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Med Sci (Paris). 34(3): 261–266.
doi: 10.1051/medsci/20183403015.

Des « Nobels » de sciences économiques au service des systèmes de santé

Carine Franc1* and Izabela Jelovac2

1Inserm U1018, Centre de recherche en épidémiologie et santé des populations (CESP), équipe Économie de santé, Recherche sur les services de santé, 16, avenue Paul vaillant Couturier, 94802Villejuif, France
2Université Lyon, CNRS, GATE UMR 5824, F-69130 Écully, France
Corresponding author.
 

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Le prix Nobel d’économie, ou plus précisément le prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel, a été attribué à la fin 2016 à Oliver Hart et à Bengt Holmström. Ces deux économistes ont été distingués pour leurs contributions à la théorie de l’agence, aussi appelée théorie des contrats. Cette théorie a largement contribué à la compréhension des comportements économiques, notamment dans le contexte de l’économie de la santé, comme nous l’illustrons dans cet article.

Quelques éléments de théorie économique

La théorie économique intègre la notion de contrats afin de surmonter le fait que des agents économiques (des individus ou des entités économiques), qui sont engagés dans une relation d’échange, puissent avoir des intérêts divergents car ayant des objectifs qui s’avèrent respectivement incompatibles. Typiquement, les économistes mobilisent le modèle « principal-agent » dans lequel le principal définit les termes du contrat qui régit la relation, et l’agent réalise l’action ou le service défini dans le contrat pour le compte du principal. Par contrat, on entend bien un ensemble de règles, de tâches et de transferts qui constitue une relation contractuelle entre les deux. Un tel contrat ne doit toutefois contenir que des éléments qui pourront, en cas de litige, être vérifiés et évalués par un tiers. Outre l’usage juridique évident des contrats, leurs modalités, conditions et rémunérations sont essentielles pour comprendre le fonctionnement des relations d’échanges de biens et ou de services dans de nombreux secteurs d’activités. Sont notamment concernées par cette théorie de l’agence, les relations experts/clients, assureurs/assurés, actionnaires/gestionnaires, acheteurs/ vendeurs, employeurs/employés, professeurs/ étudiants, décideurs politiques/électeurs, etc.

L’information entre partenaires est une dimension cruciale des relations d’agence. Il est fréquent qu’une des parties contractantes dispose d’informations dont l’autre partie ne dispose pas. Cette asymétrie d’information s’avère en fait lourde de conséquences, particulièrement s’il s’agit d’informations pertinentes pour la définition, voire la faisabilité, du contrat. Une typologie propre à la théorie de l’agence classe les situations de cette asymétrie d’information en deux catégories principales : l’aléa moral et l’anti-sélection [1,2]. L’aléa moral (de l’anglais moral hazard), se réfère à des situations d’asymétries d’information qui apparaissent après la signature du contrat. Pour l’anti-sélection, l’asymétrie est antérieure à la signature du contrat.

Le cas le plus souvent envisagé pour l’aléa moral est celui de l’effort que l’agent consentit pour la réalisation de l’action définie dans le contrat, à la suite de la signature, un effort que le principal ne peut pas observer avec exactitude, ou alors à un coût prohibitif. On peut également imaginer des situations d’aléa moral dans lesquelles l’agent acquiert de l’information après la signature du contrat, cette information étant alors inobservable par autrui. C’est le cas des services d’expertise ou de diagnostic, par exemple. Les assureurs font une différence entre aléa moral ex-ante et aléa moral ex-post. Le premier se réfère à des activités antérieures à la survenue d’un sinistre (activités de prévention difficilement observables, par exemple) alors que le second se réfère aux activités postérieures au sinistre (nombre de consultations médicales initiées par un patient, par exemple).

L’anti-sélection, quant à elle, caractérise une situation dans laquelle seul l’agent dispose d’une information importante avant la signature d’un contrat, comme par exemple, sa propre capacité à réaliser une tâche.

La présence d’au moins une de ces asymétries d’information contraint les possibilités d’échanges et empêche un système économique de fonctionner correctement. Pour minimiser l’impact délétère de ces défaillances de marché, la mise en place de contrats (plus ou moins explicites) est donc indispensable. Toutefois, un contrat ne peut conditionner des actions ou des transferts à des éléments inobservables par certains. En revanche, un contrat peut prévoir des mécanismes incitatifs pour minimiser les effets défavorables des asymétries d’information, en alignant autant que possible les intérêts du principal et ceux de l’agent. Pour l’aléa moral, par exemple, cet alignement des intérêts peut reposer sur une responsabilisation financière de l’agent en fonction du résultat obtenu en termes de réalisation de l’action telle que définie par le contrat et ce, même si le signal apporté par ce résultat ne permet de révéler que de manière imparfaite l’effort qui a effectivement été consenti par l’agent. Cette responsabilisation financière de l’agent peut prendre diverses formes selon les situations considérées : il peut s’agir de franchise, de versement de participation, d’intéressement, ou de paiement à la performance. Pour surmonter le problème d’anti-sélection, le principal peut proposer à l’agent plusieurs contrats. En choisissant le contrat qui lui convient le mieux, l’agent révèle de facto de l’information au principal.

Ces résultats sont issus de la version la plus simple du modèle principal-agent. La théorie de l’agence s’inscrit en fait dans un cadre très flexible, qui permet d’adapter ce modèle et d’identifier des contrats optimaux selon de nombreux éléments parmi lesquels l’incertitude, l’attitude face aux risques, l’altruisme, l’éthique professionnelle, la concurrence, la multiplicité des tâches déléguées à l’agent par le principal, le nombre de principaux, le nombre d’agents, la répétition des relations dans le temps, la réputation, etc.

Applications au domaine de la santé

Déjà en 1963 [3], Kenneth Arrow, autre prix Nobel d’économie, identifie le secteur des soins de santé comme un cas particulier pour les sciences économiques. Il reconnaît que l’incertitude, les incitations, l’information et le risque sont des éléments prédominants de ce secteur. Les asymétries d’information entre patients, médecins et assureurs (publics et privés) ont dès lors nourri le terrain de recherche de nombreux économistes de la santé qui se sont penchés, entre autres, sur les contrats de rémunération des médecins ainsi que sur les contrats d’assurance des patients. Dans ce qui suit, nous présentons les incitations liées à ces deux types de contrats en gardant à l’esprit les objectifs prioritaires poursuivis dans le secteur des soins de santé, à savoir, la qualité des soins, l’accès aux soins et le contrôle des dépenses.

La rémunération des médecins ambulatoires
Le modèle le plus courant pour étudier la relation entre patient et médecin ou entre médecin et payeur est construit autour d’un principal - le patient ou le payeur - qui délègue à l’agent - le médecin - le soin d’établir le diagnostic et de prescrire le traitement selon les besoins du patient. Il est alors classique d’associer certaines incitations aux modes de rémunération des médecins les plus couramment utilisés. Le paiement à l’acte est notamment souvent considéré comme un mécanisme inflationniste : les médecins payés à l’acte auraient en effet intérêt à prescrire « trop » de soins médicaux afin d’augmenter la qualité des soins, mais aussi… leurs revenus. À l’inverse, dans ce système de paiement, la prévention est souvent déconnectée de la réalisation d’actes médicaux et n’est que peu ou pas rémunérée. Il est ainsi souvent reconnu que le paiement à l’acte est favorable aux soins curatifs et peu enclin à favoriser la prévention [4]. Pour contrer cette tendance qui peut devenir onéreuse, les financeurs du système ont de plus en plus recours à des paiements mixtes, en instaurant par exemple des forfaits pour certains patients et/ou pour certaines maladies prises en charge, en complément d’un paiement à l’acte qui sera alors plus faible. Dans d’autres systèmes, la capitation est le mécanisme principal de rémunération; il correspond à un paiement forfaitaire accordé au médecin pour chaque patient inscrit à son cabinet. Par définition, ce forfait est indépendant du volume de soins délivrés, notamment, du nombre de consultations. La capitation incite donc les médecins à mieux contrôler les dépenses engendrées par leurs décisions médicales, afin de diminuer leurs propres charges financières qui ne sont plus « mécaniquement » remboursées. Les médecins ont également intérêt à maintenir, autant que possible, leurs patients en bonne santé… par éthique professionnelle, pour leur réputation, mais aussi pour diminuer leur charge de travail, sans que leurs revenus ne soient modifiés. Pour cette même raison, il est à craindre que les médecins aient intérêt à sélectionner les patients en bonne ou très bonne santé. Pour limiter cette sélection de patients, les forfaits associés à la capitation, dans les systèmes où ce système prévaut, dépendent a minima de l’âge des patients.

Ces incitations ont régulièrement été étudiées, analysées puis nuancées selon le point de vue adopté pour l’analyse. La principale difficulté pour élaborer un contrat est liée au fait de devoir encourager la poursuite d’objectifs qui apparaissent a priori contradictoires, à savoir plus de qualité des soins, de plus de sécurité pour les patients et moins de dépenses [5]. Les incitations à poursuivre un objectif de qualité sont d’autant plus complexes à élaborer que la qualité des soins est difficilement mesurable puisqu’elle est multidimensionnelle et que ses résultats sont aléatoires. En effet, l’issue d’une prescription médicale ne dépend pas seulement de la qualité de la prescription. Elle repose également sur l’observance du patient et sur d’autres éléments échappant à tout contrôle du médecin et dont il n’est pas comptable (fonds génétique du patient indéterminée, état des connaissances, etc.). À l’extrême, un médecin uniquement rémunéré en fonction des résultats mesurables, tels les coûts, serait moins incité à fournir de la qualité, voire n’accepterait pas de s’installer et de pratiquer la médecine [6].

Comme le reconnaît déjà Arrow en 1963 [3], l’objectif des professionnels de la santé ne se limite pas à la satisfaction de leur intérêt personnel. L’éthique, l’altruisme ou la vocation, souvent attachés aux professions médicales, permettent de nuancer ces conclusions au sujet des incitations. Ainsi, la concurrence entre médecins est parfois considérée comme une alternative aux contrats. Le libre choix du médecin par le patient peut, en effet, encourager les médecins à fournir plus de qualité, sous la menace que ce patient puisse changer son choix de praticien. C’est l’argument du « vote par les pieds ». Lorsque les soins sont remboursés par un tiers (assurance), les patients peuvent être plus ou moins sensibles aux différences de qualité. S’ils ne perçoivent pas ou peu de différences de prix, ce qui est le cas lorsqu’ils bénéficient de remboursements généreux et/ou lorsque que les honoraires sont administrés et identiques pour tous les médecins, certains patients seront plus réactifs à la qualité de soins qui leur est apportée [7]. D’autres seront, de fait, moins exigeants (même si qualité ne rime pas forcément avec volume et ou intensité des soins). Notons aussi qu’un remboursement généreux peut conduire à négocier des honoraires moins élevés pour les médecins, dès lors qu’il existe une menace d’intensification de la concurrence ou de déremboursement [8]. Cette suite logique suggère donc qu’une politique de libre choix du médecin, de remboursements généreux et d’honoraires négociés peut, dans une certaine mesure, réconcilier les objectifs relatifs à la qualité et ceux intégrant les dépenses. Si, en revanche, on associe libre choix des médecins et remboursements généreux à une politique d’honoraires libres, alors la qualité de soins s’accompagnera en principe d’honoraires et de dépenses qui seront élevés.

L’assurance maladie
La difficulté de la tarification des contrats d’assurance est à la fois liée à l’asymétrie des informations pertinentes pour évaluer le risque et/ou à une possible interdiction, par la loi, de mobiliser ces informations comme, par exemple, l’interdiction pour l’assurance maladie de tarifier en fonction du genre de l’assuré. Lorsque des facteurs déterminants du risque de maladie sont inobservables par l’assureur, mais connus de l’assuré, survient une situation potentielle d’anti-sélection ou sélection adverse. Dès 1970, Georges Akerlof consacre ses travaux [9], pour lesquels il a obtenu le prix Nobel en 2001 avec Michael Spence et Joseph Stiglitz, à étudier les conséquences d’une telle situation d’asymétrie d’information en prenant l’exemple des vendeurs et acheteurs de voitures d’occasion, le « market for lemons ». Il montre en effet que certains échanges de biens ou de services peuvent être empêchés uniquement à cause de l’asymétrie d’information sur la qualité de l’objet à échanger. Michael Rothschild et Joseph Stiglitz [10] ont adapté le modèle d’anti-sélection d’Akerlof au contexte de l’assurance dans le cas où, sur le marché de l’assurance privée, les souscripteurs de contrats connaissent leur niveau de risque alors que les assureurs, eux, ne sont pas en mesure de distinguer les personnes qui présentent un niveau de risque élevé de celles ayant un risque faible. L’assureur ne peut ainsi pas tarifier sur la seule base du risque individuel : tous les individus souscriraient dans ce cas, un contrat d’assurance complète adapté au risque le plus faible et donc le moins cher. En outre, sur le marché, une assurance privée complète fondée sur la mutualisation des risques ne serait pas viable en cas d’asymétrie d’information concernant les risques. En effet, elle laisserait le champ libre à de nouveaux contrats, moins chers mais incomplets, n’attirant que les petits risques. Elle ne garderait donc que les risques élevés, à perte. Les auteurs montrent, en mobilisant le cadre conceptuel de la théorie de contrats entre assureurs et assurés, qu’il est indispensable de proposer différents contrats pour inciter les assurés à choisir celui qui correspond le mieux à leur risque respectif. Pour cela, l’assureur propose un contrat incomplet peu cher, les assurés continuant de supporter une part du risque, et un contrat complet onéreux. Les personnes exposées à un risque élevé pourront souscrire un contrat actuariel et complet en contrepartie d’une prime de risque élevée, tandis que les personnes présentant un risque faible préfèreront un contrat qui ne couvre que partiellement leur risque mais à un très faible coût. In fine, par leur choix, les assurés révèlent en fait l’information dont ils disposent sur leur risque. Même dans le cas où les assurés n’évaluent pas correctement leur propre risque, face à la très grande hétérogénéité des profils de personnes, l’assureur a intérêt à trier les « risques » par diverses stratégies directes d’écrémage (en proposant des contrats différenciés) ou indirectes (en ciblant des populations différentes par la publicité et/ou le marketing).

Ces problèmes d’asymétrie d’information sur les caractéristiques inobservables des assurés se posent car la tarification des contrats nécessite la mesure du risque couvert par l’assurance. Dans le cas d’une assurance publique, le financement est le plus souvent lié aux capacités contributives des assurés (via l’impôt ou les taxes). L’assurance est donc déconnectée du risque individuel, remplacée par le risque pris par la société. Le problème d’anti-sélection se pose donc essentiellement dans le cas d’une assurance privée, qui, elle, tarifie le plus souvent les contrats sur la base du risque des individus.

Que l’assurance maladie soit gérée par des assureurs privés ou par un financeur public, le remboursement de tout ou partie des soins en cas de maladie est susceptible d’influencer les comportements de l’assuré. En réduisant la dépense supportée par l’assuré en cas de maladie, l’assurance peut en effet inciter à, d’une part, adopter moins de comportements de prévention, qui réduiraient pourtant la probabilité de survenue de la maladie, et d’autre part, à consommer plus de traitements. La première incitation fait référence à ce qui est appelé l’aléa moral ex-ante, qui concerne les actions, souvent coûteuses à court terme (financièrement et ou en termes de bien-être), que le patient peut assurer afin de réduire la fréquence de survenue de la maladie. Les économistes considèrent que, sans être nul, cet effet est relativement marginal. L’assurance couvre potentiellement très bien les dépenses de santé. D’autres pertes, associées à la maladie, restent cependant à la charge du malade, comme la douleur ou les séquelles. La seconde incitation de l’assurance sur le comportement des assurés fait référence à l’aléa moral ex-post qui concerne le choix du traitement par le patient assuré, en termes de quantité, d’intensité, de qualité, etc. En considérant que le consommateur est sensible au coût qui lui sera demandé lorsqu’il choisit son panier de consommation, l’assurance incite donc le patient à opter pour un traitement qui sera potentiellement plus coûteux. Pour limiter ces incitations, l’assureur peut proposer un contrat qui « responsabilisera » le patient : une part des dépenses sera laissée à sa charge. Le contrat peut ainsi prévoir une franchise fixe, c’est-à-dire un montant au-delà duquel l’assurance remboursera les dépenses et ou une franchise proportionnée, avec, dans ce cas, une part proportionnelle de la dépense qui restera à la charge de l’assuré. Les modalités des contrats d’assurance mis en place par la sécurité sociale, et a fortiori les contrats privés, prennent en compte ces asymétries d’information. Ces contrats considèrent également les spécificités qui caractérisent le contexte des dépenses en soins de santé, comme la non-assurabilité d’environ la moitié des dépenses (lorsqu’il ne s’agit plus d’un risque mais d’une pathologie avérée et chronique) ou encore la très forte concentration des dépenses pour, en fait, un faible nombre d’assurés.

Si les résultats de l’anti-sélection conduisent à segmenter le marché de l’assurance privée par l’offre de contrats différenciés - les plus malades se voyant offrir des contrats qui couvrent « bien » leur risque moyennant une prime très élevée - et si le remède au problème de risque moral passe par la responsabilisation financière des patients, la réalité ne garantit pas que ces contrats soient financièrement accessibles aux populations ciblées. Il s’agit donc, pour un décideur public, et, dans une moindre mesure, pour un assureur privé, d’ajuster le curseur entre responsabilité financière des futurs assurés et accessibilité au contrat d’assurance et aux soins. Une autre piste, pour remédier partiellement aux conséquences de ces asymétries d’information, est le contenu des garanties proposées dans les contrats. Du point de vue de l’assureur privé, jouer sur le panier des soins couverts, peut lui permettre d’inciter les assurés à révéler une partie de leur information, cachée par le choix du contrat. Du point de vue du régulateur, agir sur le contenu des contrats peut permettre d’accroître la concurrence, en prix, sur le marché en imposant, par exemple, un socle de garanties minimales qui améliore la lisibilité des contrats par les consommateurs. Il peut aussi réguler de façon indirecte, les tarifs des offreurs de soins, en limitant le niveau des remboursements possibles par le contrat. Là encore, la théorie des contrats permet de comprendre et de prévoir les comportements des agents économiques dans ce domaine très particulier.

Incitations et pratiques médicales regroupées
Les résultats de la théorie des contrats s’adaptent également au développement croissant et rapide des structures d’exercice libéral regroupé en soins ambulatoires. L’offre de soins en ambulatoire est de plus en plus souvent assurée par des professionnels de santé regroupés dans des maisons ou des pôles de santé. La production de soins requiert, dans ce cas, la coopération de plusieurs agents. Si les quantités, ou surtout la qualité, des soins n’est observable ou mesurable que de façon globale, l’élaboration de contrats incitatifs pour chaque professionnel est difficile puisque chacun pourrait se reposer sur les efforts fournis par ses collègues (comportement du passager clandestin). Il s’agit là du problème « d’aléa moral au sein des équipes » mis en évidence depuis le milieu des années 1980 par Bengt Holmström [11]. Il montrait que la rémunération de chacun des agents ne peut pas uniquement dépendre du résultat du collectif comme une « simple » répartition du revenu du collectif, faute de quoi la qualité ou la production est inefficace. Une solution est qu’un tiers (propriétaire ou manager) soit fortement impliqué et capable de stimuler les professionnels en instaurant des rémunérations plus flexibles.

Les structures de soins regroupées bénéficient en France de financements complémentaires qui visent à aligner les incitations des professionnels de santé entre eux tout en rendant des comptes au payeur. Ces financements très complexes illustrent les difficultés supplémentaires dans le cas d’un principal (le payeur) et d’agents multiples (différents professionnels exerçant dans une même structure). Ces agents doivent donc coopérer tout en percevant une rémunération individuelle à l’acte, à laquelle s’ajoutent une rémunération à la performance fondée sur leurs résultats en termes d’objectifs de santé publique pour leur patientèle, résultats potentiellement collectifs, et une rémunération de la structure censée assurer le financement de la coopération et de la coordination entre les professionnels.

La complexité des incitations dans un contexte dans lequel des agents doivent à la fois produire un certain niveau de qualité et coopérer entre eux illustre bien les difficultés liées à l’inobservabilité de données essentielles pour élaborer des contrats incitatifs pertinents.

Conclusion

La théorie des contrats trouve des applications dans un très grand nombre de champs de l’économie et permet d’appréhender de nombreuses situations. Les travaux d’Oliver Hart et Bengt Holmström se sont focalisés sur les multiples formalisations économiques de situations concrètes. Nous n’avons fait ici référence qu’aux incitations financières alors que celles-ci peuvent être, la plupart du temps, transposables à d’autres types d’incitations comme les perspectives de carrière, l’autonomie dans le travail, le sentiment de gratification, la réputation, etc. Dans de très nombreux cas, les études empiriques montrent que les incitations monétaires peuvent ne pas suffire et que les contrats optimaux résultent de combinaisons complexes d’incitations monétaires et non monétaires. Pour ajuster au mieux les résultats de la théorie des contrats, il apparaît essentiel aujourd’hui de prendre en compte la forme des préférences des acteurs économiques. Les développements de l’économie comportementale témoignent de cet intérêt croissant.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

Référence
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Macho-Stadler I, Perez-Castrillo D. An introduction to the economics of information: incentives and contracts . Oxford: : Oxford University Press; , 1997.
2.
Laffont JJ, Martimort D. The theory of incentives . The principal-agent model . Princeton: : Princeton University Press; , 2002.
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Franc C, Lesur R. Systèmes de rémunération des médecins et incitations à la prévention . Revue Économique. 2004;; 55 : :901.-22.
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Chalkley M, Malcomson JM. Contracting for health services when patient demand does no reflect quality . J Health Economics. 1998;; 17 : :1.-19.
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Holmström B, Milgrom P. Multitask principal-agent analyses: incentive contracts, asset ownership, and job design . J Law Economics Organization. 1991;; 7 : :24.-52.
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Akerlof GA. The market for lemons: quality uncertainty and the market mechanism . Quart J Economics. 1970;; 84 : :488.-500.
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Rothschild M, Stiglitz J. 1976;. An essay on the economics of imperfect information . Quart J Economics 1976. ; 90 : :629.-49.
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Holmström B. Moral hazard in teams . Bell J Economics. 1982;; 13 : :324.-40.