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Med Sci (Paris). 34(1): 54–62.
doi: 10.1051/medsci/20183401014.

L’os, un organe pas si inerte…

Julien Oury1 and Franck Oury2*

1Center for biology and medicine, Skirball institute of biomolecular medicine, New York university medical school, New York, 10016, États-Unis
2Inserm U1151, Institut Necker-Enfants Malades (INEM), Département Croissance et signalisation, équipe 14, université Paris Descartes Sorbone-Paris Cité, 14, rue Maria Helena Vieira Da Silva, 75014Paris, France
 

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Vignette (Photo © Inserm - Jean-Paul Roux).

Un rajeunissement de la physiologie intégrative

La physiologie du « milieu intérieur », telle que définie par Claude Bernard en 1865 [1], introduit pour la première fois la notion d’homéostasie physiologique de notre corps. Trois principes fondamentaux la caractérisent: (1) aucune fonction physiologique n’est déterminée par un seul organe; (2) différents organes exercent des influences opposées sur la même fonction pour la réguler hermétiquement [2]; (3) les molécules régulatrices apparaissent au cours de l’évolution avec les fonctions qu’elles régulent. Ces trois grands principes fondateurs de la physiologie intégrative démontrent qu’en plus de leur fonction propre, les organes ont besoin de communiquer entre eux pour maintenir et coordonner les fonctions physiologiques. Cette communication inter-organes est assurée par des facteurs qui circulent, dont les hormones. Leur action permet de maintenir la stabilité de l’environnement interne et de moduler la réponse coordonnée des organes, face à des variations parfois importantes de l’environnement extérieur. Ces concepts clés de la physiologie ont été forgés à un moment où aucun des outils moléculaires et génétiques, nécessaire pour tester leur validité, n’était disponible. Pourtant, la quasi-totalité des principes décrits par Claude Bernard se sont avérés juste.

L’arsenal technologique de la génétique de la souris, par sa capacité à pouvoir inactiver un gène dans un type cellulaire donné et/ou à un moment précis de la vie, a permis un rajeunissement de la physiologie à l’échelle de l’organisme. Ces nouvelles approches ont non seulement permis d’approfondir notre connaissance sur un grand nombre de fonctions physiologiques et d’identifier de nouveaux facteurs, mais aussi, et surtout, de révéler de nouvelles et inattendues communications entre organes. Le squelette en est un parfait exemple et, durant ces quinze dernières années, son importance physiologique n’a fait qu’augmenter.

Vers une nouvelle vision de la physiologie osseuse

Traditionnellement, l’os est considéré comme un organe relativement statique, se caractérisant principalement par ses propriétés mécaniques et d’armature pour le corps. De nombreuses études ont cependant drastiquement changé cette conception classique de l’os: de celle d’un tissu composé uniquement d’un ensemble de tubes calcifiés inertes, à celle d’un organe fonctionnellement plus complexe. Le squelette n’est pas uniquement un organe cible des hormones. C’est un organe endocrine à part entière, sécrétant dans la circulation sanguine au moins trois molécules nécessaires à l’homéostasie physiologique du corps: FGF23 (fibroblast growth factor 23), qui agit sur les tubules proximaux et distaux du rein, en diminuant la réabsorption rénale du phosphate [3]; la lipocaline 2, produite par les ostéoblastes, qui influence la régulation de la balance énergétique par l’hypothalamus [4]; et, enfin, l’ostéocalcine (Ocn), objet principal de cette revue, qui module l’activité de multiples organes régulateurs de la physiologie osseuse [5].

L’Ocn est une protéine de 46 acides aminés, produite par les ostéoblastes, qui peut être γ-carboxylée (par ajout de groupements carboxyles, COOH) au niveau de 3 résidus d’acide glutamique. Cette γ-carboxylation est un mécanisme post-transcriptionel qui confère aux protéines une grande affinité pour les ions minéraux. Elle est à l’origine du stockage de l’Ocn dans la matrice extracellulaire (MEC). Aussi, il a longtemps été suggéré que l’Ocn pouvait être impliquée dans la minéralisation de la MEC osseuse [5]. Cependant, l’analyse de souris invalidées pour le gène Ocn a démontré que ce n’est en réalité pas le cas. En plus d’être dans la MEC, l’Ocn est également présente dans la circulation sanguine, suggérant sa participation au rôle endocrine du squelette. L’Ocn présente la caractéristique inédite d’être produite par les ostéoblastes (responsables de la formation osseuse) et d’être secondairement bioactivée par l’action des ostéoclastes (responsables de la résorption osseuse). Elle est en effet synthetisée par les ostéoblastes sous une forme inactive (γ-carboxylée), qui s’accumule dans la MEC. Les ostéoclastes, en créant une zone de résorption osseuse dans la MEC, générent le pH acide (4,5) qui est nécessaire et suffisant pour l’activation de l’Ocn, par décarboxylation des trois résidus glutamiques [5-9] (inline-graphic medsci20183401p54-img2.jpg).

➔) Voir la Nouvelle de C.B. Confavreux et M. Ferron, m/s n° 1, janvier 2008, page 21, et la Synthèse de V. Le Doan et V. Marcil, m/s n° 4, avri 2017, page 417

Pour les vertébrés, le maintien d’une qualité osseuse élevée et d’excellentes propriétés biomécaniques est essentiel. L’os a ainsi la capacité de se renouveler constamment au cours de la vie grâce au processus de remodelage osseux. Ce processus biphasique assure d’une part la destruction de l’os pré-existant et d’autre part, la formation de novo de la matrice osseuse [10,11]. Ces deux phases sont réalisées par des cellules spécifiques de l’os: les ostéoclastes, pour la résorption osseuse; et les ostéoblastes, pour la formation de l’os. Le remodelage osseux se produit constamment et simultanément dans de nombreux points du corps. Mécanisme très coûteux en énergie, il doit donc être coordonné avec le métabolisme énergétique [2]. Cette notion de coordination est le premier indice physiologique permettant de relier l’os au métabolisme énergétique. L’observation clinique en a fourni d’autres. L’anorexie mentale se caractérise par un arrêt complet de la croissance squelettique chez les enfants, et, chez l’adulte, à une ostéoporose. Les patients adultes obèses présentent, à l’inverse, une masse osseuse supérieure à la norme, ce qui tend à les protéger de l’ostéoporose [12, 13]. La plupart des fonctions physiologiques repose sur des boucles de rétrocontrôle. La possibilité d’un contrôle de l’os sur le métabolisme énergétique a donc été envisagée.

La première évidence de ce contrôle a été obtenue en biologie cellulaire. Le surnageant d’une culture d’ostéoblastes est en effet capable d’induire l’expression des gènes qui codent l’insuline, dans des îlots pancréatiques, et l’adiponectine, dans des cultures d’adipocytes. Cette induction d’expression de gènes n’est cependant pas observée lorsque le surnageant provient d’ostéoblastes incapables de produire l’Ocn [14, 15], suggérant ainsi un rôle endocrine de cette protéine. Des analyses réalisées in vivo ont étayé cette hypothèse d’une action de l’Ocn sur la production des hormones en démontrant que des souris invalidées pour le gène codant l’Ocn (Ocn-/-) présentaient d’importants défauts métaboliques, et une augmentation de la masse grasse [15-17]. Ces souris sont en fait hypoinsulinémiques, ce qui révèle à la fois un défaut de la sécrétion et de la production d’insuline. Elles présentent également une diminution de la prolifération des cellules β du pancréas [18, 19], une intolérance au glucose, une résistance à l’insuline et une perturbation de l’homéostasise du glucose [15, 20, 21]. Enfin, l’injection d’Ocn augmente la sensibilité à l’insuline dans le foie, le muscle et le tissu adipeux [15] chez des souris sauvages (Figure 1).

Ces observations ont été vérifiées chez l’homme. En effet, le traitement d’îlots pancréatiques humains par la forme décarboxylée de l’Ocn, induit la production d’insuline et l’expression de CDK2 (cyclindependent kinase 2) et Cdk4 (cyclin-dependent kinase 4), deux molécules nécessaires à la prolifération des cellules β du pancréas [22]. De nombreuses études ont, d’autre part, montré que les niveaux d’Ocn circulante étaient inversement corrélés à l’indice de masse corporelle, à la masse grasse, à l’intolérance au glucose et aux niveaux d’insuline circulante [21-24]. Les récepteurs de l’insuline (InsR) et de l’adiponectine (AdipoR) sont exprimés par les ostéoblastes. En vertu des principes fondateurs de la physiologie intégrative tels que définis par Claude Bernard, ces deux hormones pourraient donc influencer la production, la sécrétion et/ou la bioactivation de l’Ocn. Il a ainsi été montré que l’inactivation sélective d’InsR dans les ostéoblastes (souris InsRosb-/-), entraîne une intolérance au glucose et une diminution de la sécrétion d’insuline [14]. Une série d’analyses a également démontré que l’activation de la voie de signalisation de l’insuline dans les ostéoblastes favorisait la résorption osseuse en inhibant l’expression du gène codant l’ostéoprotégérine (Opg), un important inhibiteur de l’activité des ostéoclastes. L’insuline contribue donc à l’acidification de l’ECM [6-8] en augmentant la résorption osseuse et, en conséquence, favorise la bioactivation de l’Ocn par sa décarboxylation [6-8]. L’adiponectine, quant à elle, favorise la formation osseuse et, par conséquent, la production d’Ocn par les ostéoblastes (Figure 1).

Cette première démonstration a conduit à la question suivante: l’Ocn, comme la plupart des hormones, régule-t-elle d’autres organes et fonctions physiologiques ?

Le squelette, contrôleur de la reproduction masculine

Les hormones stéroïdiennes, œstrogènes et androgènes, favorisent le développement et le maintien des fonctions reproductrices. Elles sont aussi d’importants régulateurs de la physiologie osseuse: elles régulent la croissance, la maturation et le maintien du squelette [25-27]. L’importance biologique de cette régulation est révélée par les pertes osseuses importantes déclenchées dans les deux sexes, par l’insuffisance gonadique [25-27]. Cette modulation du remodelage osseux par les gonades a conduit à examiner l’existence d’une possible communication croisée entre ces deux organes.

Des cultures d’explants testiculaires de souris en présence de surnageant de culture d’ostéoblastes ont montré qu’un, ou des, facteurs sécrétés par les ostéoblastes, favorisaient la production de testostérone. Cette première analyse a été confirmée par l’utilisation de cultures primaires de cellules de Leydig, les cellules qui produisent la testostérone dans les testicules. En revanche, aucune modification notable n’a été observée dans des cultures d’explants ovariens, suggérant que l’effet des facteurs sécrétés par les ostéoblastes se limitait au mâle. In vivo, un modèle de souris DTAosb (un modèle de souris génétiquement modifiées dans lesquelles les ostéoblastes peuvent être éliminés après injection à l’animal de la toxine diphtérique), qui présentent une diminution drastique d’ostéoblastes et un taux d’Ocn bioactive réduit, a permis de montrer que l’ablation des ostéoblastes influençait les taux circulants de testostérone [28]. Les souris mâles Ocn-/- présentent également un taux de reproduction nettement inférieur à celui des souris sauvages. L’Ocn pourrait donc être l’une des, ou la, molécule(s) sécrétée(s) par les ostéoblastes qui agiraient sur la production de testostérone par les cellules de Leydig. L’effet direct de l’Ocn a pu être vérifié en utilisant des cultures d’explants de testicules et des cultures primaires de cellules de Leydig. L’analyse de souris déficientes en Ocn a confirmé le rôle de la protéine, in vivo. Les souris Ocn-/- présentent en effet une diminution de la taille des testicules, des épididymes et des vésicules séminales, une spermidie réduite de 50 %, un niveau de testostérone circulant bas, et un défaut de maturation des cellules de Leydig [27, 29]. Chez l’homme, le rôle de l’Ocn sur la régulation de la production de testostérone se vérifie par des études qui démontrent que les niveaux de la protéine et le renouvellement de l’os sont tous deux corrélés aux taux circulants de testostérone [30-33].

Généralement, l’identification d’une hormone « nouvelle » conduit immédiatement à la question de son mécanisme d’action, au sein de ses cellules cibles. Le rôle stimulateur de l’Ocn sur la production d’AMPc dans les cellules β du pancréas et les cellules de Leydig des testicules était connu [5-8, 15, 29]. Il suggérait que son récepteur devait probablement appartenir à la famille des récepteurs couplés aux protéines G (GPCR, pour G protein-coupled receptor family). Parmi plus de 150 GPCR orphelins examinés, quatre se sont révélés être exprimés dans les cellules de Leydig. L’inactivation de l’un d’entre eux, Gprc6a (G protein-coupled receptor family C group 6 member A), s’est traduite par l’apparition de phénotypes métaboliques et de reproduction qui étaient similaires à ceux observés dans les souris Ocn-/- [27, 29, 34-36] (Figure 2).

Plusieurs approches ont permis de démontrer que GPRC6A était effectivement, au niveau des cellules de Leydig, un récepteur de l’Ocn. Tout d’abord, l’ inactivation spécifique du gène Gprc6a dans les cellules de Leydig de souris révèle un phénotype de reproduction identique à celui de souris Ocn-/-. Ensuite, en l’absence d’expression de GPRC6A, l’interaction entre l’Ocn et les cellules de Leydig, de même que l’effet de l’Ocn sur la production d’AMPc, se révèlent impossibles. Enfin, les souris « double hétérozygotes » (pour lesquelles une copie d’Ocn et une copie de Gprc6a ont été éliminées), présentent un phénotype de reproduction semblable à celui des souris Ocn-/- et Gprc6a-/- [27, 29, 34, 35]. L’insuline et la résorption osseuse influençant la bioactivité de l’Ocn [6-8, 37], il en est de même pour les souris invalidées pour le récepteur de l’insuline, sélectivement dans les ostéoblastes (InsRosb-/-), qui présentent des défauts de fertilité similaires à ceux des souris Ocn-/- et Gprc6a-/- [29, 38]. L’analyse de souris double hétérozygotes (dépourvues d’un allèle de insR dans les ostéoblastes et d’un allèle d’Ocn ou de Gprc6a) montre que la voie de signalisation de l’insuline dans les ostéoblastes régule, en modulant sa bioactivation, les fonctions endocrines de l’Ocn sur la biosynthèse de la testostérone (Figure 2), ce qui suggère l’existence d’un axe de régulation « pancréas-os-testicule » de la fertilité masculine [27, 29, 38].

La caractéristique unique du phénotype de fertilité observé dans les souris Ocn-/- et Gprc6a-/- a fourni une opportunité d’explorer, du point de vue génétique, l’importance de la voie de signalisation de l’Ocn chez l’homme. Les souris déficientes pour Ocn ou pour Gprc6a présentent en effet un hypogonadisme associé à une diminution des taux de testostérone et une augmentation de ceux de LH (luteinizing hor-mone), des caractéristiques retrouvées dans un syndrome rare mais bien défini chez l’homme, l’insuffisance testiculaire périphérique [27, 38]. Une analyse génomique systématique des locus OCN et GPRC6A au sein d’une cohorte de patients atteints de ce syndrome a permis d’identifier deux patients qui portaient une mutation (F464Y) dans l’exon 4 de GPRC6A et qui présentaient, également, un syndrome métabolique, caractérisé par une intolérance au glucose et une hyperinsulinémie [38].

L’os, un régulateur du développement et des fonctions cognitives du cerveau

Durant les 15 dernières années, des études génétiques réalisées chez la souris et chez l’homme, ont montré que le cerveau exerçait un rôle sur la physiologie du squelette. Le cerveau inhibe en effet la croissance osseuse via l’activation du système nerveux sympathique [2, 5, 39, 40]. La démonstration que l’os puisse influencer de multiple fonctions physiologiques selon une boucle de rétrocontrôle [2, 5] a donc conduit à la question de savoir si le squelette pourrait effectivement influencer, directement ou indirectement, certaines fonctions cérébrales. Cette analyse a porté sur l’Ocn, pour, au moins, deux raisons majeures: la première est que de nombreuses dysplasies squelettales affectant la formation osseuse, sont également associées à des troubles comportementaux importants; il en est ainsi dans les dysplasies cleidocraniales (DCC), des pathologies ayant pour origine une haplo-insuffissance du gène RUNX2 (Runt-related transcription factor 2) [41-45], principal facteur de transcription d’Ocn [41, 42, 46]. La deuxième raison tient au fait que les souris Ocn-/- présentent en fait, une surprenante passivité, suggérant d’éventuels problèmes comportementaux [23, 45, 47].

En effet, une augmentation importante du niveau d’anxiété et de dépression avec, en parallèle, une diminution des performances de mémoire et d’apprentissage sont observées chez les souris Ocn-/- [23, 47, 48] (Figure 3). L’Ocn favorise la production de trois neurotransmetteurs monoamine: la sérotonine, la noradrénaline et la dopamine. Elle diminue également drastiquement les niveaux de GABA (acide γ-aminobutyrique) [23, 47] (Figure 3). L’Ocn peut traverser la barrière hémato-encéphalique et se lier à différentes régions du cerveau (en particulier l’hippocampe et les noyaux dopaminergiques ventro-tégmentaux). Par ailleur, l’infusion d’Ocn, spécifiquement dans le cerveau de souris Ocn-/-, permet de corriger les phénotypes comportementaux et le niveau de neurotransmetteurs de ces souris et des analyses électrophysiologiques ont montré le potentiel neuroactif de l’Ocn dans le cerveau [23, 45, 47, 48].

Le taux d’Ocn diminue avec l’âge et une coïncidence entre déclin des fonctions cognitives au cours du vieillissement et réduction de la santé osseuse peut également être notée. Une étude examinant le lien potentiel entre niveaux d’Ocn et vieillissement cérébral chez l’homme, a montré une association entre diminution des niveaux d’Ocn et déclin des fonctions de mémoire avec l’âge. L’os, par l’intermédiare de l’Ocn qu’il produit, pourrait donc être un organe clé dans le maintien des fonctions cognitives, au cours de la vie [48, 49].

L’Ocn semble également avoir un rôle important dans le développement du cerveau (Figure 3). Une analyse histologique, réalisée au stade embryonnaire, a en effet permis de montrer que les souris Ocn-/- présentaient un élargissement important des ventricules latéraux du cerveau et une augmentation de l’apoptose neuronale au niveau de l’hippocampe. Sans que l’on puisse l’expliquer, ces manifestations sont plus sévères dans les embryons Ocn-/- issus de mères Ocn-/-. L’Ocn a également été détectée dans des embryons sauvages, à des stades précédant ceux où le gène s’exprime. Elle a aussi, et surtout, été retrouvée dans le sang d’embryons Ocn-/- provenant de mères hétérozygotes. Une source maternelle, transmise à l’embryon, pourrait donc exister. En accord avec cette observation, l’Ocn maternelle (essentiellement sous sa forme bioactive) traverse la barrière placentaire et influence le développement de l’hippocampe en favorisant la survie neuronale [23, 47]. Un possible effet maternel de l’Ocn, une caractéristique commune à d’autres hormones qui sont produites au niveau du placenta ou qui traversent la barrière placentaire au cours du développement embryonnaire, pourrait donc exister. Le rôle précis et les voies moléculaires impliquées dans l’activité de l’Ocn durant l’embryogenèse restent cependant encore à être identifiés.

Il est important de noter que GPRC6A n’est pas exprimé dans les régions cérébrales auxquelles se lie l’Ocn. Les souris Gprc6a-/- présentent un niveau normal de neurotransmetteurs et ne développent pas les troubles comportementaux ou développementaux que l’on observe chez les souris Ocn-/-. Ces observations impliquent que les phénotypes comportementaux retrouvés chez les souris Ocn-/- ne sont pas secondaires aux modifications métaboliques et/ou endocriniennes obser-vées en l’absence d’Ocn [23, 38, 47, 50]. Elles suggèrent surtout la présence d’un second récepteur pour l’Ocn, présent dans le cerveau, un récepteur qui a été en fait récemment identifié: GPR158 [48].

Le muscle et l’os, une intimité…

La proximité physique entre muscle squelettique et os, l’aptitude de l’os à détecter les forces mécaniques, et le fait que la capacité musculaire et la masse osseuse diminuent conjointement ont longtemps suggéré qu’une relation étroite pouvait exister entre ces deux tissus [51-53]. La récente identification des rôles endocrininens de l’os, via l’Ocn, de même que les données cliniques qui montrent que les taux circulants de l’hormone sont doublés au cours d’une activité musculaire prolongée chez l’homme [54, 55], ont conduit, et permis, à Karsenty et al, de tester expérimentalement cette communication possible entre os et muscle.

Au cours de l’exercise physique, l’os, par l’intermédiaire de l’Ocn, facilite l’absorption et l’utilisation de nutriments dans les myofibres, et ceci de plusieurs façons: (1) l’Ocn favorise la décomposition du glycogène en glucose; (2) elle améliore l’absorption du glucose et la glycolyse en contribuant à la translocation du transporteur de glucose GLUT4 vers la membrane plasmique; et (3) elle augmente le catabolisme des acides gras et du glucose. Par ces différents modes d’action au sein des myofibres, la signalisation induite par l’Ocn améliore l’activité du cycle de Krebs qui produit l’ATP nécessaire aux fonctions musculaires [53-55]. L’étude des souris Ocn-/-, et/ou présentant un récepteur Gprc6a inactivé de manière spécifique dans les fibres musculaires (Gprc6aMck-/-), révèle ainsi une diminution drastique des fonctions musculaires [54, 55], ce qui suggère que l’Ocn pourrait être un régulateur endocrinien de l’adaptation à l’exercice chez les souris adultes.

La signalisation de l’Ocn dans les myofibres est responsable, en grande partie, de l’augmentation des taux circulants d’interleukine-6 (IL-6) au cours de l’activité physique (Figure 4). L’IL-6, une cytokine proinflammatoire, se révèle également être une molécule clé de la régulation de la balance énergétique. Elle permet en effet le réapprovisionement des cellules hépatiques en glucose, et des adipocytes, en acides gras, éléments essentiels de la combustion énergétique [54, 55]. (Figure 4). En retour, cette myokine (puisque produite par les myocytes) stimule la résorption osseuse, conduisant à une augmentation de la production de l’Ocn bioactive (Figure 4).

L’analyse de souris Gprc6aMck-/- (inactivée spécifiquement dans les myofibres) a, quant à elle, permis de démontrer que la signalisation de l’Ocn dans les myofibres était nécessaire au maintien de la masse musculaire chez les souris au cours du vieillissement [55]. L’administration aiguë ou chronique d’Ocn augmente en effet la masse musculaire et la capacité d’exercice chez les souris jeunes mais aussi, et surtout, elle permet d’inverser le déclin des fonctions et de la masse musculaire chez les souris âgées [54, 55]. Cette étude met en évidence l’implication de l’Ocn dans le processus de vieillissement. Elle ouvre ainsi de nouveaux champs d’exploration vers d’autres organes particulièrement sensibles au veillissement, comme le cerveau.

Conclusion

Il apparaît donc, aujourd’hui, évident que les fonctions de l’os dépassent le simple cadre de celui d’un organe d’armature pour un corps vertébré. L’os se révéle être en effet un organe qui est la source de plusieurs facteurs qui circulent et modulent de nombreux tissus, et de multiples fonctions physiologiques, fondamentales à la survie de l’organisme, comme la balance énergétique, la balance phospho-calcique, les fonctions de reproduction, l’activité physique contrôlée par le muscle, et même l’activité cognitive et le développement du système nerveux central (Figure 5). L’ensemble de ces fonctions font ainsi du squelette, un organe important pour le maintien de l’homéostasie du corps.

Traditionnellement, le squelette a été considéré comme une victime du processus de vieillissement. Son rôle sur le muscle et sur le cerveau suggère néanmoins qu’il pourrait participer au processus. L’Ocn module des fonctions qui sont fortement perturbées au cours du vieillissement, mais son niveau d’expression et de production diminue drastiquement avec l’âge. Le squelette pourrait être aussi impliqué dans la régulation d’autres tissus et fonctions physiologiques (liés ou non à l’Ocn). L’apport de la génétique de la souris nous permettra d’examiner expérimentalement ces hypothèses.

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