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Med Sci (Paris). 33(12): 1029–1032.
doi: 10.1051/medsci/20173312004.

Quatre petits jours pour définir la taille adulte

Juliane Glaser1 and Deborah Bourc’his1a

1Épigénétique et reproduction chez les mammifères, Paris sciences et lettres, section recherche, CNRS, Inserm, Institut Curie, 26, rue d’Ulm, 75248Paris Cedex 05, France
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Chez les mammifères, certains gènes font fi des règles mendéliennes et ne sont exprimés qu’en une seule « dose », à partir de l’allèle maternel ou paternel. Ce phénomène, connu sous le nom d’empreinte parentale, résulte de la très grande divergence des profils de méthylation transmis par l’ovocyte et le spermatozoïde [1, 2] ().

(→) Voir la Synthèse de C. Proudhon et D. Bourc’his, m/s n° 5, mai 2010, page 497

Ces différences sont généralement effacées dans l’embryon après fécondation, sauf pour les régions soumises à empreinte, qui ont la capacité exceptionnelle de conserver une mémoire parentale [3] (Figure 1A et B). L’empreinte gamétique maternelle, qui dépend de marques de méthylation héritées de l’ovocyte, a un rôle dominant sur le contrôle de la centaine de gènes soumis à empreinte (GSE) répertoriés chez la souris et chez l’homme. D’un point de vue fonctionnel, la dose mono-allélique des GSE est déterminante pour le développement in utero, notamment via les échanges entre la mère et le fœtus, mais également après la naissance, pour le développement du cerveau et les fonctions métaboliques [4].

L’empreinte parentale peut exister sous différentes formes

Dans le cas de l’empreinte parentale classique, telle qu’on la connaît depuis sa découverte dans les années 1980 [5, 6], les marques de méthylation différentielles parentales sont maintenues invariablement tout au long de la vie et dans tous les tissus. Cependant, notre laboratoire a récemment identifié une forme d’empreinte dite « transitoire » qui échappe à ce dogme [7]. Les empreintes classique et transitoire sont indistinctes pendant les premiers jours de développement embryonnaire, mais elles divergent au moment de l’implantation de l’embryon dans l’utérus. Contrairement à l’empreinte maternelle classique, où les profils de méthylation hérités de l’ovocyte persistent (Figure 1B), les différences parentales sont nivelées dans le cas de l’empreinte transitoire, soit par perte de méthylation maternelle, soit par gain de méthylation paternelle (Figure 1C). Dans ce dernier cas, le phénomène est particulièrement intriguant : les gènes concernés ne s’expriment (en une seule copie) que pendant une très courte période (de 4 jours chez la souris à 7 jours chez l’homme), avant d’être mis définitivement sous silence. Quel est le rôle de l’empreinte transitoire ? Est-ce que les gènes concernés, exprimés de manière éphémère dans l’embryon, ont un rôle immédiat sur le développement précoce ? Pourraient-ils avoir un effet sur le plus long terme ? L’empreinte transitoire soulève ainsi la question très actuelle de la programmation des phénotypes adultes dès les premiers jours de l’embryon. Notre équipe s’est intéressée à cette problématique et a récemment publié un article dans la revue Nature Genetics démontrant de manière formelle l’influence d’évènements épigénétiques précoces sur la physiologie adulte, et cela en prenant pour modèle le locus Zdbf2 soumis à empreinte parentale transitoire [8].

Le locus Zdbf2 chez la souris : un modèle intriguant d’empreinte parentale transitoire

Le gène Zdbf2 (zinc finger DBF-type containing 2), localisé sur le chromosome 1 chez la souris, et sur le 2 chez l’homme, n’est exprimé qu’à partir de l’allèle paternel, majoritairement dans le cerveau, et plus fortement dans l’axe hypothalamo-hypophysaire. Dans l’embryon préimplantatoire, Zdbf2 est transcrit sous une forme alternative plus longue, appelée Liz (long isoform of Zdbf2), dont le promoteur est régulé par empreinte maternelle transitoire [9]. La transcription de Liz dans l’embryon est associée à l’acquisition d’une marque de méthylation secondaire, déposée sur son chemin, en amont du promoteur canonique de Zdbf2. Cette marque n’apparaît que sur l’allèle paternel, puisque sur l’allèle maternel, Liz est réprimé par la méthylation héritée de l’ovocyte. De manière intéressante, alors que Liz disparaît définitivement au moment de l’implantation, la marque épigénétique qu’il a laissée sur son passage est stable pour le reste de la vie somatique [9] (Figure 2A). De plus, cette marque est associée à l’activation du promoteur canonique de Zdbf2 exclusivement à partir de l’allèle paternel. Le locus Zdbf2 est ainsi sujet à une empreinte inhabituellement dynamique : sous influence d’une empreinte maternelle pendant les premiers jours de développement, une empreinte paternelle somatique prend le relais au bout d’une semaine et perdure tout au long de la vie. Ce mode complexe de régulation pose la question du rôle de l’expression fugace de Liz sur la régulation à long terme du locus, via le dépôt d’une signature qui, elle, est indélébile.

Liz, un « interrupteur épigénétique » dans l’embryon préimplantatoire

Afin d’élucider le rôle de Liz chez la souris, nous avons supprimé sa transcription in vivo par la méthode d’édition CRISPR-Cas9 [10]. En l’absence de Liz, les embryons sont incapables d’acquérir la marque de méthylation somatique en amont du promoteur de Zdbf2 et, plus tard au cours de la vie, d’activer l’expression de Zdbf2 dans le cerveau, alors que sa séquence génétique est parfaitement intacte (Figure 2B). En accord avec le statut d’empreinte de Liz, ce défaut n’est observé que lors de la transmission paternelle de la délétion de Liz ; la transmission maternelle de la délétion est muette, puisque l’allèle maternel de Liz est normalement silencieux. L’utilisation parallèle de cellules souches embryonnaires (ES) en culture nous a permis de comprendre le mécanisme moléculaire par lequel Liz agit : la région en amont du promoteur de Zdbf2 est occupée par défaut par un bloc de marques chromatiniennes répressives de triméthylation de la lysine K27 de l’histone H3 (H3K27me3) déposée par le complexe polycomb1 [11]. La méthylation de l’ADN et celle de H3K27 sont connues pour leur relation antagoniste [11]. La méthylation de l’ADN déposée par Liz permet ainsi de dissoudre localement cette chape répressive dans l’embryon précoce : ceci est indispensable pour libérer le promoteur de Zdbf2, amorçant de manière préemptive son expression en vie post-natale (Figure 2). Liz apparaît ainsi comme un « interrupteur épigénétique », essentiel à la programmation de l’activation du gène Zdbf2 dans le cerveau adulte et ce, dès les quatre premiers jours de développement de l’embryon.

Programmation irréversible de la taille adulte dans l’embryon préimplantatoire

Dans l’embryon, Liz orchestre le remplacement de marques polycomb (méthylation d’histones) par des marques de méthylation de l’ADN, ce qui est nécessaire à l’activation de Zdbf2. Mais quelle est la signification biologique d’un tel ballet épigénétique ? Bien qu’exprimé exclusivement dans l’embryon précoce, Liz n’a aucun effet sur celui-ci : les embryons dans lesquels Liz est muté sont viables, se développent normalement et ne présentent aucun défaut. De même, les souris adultes dérivées des embryons mutés pour Liz sont parfaitement viables et fertiles. Ces souris présentent cependant, dés la naissance, un défaut de croissance hautement pénétrant. Ce phénotype de petite taille concerne tous les organes. Il culmine à l’âge de deux semaines, avec une réduction d’environ 20 % du poids, et est maintenu chez la souris adulte [8]. L’expression éphémère de Liz dans l’embryon est donc nécessaire pour programmer à long terme le potentiel de croissance post-natal.

Conclusions/Perspectives

L’étude fonctionnelle du transcrit Liz, soumis à empreinte transitoire, fournit une des très rares démonstrations formelles de l’existence d’une programmation épigénétique précoce de la physiologie adulte. En l’absence de Liz dans l’embryon, Zdbf2 ne peut être activé dans le cerveau après la naissance et les souris présentent une forme de nanisme. Nos travaux en cours visent à tester si, à l’inverse, une double dose de Zdbf2 pourrait conduire à un phénotype de gigantisme. La fonction de la protéine ZDBF2 est inconnue, mais un rôle dans le contrôle endocrine de la croissance est suspecté car Zdbf2 est fortement exprimé dans l’axe hypothalamo-hypophysaire. En conclusion, Zdbf2 est un gène stimulateur de croissance post-natale dont l’expression est épigénétiquement programmée dès les premiers jours de développement. Compte-tenu de la conservation de l’empreinte transitoire du locus Zdbf2 chez l’homme, il est tentant de prévoir que des perturbations de ce locus dans les gamètes ou l’embryon, par des voies génétiques ou environnementales (techniques d’assistance médicale à la programmation ou régimes maternels sub-optimaux) pourraient avoir un impact sur la détermination de la taille dans les populations humaines.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 Les protéines du groupe polycomb (PcG) assurent le dépôt de la méthylation de l’histone H3(K27) sur les promoteurs inactifs.
References
1.
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