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Med Sci (Paris). 33(12): 1089–1095.
doi: 10.1051/medsci/20173312016.

La mémoire autobiographique/épisodique : le chien, un modèle d’étude ?

Charlotte Duranton,1*a Sarah Jeannin,2*b Thierry Bedossa,3 and Florence Gaunet1

1Laboratoire de psychologie cognitive, université Aix-Marseille, CNRS, UMR7290, Fédération 3C, 3, place Victor Hugo, CS 80249, Bâtiment 9, Case D, 13331Marseille Cedex 03, France
2Laboratoire éthologie, cognition et développement, université Paris Nanterre, Bâtiment BSL, 200, avenue de la République, 92000Nanterre, France
3École nationale vétérinaire d’Alfort, 7, avenue du Général de Gaulle, 94704Maisons-Alfort, France
Corresponding author.
*Les deux auteurs ont contribué de facon égale au travail
 

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Vignette (Utha © Charlotte Duranton).

La mémoire épisodique est la mémoire la plus affectée par les détériorations liées à l’âge ou celles qui résultent de pathologies neurodégénératives, comme les maladies d’Alzheimer, de Parkinson ou d’Huntington [1, 2]. Le chien (Canis familiaris) pourrait représenter un bon modèle pour l’étude des aspects fonctionnels de la mémoire. Il permettrait d’améliorer, en particulier, les connaissances des mécanismes de la mémoire épisodique. Familier de l’homme, il est en effet facile à manipuler, à entraîner, plus que n’importe quelle autre espèce animale. Sa longévité étant plus courte que celle de l’homme, il permet également d’observer sur une durée courte, les altérations dues à l’âge et ainsi de pouvoir développer des interventions préventives ou thérapeutiques afin d’améliorer et/ou réparer les déficits induits, et qui pourront être appliquées à l’homme.

Les mécanismes de mémorisation

La mémoire consiste en la capacité de stocker des informations et de se les rappeler lors d’une sollicitation ultérieurement [3]. Cette compétence particulière se met en place au cours du développement, par un mécanisme d’apprentissage et de mémorisation.

Différentes formes simples de mémorisation existent : l’habituation, qui correspond à un apprentissage afin de ne plus répondre à un stimulus, lorsque celui-ci a été compris comme ne représentant pas un danger ; la sensibilisation, son opposé direct : le sujet apprend à répondre à un stimulus qu’il appréhende, de plus en plus, au fur et à mesure qu’il y est confronté. Ces deux formes de mémorisation sont observées chez tous les animaux, même chez certaines anémones de mer [4], et en particulier chez les chiens qui sont capables d’habituation [5] et de sensibilisation [6].

Une autre forme de mémorisation est aussi identifiable. Il s’agit de la mémorisation associative (ou conditionnement) qui est plus complexe. On distingue en effet le conditionnement classique, aussi appelé pavlovien [7], et le conditionnement opérant, ou skinnerien [8]1. Ces deux formes d’apprentissages se retrouvent chez l’homme et chez d’autres espèces, comme les oiseaux [9], les rats [10] et les chiens [11, 12].

D’autres mécanismes d’apprentissages, comme les apprentissages sociaux, consistent à apprendre et à mémoriser un comportement en examinant un congénère. L’apprentissage par imitation en fait partie [13]. De nombreux cas de ce type d’apprentissage ont pu être mis en évidence et étudiés chez le chien [14, 15].

La mémoire, les mémoires…

Mémoriser et se souvenir, c’est, en fait, être capable d’apprendre de ses expériences et de réutiliser ces apprentissages dans des circonstances nouvelles, faisant appel à ce que l’on a vécu et assimilé ; ces aptitudes particulières sont essentielles pour qu’un individu puisse s’adapter à son environnement, qu’il soit physique ou social [16]. Selon le temps que dure le souvenir de l’événement, après qu’il ait été mémorisé, trois types de mémoire peuvent être distingués :

La mémoire sensorielle. Elle conserve, fidèlement mais très brièvement (pas plus d’une à deux secondes), l’information qui a été captée par les différents organes des sens [17].

La mémoire à court terme. Elle est responsable du stockage temporaire (quelques secondes) des informations [3]. Cette mémoire a une capacité assez limitée (7 items informatifs). Chez l’animal, elle peut être évaluée par deux stratégies. La première consiste à déposer l’animal dans un labyrinthe ; de la nourriture est placée à un endroit et le temps que l’animal prend pour retrouver cette nourriture est ensuite mesuré. Dans un second temps, la nourriture est déposée au même endroit et l’animal remis en condition ; le temps nécessaire pour qu’il la retrouve est alors évalué. Ce test permet de définir l’existence, chez l’animal testé, d’une mémoire spatiale : se souvient-il du « où » ? [3]. Pour la seconde catégorie de tests, aussi appelée tâche d’association retardée [3], un stimulus « S », constitué d’une image, un son ou un objet, est présenté au sujet. Il apprend à y répondre en réalisant une action particulière (« A »), toujours la même. La stimulation est ensuite arrêtée et le sujet laissé seul pendant une période dite de « rétention ». On lui présente ensuite plusieurs stimulus, dont celui qui lui est familier (le stimulus « S »). Le sujet doit alors sélectionner ce stimulus « S », ou réaliser l’action « A » qui lui était associée et qu’il a mémorisée. Ce type de test définit si le sujet présente une mémoire du « quoi » [3]. Par ces tests, il a été montré que les chiens possèdaient une mémoire spatiale (le « où ») [18, 19], mais qu’ils sont également capables de catégoriser des stimulus selon leur ressemblance physique (le « quoi ») [20]. Ils possèdent donc la capacité de mémoriser le « où » et le « quoi »… au moins à court terme.

La mémoire à long terme se définit en opposition à la mémoire à court terme : elle permet de mémoriser des informations au-delà de la capacité et de la durée limitée de la mémoire à court terme, pour un temps illimité [3, 16]. Chez l’homme, la mémoire à long terme se met en place par des expositions répétées à une situation, ou par un effort volontaire et réitéré de l’individu de se souvenir de la situation vécue [16]. Cette capacité de mémorisation a été observée chez les primates non-humains [21] et chez de nombreux oiseaux, qui cachent leur nourriture et gardent le souvenir de l’emplacement où ils l’ont déposée, même après plusieurs mois [22]. Les chiens présentent une telle mémoire à long terme, non seulement pour les objets mais également pour les actions que son entourage a réalisées. Il s’agit donc d’une mémoire à long terme du « quoi ». Ils sont ainsi capables d’imiter une action, réalisée par un homme (par exemple, toucher une cible avec le nez), et de la reproduire sur commande, quelques minutes, voire une heure, après la démonstration [2325].

Au-delà du critère de durée, la mémoire à long terme est subdivisée en deux sous-types de mémoire : la mémoire explicite (ou déclarative), qui correspond au souvenir conscient. Elle se traduit, chez l’homme, par la verbalisation des souvenirs [26] ; et la mémoire implicite (ou non déclarative) qui correspond, elle, aux souvenirs non-conscients [26]. Les capacités motrices comme marcher, faire de la bicyclette, ou conduire une voiture, par exemple, font appel à cette mémoire implicite. Se souvenir d’événements de façon consciente et volontaire, les décrire et les revivre, fait en revanche appel à la mémoire explicite [16]. Les animaux non-humains ne peuvent décrire leurs pensées verbalement. Il est donc communément admis qu’ils ne possèdent pas de mémoire explicite, mais uniquement une mémoire implicite.

Quand, quoi et où : la mémoire épisodique

La mémoire épisodique est une forme de mémoire explicite autobiographique. Elle permet de se souvenir de moments passés (appelés aussi événements autobiographiques), mais également de qui les a réalisés, et de quand ils ont eu lieu. En d’autres termes, elle permet de mémoriser à la fois le « quoi », le « où » et le « quand » [16] (Figure 1).

Développement ontogénique de la mémoire épisodique
Chez l’homme, au cours du développement de l’enfant, apparaît tout d’abord la reconnaissance visuelle. Il s’agit d’un processus par lequel l’enfant reconnaît un item (objet, personne) comme ayant été déjà vu [27]. Cette mémoire peut être évaluée chez les individus non-verbaux, comme les nourrissons ou les animaux non doués de locution. On utilise pour cela, la comparaison de paires visuelles. Ce test repose sur la préférence naturelle des enfants à regarder un nouveau stimulus par rapport à un stimulus qu’ils ont déjà vu et qui leur est familier [27]. Cette préférence du nouveau stimulus a également été observée chez le chien, en utilisant de nouveaux visages humains (ou de congénères) comme stimulus, comparés à des visages familiers [28, 29].

Suivant la mise en place de cette reconnaissance visuelle, s’installe, dès les premiers jours de développement de l’enfant, la reconnaissance relationnelle non-spatiale [27]. Elle correspond à la reconnaissance de relations arbitraires ou accidentelles existant entre des éléments constitutifs d’un événement (reconnaissance des relations entre différents objets sur une image, ou des relations temporelles entre des actions). Chez l’homme, elle apparaît dès l’âge de 9 mois [30]. Il est possible d’évaluer cette reconnaissance relationnelle par des tests dans lesquels on habitue les enfants à une image constituée d’un visage et d’un fond particulier. On leur présente ensuite soit le visage familier auquel ils viennent d’être habitués et deux autres auxquels ils sont également familiers, sur le fond d’image qui a été utilisé au cours de la phase d’habituation, soit des images de trois visages familiers, mais sur un fond différent de celui auquel les enfants ont été habitués. Les enfants regardent préférentiellement le visage sur le fond avec lequel celui-ci était associé. Ce test permet d’évaluer la capacité des enfants à apprendre une relation reliant deux stimulus : un visage et un fond. Un autre test consiste en une tâche d’imitation différée. Cette tâche peut être réalisée par des enfants, mais seulement à partir de 12 mois. Elle consiste à reproduire, après un délai important, une séquence de trois actions réalisées avec une marionnette, qui leur a été montrée par un expérimentateur [31]. À cet âge, ils peuvent apprendre les relations temporelles qui sont associées à des éléments constitutifs d’un événement.

La reconnaissance relationnelle spatiale apparaît ensuite. Il s’agit de la capacité à retrouver, en utilisant les relations entre des objets distants, une cible en l’absence d’indices qui indiqueraient sa localisation [32]. Un test qui consiste à présenter à un sujet plusieurs tasses identiques retournées, dont seules trois recouvrent une récompense alimentaire, permet d’évaluer cette reconnaissance. Le sujet doit se souvenir de l’emplacement des tasses qui dissimulent la nourriture appétente [33]. Dans ce test, des singes de 9 mois [34], et des enfants de 25 mois [33], sont capables de retrouver la nourriture cachée en l’absence d’indices. Cette mémoire relationnelle est initialement spécifique du contexte de l’apprentissage ; elle se généralisera progressivement.

La mémoire épisodique à proprement parler est la dernière mémoire qui apparaît. Il s’agit de la mémoire d’événements qui se déroulent dans un contexte spatio-temporel unique [35].

Les fonctions de la mémoire épisodique
La mémoire épisodique n’est pas nécessaire pour trouver de la nourriture, un abri ou un partenaire sexuel, ni pour éviter des situations de danger. Cependant, étant donnée la nature dynamique de son environnement, la capacité de se rappeler des expériences uniques permet à l’individu d’être plus performant [36] ; c’est là l’avantage adaptatif de ce type de mémoire.

La fonction principale de la mémoire épisodique est donc de permettre à un individu de penser, de raisonner et de planifier le futur grâce à des prédictions et à de nouvelles inférences qu’il réalisera en se souvenant d’évènements passés déjà vécus [37]. Elle est particulièrement utile dans le traitement et l’utilisation d’informations sociales. On la retrouve ainsi chez les espèces hautement sociales [38, 39]. Il existerait en effet une corrélation entre présence de mémoire épisodique et organisations/interactions sociales chez une espèce ; la mémoire épisodique serait importante dans la création et le maintien des liens sociaux [40].

E. Tulving [41] proposait en 2002, que le souvenir d’un épisode repose sur la capacité de l’individu à « voyager mentalement dans le temps » pour revivre des événements spécifiques. Cette capacité requière le « sentiment de soi », un « temps subjectif » et la conscience que l’événement s’est déroulé dans le passé. Cette définition repose néanmoins sur des expériences mentales subjectives relatées verbalement. Elle exclut donc la possibilité d’évaluer la mémoire épisodique chez l’animal (non verbal), et de réfuter l’hypothèse selon laquelle cette capacité serait unique à l’homme. L’absence de mesures objectives de la mémoire n’est pas favorable, non plus, à une exploration chez l’animal. Définir la mémoire épisodique nécessite donc de pouvoir identifier des caractéristiques fondamentales qui peuvent être mesurées expérimentalement.

La mémoire épisodique est définie par deux critères essentiels. Le premier est l’absence d’encodage actif de l’information durant la phase d’exposition à l’événement : le sujet ne cherche pas, de façon active, à se rappeler ce qui vient de se passer. La nature accidentelle, accessoire, de la mémorisation est une propriété essentielle pour parler de mémoire épisodique [24, 42]. Le second critère est que le sujet se rappelle de l’événement en l’intégrant dans son autobiographie « qui, quoi et quand ? » [24, 41, 42].

Les critères comportementaux objectivables de la mémoire épisodique sont donc : (1) le contenu : l’individu se rappelle d’événements (« quoi ») et du contexte de leur apparition (« où » ou « quand » cela est arrivé) ; (2) la structure : les informations relatives à l’événement et à son contexte sont intégrées comme une unique représentation ; (3) la flexibilité : la mémoire peut servir à soutenir un comportement adaptatif dans de nouvelles situations [43].

On a longtemps pensé que la mémoire épisodique était typiquement humaine, mais de récentes études suggèrent que les caractéristiques essentielles de cette mémoire sont présentes chez des animaux non-humains. On parle alors de mémoire de « type » épisodique (episodic-like memory ; « like » car elle s’y apparente et qu’elle ne fait donc pas appel à la verbalisation) [44, 45].

Une intégration du « quoi-où-quand » existe chez certaines espèces de rongeurs [44] ou d’oiseaux [45]. L’exemple typique est celui des geais qui cachent leur nourriture et qui sont capables de se souvenir de l’endroit où ils ont caché tel ou tel type de nourriture, depuis quand, et peuvent estimer si la nourriture d’une cache risque d’être avariée, choisissant alors la cache où se trouve la nourriture la plus récente [45] (Figure 2). Des capacités similaires ont pu être observées chez les grands primates (gorilles, chimpanzés, bonobos et orang-outans) en utilisant le même paradigme que dans l’étude précédente [46].

Le critère de flexibilité, objectivable, est mis en évidence par le fait que la mémoire du « quoi-où-quand » peut être révélée par de nouvelles informations, comme on peut le voir chez certaines espèces d’oiseaux [43] ou de rongeurs [44]. Elle est également révélée par la manifestation spontanée de la mémoire du « quoi-où-quand » (en réponse à une situation inattendue). C’est ainsi le cas chez certaines espèces d’oiseaux qui sont, par exemple, capables de se souvenir de l’endroit où ils se sont précedemment nourris, quand on le leur demande de façon inattendue [47]. Les rongeurs, comme les rats, sont aussi capables de se souvenir spontanément du moment auquel ils ont exploré des objets (quel objet à été exploré avant tel autre), ainsi que de leur emplacement au moment de l’exploration, se comportant comme s’ils les situaient les uns par rapport aux autres, à la fois dans le temps et dans l’espace [48].

Le chien comme modèle d’étude ?
Empiriquement, on peut observer des chiens enterrer leurs os et les déterrer longtemps après. L’absence d’observations contrôlées ne nous permet cependant pas d’éliminer la possibilité qu’ils les retrouvent par taxie olfactive, et non par mémoire du « quoi », du « où » et du « quand ». Les observations empiriques réalisées en situations réelles suggèrent que les chiens sont capables de se souvenir de ce qu’ils doivent faire et où le faire ; en revanche, ce type d’observation ne révèle pas de comportement qui suggère l’intégration, en plus, de la notion du temps.

Très peu d’études concernent l’existence d’une mémoire épisodique chez le chien. Deux concluent à la présence potentielle de mémoire de type épisodique, mais les auteurs reconnaissent que d’autres travaux sont nécessaires pour définitivement conclure à son existence. L’équipe de Fujita [42], à l’université de Kyoto au Japon, a réalisé une étude afin de vérifier que les chiens possédaient bien le premier critère essentiel définissant la mémoire épisodique : sa nature accessoire (c’est-à-dire l’absence d’encodage actif). Dans cette étude, les auteurs ont présenté aux chiens quatre containers contenant des friandises. Ils les ont laissé manger la nourriture présente dans deux des quatre containers, les deux autres leur étant interdits. Les chiens ont été éloignés de la pièce où se réalisait l’expérience durant un certain délai. Ils ont ensuite été ré-introduits dans la pièce et les containers leur ont été à nouveau présentés, mais, cette fois, tous étaient vides. Les chiens se sont dirigés vers les containers qui leur avaient été auparavant interdits et dans lesquels ils n’avaient pas pu manger les friandises (Figure 3). Les chiens semblent donc se souvenir et pouvoir réutiliser une information qu’ils ont mémorisée de façon accessoire, dans une situation inattendue. Ils mémorisent donc le « quoi » et le « où » des épisodes qu’ils ont vécus précédemment. Dans cette expérience, le délai entre les deux étapes n’était que de 20 minutes ; les auteurs encouragent la réalisation d’études complémentaires dans lesquelles le délai entre les deux étapes de l’expérience pourrait être augmenté jusqu’à plusieurs jours.

Dans une étude plus récente, Fugazza et ses collaborateurs [24] ont utilisé la méthode du « do as I do » pour explorer si les chiens se rappelaient d’une action qui avait été réalisée par un homme dans le passé, et qu’ils avaient mémorisée de façon accessoire. Ces chiens avaient au préalable appris que l’instruction « do as I do » était associée à la reproduction d’une action qu’un homme avait réalisée. Les chiens observaient l’action réalisée par la personne. Puis ils étaient placés dans un contexte différent : une séance d’éducation durant laquelle il leur était demandé d’exécuter une consigne d’obéissance, comme suivre l’instruction verbale « couché » communément adressée aux chiens que l’on désire calmer, par exemple. On demandait ensuite aux chiens - dans ce contexte différent et de façon inattendue - de reproduire l’action réalisée par la personne qu’ils avaient observée précédemment : les chiens réussirent à le faire.

Les auteurs concluent que les chiens peuvent donc se rappeler d’événements passés complexes (ici d’actions), même lorsqu’ils ne s’attendent pas à devoir s’en souvenir et à les réutiliser. Ceci suggère selon eux l’existence d’une mémoire de type épisodique chez le chien. Néanmoins, cette étude souffre de certaines faiblesses : les chiens étaient en effet déjà entraînés à réaliser la tâche du « do as I do ». Ils se plaçaient donc dans un mode de travail. Il s’agissait donc d’une tâche qu’ils connaissaient, et au cours de laquelle ils avaient appris à être attentifs aux actions des hommes afin de pouvoir les reproduire plus tard, invalidant ainsi le critère essentiel d’absence d’encodage actif définissant la mémoire épisodique. Enfin, les notions du « où » et du « quand » n’ont pas été évaluées.

Conclusion

L’étude des capacités de mémorisation est un domaine de recherche très récent. Aussi, bien que les travaux entrepris sur la mémoire épisodique chez le chien soient prometteurs, de nouvelles études sont nécessaires pour confirmer l’existence de cette capacité chez cette espèce. Il est probable que les tests liés à la cache de nourriture effectués spontanément par les geais ne soient pas les plus adaptés pour une étude chez le chien. Même si les comportements de cache de nourriture et d’imitation d’une action à un emplacement précis (le « quoi » et le « où ») sont empiriquement observés chez le chien, ils restent rares, difficiles à étudier de façon contrôlée, et ne présentent qu’une importance assez faible chez les chiens de compagnie qui ne sont pas soumis à une vie « à risque ». Les chiens vivent et évoluent dans une environnement social riche. Ils cohabitent et interagissent avec d’autres chiens, des chats ou des humains, qui leur sont plus ou moins familiers. L’existence d’une mémoire épisodique serait liée à la vie en environnement social complexe [40]. Étudier les mécanismes de la mémoire épisodique chez le chien pourrait permettre de mieux comprendre la mise en place de cette capacité chez le jeune enfant (non verbal) [49] grâce à des études en cognition comparée [50]. Si l’existence de mémoire épisodique est avérée chez le chien, étudier son évolution au cours de la sénéscence pourrait également aider à mieux comprendre certaines maladies liées aux troubles de la mémoire chez l’homme et, plus particulièrement, chez les personnes agées.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Acknowledgments

Les auteurs remercient Karine Beucler, designer graphiste, pour les illustrations.

 
Footnotes
1 Le conditionnement de Skinner (ou opérant) est un concept qui fonde l’apprentissage sur la punition et la récompense (ou renforcement). Le conditionnement de Pavlov (ou répondant) fonde l’apprentissage sur l’association de n’importe quel stimulus 𠃠 des réactions automatiques de l’organisme.
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