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Med Sci (Paris). 34(2): 129–131.
doi: 10.1051/medsci/20183402009.

La rétention nucléaire des alarmines, une nouvelle stratégie de l’adénovirus pour échapper au système immunitaire inné

Amandine Tisserand,1** Asma Boumbar,1*** and Karim Benihoud2*

1M1 Biologie Santé, Université Paris-Saclay, 91405Orsay, France
2Vectorologie et thérapeutiques anticancéreuses, UMR 8203 CNRS, Université Paris-Sud, Institut Gustave Roussy, Université Paris-Saclay, 94805Villejuif, France
Corresponding author.
 

L’actualité scientifique vue par les étudiants du Master Biologie Santé, module physiopathologie de la signalisation, Université Paris-Saclay

Cette année encore, dans le cadre du module d’enseignement « Physiopathologie de la signalisation » proposé par l’université Paris-sud, les étudiants du Master « Biologie Santé » de l’université Paris-Saclay se sont confrontés à l’écriture scientifique. Ils ont sélectionné 12 articles scientifiques récents dans le domaine de la signalisation cellulaire présentant des résultats originaux, via des approches expérimentales variées, sur des thèmes allant des interactions hôte-pathogène au métabolisme, en passant par la compétition cellulaire et le microbiote. Après un travail préparatoire réalisé avec l’équipe pédagogique, les étudiants, organisés en binômes/trinômes, ont ensuite rédigé, guidés par des chercheurs, une Nouvelle soulignant les résultats majeurs et l’originalité de l’article étudié. Ils ont beaucoup apprécié cette initiation à l’écriture d’articles scientifiques et, comme vous pourrez le lire, se sont investis dans ce travail avec enthousiasme !

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Équipe pédagogique

Karim Benihoud (professeur, université Paris-Sud)

Sophie Dupré (maître de conférences, université Paris-Sud)

Olivier Guittet (maître de conférences, université Paris-Sud)

Boris Julien (maître de conférences, université Paris-Sud)

Hervé Le Stunff (professeur, université Paris-Sud)

Philippe Robin (maître de conférences, université Paris-Sud)

karim.benihoud@u-psud.fr

Série coordonnée par Laure Coulombel.

Les virus possèdent un matériel génétique codant pour leurs propres constituants, mais ils ont besoin des structures de la cellule hôte pour pouvoir se multiplier. Les protéines virales, qu’elles soient présentes dans la particule virale ou produites après infection de la cellule hôte vont, en interagissant avec les protéines cellulaires, détourner la machinerie cellulaire : elles modulent notamment le cycle cellulaire, le cytosquelette et la mort cellulaire pour favoriser la production des virions, mais également permettre l’échappement au système immunitaire de l’hôte [1]. Des travaux récents ont montré que des protéines virales peuvent aussi détourner les fonctions cellulaires de l’hôte en agissant directement au niveau de la chromatine. Celleci est constituée d’éléments de base, les nucléosomes, qui correspondent à un segment d’ADN enroulé autour d’un cœur formé de protéines basiques, les histones. Dans le cas de l’adénovirus, il a été observé que la protéine virale précoce E1A réprimait certains gènes cellulaires en recrutant des histones acétyltransférases [2]. Plus récemment, l’équipe de M.D. Weitzmann (Université de Pennsylvanie) s’est intéressée à la protéine pVII, une protéine du core (partie du virus contenant le génome et les protéines associées) de la particule adénovirale, capable de lier et compacter l’ADN viral. En se basant sur les similitudes de nature (protéine basique) et de fonction (fixation de l’ADN) de pVII avec les histones, l’équipe s’est demandé si cette protéine pouvait également moduler la chromatine cellulaire [3].

La protéine pVII, une contrefaçon des histones

Afin de documenter l’impact de pVII sur la structure de la chromatine, les auteurs ont d’abord localisé la protéine, par immunofluorescence, dans des lignées de cellules épithéliales pulmonaires infectées par un adénovirus. La protéine pVII était localisée dans les zones de réplication virale et au niveau de la chromatine [3]. Pour étudier ses fonctions en dehors du contexte viral, des expériences ont été réalisées sur des lignées cellulaires exprimant pVII de façon inductible. Les résultats ont clairement montré que l’expression de pVII conduit à son accumulation dans la chromatine et à la modification de l’aspect de cette dernière. Puis, à l’aide de techniques de fractionnement nucléaire, l’équipe a révélé que pVII était retrouvée dans les fractions contenant les histones et l’ADN. Enfin, des expériences de retard sur gel ont indiqué que pVII liait directement les nucléosomes. Ceux-ci contrôlent l’accessibilité à l’ADN et sont ainsi impliqués dans la régulation de différents processus comme la transcription et la réplication. Par analyse de la sensibilité des complexes nucléosomes-pVII à des nucléases, Avgousti et al. ont observé que pVII était, tout comme les histones, capable de restreindre l’accès à l’ADN [3]. Du fait des analogies de structure et de fonctionnement entre les protéines histones et pVII, l’équipe a émis l’hypothèse selon laquelle pVII pourrait subir des modifications post-traductionnelles tout comme les histones [4]. Des analyses en spectrographie de masse ont effectivement révélé que pVII était acétylée et phosphorylée sur certains résidus. Lorsque ces résidus sont mutés, pVII est délocalisée de la chromatine vers le nucléole, ce qui souligne l’importance des modifications post-traductionnelles de pVII dans sa fonction.

La protéine pVII séquestre l’alarmine HMGB1

Afin de comprendre le rôle de l’interaction de pVII avec la chromatine, l’équipe a comparé la composition protéique (protéome) de cellules exprimant ou non pVII. Elle a montré qu’en présence de pVII, une vingtaine de protéines étaient surexprimées dans la chromatine et notamment les protéines de la famille HMGB (high mobility groupe box). Dans cette famille, HMGB1 est connue pour sa capacité à lier la chromatine et à stabiliser les nucléosomes [5], mais également pour son rôle d’alarmine, c’est-à-dire de molécule capable de signaler au système immunitaire la présence de dommages cellulaires [6]. Par des techniques d’immunofluorescence, d’immunoprécipitation et de pull-down, Avgousti et al. ont démontré que pVII liait HMGB1, permettant ainsi la liaison de cette dernière à la chromatine. Pour confirmer la véracité de ces observations faites dans le modèle artificiel de lignées surexprimant pVII, l’équipe a utilisé un adénovirus dont le gène codant pVII est entouré de sites de recombinaison loxP. Dans les cellules exprimant l’enzyme Cre, qui reconnaît les sites loxP et permet d’exciser le gène codant pVII, l’équipe a observé une baisse de l’interaction d’HMGB1 avec la chromatine par rapport à des cellules n’exprimant pas l’enzyme Cre et infectées par ce même adénovirus. Ces résultats indiquent que pVII est bien responsable de la rétention de la protéine HMGB1 dans la chromatine lors d’une infection par adénovirus.

pVII inhibe la libération d’HMGB1 dans le milieu extracellulaire et son activation du processus inflammatoire

La protéine HMGB1 peut être libérée dans le milieu extracellulaire de façon passive par des cellules nécrotiques, ou bien de façon active lors d’une infection par un pathogène [7] (Figure 1). Avgousti et al. ont donc émis l’hypothèse selon laquelle pVII pourrait retenir HMGB1 dans la chromatine lors d’une infection par adénovirus afin de diminuer la réponse inflammatoire. Pour tester cette hypothèse, des macrophages ont été infectés avec un vecteur adénoviral codant pour la protéine pVII (AdpVII), puis ont été soumis à un stimulus inflammatoire. L’analyse des surnageants de culture a confirmé que l’expression de pVII permettait bien une diminution du relargage d’HMGB1 par les macrophages.

Une fois sécrétée, HMGB1 est capable de se fixer à la surface de cellules du système immunitaire sur des récepteurs tels que les TLR (Toll-like receptor) ou bien le récepteur RAGE (receptor for advanced glycation end-products). Une fois fixée, HMGB1 entraîne l’activation/ translocation du facteur de transcription NFĸB, responsable de l’expression de cytokines et chimiokines. Ces molécules vont ensuite induire l’activation des neutrophiles et leur recrutement sur le lieu d’infection [8]. Afin d’analyser l’impact de l’interaction pVII-HMGB1 sur l’inflammation, des souris ont reçu une administration intratrachéale d’Ad-pVII ou d’un adénovirus contrôle, puis ont été exposées à un aérosol de lipopolysaccharide bactérien (LPS). De façon remarquable, l’expression de pVII au niveau pulmonaire conduit à une baisse de la libération d’HMGB1 dans le liquide bronchoalvéolaire et à une diminution du recrutement des polynucléaires neutrophiles.

pVII, une nouvelle stratégie d’échappement au système immunitaire inné

La protéine pVII était connue pour sa capacité à se fixer sur le génome viral de la même façon que les histones sur l’ADN cellulaire. L’équipe de M.D. Weitzmann révèle dans cette étude que l’expression de cette protéine après infection des cellules par l’adénovirus conduit à sa liaison aux nucléosomes et à la rétention nucléaire de l’alarmine HMGB1 (Figure 1). Ces données suggèrent - la démonstration directe reste à faire - que, dans le contexte d’une infection adénovirale, pVII permettrait de limiter la réponse inflammatoire de l’hôte de façon à laisser le temps au virus de se répliquer. Bien que l’équipe ait montré que pVII permet de réduire la réponse inflammatoire déclenchée par HMGB1, les mécanismes de libération et de reconnaissance d’HMGB1 lors de l’infection par l’adénovirus restent inconnus. On peut également s’interroger sur l’impact de pVII sur d’autres alarmines comme l’interleukine 33 (IL-33) ou les autres membres de la famille HMGB. D’une manière plus générale, cette étude a conduit les auteurs à proposer que la rétention, au niveau de la chromatine, de molécules de signalisation par des protéines virales pourrait constituer un nouveau mécanisme général d’échappement au système immunitaire.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

Références
1.
Elde NC, Malik HS. The evolutionary conundrum of pathogen mimicry. Nat Rev Microbiol. 2009;; 7 : :787.-97.
2.
Ferrari R, Pellegrini M, Horwitz GA, et al. Epigenetic reprogramming by adenovirus e1a. Science. 2008;; 321 : :1086.-8.
3.
Avgousti DC, Herrmann C, Kulej K, et al. A core viral protein binds host nucleosomes to sequester immune danger signals. Nature. 2016;; 535 : :173.-7.
4.
Kouzarides T. Chromatin modifications and their function. Cell. 2007;; 128 : :693.-705.
5.
Gerlitz G, Hock R, Ueda T, et al. The dynamics of HMG protein-chromatin interactions in living cells. Biochem Cell Biol. 2009;; 87 : :127.-37.
6.
Rider P, Voronov E, Dinarello CA, et al. Alarmins: feel the stress. J Immunol. 2017;; 198 : :1395.-402.
7.
Yanai H, Matsuda A, An J, et al. Conditional ablation of HMGB1 in mice reveals its protective function against endotoxemia and bacterial infection . Proc Natl Acad Sci USA. 2013;; 110 : :20699.-704.
8.
Huebener P, Pradere JP, Hernandez C, et al. The HMGB1/RAGE axis triggers neutrophil-mediated injury amplification following necrosis. J Clin Invest. 2015;; 125 : :539.-50.