2009


Introduction générale

La transplantation d’organes est la seule issue thérapeutique pour beaucoup de pathologies qui entraînent une perte de fonction irréversible d’organes vitaux. Les progrès majeurs réalisés au cours des 20 dernières années ont abouti à une augmentation significative du nombre de patients pouvant avoir accès à une transplantation. De même, le nombre de retransplantations dues à des pertes de fonction du greffon, plusieurs années après une première greffe, a augmenté. Cette situation qui, pour des raisons évidentes, revêt un impact majeur en termes de santé publique, explique le besoin de faire un point objectif de la situation afin d’une part de dresser la liste des acquis et, d’autre part, de définir les axes de recherche qu’il est indispensable de développer. Le but de cette expertise est de fournir les éléments de connaissance, issus de l’expérience nationale et internationale, permettant d’aboutir à des recommandations concrètes.
Le constat que l’on peut faire aujourd’hui est que la transplantation d’organes se trouve à un carrefour très important où convergent quatre problématiques complémentaires, l’ordre dans lequel elles sont présentées ne revêt aucun aspect de priorité.

Problématique clinique de la transplantation

Le premier aspect relève des résultats cliniques. À l’évidence, la réussite majeure que soulignent les données disponibles aujourd’hui (par rapport à celles de la fin des années 1970 et du début des années 1980) concerne la possibilité de contrôler de manière très efficace le rejet aigu d’allogreffe pour la majorité des patients. Ceci rend compte des survies extrêmement bonnes des greffons dans les trois premières années qui suivent la transplantation. Il existe certes des différences en fonction des organes, mais dans l’ensemble il s’agit d’un point très positif.
Si le rejet aigu peut être contrôlé aujourd’hui, c’est grâce au développement de très nombreux médicaments immunosuppresseurs chimiques et biologiques. Appliqués de manière chronique et en association comme il est devenu pratique courante de le faire en transplantation, ils diminuent de manière très efficace les réponses immunitaires du receveur. Cette action est cependant dénuée de spécificité pour les antigènes du greffon impliqués dans la réaction d’allogreffe, les alloantigènes. Il s’agit d’une immunosuppression non spécifique, qui implique toutes les défenses immunitaires du receveur, y compris l’immunité anti-infectieuse et anti-tumorale. Ceci entraîne, chez les receveurs d’allogreffe, une augmentation importante de l’incidence d’infections et de tumeurs (d’ailleurs souvent induites par des infections virales mal contrôlées), sources non seulement de morbidité mais qui mettent également en jeu le pronostic vital des patients.
Enfin, il est nécessaire de souligner un autre point tout aussi important. La diminution nette de l’incidence du rejet aigu n’a pas pour autant permis d’enrayer la survenue du rejet chronique notamment en transplantations rénale et cardiaque, mettant en cause le dogme qui prévalait au début des années 1980 suivant lequel il existait une relation étroite entre la survenue du rejet aigu et chronique, dogme qui a d’ailleurs justifié la pratique d’une immunosuppression de plus en plus « lourde ». On peut donc conclure sur ce point en disant qu’une réflexion de fond s’impose : le type d’immunosuppression pratiqué aujourd’hui est-il adapté à la lutte contre la destruction chronique du greffon ?

Problématique épidémiologique des greffons

Le deuxième aspect est de nature épidémiologique et concerne tout autant les receveurs que les donneurs. Aujourd’hui, les receveurs ne sont pas seulement plus nombreux que dans les années 1980 mais ils sont également plus âgés. Dans un certain nombre de cas, il s’agit de receveurs d’une deuxième allogreffe. Dans la population des receveurs, il y a donc plus de personnes à « haut risque » pour des raisons médicales générales (âge avancé, situation vasculaire…) et pour des raisons immunologiques. Dans le cas des deuxièmes greffes, les patients ont déjà été soumis à une immunosuppression chronique ou bien sont immunisés vis-à-vis des alloantigènes du premier greffon, d’où un risque de réaction croisée. Dans le cas de patients plus âgés, ils sont plus sensibles aux problèmes infectieux liés à l’immunosuppression et aux effets secondaires propres des immunosuppresseurs.
L’épidémiologie des greffons provenant de donneurs cadavériques s’est fortement modifiée ces dernières années. Un nombre important d’organes est prélevé chez des donneurs plus âgés, décédés d’accidents vasculaires cérébraux car les décès chez des sujets jeunes dus aux accidents de la voie publique ont significativement baissé.
S’ajoutent également dans ce contexte, les nouvelles pratiques de prélèvements d’organes chez des donneurs à cœur arrêté. Les greffons prélevés sur ces donneurs sont plus sensibles aux lésions d’ischémie/reperfusion et à la néphrotoxicité des immunosuppresseurs. Ils présentent déjà des lésions chroniques liées au donneur avant le prélèvement, qui réduiront d’autant leur durée de vie après la transplantation.

Problématique immunologique des rejets

Le troisième aspect concerne l’amélioration de la connaissance, grâce aux progrès de la recherche en immunologie fondamentale de la transplantation, des mécanismes qui sous-tendent les rejets aigu et chronique d’allogreffe. Cette connaissance va de pair avec une meilleure compréhension des modes d’action des différents médicaments immunosuppresseurs qui, individuellement sont très sélectifs de certaines sous-populations de cellules immunitaires et/ou de voies de signalisation de ces cellules.
Un grand pas en avant a été franchi dans le domaine de l’immunité innée, au niveau des récepteurs qu’elle implique (en particulier, les récepteurs Toll like) et des cellules spécialisées, telles que les cellules dendritiques, qui constituent le lien entre les réponses immunitaires innées et adaptatives. Longtemps négligé par manque de connaissances, le rôle de l’immunité innée est aujourd’hui reconnu pour expliquer les conséquences immunologiques du syndrome d’ischémie/reperfusion.
Il est important de citer également l’intérêt tout particulier porté aux lymphocytes « mémoire », aussi bien lymphocytes T que B, ainsi qu’aux plasmocytes à longue durée de vie du fait de leur rôle chez les patients hyperimmunisés. Soulignons également à propos des lymphocytes B et des plasmocytes, le regain d’intérêt pour le suivi des anticorps anti-HLA en post-transplantation en lien avec leur rôle « amplificateur » de la progression du rejet chronique.

Problématique de santé publique des patients transplantés

L’amélioration constatée des résultats de la transplantation pose le problème du devenir à long terme des patients. La majorité des patients ont des survies prolongées après transplantation, supérieures à 10 ans pour les transplantés rénaux et hépatiques. Bien que leur qualité de vie soit améliorée significativement par rapport à la situation en pré-transplantation, elle reste néanmoins inférieure à celle de la population générale. Par ailleurs, en dehors des complications liées au rejet chronique, les patients greffés restent exposés aux complications de l’immunosuppression et à la récidive de la maladie initiale.
La prévention de la récidive de la maladie initiale est un enjeu majeur. Si des progrès spectaculaires ont été effectués dans la prévention de la récidive de l’hépatite B post-transplantation hépatique, il n’en est pas de même pour la prévention et le traitement de la récidive de l’hépatite C.
Les complications liées aux immunosuppresseurs sont nombreuses, elles sont spécifiques de chaque immunosuppresseur et secondaires à l’immunosuppression en général. Ainsi, il est indispensable dans le futur de diminuer la fréquence des complications rénales, cardiovasculaires et du diabète. Le développement fréquent de cancers (indépendamment de récidives) est une autre conséquence importante de l’immunosuppression générale. Toutes ces complications soulignent l’intérêt d’une réflexion approfondie sur les conséquences à long terme de l’immunosuppression.

Axes prioritaires de recherche

La transplantation est non seulement une discipline à part entière mais également une discipline transversale. Elle touche à tous les domaines de la médecine et ouvre même sur des pathologies émergentes, notamment dans le domaine infectieux. On peut citer l’exemple de l’hépatite E chronique ou du virus BK chez les greffés de rein. Par ailleurs, les progrès liés au développement de stratégies d’immunosuppression et d’induction de tolérance en transplantation peuvent s’appliquer aux pathologies auto-immunes et inflammatoires chroniques.
Translationnelle et multidisciplinaire, la recherche en transplantation nécessite une organisation en réseau entre les différents centres de transplantation et avec les laboratoires de recherche. L’amélioration des résultats quantitatifs et qualitatifs de la greffe implique de développer de nouvelles voies de recherche dans plusieurs thématiques.
Tout d’abord, il faut reconsidérer les stratégies d’immuno-intervention. L’induction d’une tolérance immunitaire opérationnelle, définie comme une survie à long terme du greffon en l’absence d’immunosuppression chronique, est devenue une approche d’avenir du moins dans certains sous-groupes de populations. Une meilleure connaissance des mécanismes conduisant au développement de la tolérance immunitaire ainsi que ceux impliqués dans le développement des lésions du rejet chronique permettra de mettre au point de nouvelles stratégies thérapeutiques mieux ciblées.
Le suivi du statut immunologique des patients transplantés et la prédiction, à court terme, de la survie du greffon à long terme ne pourra s’effectuer qu’à l’aide de marqueurs le moins invasifs possibles, utilisables en pratique clinique et, surtout, validés de manière adéquate dans le contexte de protocoles prospectifs.
Il est fondamental de se pencher de manière avisée sur l’ensemble de la problématique du prélèvement d’organes et de la conservation des greffons. Il ne s’agit pas uniquement de faire plus mais aussi de faire mieux. Ce sont les caractéristiques intrinsèques de l’organe prélevé et des liquides de conservation utilisés qui sous-tendent la stimulation de l’immunité innée qui s’en suit avec tous les éléments délétères qu’elle comporte. La recherche dans le domaine de la protection des greffons contre les lésions d’ischémie/reperfusion (approches de pré- et de postconditionnement, définition de la place des machines de perfusion d’organe ex vivo, par exemple) prend toute sa valeur dans le contexte actuel de pénurie d’organes et d’utilisation de greffons marginaux.
Un certain nombre de ces problématiques de recherche sont discutées tout au long de l’expertise. Néanmoins, cette dernière ne couvre pas l’ensemble du champ de recherche sur la transplantation. Par exemple, les travaux très innovants sur la xénogreffe, dont les applications cliniques sont encore limitées, ne sont pas abordés dans ce document. L’analyse des travaux et des implications éthiques concernant la xénogreffe nécessiterait une expertise spécifique.

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