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Med Sci (Paris). 33(5): 461–462.
doi: 10.1051/medsci/20173305001.

Thérapie génique : beaucoup plus de questions que de réponses

Marina Cavazzana1,2,3,4*

1Département de biothérapie, hôpital Necker-Enfants Malades, Assistance Publique-Hôpitaux de Paris, Paris, France
2Centre d’investigation clinique de biothérapie, Groupe hospitalier universitaire Ouest, Assistance Publique-Hôpitaux de Paris, Paris, France
3Université Paris Descartes-Sorbonne Paris Cité, Institut Imagine, Paris, France
4Inserm UMR 1163, Laboratoire de lymphohématopoïèse humaine, Paris, France
Corresponding author.
 

Au cours de ces dix dernières années, l’approche thérapeutique fondée sur l’addition d’un gène thérapeutique dans les cellules souches hématopoïétiques humaines (CSH) a montré tout son potentiel curatif pour un nombre croissant de maladies héréditaires : le déficit immunitaire combiné sévère lié au chromosome X (DICS-X), le défaut en adénosine déaminase, la leukodystrophie métachromatique, les β-hémoglobinopathies et le syndrome de Wiskott-Aldrich [1]. Les récents développements de la technologie de réparation des gènes vont encore étendre l’utilisation à visée curative de CSH autologues. L’utilisation de CSH autologues génétiquement corrigées élimine le risque des réponses alloréactives et diminue le risque de complications infectieuses. Malgré ces avantages, elle nécessite de traiter le patient par des drogues myélo-ablatives (ce que l’on nomme le conditionnement), afin de créer de « l’espace » aux cellules corrigées. Or ce conditionnement est responsable d’une toxicité aiguë et chronique.

La toxicité aiguë se manifeste principalement par une atteinte des muqueuses qui peut être de grade 3 (indice de gravité important), alors que la toxicité chronique intéresse essentiellement le système endocrinien, ce qui conduit à cryopréserver les cellules germinales, afin d’assurer au mieux la capacité de procréation du patient traité. Bien que ces effets secondaires, dus au conditionnement, puissent être considérés comme acceptables au vu de la balance bénéfice/risque, ils constituent un obstacle à la généralisation de cette stratégie. La mise au point d’un conditionnement spécifique ciblant la moelle osseuse et les CSH, ne présentant pas de toxicité ou une toxicité limitée, permettra un plus grand essor de cette technologie. Différents anticorps monoclonaux sont en cours d’investigation préclinique pour limiter l’utilisation de la chimiothérapie dans le contexte de greffe de CSH [2].

En ce qui concerne l’utilisation de vecteurs, les vecteurs lentiviraux de troisième génération ont significativement réduit, voire éliminé le risque de mutagenèse induite. Plus de cent cinquante patients ont ainsi été transplantés depuis 2016, et aucun effet adverse, lié à l’addition d’un gène thérapeutique, n’a été rapporté.Malgré l’importance de cette avancée, d’autres progrès sont nécessaires : la mise au point de nouveaux outils pour la production à large échelle de lots cliniques, et un pseudotypage spécifique des vecteurs lentirivaux, afin de simplifier la nécessaire étape de correction des cellules « cibles ».

La préoccupation scientifique et médicale qui a entouré le développement des premiers cas de leucémie ayant pour origine une mutagenèse insertionnelle a retardé, pour des raisons évidentes, l’évaluation de deux autres variables qui influencent le succès de ce type d’autogreffe : les altérations pathologiques que la maladie de fond induit sur la moelle osseuse des sujets atteints (qui impactent négativement la procédure de transduction1) et l’état inflammatoire du patient.

L’exemple de la β-thalassémie est à ce titre très parlant. L’anémie de ces patients a pour cause, d’une part, l’hémolyse périphérique et, d’autre part, l’altération de la capacité de la moelle osseuse de produire des globules rouges matures, connue sous le nom d’érythropoïèse inefficace. En effet, la moelle osseuse des patients atteints de β-thalassémie est caractérisée par une différenciation érythroïde accélérée, un arrêt de maturation au stade polychromatophile, et un taux d’apoptose intramédullaire des précurseurs érythroïdes très élevé.

La conséquence de cette dysérythropoïèse est l’accumulation de progéniteurs érythroïdes, de cinq à six fois plus élevée que chez un sujet normal, expliquant les échecs initiaux d’obtention d’un nombre de cellules souches suffisant chez ces patients. Le défi de ces prochaines années sera donc de trouver comment, face à l’altération de la composition médullaire propre à chaque maladie, nous pouvons obtenir un nombre de CSH suffisant pour les utiliser à des fins de thérapie génique [3].

Enfin, il devient urgent de simplifier toute la chaîne opératoire. S’il est totalement irréaliste d’imaginer que tous les hôpitaux, qui prennent soin de patients atteints de ces maladies génétiques du système hématopoïétique, puissent se doter et entretenir une structure de production respectant les règles de bonnes pratiques de fabrication (GMP, good manufacturing practices), il est au moins aussi irréaliste d’imaginer qu’un laboratoire centralisé puisse répondre à la demande de traitement de milliers de patients. Il devient donc urgent de mettre au point un instrument capable d’assurer une procédure automatisée de modification des cellules, dont chaque hôpital pourrait s’équiper afin de faire face à ses propres besoins. Cette procédure permettrait également de contrôler les coûts de la thérapie génique et d’éviter que l’industrie pharmaceutique ne demande des prix exorbitants pour une procédure dont la plupart des coûts de développement ont été soutenus par les hôpitaux et les instituts de recherches publiques. Cela ouvre donc le débat de la nécessité de développer de nouveaux modèles de financement et de remboursement des thérapies géniques [4].

Le débat éthique autour de la thérapie génique est encore plus sensible et complexe que le débat médico-économique et scientifique. Quelles sont, en effet, les règles pour inclure des patients adultes ou pédiatriques dans des essais cliniques de phase I/II ? Quel statut doivent avoir les patients face au système de protection sociale ? Si l’Agence Européenne des Médicaments (EMA, European medicines agency) a homogénéisé les règles encadrant les qualités auxquelles la production des cellules génétiquement modifiées doivent obéir, aucune recommandation européenne ne régit l’inclusion des patients dans des protocoles de phase I/II, et chaque pays européen suit ses propres lois. En France, la loi à ce sujet est très précise : « interdiction de traiter des patients qui n’appartiennent pas au système de sécurité sociale nationale ou qui n’appartiennent pas à un pays de l’UE dans le plus grand souci de protection des patients ». Cela n’est pas vrai par exemple en Allemagne ou en Italie. Tout aussi difficile est le débat éthique autour de l’édition du génome.

Le nombre de personnes qui ont participé au symposium de Keystone sur la thématique « precision genome engineering » prouve, une fois de plus, que la technologie CRISPR est la plus importante avancée biotechnologique de ce siècle. La question la plus importante soulevée par cette méthode est de savoir comment traduire ses potentialités en outils thérapeutiques. L’avantage de CRISPR est sa spécificité car la protéine Cas9 peut être guidée jusqu’à un site particulier du génome afin d’insérer le nouveau fragment d’ADN. Cependant, malgré le fait que la séquence cible soit unique (l’ADN est composé de quatre bases seulement !), des séquences similaires à celle-ci peuvent également représenter des sites de coupure pour l’enzyme [5]. Ces sites appelés « off-target » sont identifiés in silico. Mais prédire lesquels d’entre eux seront réellement modifiés reste le défi le plus important de cette nouvelle technologie et, pour reprendre une phrase du généticien George Church, un pionnier de l’édition du génome : « most of what we call genome editing is really genome vandalism »2. Si beaucoup de défis technologiques vont trouver une solution dans les années à venir, il nous faut, très vite, donner vie à un profond débat éthique et social, afin de définir les obligations que les chercheurs doivent respecter pour éviter une utilisation erronée et dangereuse de cette technologie révolutionnaire.

Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 Transfert de gènes par un vecteur viral.
2 « La plupart de ce que nous appelons édition du génome n’est en fait que du vandalisme du génome ».
References
1.
Naldini L. Ex vivo gene transfer and correction for cell-based therapies . Nat Rev Genet. 2011; ; 12 : :301.–315.
2.
Chhabra A, Ring A, Weiskopf K et al. HSC transplantation in an immunocompetent host without radiation or chemotherapy . Exp Hematol. 2015; ; 43 : :S57..
3.
Cavazzana M, Ribeil JA, Lagresle-Peyrou C, et al. . Gene therapy with hematopoietic stem cells: The diseased bone marrow’s point of view . Stem Cells Dev. 2016;; 26 : scd.2016.0230..
4.
Mavilio F. Developing gene and cell therapies for rare diseases: an opportunity for synergy between academia and industry? Gene Ther. 2017 May . doi: 10.1038/gt.2017.36
5.
May A. Base editing on the rise . Nat Biotechnol. 2017; ; 35 : :428.–429.