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Med Sci (Paris). 33(4): 383–385.
doi: 10.1051/medsci/20173304005.

Adaptation conjointe des racines à l’inondation et aux nutriments du sol
Rôle d’une protéine kinase de type MAP3K

Zaigham Shahzad1 and Christophe Maurel1*

1Biochimie et physiologie moléculaire des plantes, UMR5004, INRA/CNRS/Montpellier SupAgro/Université Montpellier, 2, place Viala, F-34060Montpellier, France
Corresponding author.
 

La plupart des plantes terrestres utilisent leurs racines pour s’ancrer solidement dans le sol et en tirer l’eau et les nutriments minéraux nécessaires à leur croissance et leur développement. Du fait de l’hétérogénéité des sols et des effets du climat, les racines, bien qu’enfouies, sont soumises à des conditions très variables. La sécheresse, les inondations, des déficits en nutriments ou des attaques par des pathogènes, peuvent représenter des stress sévères pour les racines et la plante. Contrairement aux animaux, les plantes ne peuvent s’échapper rapidement face aux agressions de l’environnement. Elles doivent donc être capables de les percevoir et d’y répondre de manière rapide et efficace. Les mécanismes moléculaires et cellulaires mis en jeux par les plantes pour répondre à des stress individuels ont déjà été largement décortiqués dans les laboratoires. Toutefois, en conditions naturelles ou en champ, les plantes sont souvent confrontées à des situations plus complexes, combinant des stress environnementaux multiples. Leurs modes de réponse à ces contextes complexes sont encore mal connus.

Afin de croître continûment et absorber eau et nutriments, les jeunes racines manifestent une forte activité métabolique et respirent intensément l’oxygène (O2) qui diffuse dans les cavités du sol. Ce processus est freiné en cas d’inondation ou d’irrigation excessive, engendrant un déficit en O2 (hypoxie) et un stress métabolique profond des cellules racinaires. Ces conditions de stress ont des répercutions importantes sur les productions agricoles mondiales [1, 2]. Selon certaines estimations, l’Europe affiche chaque année 5 milliards d’euros de pertes de récoltes agricoles, simplement dues aux débordements des rivières. Ces pertes pourraient doubler d’ici 2080 du fait des changements climatiques [2]. La compréhension des modes de réponse des plantes aux inondations représente ainsi un enjeu agronomique majeur [3].

Comme bien d’autres organismes aérobies, les plantes survivent à l’hypoxie en reprogrammant l’expression de leur génome et leur métabolisme, afin de produire de l’énergie chimique par fermentation alcoolique [3, 4]. On trouve chez les plantes une classe de facteurs de transcription, nommés RAP2 (related to AP [Apetala] 2), qui jouent un rôle analogue à celui des facteurs de transcription HIF-1 (hypoxia inducible factor 1) chez les animaux [5, 6] ().

(→) Voir la Synthèse de E. Gothié et J. Pouysségur, m/s n° 1, janvier 2002, page 70

Les facteurs RAP2 sont impliqués dans la réponse primaire à l’O2, en déclenchant une réponse transcriptionnelle anaérobie [4]. En présence d’O2 (normoxie), un résidu cystéine (Cys) conservé en position 2 des RAP2 est oxydé par une cystéine oxydase spécifique des plantes, provocant leur dégradation par une voie obéissant à la règle du N-terminus1 [7]. En condition d’hypoxie, par contre, les RAP2 sont stabilisés et transférés dans le noyau où ils activent des gènes de réponse à l’hypoxie (GRH) [4].

La réponse adaptative primaire des racines à l’hypoxie passe également par une diminution de l’absorption des nutriments et de la perméabilité racinaire à l’eau (conductivité hydraulique racinaire, Lpr) [8]. Les nutriments du sol, tels que le nitrate, le phosphate ou le sulfate, exercent des effets positifs ou négatifs sur la Lpr en modulant l’activité de protéines canal hydrique, les aquaporines [9]. Malgré ces liens avérés entre disponibilité en eau, nutriments et O2 dans le sol, les mécanismes de signalisation permettant l’adaptation des plantes à la combinaison de stress nutritionnels et anaérobie restent inconnus.

Un travail récent [10], utilisant la plante modèle Arabidopsis thaliana, a permis d’identifier un gène nommé hydraulic conductivity of root 1 (HCR1). Comme nous le détaillons dans la suite de cette Nouvelle, HCR1 réduit l’absorption racinaire d’eau, spécifiquement quand le milieu des racines est pauvre en O2 et riche en potassium (K+). Dans ces conditions, HCR1 déclenche la réponse transcriptionnelle anaérobie en agissant sur la stabilité d’un RAP2 (RAP2.12). Nos résultats nous ont conduit à proposer que la variabilité naturelle d’HCR1 sous-tend diverses stratégies de croissance des plantes face aux inondations [10].

HCR1, un gène qui contrôle négativement l’hydraulique racinaire d’Arabidopsis

Notre but initial était d’identifier des gènes contrôlant les propriétés hydrauliques des racines de plantes. Le développement d’un système semi-automatique de mesures de la Lpr, assemblant huit chambres à pression, a permis de développer une approche de génétique quantitative de ce caractère. Des lignées recombinantes autocroisées, issues de deux accessions2 parentales naturelles d’Arabidopsis thaliana (appelées Col-0 et Bur-0), ont permis d’identifier des locus quantitatifs (QTL, quantitative trait locus) déterminant la Lpr. La cartographie fine d’un de ces locus et diverses validations génétiques ont ensuite conduit à HCR1, un gène régulant négativement la Lpr. Nous avons observé, en particulier, que la mutagenèse par insertion d’HCR1 (générant des mutants hcr1) augmente la Lpr. La protéine HCR1 appartient à la famille des MAP3K (mitogen-activated protein kinase kinase kinase) de type Raf. Elle contient à son extrémité N-terminale un domaine d’interaction protéine-protéine de type Phox(phagocytic oxidase)/Bem1p(bud emergence protein 1), appelé PB1, et, à son extrémité C-terminale, un domaine protéine kinase. Sept formes alléliques majeures d’HCR1 ont pu être identifiées à partir d’accessions naturelles. Quatre de ces formes alléliques, dont celles issues des parents Col-0 et Bur-0, manifestent des activités différentes dans un test de phosphorylation in vitro ou lorsqu’elles sont réintroduites dans le mutant hcr1. Par exemple, l’allèle de Bur-0 inhibe plus fortement la Lpr que l’allèle de Col-0 dans le même fond hcr1. Par contre, un autre allèle (issu de l’accession Fei-0) semble inactif. Le rôle général des MAP3K dans la signalisation cellulaire chez les eucaryotes suggère qu’HCR1 pourrait établir un lien entre signaux endogènes ou environnementaux et régulation de la Lpr. De fait, on observe que l’inhibition de la Lpr par HCR1 ne se manifeste que dans des conditions combinant hypoxie et présence de K+. En accord avec l’idée qu’HCR1 permet à la plante d’intégrer la disponibilité conjointe en K+ et O2, l’ARN messager d’HCR1, ou la protéine fusionnée à une protéine rapportrice fluorescente, s’accumulent préférentiellement en présence de K+ et carence en O2.

HCR1 contrôle les effets positifs du K+ sur la réponse transcriptionnelle anaérobie

Une analyse transcriptomique comparant plantes sauvages et mutantes pour hcr1 a révélé, en présence de K+ et carence en O2, une sous-induction de nombreux GRH, dont des enzymes de la voie de fermentation (alcohol dehydrogenase 1 [ADH1], pyruvate decarboxylase 1 [PDC1]). Ainsi, HCR1 régule de manière positive la réponse transcriptionnelle anaérobie. En revanche, HCR1 ne semble pas être impliqué dans l’expression de gènes reliés à l’homéostasie du K+. On observe toutefois qu’une part significative (30 à 50 %) de l’induction des GRH est dépendante du K+, et ce de manière strictement dépendante de l’activité d’HCR1. La réponse transcriptionnelle dépendante de HCR1 offre donc un parallèle frappant avec ses effets sur la Lpr. Ces deux réponses permettent d’identifier un nouveau lien entre perceptions du K+ et de l’O2, lien qui est totalement sous le contrôle d’HCR1.

Bien qu’associé de près à la réponse primaire des plantes à l’hypoxie, HCR1 n’affecte pas l’expression génique des facteurs de transcription RAP2. On observe par contre qu’en présence de K+ et déficit d’O2, l’accumulation de la protéine RAP2.12 est plus faible chez les mutants hcr1 que chez des plantes sauvages (Col-0). Par ailleurs, le domaine kinase d’HCR1 est capable de phosphoryler RAP2.12 in vitro. Des plantes transgéniques sur-exprimant RAP2.12 montrent, par rapport à des plantes sauvages Col-0, un phénotype opposé à celui de plantes hcr1, c’est-à-dire une réduction de Lpr, spécifiquement en conditions hypoxiques et présence de K+. L’intégration par HCR1 des teneurs externes en O2 et K+, en augmentant l’abondance des facteurs RAP2, provoque ainsi une activation transcriptionnelle des GRH et une inhibition du transport racinaire d’eau (Lpr) (Figure 1).

HCR1 contrôle la croissance de la plante en conditions d’inondation

Que signifie la perception conjointe par la plante des teneurs en O2 et K+ dans le sol ? Alors que le déficit en O2 est un signe direct de l’inondation, le K+ pourrait être un indicateur des possibilités de croissance de la plante, en relation avec un lessivage éventuel du sol. Le K+ contribue en effet, en tant que cation intracellulaire majoritaire, à l’entrée osmotique d’eau dans les cellules et à leur pression de turgescence3,, moteur de la croissance. Selon leur intensité, les inondations provoquent un simple engorgement du sol ou submergent totalement la végétation. Ces deux scénarios ont un impact différent sur le statut hydrique et la croissance des plantes [3], impliquant des facettes distinctes de la fonction d’HCR1 (Figure 1). Lorsque la plante est totalement submergée, elle arrête de croître. L’activation d’HCR1 favorise néanmoins sa réponse métabolique anaérobie et lui donne un fort avantage de croissance, en présence de K+, lors de la phase de récupération après inondation. Lorsque seules les racines sont inondées, la plante manifeste, de manière paradoxale, un flétrissement des feuilles car elle continue à transpirer alors que la Lpr est réduite. Des génotypes ayant des allèles inactifs ou peu actifs de HCR1 seraient donc favorisés dans ce contexte. On voit ainsi se dégager les valeurs adaptives de différents allèles d’HCR1, selon les conditions d’inondation affectant les plantes.

Perspectives

HCR1 apparaît comme un déterminant génétique majeur de la réponse adaptative des racines aux inondations [10]. Ce gène régule notamment l’absorption racinaire d’eau en fonction des teneurs combinées en O2 et K+ dans le sol. Cette découverte est importante d’un point de vue fondamental car elle révèle des mécanismes moléculaires permettant aux plantes de répondre de manière ciblée à des stress environnementaux combinés. Alors que des études physiologiques antérieures avaient révélé, chez le blé, une interaction entre la nutrition en azote ou phosphate et la tolérance aux inondations [11], le lien entre O2 et K+ était resté inconnu jusqu’à présent. Ces résultats ouvrent ainsi de nouvelles perspectives dans le domaine de la sélection et de l’amélioration des plantes cultivées. Les bénéfices éventuels du K+ dans la réponse des plantes cultivées aux inondations devront être examinés. Il sera par ailleurs intéressant de rechercher des homologues d’HCR1 chez ces espèces de plantes cultivées, afin d’introduire les allèles les plus favorables dans de nouvelles variétés. L’utilisation de l’eau et les performances des racines étant des cibles importantes pour l’amélioration des plantes, il faut désormais intégrer, dans les schémas de sélection variétale, leur capacité à adapter la plante à des stress multiples.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 La règle du N-terminus (ou N-end rule) spécifie que certains résidus, quand ils occupent la position N-terminale d’un peptide, peuvent donner un signal de destruction.
2 Une accession désigne un isolat unique de plante sauvage, caractérisé notamment par sa zone géographique d’origine, et consigné dans une banque de ressources.
3 La résistance mécanique de la paroi cellulaire limite l’entrée osmotique d’eau dans la cellule, générant ainsi une pression hydrostatique intracellulaire dite pression de turgescence. Le relâchement de la paroi permet l’expansion des cellules et la croissance des organes de la plante.
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