L’article de Laurence Monnais (→) présente une intéressante approche historique des relations entre médecine « officielle » et médecines « alternatives » (entités rassemblant de multiples déclinaisons souvent fort éloignées les unes des autres) au cours des xixe et xxe siècles, et montre que leurs frontières ont souvent été floues et ont évolué au cours du temps. Il montre aussi comment le conflit entre ces deux médecines a parfois été instrumentalisé dans une perspective coloniale en déniant toute validité aux savoirs traditionnels « indigènes », et comment certaines pratiques ont pu passer d’un statut à l’autre, comme en témoigne le sort de l’acupuncture, passant du statut de « dispositif thérapeutique parmi d’autres » au xviiie siècle au rang de thérapeutique à proscrire au siècle suivant, et désormais utilisée pour ses capacités analgésiques et anesthésiques, malgré de nombreuses controverses concernant ses indications.
(→) Voir m/s février 2017, 33(2) : 183-7
Malheureusement cet article souffre d’un positionnement très ambigu vis-à-vis de la distinction entre la « médecine fondée sur les preuves » et des approches dont l’efficacité n’a pas été démontrée, et dont les bases théoriques sont souvent contraires aux connaissances les mieux établies (comme l’homéopathie1,). Ces différentes « médecines », qualifiées d’alternatives, parallèles, non-orthodoxes ou complémentaires, outre le fait qu’elles représentent un mélange d’approches très différentes2,, peu discutées dans l’article3,, semblent souvent être considérées par l’auteure comme des doctrines ayant a priori la même valeur que la médecine « officielle », sous couvert de « pluralisme médical ». L’analyse qui s’ensuit relate les rapports difficiles entre ces différentes pratiques médicales dont la valeur serait équivalente, dans une vision empreinte d’un grand relativisme et dans laquelle la médecine officielle a le mauvais rôle : elle « dénigre », « réprime », use d’« étiquettes diffamatoires », développe une « rhétorique de l’approximation », « sanctionne » le mesmérisme (encore heureux…), exclut… Vision surprenante où est oublié le lent développement de la médecine moderne face à un corpus de rites mêlant religion, pouvoir et thérapies sans preuves, non sans difficultés, ostracisme et répression vis-à-vis de ses artisans, pères d’une médecine enfin efficace4,. On note aussi, au fil des lignes, une insistance sur les effets secondaires des médicaments (officiels) alors que la toxicité des remèdes naturels (notamment à base de plantes) n’est jamais rappelée, l’évocation de persécutions envers les médecins opposés à la vaccination5, l’affirmation que l’accès aux essais cliniques pour les médicaments non « conventionnels » est « obstrué » (par qui ?), suivie quelques lignes plus loin d’un énoncé inverse « il existe dorénavant des médecines alternatives fondées sur les preuves », pour lequel aucune référence n’est fournie.
La grande absente de ce texte est la révolution scientifique de la médecine, qui a débuté vers le milieu du xixe siècle et qui a transformé l’« art » impuissant des médecins de Molière (traduisant l’ignorance scientifique que cet « art » recouvrait) en une pratique efficace autorisant, avec d’autres facteurs, une augmentation continue de l’espérance de vie humaine, avec un recul massif – voire une disparition – de maladies infectieuses comme la diphtérie, la variole et la poliomyélite grâce à la vaccination, avec des avancées majeures dans des domaines comme les maladies cardio-vasculaires. médecine/sciences, notre revue, présente les avancées de cette révolution toujours en marche, mettant en perspective les questions éthiques, sociologiques, et cliniques qu’elles soulèvent, sans sectarisme mais en gardant l’exigence de la rationalité et de preuves expérimentales indiscutables. Cette exigence m’a semblée peu présente dans l’article de Laurence Monnais, et il m’a paru nécessaire de manifester mon désaccord avec sa vision par trop relativiste des rapports entre la médecine fondée sur les preuves et les médecines « alternatives ».