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Med Sci (Paris). 33(12): 1048–1050.
doi: 10.1051/medsci/20173312010.

Trouble bipolaire : nouvelles pistes diagnostiques et thérapeutiques fondées sur la reprogrammation cellulaire

Renata Santos1,2a and Patrick Charnay1

1École normale supérieure, Paris sciences et lettres, CNRS, Inserm, Institut de biologie de l’École normale supérieure (IBENS), 46, rue d’Ulm, F-75005Paris, France
2Laboratory of genetics, The Salk institute for biological studies, 10010 North Torrey pines road, La Jolla, CA 92037, États-Unis
Corresponding author.
 

Le trouble bipolaire est une maladie psychiatrique chronique, caractérisée par des perturbations de l’humeur récurrentes, avec des oscillations entre phases de dépression et d’excitation (état hypomaniaque ou maniaque) [13]. Le trouble bipolaire appartient ainsi, avec d’autres affections, à un spectre de troubles de l’humeur (Figure 1). Il se déclare classiquement à l’adolescence ou au début de l’âge adulte, mais son étiologie reste mystérieuse, bien que des causes génétiques et environnementales aient été identifiées [4] ().

(→) Voir la Synthèse de P. Ellul et al., m/s n° 4, avril 2017, page 404

La prévalence du trouble bipolaire est relativement élevée, de l’ordre de 1 à 2 % de la population mondiale, indépendamment de l’origine ethnique, du groupe socio-économique ou du sexe. Le trouble bipolaire est fréquemment associé à d’autres sources de morbidité psychiatriques, comme l’abus d’alcool et de drogues, ou médicales, comme le diabète et l’obésité. Le risque de décès par suicide est extrêmement élevé (15 à 20 % des patients). Le trouble bipolaire affecte profondément la qualité de vie des patients, leur travail et leur intégration sociale, constituant ainsi une cause majeure d’infirmité au sein de la population des jeunes adultes [5]. Il est considéré, en conséquence, comme un problème mondial de santé publique. Le développement d’une prise en charge précoce des patients, avec un diagnostic rapide, et d’une stratégie de traitement efficace est donc une priorité.

Les symptômes du trouble bipolaire sont hétérogènes : le nombre, la durée et l’intensité des épisodes de dépression et d’excitation sont en effet très variables selon les patients. L’évaluation clinique reste donc un problème majeur. La pose du diagnostic est ardue et peut prendre plusieurs années (en moyenne entre 5 et 10 ans [1]) car les premiers symptômes sont des épisodes dépressifs, et les patients ont des difficultés à reconnaître les épisodes hypomaniaques ou maniaques, ce qui est indispensable pour distinguer le trouble bipolaire de la dépression. À ceci s’ajoute l’absence de bio-marqueurs approuvés pour le diagnostic du trouble bipolaire.

Le traitement s’effectue en deux étapes : la stabilisation de la phase aiguë, qu’elle soit dépressive ou maniaque, et la prévention des récidives avec des traitements à long terme. Le lithium (Li) reste le traitement le plus efficace dans la prévention de l’apparition de nouveaux épisodes maniaques, malgré de sérieux effets secondaires et un index thérapeutique faible [6, 7] ().

(→) Voir la Nouvelle de G. Bellemère et al., m/s n° 1, janvier 2003, page 12

Après avoir posé le diagnostic, les cliniciens sont confrontés à une difficulté : seul un tiers des patients répond au Li par la disparition complète des troubles de l’humeur, et 10 à 20 % ne montrent aucune réponse. Il est de plus impossible de prédire si le patient répondra au Li et d’estimer la durée qui sera nécessaire à la consolidation de la réponse. Même dans le cas de patients présentant une très bonne réponse, un an de traitement est parfois nécessaire pour obtenir ce résultat [6]. Il est donc clair que le développement de nouveaux traitements, qui soient plus efficaces, mieux supportés et présentant des effets secondaires réduits, est indispensable. Pour cela il est nécessaire de développer des modèles animaux et cellulaires, susceptibles de permettre une meilleure compréhension de la physiopathologie de la maladie et de servir de base à la découverte de nouvelles cibles thérapeutiques.

L’équipe de Fred H Gage, au Salk institute for biological studies, a utilisé la reprogrammation de cellules somatiques en cellules souches pluripotentes induites (iPS) pour produire in vitro des neurones dérivés de patients atteints de trouble bipolaire. En 2015, elle a montré que les neurones de patients sont hyperexcitables en comparaison de ceux d’individus témoins [8]. Plus intéressant, le traitement des cultures neuronales par le Li permet de réduire l’activité des neurones dérivés des patients qui répondent au Li (LR pour lithium responsive), mais pas de ceux provenant de patients non répondeurs (NR, non responsive). Dans un article récemment publié dans Molecular Psychiatry, Stern et al. ont étendu ces résultats en utilisant une nouvelle cohorte de patients et ont développé une méthode permettant de prédire la réponse d’un patient au Li avec plus de 92 % de fiabilité [9].

Prédiction de la réponse au lithium et recherche de nouvelles molécules thérapeutiques contre le trouble bipolaire

La complexité du trouble bipolaire, l’imprécision du diagnostic, et la méconnaissance de la génétique et de la physiopathologie de la maladie, constituent des obstacles au développement de nouvelles stratégies thérapeutiques [3]. Une percée récente dans le domaine a cependant été fournie par la technologie de reprogrammation de cellules somatiques en cellules iPS [10], qui permet d’aborder l’analyse des mécanismes neuronaux à l’origine de maladies psychiatriques (Figure 2). Mertens et al. ont ainsi dérivé des cellules iPS à partir de fibroblastes de la peau de six patients atteints de trouble bipolaire (trois LR et trois NR) et de quatre individus sains. Les cellules iPS ont ensuite été utilisées pour obtenir, par différenciation, des neurones similaires aux cellules granulaires du gyrus dentelé de l’hippocampe [8], une des régions du cerveau affectées chez les patients atteints de trouble bipolaire [1]. Une analyse électrophysiologique a montré une augmentation du nombre de potentiels d’action dans les neurones dérivés des patients par rapport aux neurones témoins. Cette hyperactivité, observée dans les neurones dérivés de patients, pouvait être réduite par le Li uniquement dans les neurones des patients LR [8]. Cette étude est marquante dans la mesure où elle a mis en évidence un phénotype neuronal au niveau cellulaire et démontré le potentiel de ce modèle pour distinguer les patients LR des patients NR.

Une limitation des modèles utilisant des cellules iPS est que, du fait de contraintes techniques et de coût, seul un faible nombre de patients peut être, en général, analysé [11]. Dans ce contexte, Stern et al. ont entrepris de reproduire les observations précédentes, en utilisant une cohorte de taille similaire, mais diagnostiquée par un autre psychiatre, afin de palier les difficultés liées aux critères diagnostiques [9]. Dans cette étude, ce sont des cellules sanguines, des lymphocytes B immortalisés, qui ont été choisies comme type cellulaire somatique pour la reprogrammation car leur prélèvement est moins invasif pour le patient que celui des fibroblastes de la peau. L’analyse des caractéristiques électrophysiologiques des cellules différenciées en neurones granulaires du gyrus dentelé a confirmé les résultats publiés précédemment. Les neurones des patients atteints de trouble bipolaire étaient bien hyperactifs en comparaison des neurones témoins, et le Li a induit une baisse de l’activité seulement dans les neurones dérivés des patients LR [9]. Les analyses électrophysiologiques des neurones ont également montré que des différences intrinsèques importantes existaient entre les cellules issues de patients LR et celles isolées de patients NR. Ceci a conduit à examiner si ces différences permettaient de prédire la réponse au Li des neurones. Pour répondre à cette question, une méthode d’apprentissage automatique fondée sur un classificateur naïf bayésien1, utilisant huit paramètres électrophysiologiques a été mise en place. Les données des neurones provenant de cinq patients ont été utilisées pour réaliser l’apprentissage. Les données des neurones d’un sixième patient ont subi le test de la classification en LR ou NR. Les résultats ont montré qu’il est possible de prédire la réponse au Li d’un patient avec une probabilité supérieure à 92 % sur la simple base de l’analyse électrophysiologique de neurones de cinq patients, nécessaire pour l’apprentissage [9]. L’utilisation en clinique de cette technique pour le diagnostic n’est pas envisageable dans l’immédiat car la reprogrammation des cellules en neurones est encore trop longue et laborieuse. Néanmoins, ces deux études pionnières [8, 9] démontrent que la reprogrammation en iPS et les endophénotypes décrits (une hyperactivité et la réponse au Li), s’avèrent très robustes ; ils pourront être utilisés pour la recherche de nouvelles molécules thérapeutiques.

Le domaine des cellules souches est en pleine expansion. Il promet des développements techniques rapides qui permettront de réelles avancées dans la compréhension de l’étiologie et de la physiopathologie du trouble bipolaire, et permet d’envisager la découverte de cibles susceptibles de conduire à l’élaboration de nouveaux médicaments.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Acknowledgments

Nous remercions Fred H. Gage, Anne Bang, Martin Alda et les membres de leurs laboratoires pour leur collaboration dans les travaux qui ont servi de base à cet article.

 
Footnotes
1 La classification naïve bayésienne est une classification probabiliste simple fondée sur le théorème de Bayes et l’hypothèse que toutes les paires de variables sont indépendantes. La probabilité d’un événement est déduite à partir d’événements déjà évalués.
References
1.
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2.
Grande I, Berk M, Birmaher B, Vieta E. Bipolar disorder Lancet. 2016; ; 387 : :1561.–1572.
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Kim Y, Santos R, Gage FH, Marchetto MC. Molecular mechanisms of bipolar disorder: progress made and future challenges . Front Cell Neurosci. 2017; ; 11 : :30..
4.
Ellul P, Groc L, Leboyer M. Les rétrovirus endogènes humains, une implication dans la schizophrénie et le trouble bipolaire . Med Sci (Paris). 2017; ; 33 : :404.–409.
5.
Carta MG, Angst J. Screening for bipolar disorders: a public health issue . J Affect Disord. 2016; ; 205 : :139.–143.
6.
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7.
Bellemère G, Jégou S, Vaudry H. Vers de nouvelles cibles thérapeutiques pour les psychoses maniaco-dépressives . Med Sci (Paris). 2003; ; 19 : :12.–14.
8.
Mertens J, Wang QW, Kim Y, et al. Differential responses to lithium in hyperexcitable neurons from patients with bipolar disorder . Nature. 2015; ; 527 : :95.–99.
9.
Stern S, Santos R, Marchetto MC, et al. Neurons derived from patients with bipolar disorder divide into intrinsically different sub-populations of neurons, predicting the patients’ responsiveness to lithium . Mol Psychiatry. 2017; Feb 28. doi: 10.1038/mp.2016.260.
10.
Takahashi K, Yamanaka S. Induction of pluripotent stem cells from mouse embryonic and adult fibroblast cultures by defined factors . Cell. 2006; ; 126 : :663.–676.
11.
Harrison PJ, Cader MZ, Geddes JR. Reprogramming psychiatry: stem cells and bipolar disorder . Lancet. 2016; ; 387 : :823.–825.