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Med Sci (Paris). 34(4): 288–291.
doi: 10.1051/medsci/20183404003.

L’endospanine 1 de l’hypothalamus dissocie l’obésité du diabète de type 2

Clara Roujeau,1 Ralf Jockers,1 and Julie Dam1*

1Inserm U1016, CNRS UMR 8104, université Paris Descartes, Sorbonne Paris Cité, Équipe pharmacologie fonctionnelle et physiopathologie des récepteurs membranaires, Institut Cochin, 22, rue Méchain, 75014Paris, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Animaux, Diabète de type 2, Humains, Hypothalamus, Leptine, Obésité, Récepteurs à la leptine, Transduction du signal, complications, physiopathologie, métabolisme, physiologie

 

L’obésité est un problème majeur de santé publique. Elle touchait en effet 12 % de la population mondiale en 2017 [ 1]. Cette maladie chronique, caractérisée par un déséquilibre de la balance énergétique conduisant à un excès de masse grasse, est un facteur de risque pour de nombreuses pathologies telles que le diabète de type 2 (DT2), les maladies cardiovasculaires et les cancers. De nouvelles cibles thérapeutiques, qui tendent à restaurer le maintien de la balance énergétique, sont toujours activement recherchées afin d’enrayer cette épidémie qu’est devenue l’obésité. En 1994, la découverte de la leptine, hormone anorexigène1 primordiale pour le contrôle des homéostasies énergétique et glucidique, a fait émerger de grands espoirs [ 2] ➔.

Voir la Nouvelle de C. Vatier et al., m/s n° 10, octobre 2010, page 803

En effet, l’administration de leptine à des patients obèses et diabétiques présentant une déficience congénitale en leptine permet de diminuer de façon drastique leur poids corporel par normalisation de la prise alimentaire et de corriger leur DT2 [ 3].

Toutefois, cette déficience congénitale en leptine est rare. La majorité des patients obèses est, au contraire, incapable de répondre aux signaux anorexigènes de la leptine, malgré des taux très élevés de leptine circulante, indiquant ainsi chez ces patients, un état de « résistance à la leptine » [ 4]. Prévenir et/ou lever la résistance à la leptine constituent donc un défi majeur pour la recherche dans le domaine de l’obésité [4].

Leptine, OBR et Endol : un trio impliqué dans le contrôle des homéostasies énergétique et glucidique

La leptine est une hormone synthétisée et sécrétée par le tissu adipeux. Son action anorexigène est relayée, notamment, par la stimulation de neurones du noyau arqué de l’hypothalamus (ARC) après activation de son récepteur membranaire OBR (obesity receptor) [ 5] ➔.

Voir la Nouvelle de E. Balland et V. Prévot, m/s n° 6-7, juin-juillet 2014, page 624

L’expression de surface d’OBR est cruciale pour la sensibilité neuronale à la leptine. L’OBR stimule l’activation de voies de signalisation intracellulaire spécifiques dans les neurones de l’ARC. Parmi celles-ci, la voie JAK2 (Janus kinase 2)/STAT3 (signal transducer and activator of transcription 3) apparaît nécessaire pour le contrôle de l’homéostasie énergétique par la leptine, qui active l’expression de signaux anorexigènes et inhibe celle de signaux orexigènes [ 6]. La voie PI3K (phospha-tidylinositide 3-kinase)/AKT (proteine kinase B) est, quant à elle, impliquée dans le maintien de l’homéostasie glucidique [ 7].

Plusieurs mécanismes sont à l’origine de l’établissement de la résistance à la leptine, dont un défaut de localisation du récepteur OBR à la surface des neurones, limitant ainsi leur sensibilité à l’hormone [4]. Le nombre de récepteurs exprimés à la membrane des cellules détermine l’intensité de la signalisation induite par la leptine. En recherchant les acteurs moléculaires contribuant possiblement à la résistance des cellules à la leptine, nous avons identifié une protéine, l’Endospanine 1 (Endol), comme étant un régulateur négatif de l’exposition du récepteur OBR à la surface des cellules. Endol interagit avec OBR. Elle le séquestre dans les compartiments intracellulaires et favorise sa dégradation par le lysosome. Endol diminue donc la quantité de récepteurs OBR présents à la membrane plasmique (Figure 1) [ 8, 9]. L’extinction partielle d’Endol au niveau de l’ARC de souris (par injection stéréotaxique2, d’un lenti-virus exprimant un shARN [short hairpin RNA] spécifique d’Endol) augmente ainsi l’activation de la voie JAK2/STAT3 induite par la leptine dans cette zone [8, 9]. En contrôlant la répartition subcellulaire d’OBR et en l’empêchant de se lier à son ligand, Endol apparaît donc comme un régulateur négatif de la voie JAK2/STAT3 induite par la leptine (Figure 1). Elle joue ainsi un rôle crucial dans la sensibilité à la leptine de l’ARC, région hypothalamique essentielle pour l’homéostasie énergétique.

Un régime gras induit une obésité qui est associée à une résistance à la leptine. Il augmente en parallèle l’expression d’Endol dans l’ARC de l’hypothalamus [ 10] (Figure 1). Inversement, l’extinction partielle d’Endol à ce niveau, par injection d’un shARN spécifique, protège des souris soumises à un régime gras contre le développement d’une obésité [8, 11] et corrige l’obésité de souris rendues préalablement obèses, et ce même sur le long terme lorsque l’injection du shARN est combinée à un retour au régime classique [10, 11]. La prise alimentaire, la masse grasse et le poids corporel sont ainsi diminués, et les paramètres lipidiques plasmatiques sont améliorés chez les souris dont le gène Endol a été invalidé par rapport aux souris contrôles [8, 10]. Nos travaux suggèrent donc le potentiel thérapeutique de l’extinction d’Endol dans l’ARC afin de corriger la balance énergétique par restauration de la sensibilité centrale à la leptine au niveau de la voie anorexigène JAK2/STAT3 (Figure 1).

Dissociation entre obésité et diabète

L’obésité induite par un régime gras est couramment associée au développement d’un diabète de type 2 (DT2). A contrario, une diminution de la masse grasse est supposée améliorer les paramètres de l’homéostasie glucidique. Malgré la prévention, et/ou la correction, de l’obésité obtenue par l’extinction partielle d’Endol associée à un arrêt du régime gras, les souris restent cependant diabétiques, avec une hyperglycémie à jeun et une intolérance au glucose [11]. Elles présentent une hyperglucagonémie3, et un défaut de sécrétion d’insuline en réponse au glucose, probablement en raison d’une hyperactivation du système nerveux sympathique, régulateur négatif de la sécrétion d’insuline (Figure 1). Ces résultats soulignent la complexité des effets de l’extinction d’Endol dans l’ARC chez des souris soumises à un régime gras. Elle permet en effet d’une part de prévenir ou de corriger l’obésité, mais, d’autre part, elle altère la sécrétion pancréatique d’insuline favorisant alors un phénotype diabétique [11]. En condition de régime gras, l’extinction centrale d’Endol est ainsi à l’origine d’une dissociation entre obésité et DT2 (Figure 1).

Endol et signalisation biaisée d’OBR

En recherchant les causes moléculaires de cette dissociation entre obésité et DT2, nous avons identifié un effet différentiel d’Endol sur la signalisation intracellulaire d’OBR, la définissant comme un médiateur d’une signalisation biaisée de la leptine. En effet, si l’extinction partielle d’Endol résulte, comme attendu, en une potentialisation de la voie JAK2/STAT3 en réponse à la leptine, elle empêche au contraire l’activation de la voie PI3K/ AKT induite par la leptine dans l’ARC de l’hypothalamus [11]. Malgré l’augmentation du nombre de récepteurs OBR exprimés à la surface des neurones en condition d’extinction d’Endol, la voie PI3K/AKT est en effet fortement altérée (Figure 1). Un mécanisme d’action alternatif d’Endol, indépendant de ses propriétés régulatrices du trafic intracellulaire d’OBR, semble donc exister pour stimuler l’activité de la PI3K. Nous avons montré qu’Endol interagissait dans l’hypothalamus directement avec la sous-unité régulatrice de la PI3K, p85. [11]. Endol est donc une protéine d’échafaudage qui permet de lier la sous-unité p85, requise pour l’activation de la PI3K par la leptine (Figure 1). Endol semble donc jouer un rôle clé dans le maintien de l’homéostasie glucidique, la signalisation PI3K/AKT induite par la leptine dans les neurones hypothalamiques étant nécessaire à ce contrôle [7].

L’effet différentiel d’Endol sur les voies JAK2/STAT3 et PI3K/AKT, respectivement impliquées dans le contrôle des homéostasies énergétique et glucidique, constituerait les bases moléculaires de la dissociation entre obésité et DT2 observée chez les souris n’exprimant plus Endol dans l’ARC (Figure 1).

Endol, une cible thérapeutique pour lever la résistance à la leptine ?

Endol, intégrateur crucial intervenant dans la signalisation biaisée d’OBR, permet de maintenir une balance dans les voies de signalisation de la leptine assurant le contrôle des métabo-lismes énergétique et glucidique. En condition d’extinction partielle d’Endol dans l’ARC, un déséquilibre de cette fine balance entre les signalisations JAK2/ STAT3 et PI3K/AKT apparaît cependant dans les neurones hypothalamiques [11]. Il en résulte in fine l’établissement de désordres métaboliques conduisant à un DT2 [11] (Figure 1). Ces résultats posent donc la question de la contribution d’Endol dans l’établissement de la résistance à la leptine [11]. Étant donné le rôle d’Endol dans la rétention intracellulaire d’OBR [8,9], l’augmentation de son expression dans l’ARC suite au régime gras, doit diminuer l’expression de surface d’OBR et donc la sensibilité neuronale à la leptine [10]. Ceci suggère l’importance d’Endol dans la physiopathologie de la résistance à la leptine induite par un régime gras. De faibles quantités d’Endol dans l’ARC empêchent, toutefois, l’activation de la voie PI3K/AKT par la leptine, contribuant ainsi à l’établissement du DT2 [11]. La fonction double d’Endol, modulant à la fois le trafic et la signalisation d’OBR, suppose que son expression hypothalamique soit finement régulée afin de maintenir les homéostasies énergétique et glucidique. Moduler l’expression d’Endol pourrait dès lors constituer une stratégie thérapeutique intéressante contre l’obésité, mais uniquement si une balance adéquate pour l’activation des voies JAK2/STAT3 et PI3K/AKT par la leptine est atteinte. Endol est une protéine ubiquitaire exprimée dans d’autres tissus métaboliques que l’ARC, comme le foie, le muscle et les tissus adipeux où le récepteur OBR est également présent. La contribution d’Endol dans ces tissus périphériques pour le maintien des métabolismes énergétique et glucidique mériterait donc une étude approfondie, pour déterminer si cibler Endol représenterait une stratégie thérapeutique pertinente.

Remerciements

Ces travaux ont été financés par l’Union européenne Seventh Framework Programme FP7/2007-2013, l’Agence nationale de la recherche ANR-12-JSV1-0011, le département hospitalo-universitaire « autoimmune and hormonal diseases », le Labex (laboratoire d’excellence des investissements d’avenir) ‘WHO AM I?’, le Ministère de l’éducation nationale et de la recherche en technologie (ED419) et la Fondation pour la recherche médicale.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 hormone qui diminue l’appétit par opposition aux signaux oréxigènes qui le stimulent.
2 Cette technique est utilisée en neurochirurgie pour atteindre des zones profondes du cerveau de manière précise, en s’aidant d’un repérage neuroradiologique.
3 Des taux circulants excessifs de glucagon.
Références
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GDB 2015 obesity. collaborators. Health effects of overweight and obesity in 195 countries over 25 years . N Engl J Med. 2017;; 377 : :13.-27.
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