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Med Sci (Paris). 33(4): 376–379.
doi: 10.1051/medsci/20173304003.

Développement des neurones à GnRH dans le cerveau d’embryons humains

Anne-Laure Barbotin,1,2* Vincent Prévot,1,3 and Paolo Giacobini1,3**

1Unité Inserm U1172, laboratoire du développement et plasticité du cerveau neuroendocrine, centre de recherche Jean-Pierre Aubert, 1, place de Verdun, 59045Lille, France
2Institut de biologie de la reproduction-spermiologie-CECOS, CHU de Lille, avenue Eugène Avinée, 59037Lille, France
3Faculté de médecine, Université de Lille, FHU 1000 Days for Health, 59045Lille, France
Corresponding author.
 

Chez les mammifères, la fonction de reproduction est sous le contrôle d’une petite population de neurones située dans une région spécifique du cerveau : l’hypothalamus. Ces neurones se projettent au niveau de l’éminence médiane, où ils déversent dans la circulation porte hypophysaire la gonadolibérine ou GnRH (hormone de libération des gonadotrophines hypophysaires). Cette dernière sera ensuite transportée vers l’antéhypophyse afin de commander la sécrétion des gonadotrophines, l’hormone lutéinisante (LH) et l’hormone folliculo-stimulante (FSH), qui vont réguler à leur tour l’activité gonadique en agissant sur leurs organes cibles, les testicules et ovaires [1, 2] ().

(→) Voir la Nouvelle de S. Catteau-Jonard et al., m/s n° 5, mai 2016, page 441

L’ontogenèse des neurones à GnRH et du système olfactif sont intimement liées. Ce lien étroit est retrouvé en pathologie humaine dans le syndrome de Kallmann. Cette dysplasie olfacto-génitale, liée à un défaut de développement du système olfactif et de la migration des neurones à GnRH, associe en effet un hypogonadisme hypogonadotrope et une anosmie. Alors que le développement des neurones à GnRH et les différentes étapes de leur migration ont été largement documentés dans l’espèce animale (chez le rongeur), les données publiées restent rares chez l’homme, principalement en raison de l’accessibilité restreinte aux tissus embryonnaires humains. Ces données humaines portent, de plus, sur un nombre restreint d’embryons à un stade très précoce du développement.

De nombreuses interrogations subsistent encore concernant le développement du système à GnRH chez l’homme telles que : Où naissent les cellules à GnRH ? Comment migrent-elles dans le cerveau ? Quelle est leur distribution dans le cerveau ? Et enfin, au nombre de combien sont-elles ?

Afin de répondre à ces questions, nous avons entrepris pour la première fois, dans une étude publiée en 2016 [3], une analyse détaillée du système à GnRH à partir d’une large cohorte d’embryons humains au 1er trimestre1. Dans cette étude, nous avons combiné des techniques d’immunohistochimie conventionnelles avec une reconstruction d’images en 3 dimensions (3D), à partir de coupes histologiques ou à partir de tissus embryonnaires intacts rendus transparents grâce à une technologie innovante. Nous avons montré de manière tout à fait surprenante que le nombre de neurones à GnRH présents dans le cerveau était bien plus élevé qu’attendu et que leur migration était disparate : seuls 20 % de ces neurones colonisent l’hypothalamus, tandis que les 80 % restants atteignent d’autres régions cérébrales, laissant supposer que la GnRH puisse avoir d’autres fonctions.

Ontogenèse des neurones à GnRH et voies de migration

La plupart des vertébrés possèdent deux systèmes olfactifs anatomiquement distincts : le système olfactif principal, qui permet la détection d’odorants volatils, et un système olfactif accessoire, appelé système voméro-nasal (VNO), impliqué dans la détection de phéromones et dans la médiation des comportements sociaux et reproducteurs. Chez l’homme, les placodes olfactives se développent à partir d’un épaississement de l’ectoderme vers la 5e semaine de développement embryonnaire. Les neurones à GnRH naissent au niveau de ces placodes, puis migrent vers le cerveau antérieur2 (dont une partie deviendra l’hypothalamus) en suivant le trajet des nerfs olfactifs, voméro-nasaux (VNN) et du nerf terminal (TN).

Nous avons, dans un premier temps, étudié les étapes de la morphogenèse conduisant à la formation du système olfactif/voméro-nasal et à l’apparition des premiers neurones à GnRH. Nos résultats révèlent que les cellules du VNO (correspondant à une invagination médiane de la placode olfactive) pourraient être les précurseurs des neurones à GnRH.

La migration des neurones à GnRH a été étudiée grâce à un nouveau procédé baptisé « 3DISCO » (3-dimensional imaging of solvent cleared organs) [4]. Jusqu’à présent, notre connaissance du trajet des neurones à GnRH s’appuyait essentiellement sur l’analyse de coupes histologiques sériées à différents stades du développement embryonnaire, les techniques d’imagerie optique usuelles ne permettant pas d’obtenir d’images à partir d’organes entiers en raison de l’opacité que leur confère leur épaisseur. Récemment, la technique 3DISCO a permis l’acquisition d’images à haute résolution à partir de tissus intacts (sans nécessité de coupes préalables des échantillons) après qu’ils aient été rendus transparents grâce à l’utilisation de solvants organiques [4]. Combinée à la réalisation d’un immunomarquage et à l’utilisation d’un ultramicroscope à feuille de lumière3 [5] (), cette méthode permet d’étudier un fœtus dans son intégralité et donc en particulier le cerveau et la connectivité neuronale [6].

(→) Voir la Synthèse de P.P. Girard et B.C. Forget, m/s n° 8-9, août-septembre 2011, page 753

Grâce à l’application de cette nouvelle technologie couplée à un immunomarquage de la GnRH et de la périphérine4,, qui marque l’ensemble des fibres du système nerveux périphérique, y compris celles qui sont utilisées par les neurones à GnRH comme support de migration (le nerf voméronasal et le nerf terminal), nous avons pu visualiser les neurones à GnRH en cours de migration dans la tête d’embryons humains au 19e stade de Carnegie5 (CS), équivalent au 48e jour de développement (Figure 1).

À ce stade de l’embryogenèse, un continuum bilatéral de neurones à GnRH en migration est visualisé entre la région nasale et le cerveau antérieur, se dirigeant vers le néocortex (NCX) et les aires septales6, (SEP) (Figure 1B). Nous avons observé, de façon inattendue, qu’en plus d’avoir déjà atteint les SEP, un sous-ensemble considérable de fibres du nerf terminal avait germé dorsalement et latéralement vers des régions télencéphaliques2 correspondant au NCX et à l’hippocampe7 en développement. Alors que, chez les rongeurs, les neurones à GnRH migrant vers le cerveau antérieur semblent se détacher de leurs guides axonaux (constitués également par les fibres du nerf voméronasal et du nerf terminal) avant d’entrer dans la zone septo-préoptique [7], nous avons découvert que, chez l’humain, les neurones à GnRH restaient en association étroite avec ces fibres, tout au long de leur migration jusqu’à leur arrivée dans la région télencéphalique (Figure 1CE). Cette observation suggère une différence fondamentale entre les rongeurs et les humains dans le mode de migration des neurones à GnRH. Par ailleurs, nous avons mis en évidence de manière inédite que les neurones à GnRH se répartissaient le long de deux flux migratoires distincts. En effet, en plus de la voie de migration ventrale se dirigeant vers les régions hypothalamiques [8], les neurones à GnRH suivent également une voie de migration dorsale orientée vers les régions télencéphaliques « palliale » et « sub-palliale8 ». Cette nouvelle voie comprend deux composantes : une composante médiane et une autre composante latérale. Nous avons ainsi observé pour la première fois que des neurones à GnRH migraient en dehors de l’hypothalamus dans notre espèce.

Quantification des neurones à GnRH

Nous avons ensuite quantifié les cellules à GnRH, à différents stades de l’embryogenèse entre le 39e jour (CS16) et la 12e semaine de développement. Au stade CS16, nous avons observé la présence de 50 neurones à GnRH, tous confinés à la région nasale. Quelques jours plus tard, le nombre de neurones à GnRH était passé à 7 951 ± 2 000, indiquant que la différenciation neuronale complète a lieu entre le 39e et le 44e jour de développement. En moyenne, 10 000 neurones étaient détectables dans le cerveau entre la 6e et la 12e semaine de l’embryogenèse alors que les précédents comptages estimaient leur nombre à 2 000 [9, 10], ceux-ci ayant été réalisés sur des hypothalamus adultes.

Distribution des neurones à GnRH

Nous avons évalué la distribution relative des corps cellulaires des neurones à GnRH, visualisés par 3DISCO, dans trois zones (Figure 2)  : la région nasale (leur région d’origine), la voie de migration ventrale et la voie dorsale. Au cours du développement embryonnaire, le nombre de cellules à GnRH présentes dans la région nasale diminue progressivement. Cette diminution est concomitante à une augmentation de leur nombre dans le cerveau au sein des composantes migratoires dorsales et ventrales. Ainsi, au dernier stade étudié (12e semaine), seuls 23 % des neurones à GnRH étaient retrouvés dans les régions les plus rostrales (région nasale/bulbe olfactif). Cette observation confirme que la migration des neurones à GnRH intervient assez précocement au cours l’embryogenèse (au cours du premier trimestre de gestation). Afin de mieux comprendre la localisation anatomique de ces cellules dans le cerveau à la 12e semaine de développement, nous avons procédé à un immunomarquage classique de la GnRH sur des coupes sériées de tissus et effectué une reconstruction en 3D (Figure 2). Cette expérience a confirmé la distribution étonnamment étendue des neurones et des fibres à GnRH dans l’hypothalamus, mais surtout, dans les régions extra-hypothalamiques où est distribuée 80 % de la population des neurones à GnRH. Ces neurones sont en effet retrouvés, entre autres, dans le bulbe olfactif, le cortex cérébral, l’hippocampe, le cortex piriforme9,, l’amygdale10, et l’habenula11 (Figure 2A et 2B).

Conclusion

Ce travail a mis en évidence que le nombre de neurones à GnRH était 5 fois plus élevé que ce qui était attendu et que l’hypothalamus fœtal n’était colonisé que par une petite fraction (20 %) de cette population de neurones. À la fin du 1er trimestre, la grande majorité des neurones à GnRH (80 %) est distribuée dans des régions cérébrales extra-hypothalamiques. Cet éclairage inédit sur notre connaissance de l’ontogenèse du système à GnRH a été rendu possible grâce à l’utilisation de nouvelles techniques d’imagerie. L’utilisation de la reconstruction en 3D a notamment été mise à profit récemment afin d’élaborer le premier atlas en 3D couvrant les deux premiers mois du développement embryonnaire [11, 12]. Dans notre étude, cette approche a permis la réalisation d’une cartographie complète des corps cellulaires et des axones des neurones à GnRH à partir d’embryons humains pour la toute première fois. Bien que le devenir à long terme des neurones à GnRH extra-hypothalamiques reste inconnu, leur présence dans ces régions suggère qu’ils pourraient être impliqués dans des processus physiologiques autres que celui du contrôle de la reproduction, comme la cognition, les comportements ou encore le contrôle des émotions et les maladies associées.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 Tous les embryons humains analysés ont été obtenus dans le cadre d’interruptions volontaires de grossesse pratiquées dans le service de gynécologie de l’hôpital Jeanne de Flandre, Lille, France, après obtention du consentement éclairé et écrit des patientes. Les tissus ont été mis à disposition conformément aux règles de bonne pratique relatives à la la conservation, la transformation et au transport de tissus humains (publiées le 29 décembre 1998). L’autorisation d’utiliser des tissus fœtaux humains non pathologiques a été obtenue auprès de l’Agence de la Biomédecine (protocole n° PFS16-002).
2 Le cerveau antérieur, ou prosencéphale, correspond au cours de l’embryogenèse à la vésicule antérieure qui va donner naissance au télencéphale (comprenant notamment le cortex) et au diencéphale (comprenant notamment le thalamus et l’hypothalamus).
3 Système permettant l’illumination et l’observation de tranches fines d’un échantillon.
4 Protéine de la famille des filaments intermédiaires, spécifique du système nerveux périphérique.
5 Les 8 semaines de la période embryonnaire ont été découpées en 23 stades, appelés « stades de Carnegie », sur la base de l’âge, la taille et les caractéristiques morphologiques de l’embryon.
6 Région antérieure et médiale du lobe frontal, contenant plusieurs noyaux du système limbique (gérant les comportements émotionnels, mnésiques, la motivation, etc.).
7 Structure cérébrale appartenant au système limbique, impliquée dans la mémoire.
8 Le pallium correspond, au moment de l’embryogenèse, à ce qui va devenir le cortex cérébral. Les régions palliales sont donc les futures régions corticales, et les régions télencéphaliques sub-palliales, les futures régions sous-corticales du télencéphale.
9 Une des régions olfactives.
10 Noyau cérébral impliqué dans le traitement des émotions.
11 Structure appartenant à l’épithalamus.
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