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Med Sci (Paris). 33(6–7): 582–585.
doi: 10.1051/medsci/20173306008.

Immunité humorale anti-adénovirus
Impact sur l’activation des cellules dendritiques

Franck J.D. Mennechet,1* Karsten Eichholz,1 Thi Thu Phuong Tran,1 and Eric J. Kremer1

1Institut de génétique moléculaire de Montpellier (IGMM), CNRS, université de Montpellier, Montpellier, France
Corresponding author.
 

Les adénovirus (Ad) sont des virus non-enveloppés à ADN double brin, responsables d’infections respiratoires, oculaires et gastro-intestinales. Si la plupart des infections sont résolues rapidement sans attention particulière, les adénovirus peuvent parfois conduire à des complications sévères chez des individus immunodéprimés. Au cours de la vie, nous rencontrons fréquemment de nombreux adénovirus (plus de 70 types infectant l’homme sont répertoriés) qui se transmettent généralement par gouttelettes aéroportées ou par simple contact avec des surfaces contaminées. L’infection conduit au développement d’une réponse immunitaire robuste qui nous protège efficacement. Cependant, si de nombreuses études décrivent la réponse immunitaire primaire dirigée contre les adénovirus, peu d’informations sont disponibles concernant l’interface entre la réponse immunitaire humorale (c’est-à-dire les anticorps) anti-Ad et les cellules présentatrices d’antigènes (CPA) lors de situations de réinfections ou d’infections persistantes.

Le but de notre étude a été de mieux caractériser l’impact de la réponse adaptive humorale sur les CPA et de pouvoir, à terme, l’intégrer dans un contexte plus général de modulation de l’immunité antivirale.

La face cachée des anticorps anti-adénovirus

La présence d’anticorps anti-Ad conduit à la formation de complexes immuns (CI) qui permettent d’empêcher l’attachement du virus à ses récepteurs, le désassemblage de la capside, ou faciliter son élimination par phagocytose.

Les CI peuvent également être pris en charge par les CPA via les récepteurs pour la région Fc des immunoglobulines (FcγR) que ces cellules expriment. Par conséquent, la présence d’anticorps anti-Ad peut considérablement modifier l’efficacité thérapeutique d’un vecteur dérivé d’Ad. Ces vecteurs, fréquemment utilisés en thérapie génique et en vaccination, ont l’avantage de ne pas s’intégrer au génome, tout en permettant une expression stable du transgène dans certains tissus [1] (). Notre étude montre que des complexes immuns formés entre adénovirus et anticorps anti-Ad (CI-Ad) déclenchent une forte réponse immunitaire naturelle conduisant à la pyroptose des cellules dendritiques (CD) [2]. La pyroptose [3], ou « mort cellulaire dépendante de la caspase 1 », est une forme de mort cellulaire programmée jouant un rôle crucial dans l’inflammation et dans l’élimination de certains pathogènes intracellulaires (Figure 1). L’impact, chez l’hôte, de la pyroptose aboutissant in fine à la mort des CD reste encore inconnu, mais ce phénomène pourrait, en partie, expliquer les complications parfois observées lors de l’utilisation de vecteurs Ad. Dans notre étude, nous proposons un mécanisme permettant d’expliquer comment les anticorps modifient la réponse immunitaire contre les adénovirus chez les individus immunocompétents ou déficients, lors de situations de réinfection par le virus, d’utilisation de vaccins dérivés des adénovirus, ou au cours de traitements thérapeutiques utilisant des immunoglobulines.

(→) Voir la Synthèse de A. Rossi et A. Salvetti, m/s n° 2, février 2016, page 167

Caractéristiques des complexes immuns-adénovirus

Les CI sont le résultat de l’association macromoléculaire entre un antigène et un anticorps. Ils peuvent, parfois, se distinguer en fonction des quantités d’antigène et d’anticorps qui les constituent. L’association d’adénovirus de type 5 (Ad5) avec un sérum humain contenant des anticorps neutralisants (NAc) conduit à la formation de complexes « CI-Ad », d’une taille voisine de 200 nm de diamètre, capables d’activer la maturation/activation des CD. L’analyse plus précise des CI-Ad montre que ce sont principalement les anticorps dirigés contre les hexons1 de la capside de l’adénovirus qui sont à l’origine de la formation et de la stabilisation de ces complexes. Ces CI-Ad sont d’ailleurs fréquemment retrouvés dans la circulation sanguine lors d’une virémie, ou encore, post-mortem, dans les tissus de patients, à la suite d’une virose mortelle. Contrairement à ce que l’on observe chez la souris, le vecteur adénovirus par lui-même n’a que très peu d’effet direct sur l’activation des CD humaines.

Interaction complexes immuns- cellules dendritiques : que devient le virus ?

Les CD ont pour rôle de capturer, d’apprêter et de présenter les antigènes aux lymphocytes T. Ce sont des acteurs capitaux de la réponse immunitaire qui font le lien entre l’immunité innée et l’immunité adaptative. Les CD vont déclencher, orienter, mais aussi en partie moduler la réponse lymphocytaire T. Au cours de la prise en charge des CI par les CD, via les FcγR, les récepteurs de reconnaissance de motifs moléculaires (les PRR, pour pattern recognition receptor) de type Toll, tels que le TLR9 vésiculaire (Toll like receptor 9)2, sont généralement mis à contribution [4]. Reposant sur des approches pharmacologiques et microscopiques, nos études montrent qu’une fois captés par les CD, les CI-Ad vont interagir avec le TLR9 et déclencher ainsi une production massive de cytokines pro-inflammatoires. Ce processus nécessite un désassemblage partiel du virus afin de libérer une partie du génome pour l’exposer au TLR9. La capside sort ensuite de la vésicule pour rejoindre le compartiment cytoplasmique de la cellule hôte par un mécanisme dépendant de la protéine de capside interne VI (pVI, protéine impliquée dans la destruction des membranes vésiculaires) [5]. Les CI-Ad initient ensuite le mécanisme de pyroptose dans le cytoplasme. Nos observations établissent un changement drastique de la taille et la granulosité des CD sous l’action des CI-Ad. Grâce à des adénovirus marqués, nous avons établi que ces modifications morphologiques sont directement liées à la perte de l’intégrité de la membrane plasmique des cellules. L’utilisation de capsides vides et d’un virus mutant pour la protéine pVI (n’exprimant plus cette dernière) démontre l’implication du génome viral et de pVI dans la régulation de l’homéostasie membranaire de la cellule hôte. Les premières études sur l’interaction des adénovirus (en l’absence d’anticorps) avec l’inflammasome3, chez l’homme, suggèrent l’implication du complexe NLRP3 (NOD-like receptor family, pyrin domain containing 3) [6]. Cependant, nos travaux montrent que, quand les adénovirus sont opsonisés par les anticorps, l’activation de l’inflammasome fait intervenir un mécanisme dépendant du complexe AIM2 (absent in melanoma 2) / ASC (apoptosis-associated speck-like protein containing a caspase recruitment domain) [7] (). AIM2 est un PRR qui détecte l’ADN double brin dans le cytoplasme et recrute la protéine adaptatrice ASC. Nos approches moléculaires, cellulaires et pharmacologiques permettent de proposer un mécanisme expliquant la perte de l’intégrité membranaire des CD, la libération massive de cytokines inflammatoires, la maturation/activation des CD, puis leur mort par pyroptose (Figure 1). Ce modèle fait intervenir la stabilisation de la capside Ad par les anticorps neutralisants qui perturbent le devenir vésiculaire des CI-Ad, conduisant à la détection du génome viral par le récepteur TLR9. L’échappement du CI-Ad de son compartiment vésiculaire conduit ensuite à l’induction de l’inflammasome par un mécanisme indépendant du complexe NLRP3, mais étroitement associé à AIM2/ASC. In fine, on observe la formation de pyroptosomes4 et la dégradation de l’intégrité de la membrane plasmique par le système GSDMD (gasdermin-D) [8].

(→) Voir la Synthèse de Y. Jamilloux et T. Henry, m/s n° 11, novembre 2013, page 975

Conséquences sur la modulation de l’immunité et la thérapie

Notre modèle propose l’intervention du complexe AIM2/ASC comme inducteur de l’inflammasome par les assemblages CI-Ad. Les cellules dendritiques que nous avons utilisées, dérivent de monocytes sanguins humains provenant d’une multitude de donneurs. Les monocytes représentent 10 % des leucocytes chez l’homme et sont systématiquement confrontés à des phénomènes de recrutement et d’activation lors du processus inflammatoire. Sous l’influence des pathogènes ou de l’inflammation, ces cellules peuvent se différencier en macrophages ou en cellules dendritiques (CD) et ainsi initier et moduler la réponse immunitaire adaptative. Les caractéristiques uniques des CD dérivées de monocytes en font, selon nous, des candidats de choix pour analyser ex vivo la réponse immunitaire dirigée contre un pathogène. Il nous semble également pertinent de s’interroger sur l’intérêt physiologique d’un tel système. En quoi la pyroptose des CD par les IC-Ad profiterait-elle à l’hôte ou, inversement, au pathogène ? La plupart des études suggèrent un effet pro-hôte qui permettrait de limiter l’invasion de l’organisme par le pathogène. La réponse immunitaire n’est cependant pas un système simple, linéaire et identique dans toutes les circonstances. Ainsi, certains pathogènes comme le VIH (virus de l’immunodéficience humaine) profitent de la pyroptose pour affaiblir la réponse immunitaire [9]. Détruire les CD par pyroptose limite aussi la capacité de développement de la réponse adaptative en contrôlant le nombre de cellules présentatrices (CPA). En revanche, la pyroptose est un événement fortement inflammatoire qui participe au recrutement et à l’activation des cellules immunitaires sur le site de l’infection. Dans le cas des adénovirus, l’infection est le plus souvent contrôlée, ce qui suggère un rôle plutôt protecteur de la pyroptose des CD par les CI-Ad chez l’homme. Cependant, nous pouvons nous demander comment les adénovirus peuvent persister des années, voire des décennies chez l’hôte ? L’environnement créé par la formation des CI-Ad et leurs actions sur les CPA n’auraient-ils pas d’autres fonctions, en particulier lors de situation d’infection persistante par des virus ?

Conclusion

Nos travaux s’inscrivent dans un vaste cadre d’étude de l’immunité humaine dirigée contre les pathogènes. Mieux caractériser les interactions subtiles qui interviennent entre l’immunité humorale et les CPA pour chaque individu est capital. Cette étape est primordiale pour appréhender avec succès le traitement de complications virales apparaissant, par exemple, au cours des GVHd (ou réaction du greffon contre l’hôte) ou lors de l’utilisation d’adénovirus pour la vaccination ou pour une thérapie génique. Le choix de vecteurs adénoviraux n’est en effet pas sans risque [1, 10]. Par exemple, les essais de vaccination anti-VIH développés par le groupe Merck & Co, Sharp & Dohme (MSD)5, utilisant le vecteur viral Ad5, ont brutalement été arrêtés en raison de son inefficacité, mais surtout d’une augmentation du taux de contamination par le VIH des patients séropositifs pour l’adénovirus de type 5 [11]. La présence d’anticorps anti-adénovirus s’est révélée directement liée à l ‘échec du vaccin, mais aussi à l’augmentation des risques de contamination par le VIH [12]. Le virus Ad5 est un cas d’école. En effet, 90 % de la population mondiale est séropositive pour cet adénovirus. Pour les autres types d’adénovirus, la séroprévalence reste souvent inconnue, mais est probablement très variable selon les régions du monde.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 L’hexon est la protéine majoritaire de la capside, formant les 20 faces triangulaires du virus.
2 Le TLR9 reconnaît des motifs CpG présents dans l’ADN.
3 L’inflammasome est un complexe protéique exprimé dans la lignée myéloïde et impliqué dans l’immunité innée.
4 Un pyroptosome est un assemblage supramoléculaire de dimères de protéines adaptatrices ASC.
5 L’étude date de 2009 avant sa fusion (en 2009) pour devenir MSD.
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