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Med Sci (Paris). 34(1): 83–86.
doi: 10.1051/medsci/20183401018.

Évolution, déterminants et régulation des dépenses de médicaments en France

Catherine Le Galès1*

1Centre de recherche médecine, sciences, santé, santé mentale, société (CERMES3), Inserm U 988, CNRS UMR 8211, École des hautes études en sciences sociales, université Paris Descartes, 7, rue Guy Môquet, 94801 Villejuif Cedex, France
Corresponding author.
 

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Plusieurs pays comparables à la France, en Europe ou dans l’OCDE, s’interrogent sur l’évolution de leur consommation et de leurs dépenses de médicaments. Le marché pharmaceutique est devenu un marché international et les principaux déterminants des dépenses pharmaceutiques sont communs aux pays dont le niveau de richesse est élevé et la population vieillissante. Toutefois, la consommation française de produits pharmaceutiques, son évolution, en termes de volume et de type de produits, au cours de la période récente, présentent certaines spécificités particulièrement importantes au regard de l’arrivée sur le marché de nouveaux produits très coûteux.

Les dépenses pharmaceutiques dans les pays de l’OCDE et leur évolution prévisible

Après de nombreuses années de hausse, en 2013, année la plus récente pour laquelle une analyse sur l’ensemble des pays de l’OCDE a été possible à réaliser, les dépenses pharmaceutiques (à l’hôpital, en ambulatoire et en vente libre) de ces pays ont atteint 800 milliards de dollars soit environ 20 % des dépenses de santé totales [1]. Ce niveau, le plus élevé jamais atteint, est la résultante d’évolutions contrastées. D’un côté, les dépenses non hospitalières ont crû moins rapidement que par le passé. Elles ont même décru après la récession de 2008-2009 (moins 3,2 % entre 2009 et 2013) dans tous les pays, en réponse à des actions ciblées. De l’autre côté, les dépenses de médicaments à l’hôpital ont continué à augmenter dans de nombreux pays. À titre illustratif, aux États-Unis, pour lesquels on dispose de chiffres plus récents et qui représentent le tiers des ventes mondiales, les médicaments prescrits à l’hôpital (dits de spécialité) représentaient 1 % des prescriptions et 25 % des dépenses pharmaceutiques en 2012, et plus de 33 % des dépenses en 2016. Toujours aux États-Unis, après le record de l’année 2015 (plus 5,2 %), il semble que 2016 ait été marquée par une croissance des dépenses pharmaceutiques plus faible (plus 3,8 % comparés aux 5,2 % de 2015), le coût des médicaments de spécialité n’ayant augmenté que de 6,2 %, contre 11 % l’année précédente1. L’évolution générale des dépenses pharmaceutiques dans les pays à haut revenu est donc le résultat d’un double mouvement : l’augmentation du coût des médicaments de spécialité, et les effets des politiques de maîtrise des coûts qui ont surtout visé les dépenses de la médecine de ville.

Une analyse des dépenses par classe thérapeutique conforte ces conclusions. Les changements dans la structure de consommation, en particulier dans les classes thérapeutiques les plus marquées par l’arrivée de nouveaux produits, plus coûteux, ont joué un rôle majeur dans la croissance des dépenses. Des médicaments récents très coûteux, en particulier en oncologie avec les thérapies ciblées, les immunothérapies, etc. sont à l’origine d’une part très significative des dépenses totales de médicaments. Dans d’autres classes thérapeutiques, telles que les anti-HTA (hypertension artérielle) ou les anti-cholestérolémiants, les dépenses sont restées stables, voire ont décru, notamment à la suite de l’expiration des brevets de certains produits très prescrits.

Dans les prochaines années, au plan mondial, les ventes de produits pharmaceutiques devraient continuer à augmenter, notamment sous l’effet de l’augmentation de la consommation de médicaments dans les pays émergents et aux États-Unis. Toutefois, pour ce dernier, l’ampleur de la croissance pourrait être moindre que celle des dernières années, si la politique d’extension de la couverture de la population par une assurance maladie (« Affordable care act » ou Obamacare) était suspendue, voire supprimée. Dans les pays européens, la hausse devrait être moins forte que par le passé. Les baisses de prix des traitements contre l’hépatite C, enclenchées dès 2015 aux États-Unis et prolongées en 20162,, devraient dorénavant concerner les pays européens. Cela permettrait de contenir le montant important de dépenses allouées à cette pathologie. Ainsi, en France, la renégociation du prix des médicaments contre l’hépatite C entreprise par les pouvoirs publics s’est achevée par une baisse significative : depuis le 1er avril 2017, le prix du traitement d’un patient par Sofosbuvir est inférieur à 28 700 euros au lieu des 41 000 euros qu’il coûtait jusque-là3,. Cependant, le nombre de produits très coûteux et leurs prix devraient continuer de croître, de même que le nombre de patients traités. L’oncologie est le domaine dans lequel sont attendues les plus fortes augmentations de dépenses [1].

Les déterminants des dépenses pharmaceutiques

Dans beaucoup de secteurs économiques, les facteurs qui contribuent à l’évolution de la consommation d’un bien sont classés en deux catégories, selon qu’ils relèvent de l’offre ou de la demande. Dans le secteur de la santé, et plus spécifiquement celui du médicament, cette dichotomie est peu pertinente, parce que d’une part la plupart des médicaments sont prescrits par les professionnels de santé à la personne malade qui les consomme in fine (la demande est donc le fait d’un tiers, agent de la personne malade) et que, d’autre part, dans beaucoup de pays, le financement de cette demande n’est pas directement supporté par le consommateur, mais par un système de protection sociale (en France, l’assurance maladie obligatoire [AMO] à laquelle s’ajoute une assurance dite complémentaire [AMC], « la mutuelle ») [8] (inline-graphic medsci20183401p83-img2.jpg).

(inline-graphic medsci20183401p83-img2.jpg) Voir le Faits et chiffres de C. Franc, m/s n° 12, décembre 2017, page 1097

Il est donc plus approprié au plan analytique de considérer que l’évolution des dépenses résulte de :

  • la situation épidémiologique et démographique de la population et ses transformations,
  • le changement des pratiques médicales,
  • la dynamique du marché pharmaceutique et notamment les produits qui entrent et sortent du marché ou dont les brevets expirent (ce qui ouvre la possibilité de mettre fin au monopole du producteur) et,
  • la politique publique en matière de médicament.

Un déterminant majeur de la dynamique de la consommation de médicaments dans les pays à haut revenu est la conjonction du vieillissement de la population, de la plus forte prévalence des maladies chroniques, et des changements de pratiques cliniques, le point important ici étant l’imbrication de ces trois facteurs. Cela peut être illustré par l’exemple suivant : si un nouveau test permet de doser plus facilement et plus précisément un paramètre biologique, et qu’un traitement médicamenteux est prescrit (entre autres raisons) lorsque ce paramètre biologique dépasse une certaine valeur, les nouvelles pratiques médicales induites par la disponibilité de ce nouveau test entraîneront mécaniquement une augmentation du nombre de personnes identifiées comme malades [9] et donc du nombre de personnes qui seront traitées.

La dynamique du marché pharmaceutique est, quant à elle, le résultat de deux catégories d’événements dont les conséquences sur la croissance des dépenses sont en sens opposé : l’arrivée de nouveaux produits, généralement plus onéreux, va tendre à augmenter les dépenses, tandis que la fin de la protection par un brevet, qui conduit les produits concernés à être remplacés par des produits génériques aux prix plus faibles sans perte de qualité de soin, va, elle, tirer les dépenses vers le bas. La réalité est cependant moins mécanique, ne serait-ce que parce que tous les anciens produits ne sont pas remplacés par des produits génériques, et que la fin des brevets est largement anticipée par les industriels qui peuvent, par exemple, remplacer « préventivement » leurs produits anciens par des « nouveaux » dont la valeur ajoutée thérapeutique par rapport aux précédents peut être (très) faible. À ceci, s’ajoutent les particularismes de certains marchés. Sur le marché américain, par exemple, il est ainsi courant que le fabricant augmente drastiquement le prix d’un médicament dont le brevet va tomber dans le domaine public l’année suivante. En 2015, Novartis a ainsi augmenté de 32 % le prix du Glivec®4 (soit une multiplication du prix par 3 depuis son entrée sur le marché en 2005) alors que son équivalent générique était attendu au début de l’année suivante.

La situation française
Les dépenses de médicaments en France
Les dépenses de médicaments en France ont atteint 33,9 milliards d’euros en 2014, soit 515 € par habitant. Elles représentent 17,5 % de la consommation médicale totale et sont donc bien inférieures aux dépenses d’hospitalisation (qui représentent 45,7 %) et qui sont le premier poste de dépenses. Le chiffre de 33,9 milliards inclut les médicaments consommés en ambulatoire et une partie de la consommation à l’hôpital, celle consacrée aux médicaments de la « liste en sus », dits encore « médicaments rétrocédés ». Cette liste est un mécanisme mis en place afin de favoriser l’accès aux médicaments innovants et coûteux. Mais, ce chiffre n’intègre pas les dépenses de médicaments non remboursables par l’assurance maladie, et les autres dépenses hospitalières de médicaments. Après deux années marquées par des baisses (moins 1,3 % en 2012 et moins 1,7 % en 2013), les dépenses de médicaments ont de nouveau augmenté à partir de 2014 et cela très significativement : plus 0,9 milliards soit plus 2,7 % [2].

Ceci ne signifie pas que les efforts entrepris par les pouvoirs publics pour faire baisser les prix des produits existants, ou promouvoir les produits génériques, n’ont pas été suivis d’effets. Selon l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), calculé à qualité constante (c’est-à-dire sans les nouveaux produits introduits en 2014), l’indice de prix des médicaments a diminué de 3,7 % en 2014. Mais ces effets ont tout simplement été insuffisants au regard des conséquences de l’arrivée des nouveaux traitements, en particulier ceux contre le virus de l’hépatite C, qui ont, à eux seuls, générés plusieurs milliards d’euros de dépenses supplémentaires. Toutefois, le véritable montant de dépenses induites par ces traitements reste inconnu. On sait qu’ils sont probablement à l’origine d’une bonne partie de l’accroissement très significatif du montant des remises versées aux caisses d’assurance maladie par les industriels de la pharmacie. Ces remises « consenties » par les industriels reposent sur des dispositions légales prises dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale. Ces dispositions ont été modifiées afin de plafonner les dépenses induites par le traitement de l’hépatite C. En 2014, le montant des remises (toutes classes thérapeutiques confondues) était de l’ordre de 1,1 milliard d’euros, contre 200 à 400 millions d’euros par an, entre 2006 et 2013 [3]; il était de plus de 900 millions d’euros en 2015.

La spécificité de la consommation médicamenteuse en France
Les français ont eu longtemps la réputation d’être de « gros » consommateurs de médicaments. Une comparaison longitudinale des niveaux de consommation nationale par classe thérapeutique, reposant sur la dose définie journalière (DDJ, ou DDD en anglais), un indicateur méthodologiquement pertinent5, permet d’observer que la consommation française en volume, si elle était, pour plusieurs classes thérapeutiques, supérieure jusqu’en 2000 à celles de plusieurs pays européens (Allemagne, Espagne, Italie, Royaume-Uni, Belgique, Pays-Bas), est, en 2011, dans la moyenne européenne, sauf pour les antibiotiques et les anxiolytiques [4]. Cette évolution ne résulte pas d’une réduction ou d’un tassement de la consommation en France en 2011, mais d’un phénomène international de convergence vers des niveaux de consommation de ces médicaments qui se révèlent plus élevés qu’en 2000. Les pays dont les niveaux de consommation étaient les plus faibles ont en effet évolué à la hausse, plus rapidement qu’en France. Par exemple, les hausses ont été entre 2000 et 2011, de plus de 10 % pour les hypolipémiants ou les antiulcéreux dans tous les pays, sauf la France (respectivement plus 4,8 % et plus 8,7 %).

En revanche, la France continue de se singulariser par sa rapidité à adopter les produits nouveaux, donc plus onéreux. Elle est, par exemple, le pays d’Europe où la diffusion du Sofosbuvir (l’anti-hépatite C) a été non seulement la plus rapide, mais aussi la plus large [5].

Dans un autre champ thérapeutique, les nouveaux antidiabétiques oraux représentaient en 2011, 15 % de la prescription d’antidiabétiques en France, soit le double de l’Australie. Les différences de part de marché des antidiabétiques ne s’expliquent pas par des conditions différenciées d’autorisation de mise sur le marché entre les pays; en revanche, les recommandations de pratiques cliniques, elles, différent. En Australie (et au Royaume-Uni), les recommandations proposent en effet systématiquement une hiérarchisation des molécules, à chaque stade du traitement, qui prend en compte le prix des produits : alors que les médecins australiens (ou anglais) sont invités à prescrire les médicaments les moins chers à efficacité égale, à chaque stade de traitement, il n’en est rien en France [6]. La préférence française pour les produits récents s’observe également dans d’autres domaines, comme l’hypercholestérolémie. Une analyse des données françaises de prescription, permettant de rapprocher le type de statines prescrites des caractéristiques des patients et des médecins [7], montre ainsi que, toutes choses étant égales par ailleurs, la prescription de statines sous brevet (donc plus chères) est plus fréquente pour les patients jeunes ayant un problème cardiologique que s’ils n’ont qu’un problème d’hypercholestérolémie, mais qu’elle décroît avec l’âge des patients et ce, quel que soit le profil de ces derniers. Toujours toutes choses étant égales par ailleurs, les médecins plus jeunes ou qui exercent en cabinet de groupe prescrivent moins de produits sous brevet. Ces résultats renvoient donc à des déterminants qui ne dépendent pas seulement de l’état de santé des personnes traitées, mais aussi des conditions de formation et d’exercice de la profession médicale.

Conclusion

L’évolution du niveau de dépenses pharmaceutiques en France est à la hausse et est attribuable à des déterminants qui sont largement partagés avec d’autres pays à haut revenu. Les motifs du niveau français de dépenses en médicaments ont aussi quelques spécificités. La consommation reste en effet comparativement élevée en volume, et, surtout, elle est marquée par la rapidité d’adoption des nouveaux produits proposés. Les prix élevés des médicaments récents sont donc susceptibles d’avoir un impact extrêmement significatif sur la dynamique des dépenses dont le financement est collectif en France, alors même que, parmi ces nouvelles molécules, plusieurs ne sont, a priori, destinées à ne traiter qu’un nombre restreint de personnes malades.

Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
2Selon Express-Scripts, premier régime d’assurance pharmaceutique aux États-Unis, le prix du traitement a été divisé par 2 (https://lab.express-scripts.com/lab/drug-trend-report).
4Un inhibiteur de la tyrosine kinase Bcr-Abl.
Références
1.
Belloni A, Morgan D, Paris V. Pharmaceutical expenditure and policies. Paris: : OECD Publishing; , 2016.
2.
Bureau des comptes et prévisions d’ensemble et mission des relations et études internationales. Les dépenses de santé en 2014. In : Drees, ed. Paris : Ministère de la Santé, 2015.
3.
Beffy M, Roussel R, Solard J, et al. Les dépenses de santé en 2015, édition 2016. In : Drees, ed. Collection Panorama. Paris: : Commission des Comptes de la Santé; , 2016.
4.
Ferrier-Battner A, Chahwakilian P, De Pouvourville G, et al. Évolution comparée des ventes de médicaments dans 7 pays européens (2000-20H). Paris: : LIR; , 2012 : :34. p.
5.
Polton D. Rapport sur la réforme des modalités d’évaluation des médicaments. Paris: : Ministère de la Santé et des Affaires Sociales; , 2015.
6.
Pichetti S, Sermet C, Van Der Erf S. La diffusion des nouveaux antidiabétiques : une comparaison internationale. IRDES, Questions d’Économie de la Santé. 2013; :1.-8.
7.
Pichetti S, Sermet C, Godman B, et al. Multilevel analysis of the influence of patients’ and general practitioners’ characteristics on patented versus multiple-sourced statin prescribing in France. Appl Health Econ Health Policy. 2013;; 11 : :205.-18.
8.
Franc C. Le partage de la couverture maladie entre assurances obligatoire et complémentaires : les défauts d’un système mixte. Med Sci (Paris). 2017;; 33 : :1097.-104.
9.
Greene JA. Prescribing by numbers: drugs and the definition of disease. Baltimore: : Johns Hopkins University Press; : 2006.