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Med Sci (Paris). 34(3): 219–222.
doi: 10.1051/medsci/20183403009.

L’actualité immunologique sous l’oeil critique des étudiants de Master 2

Alexandre Chassouros,1 Alexandre Essakhi,1 Anis Khiat,1 Shirihane Kouadri,1 Aïda Tadjine,1 Nadia Tadjine,1 Pol Ubeda,1 and Victorine Zhang1

1Master sciences et technologies, mention biologie moléculaire et cellulaire, parcours immunologie, thématique immunothérapies et bio-ingénierie, Sorbonne Université (Sciences), 4, place Jussieu, 75005Paris, France
Nanovésicules bactériennes, une immunothérapie antitumorale prometteuse ?

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© Jérémie Ménager

Les OMV, pour outer membrane vesicles, sont des structures vésiculaires de l’ordre du nanomètre activement sécrétées par les bactéries. À leur surface se trouvent de nombreux composants immunostimulants qui peuvent présenter un réel atout quand ces OMV sont utilisées comme vecteurs de médicaments ou dans des protocoles vaccinaux. Cependant, aucune étude n’avait jusqu’alors analysé leur éventuel effet antitumoral direct. Dans un article récent de Nature Communications [1], Kim et al. ont évalué le potentiel antitumoral d’OMV préparées à partir de bactéries Escherichia coli Gram-négatives dans un modèle de souris transplantées avec la lignée murine CT26, qui dérive d’un adénocarcinome du côlon. L’administration par voie intraveineuse de cinq μg d’OMV (en quatre injections) induit une disparition totale de la tumeur en trois semaines, mais aussi une protection à long terme puisque les auteurs ont observé le rejet d’une seconde inoculation de cellules CT26 quatre semaines après la fin du premier traitement. Cette efficacité antitumorale des OMV s’exerce également vis-à-vis d’autres modèles tumoraux, et en prévention de l’apparition de métastases spontanées chez des souris greffées avec les lignées 4T1 (carcinome mammaire) ou B16BL6 (mélanome). Dans ces expériences, les OMV sont extraites d’une souche génétiquement modifiée de bactéries, la souche d’E. coli ΔmsbB. Cette mutation invalide le gène codant le composant lipidique du lipopolysaccharide, ce qui permet de limiter l’inflammation et les effets secondaires induits par les OMV. De multiples approches expérimentales ont démontré que la cytokine pro-inflammatoire IFN (interféron)-γ, les cellules natural killer (NK) et les lymphocytes T (LT) – détectés simultanément au niveau de la tumeur dès 48 heures après administration des OMV - étaient impliqués dans l’effet antitumoral de ces vésicules. Des expériences complémentaires ont montré que cette production d’IFN-γ était principalement induite dans les cellules NK et LT par des protéines de surface des vésicules bactériennes. Les OMV d’autres bactéries Gram-négatives, mais aussi Gram-positives, parmi lesquelles Staphylococcus aureus et Lactobacillus acidophilus, ont également un effet antitumoral significatif. Lactobacillus acidophilus étant inoffensive pour l’Homme, les OMV qui en sont extraites pourraient présenter un intérêt dans de futurs essais cliniques. Ainsi, ces résultats suggèrent que les OMV, utilisées seules ou en combinaison avec d’autres thérapies, pourraient représenter une approche d’immunothérapie très prometteuse dans le traitement des cancers.

Aïda Tadjine, Nadia Tadjine

Un vaccin thérapeutique personnalisé dans le mélanome

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© CIML/Inserm/CNRS/Marcello Delfini/Mathieu Fallet

À l’heure où la médecine personnalisée progresse dans le traitement des cancers, une étude clinique récente montre la possibilité de développer un vaccin thérapeutique à partir de néoantigènes spécifiques de la tumeur de chaque patient [2]. Les néoantigènes tumoraux - produits de gènes ayant accumulé des mutations aléatoires au sein de la tumeur - sont exprimés exclusivement par la tumeur et non par les tissus normaux. Ils sont plus immunogènes que les antigènes du soi - issus des mêmes gènes non mutés - et leur utilisation dans des protocoles de vaccination permet de contourner le problème de tolérance au soi qui limite les réponses des lymphocytes T infiltrant la tumeur. Dans une étude clinique de phase I menée chez des patients atteints de mélanome avancé (stades III et IV), Ott et al. ont réalisé, chez chaque patient, le séquençage complet de l’exome de la tumeur après son ablation chirurgicale ainsi que de celui des cellules mononucléées du sang périphérique (non tumorales). La comparaison des exomes des deux types cellulaires a permis d’identifier des mutations somatiques spécifiques à la tumeur. Un séquençage des ARN de la tumeur et des cellules du sang périphérique a permis de prédire quelles protéines mutées correspondantes étaient exprimées par les cellules tumorales, et des analyses in silico ont déterminé lesquelles avaient la plus forte capacité de se fixer à des molécules du CMH (complexe majeur d’histocompatibilité) autologues. Six patients ont été vaccinés avec 13 à 20 peptides (15 à 30 acides aminés), synthétisés et correspondant à ces néoantigènes tumoraux spécifiques. Parmi les six patients vaccinés, quatre ont répondu par une régression tumorale sans récurrence de la maladie 25 mois après la vaccination.

Chez les deux autres patients, la maladie a récidivé à la fin de la vaccination avec les peptides, justifiant une immunothérapie supplémentaire à base d’anticorps anti-PD1 (programmed cell death-1 est une molécule inhibitrice de l’activité des lymphocytes T effecteurs), qui a entraîné une importante régression de la tumeur.

Des expériences fonctionnelles in vitro ont permis de démontrer que chez ces six patients, la vaccination induisait l’expansion de lymphocytes T CD4+ et CD8+ producteurs d’IFN (interféron)-γ spécifiques des antigènes tumoraux mutés. Ces néoantigènes vaccinaux sont efficacement dégradés et présentés par des cellules présentatrices d’antigènes autologues, induisant l’activation de lymphocytes T. Les auteurs ont également confirmé que les lymphocytes T induits par la vaccination reconnaissaient spécifiquement les antigènes mutés, mais pas les antigènes non mutés correspondants. Enfin, une comparaison des profils d’expression de gènes dans les LT CD4+ avant et après vaccination a révélé la transition de ces cellules d’un phénotype naïf vers l’acquisition de fonctions effectrices et mémoire. Cette stratégie vaccinale a donc permis le développement et la persistance de LT dirigés contre des néoantigènes tumoraux propres à chaque patient. Elle pourrait donc représenter une nouvelle approche d’immunothérapie antitumorale efficace et sûre car ne ciblant que les cellules tumorales.

Alexandre Chassouros, Alexandre Essakhi

Un anticorps thérapeutique efficace dans l’infection par le virus Zika

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© Yannick Simonin

Le virus Zika (ZIKV) est un virus à ARN apparenté au virus de la dengue (DENV). Sa transmission se fait généralement par piqûre du moustique vecteur (genre Aedes) et a été initialement associée à des symptômes modérés incluant des fièvres légères. Cependant, des syndromes cliniques plus graves ont été observés au cours d’une épidémie de ZIKV en 2007, et il est désormais établi qu’une infection par ZIKV durant le premier trimestre de la grossesse peut induire un défaut du développement neurologique chez le foetus et des anomalies congénitales telles que la microcéphalie. De plus, des études chez des souris, des primates et des humains ont montré que ZIKV peut persister dans des sites immunoprivilégiés (dans lesquels la migration ou l’activation des cellules immunitaires sont faibles) tels que l’oeil, le cerveau, les testicules et le placenta. À la transmission verticale mère-enfant s’ajoute donc une transmission horizontale du virus par voie sexuelle.

Dans un article récent, Fernandez et al. analysent l’activité thérapeutique anti-ZIKV d’une catégorie particulière d’anticorps monoclonaux (AcM), isolés initialement chez des patients infectés par DENV [3]. Ces AcM - appelés EDE1 - reconnaissent des épitopes quaternaires formés par l’homodimérisation de la protéine d’enveloppe E du DENV, protéine qui présente une forte homologie de séquence avec celle du ZIKV. Deux AcM de cette famille (EDE1-B10 et EDE1-C8) ont été comparés dans des tests in vitro de neutralisation de l’infection de cellules cibles par ZIKV. EDE1-B10 présente la plus forte capacité de neutralisation du virus in vitro, supérieure à celle d’autres AcM de la même famille observée dans des études antérieures. Les auteurs ont ensuite analysé la protection induite par EDE1-B10 et EDE1-C8 chez des souris infectées par des doses létales de ZIKV. Il s’avère que le niveau de protection est très dépendant du délai d’administration de l’AcM après l’infection : alors que les deux AcM induisent une protection complète lorsqu’ils sont injectés trois jours après l’infection virale, celle-ci n’est que partielle et seulement observée avec EDE1-B10 lorsque les AcM sont injectés plus tardivement (cinq jours après l’infection), une fois le virus disséminé dans différents organes. La réplication du ZIKV dans des organes immunoprivilégiés permet au virus de persister à long terme dans les fluides biologiques (liquide séminal, urine et salive).

L’injection de l’AcM EDE1-B10 un jour après une infection par le virus ZIKV, c’est-à-dire avant la dissémination virale, diminue de façon durable la charge virale dans ces sites, notamment les testicules des mâles infectés. La réduction de la charge virale des organes immunoprivilégiés est moindre en cas de traitement plus tardif. Enfin, des expériences supplémentaires montrent que l’administration systémique de l’AcM EDE1-B10 peut réduire la transmission foeto-maternelle du ZIKV. L’ensemble de ces résultats précliniques dessinent un premier pas vers le développement d’un anticorps thérapeutique sûr et efficace, ciblant aussi bien ZIKV que DENV.

Shirihane Kouadri, Victorine Zhang

Réduire l’autophagie des cellules dendritiques : un mécanisme efficace d’immunosuppression par les Treg

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© Inserm-Baptiste Jammart

Le rôle primordial des cellules T régulatrices Foxp3+ (Treg) dans la tolérance du système immunitaire vis-à-vis des antigènes du soi est désormais bien établi, et leur absence peut entraîner le développement de pathologies auto-immunes. Dans une étude récente, Alissafi et al. [4] montrent que les Treg peuvent moduler l’activité des cellules dendritiques (CD) en y induisant une diminution de l’autophagie. L’autophagie est un mécanisme dépendant de voies de catabolisme lysosomales impliquant la dégradation de protéines cytosoliques et d’organites (➔). Elle est fondamentale au maintien de l’homéostasie, et est également impliquée dans les réponses immunes, favorisant notamment le chargement de peptides antigéniques sur les molécules de CMH (complexe majeur d’histocompatibilité) II et la présentation de ces peptides aux lymphocytes T CD4+. Dans cette étude, les auteurs ont comparé les profils d’expression de gènes dans des CD issues, soit de souris atteintes d’encéphalopathie auto-immune (EAE) induite par l’injection d’un peptide dérivé de la protéine MOG (myelin oligodendrocyte glycoprotein) reconnu par les lymphocytes T, soit de souris rendues tolérantes pour ce peptide1, et donc indemnes de la pathologie (souris appelées DEREG). Cette analyse montre une diminution de l’expression de certains gènes nécessaires à l’autophagie (notamment Atg1611 et Atg5) dans les CD isolées de souris DEREG, mais pas de souris atteintes d’EAE. La diminution de la formation des autophagolysosomes dans les CD des souris tolérantes DEREG a également été confirmée par microscopie confocale. L’élimination des Treg de ces souris tolérantes restaure l’expression des gènes liés à l’autophagie dans les CD, confirmant le lien direct entre la présence de Treg et la diminution de l’autophagie des CD. Ce lien a été confirmé dans un modèle de souris Rag1-/- (dépourvues de lymphocytes B et T, mais pas de CD) immunisées par MOG et chez lesquelles des Treg sont transférées. En utilisant de multiples modèles (souris Atg16l1ΔCd11c ou Atg16l1fl/fl, souris DEREG dépourvues de Treg, modèle de transfert de Treg aux souris Rag1-/-), les auteurs ont analysé les conséquences fonctionnelles de l’interaction entre Treg et CD, montrant que si ces dernières conservent la capacité de dégrader les peptides, en revanche, elles ne peuvent plus les présenter aux lymphocytes T, avec pour résultante une moindre prolifération des lymphocytes T spécifiques. In vivo, lorsqu’une EAE est induite chez des souris Rag1-/- par le transfert simultané de lymphocytes T spécifiques du peptide MOG et de CD, la sévérité de la maladie est moindre lorsque les CD injectées sont déficientes dans le mécanisme d’autophagie (CD Atg16l1ΔCd11c) par rapport à des CD dans lesquelles l’autophagie n’est pas altérée. Si l’intervention de l’IL(interleukine)-10 est exclue dans ce mécanisme de suppression de l’autophagie des CD, celle de l’axe CTLA-4-B7.1/B7.22, est en revanche démontrée par de multiples approches complémentaires (utilisation de Treg de souris CTLA4-iKO3, blocage de CTLA4 exprimé par les Treg, utilisation d’une molécule de fusion CTLA4-Ig). L’interaction CTLA-4 (Treg)-B7.1 et B7.2 (CD) induit dans les CD une activation de la voie PI3K/Akt/mTOR et une exclusion du noyau du facteur de transcription FoxO1, un régulateur transcriptionnel de gènes clés de l’autophagie (dont Lc3b), induisant in fine une diminution de ce processus. Or, il est tentant de faire un rapprochement entre ces données et l’immunosuppression thérapeutique induite en clinique humaine par la stimulation de la voie CTLA4 (par l’abatacept - une protéine de fusion composée du domaine extracellulaire de CTLA-4 et de la région Fc d’une IgG1 humaine), notamment dans la polyarthrite rhumatoïde et en transplantation. Le traitement in vitro de CD humaines avec CTLA4-FcIgG1 induit dans ces cellules des effets comparables à ceux qu’exercent des Treg, en particulier une diminution de la formation d’autophagolysosomes. Les CD isolées de patient atteints de polyarthrite rhumatoïde et traités par abatacept se caractérisent par ce même défaut d’autophagie, y compris l’exclusion nucléaire de FoxO1. Cette étude permet donc d’élucider plus précisément le mécanisme d’action thérapeutique de CTLA4-FcIgG1 : cette molécule diminue l’autophagie dans les CD, en altérant leur capacité à présenter des auto-antigènes, ce qui les rend peu capables de stimuler les cellules T autoréactives responsables d’une maladie auto-immune comme la polyarthrite rhumatoïde.

(➔) Voir le numéro thématique Autophagie, m/s n° 3, mars 2017

Anis Khiat, Pol Ubeda

 
Footnotes
1Dans ce modèle, la tolérance est induite par l’administration continue sur une période de 14 jours de faibles doses de peptide MOG suivie d’une immunisation en présence d’adjuvant par une plus forte dose du même antigène. Ce protocole, différent de celui qui est utilisé pour une immunisation classique ou pour induire la maladie, induit des Treg FoxP3+, qui exercent une immunosuppression des lymphocytes T spécifiques de ce peptide.
2La molécule CTLA-4 (cytotoxic T-lymphocyte-associated antigen 4) est exprimée par les lymphocytes T, les Treg, et ses ligands B7.1 et B7.2 par les CD.
3Souris ayant une invalidation génétique conditionnelle de CTLA4.
Référence
1.
Kim OY, et al. . Nat Commun. 2017;; 8 : :626..
2.
Ott PA, et al. . Nature. 2017;; 547 : :217.-21.
3.
Fernandez E, et al. . Nat Immunol. 2017;; 18 : :1261.-9.
4.
Alissafi T, et al. . J Clin Invest. 2017;; 127 : :2789.-804.