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Med Sci (Paris). 33(10): 846–848.
doi: 10.1051/medsci/20173310011.

La spironolactone : somnifère du VIH dans les lymphocytes T ?

Benoît Lacombe1 and Bertha Cecilia Ramírez1*

1Équipe rétrovirus, quiescence et prolifération. Institut Cochin, Inserm U1016, CNRS, UMR8104, université Paris Descartes, Sorbonne Paris Cité, Paris, France
Corresponding author.

MeSH keywords: VIH (Virus de l'Immunodéficience Humaine), Humains, Spironolactone, Lymphocytes T, Réplication virale, effets des médicaments et substances chimiques, pathogénicité, physiologie, pharmacologie, virologie

 

Le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) est le rétrovirus responsable du syndrome de l’immunodéficience acquise (Sida). Son génome est composé de deux molécules d’ARN qui sont rétro-transcrits en ADN proviral inséré dans le génome de la cellule infectée, où il persiste tout au long de la vie de l’hôte. Le virus met à son profit les machineries moléculaires de la cellule qu’il a infectée. En conséquence, comprendre les mécanismes par lesquels le virus détourne ces processus cellulaires à son profit est un enjeu majeur pour développer des stratégies visant à contrôler et limiter la multiplication virale chez les patients.

De nombreuses molécules à usage thérapeutique ciblant le virus lui-même sont disponibles. Cependant, à ce jour, aucune d’entre elles n’est capable d’éradiquer ce dernier. Le développement, chez les patients, de variants viraux résistants aux molécules antirétrovirales, ainsi que la présence des cellules réservoirs qui contiennent une forme latente du virus (provirus), sont des obstacles majeurs pour éliminer celui-ci, et donc pour prévenir le développement du Sida chez les patients séropositifs. Un exemple de cellules réservoirs est la cellule dendritique folliculaire des ganglions, dans laquelle le virus persiste, même chez les patients sous thérapie antirétrovirale [1] ().

(→) Voir la Nouvelle de H. Dutartre, m/s n° 10, octobre 2016, page 803

De nouvelles pistes sont ainsi activement explorées afin d’augmenter l’efficacité des traitements, de limiter l’apparition des virus résistants, ou pour maintenir les virus définitivement inactifs dans ces cellules réservoirs.

Une des étapes essentielles du cycle de multiplication du virus, aujourd’hui non ciblée par les molécules antivirales, est la transcription de l’ADN proviral intégré dans le génome de la cellule infectée. Cette étape permet la production des éléments constitutifs du virus : son génome (ARN), les éléments indispensables à sa réplication, et les protéines formant la particule virale, ou virion. La transcription de l’ADN proviral intégré dépend de la machinerie transcriptionnelle de la cellule hôte mais aussi de la protéine virale Tat (trans activator of transcription). Elle est initiée à l’extrémité 5’ du génome viral, au niveau de la séquence LTR (long terminal repeat), grâce au recrutement de facteurs cellulaires et viraux sur des séquences spécifiques du promoteur (Figure 1). Les acteurs d’origine cellulaire, essentiels à cette étape de transcription, sont l’ARN polymérase II (Pol II) et les nombreux facteurs généraux de la transcription (ou GTF, pour general transcription factors). Parmi ces facteurs, l’un a particulièrement attiré notre attention. Il s’agit du complexe de transcription II humain (TFIIH) et de l’une de ses 10 sous-unités, la protéine Xeroderma pigmentosum group B (XPB) qui possède une activité hélicase/translocase qui dépend de l’ATP. Ce complexe a deux rôles dans la transcription. Le premier est d’ouvrir l’ADN, à proximité de l’ARN Pol II, grâce à l’activité hélicase/translocase de la protéine XPB. Le second est de phosphoryler le domaine C-terminal de l’ARN Pol II, grâce à la protéine-kinase CDK7 (cyclin dependent kinase 7), ce qui permet d’initier la transcription.

Des molécules actuellement en cours d’évaluation, comme le triptolide (TPL) [2] et le didéhydro-cortistatin A (dCA) [3], montrent des résultats prometteurs quant à l’inhibition de la transcription. Le TPL interagit avec la protéine Tat et inhibe son activité. Il a également des effets sur d’autres composants de la machinerie de transcription, en particulier sur l’ARN Pol II [4] et la protéine XPB [5]. La molécule dCA, quant à elle, se lie de manière covalente à la protéine Tat empêchant son action lors de la transcription du génome viral [3].

Nous avons entrepris de caractériser le rôle de la protéine XPB au cours du cycle du VIH-1, suite à la publication d’observations contradictoires. En effet, XPB a été décrite par certains auteurs comme un facteur antiviral [6, 7] alors que, pour d’autres, elle semble être nécessaire à la réplication du virus [8, 9]. Nous avons étudié l’activité de XPB dans les lymphocytes T en profitant de l’effet de la spironolactone (SP) sur cette protéine. La SP est une molécule utilisée en clinique quotidiennement depuis plusieurs décennies comme antagoniste de l’aldostérone dans le traitement de l’hypertension. En 2014, Alekseev et ses collaborateurs ont démontré que la molécule SP dégrade rapidement XPB, de manière spécifique et réversible [10]. En 2017, les mêmes auteurs ont utilisé la SP pour redéfinir le rôle de la protéine XPB au cours de la transcription [11]. Ils ont alors proposé un nouveau modèle d’initiation de la transcription, dans lequel la dégradation de la protéine XPB par la SP n’affecte pas l’activité transcriptionnelle du complexe TFIIH, mettant ainsi en évidence un mécanisme d’initiation possible en l’absence de XPB. Selon Alekseev et ses collaborateurs, cette protéine agirait comme un inhibiteur de l’initiation de la transcription. La SP outrepasserait cette inhibition pour favoriser un mécanisme d’initiation de la transcription indépendant de l’ATP [11].

Nous avons publié récemment, dans la revue Journal of Virology, les résultats surprenants obtenus dans notre étude sur la SP [12]. En effet, celle-ci bloque très fortement la multiplication du VIH dans les lymphocytes T, sans affecter les processus moléculaires fondamentaux dans lesquels le complexe TFIIH est impliqué. Dans les cellules de la lignée lymphoïde T Jurkat en culture, mais également dans des lymphocytes T CD4+ primaires isolés du sang de donneurs sains, la SP induit une dégradation de la protéine XPB qui est associée à une forte réduction de l’infection virale par les deux virus infectant l’homme, le VIH-1 et le VIH-2 ( Figure 1 ). L’effet de la SP sur l’infection est indépendant de son activité d’antagoniste de l’aldostérone. L’un de ses dérivés, l’éplérénone (EPL), n’influence pas, en effet, l’infection de ces cellules par les deux types de virus. Il faut noter que l’EPL n’entraîne pas la dégradation de la protéine XPB et que ces deux molécules n’affectent ni la viabilité, ni la prolifération, ni les niveaux d’ARN cellulaires évalués dans des lymphocytes T en culture. L’ensemble des résultats que nous avons recueillis, montre que dans les lymphocytes T CD4+, XPB est un facteur nécessaire à la réplication du virus VIH et que la SP n’est pas seulement efficace au début de l’infection des cellules en culture, mais qu’elle bloque également la production virale dans des cellules qui sont infectées depuis plusieurs jours. Différentes expériences ont permis de montrer que cette inhibition de l’infection du VIH par la SP dépendait de la présence de la protéine Tat. En effet, en l’absence de Tat, la SP n’a pas d’effet sur la transcription basale du promoteur LTR du VIH, ou sur la transcription du virus, après activation par le TNF-α (tumor necrosis factor α) ou le PMA (phorbol 12-myristate 13-acétate)1,. En revanche, et de façon surprenante, la SP bloque la transcription du génome viral qui dépend de Tat. Cet effet bloquant est spécifique du promoteur du VIH : la SP n’a pas d’effet sur la transcription du promoteur d’un autre virus tel que le cytomégalovirus (CMV) [12]. Notre étude a donc mis en évidence l’effet antiviral de la SP sur le VIH (Figure 2). Elle démontre également que la protéine XPB est un facteur nécessaire pour l’infection des lymphocytes T par celui-ci.

Nos travaux actuels examinent la capacité de la SP à bloquer la réactivation de la transcription de virus latents. Cette activité de la SP pourrait permettre de bloquer la réactivation transcriptionnelle des réservoirs viraux chez des patients sous traitement antirétroviral. Ainsi, ce blocage de la transcription, dans les cellules réservoirs, pourrait conduire à la mise en sommeil du virus, tout au long de la vie du patient. Cette nouvelle piste pour le traitement du VIH ouvre des possibilités dans le développement d’un inhibiteur transcriptionnel spécifique et efficace, dans le cadre d’une cure fonctionnelle du Sida. De nombreuses recherches sont cependant encore nécessaires afin de confirmer l’inhibition de la réactivation de la transcription du VIH dans des cellules de patients infectées par le virus.

L’action de la SP sur la multiplication du VIH est innovante : elle cible un facteur cellulaire et non plus viral comme les autres antirétroviraux ou molécules testées actuellement. Cibler un facteur de la cellule pourrait limiter l’apparition des virus résistants. La SP est une molécule bien décrite, utilisée en clinique depuis 1959. Il serait particulièrement intéressant de tester son effet dans le cadre d’un traitement antiviral contre le VIH, seule ou en combinaison avec des molécules antirétrovirales. Son faible coût la rend particulièrement compétitive au regard des traitements antirétroviraux qui associent toujours plusieurs molécules.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 Qui est un inducteur de différenciation et agit comme stimulus de la réplication virale.
References
1.
Dutartre H. Les cellules dendritiques folliculaires des ganglions stockent du VIH-1 infectieux malgré les traitements antirétroviraux . Med Sci (Paris). 2016; ; 32 : :803.–805.
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Wan Z, Chen X. Triptolide inhibits human immunodeficiency virus type 1 replication by promoting proteasomal degradation of Tat protein . Retrovirology. 2014; ; 11 : :88..
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