une utilité dans le traitement de cancers touchant des organes dont il est pourtant dépourvu.

Avantages et limites du modèle poisson zèbre en oncologie

Le modèle de xénogreffe de cellules tumorales humaines dans des embryons de poisson zèbre est un système qui permet la caractérisation ou l’identification de nouvelles molécules thérapeutiques actives contre les cancers [48-50]. Fior et al. [ 51] ont ainsi récemment montré que la xénogreffe de cellules tumorales issues de patients pouvait être utilisée pour tester la réponse des cellules aux chimiothérapies. Cette approche place donc le modèle de xénogreffe dans l’embryon de poisson zèbre au sein des stratégies de lutte contre le cancer en médecine personnalisée.

Conclusion

Alors que la culture cellulaire et les modèles murins restent les pièces maîtresses de la recherche contre le cancer, les caractéristiques du poisson zèbre en font un modèle particulièrement intéressant. Il présente cependant un certain nombre de limitations (voir Encadré). En particulier, le poisson zèbre possède deux orthologues pour certains gènes impliqués dans le cancer, comme NF1 ou PTEN, apparus à la suite d’une duplication du génome chez l’ancêtre commun des téléostéens, compliquant ainsi leur étude. D’autres gènes connus pour avoir un rôle dans le cancer comme BRCA1 ou CDKN2A sont absents chez le poisson zèbre [6]. Toutefois, de nombreuses données indiquent que les cancers des poissons zèbres sont similaires et révèlent différents aspects de la tumorigenèse humaine. Ce modèle est ainsi utilisé pour étudier les voies moléculaires impliquées dans le cancer, le rôle de l’environnement cellulaire dans la progression tumorale, et même pour identifier des molécules antitumorales.

Liens d’intérêt
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.
 
Footnotes
1 Un téléostéen est un poisson à squelette ossifié.
2 Cancer du testicule.
3 Grain de beauté.
4 La souris NOD scid gamma aussi appelé souris NSGTM est la souris de laboratoire la plus immunodéficiente. Elle ne possède ni cellules B, ni cellules T, ni cellules NK. Le fond génétique est NOD (non-obese diabetic); elle porte une mutation SCID (severe combined immunodeficiency) dans le gène Prkdc qui code une protéine impliquée dans la recombinaison V(D)J qui se produit au cours de la maturation des cellules B et T. La mutation IL2rgtmWjl est une mutation ciblée nulle dans le gène de la chaîne gamma du récepteur de l’interleukine-2.
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