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Med Sci (Paris). 33(2): 169–175.
doi: 10.1051/medsci/20173302012.

Prédisposition aux pathologies auto-immmunes
Les hommes ne manquent pas « d’Aire »

Nadine Dragin,1* Rozen Le Panse,1 and Sonia Berrih-Aknin1

1Sorbonne Universités, UPMC Université Paris 6, Inserm U974, Institut de Myologie, 105, boulevard de l’Hôpital, hôpital Pitié-Salpêtrière, 75013Paris, France
Corresponding author.
 

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Maladies auto-immunes : une forte prévalence féminine

Les maladies auto-immunes touchent 5 à 8 % de la population en Europe Occidentale et aux États-Unis. Elles comprennent 70 à 80 pathologies différentes, comme la polyarthrite rhumatoïde, le lupus érythémateux disséminé, la sclérose en plaque, le diabète de type 1, le psoriasis, la maladie de Crohn et la myasthénie grave. Bien qu’elles présentent une grande disparité en ce qui concerne les organes ou systèmes ciblés, les auto-anticorps sériques produits et la réponse aux traitements, une caractéristique épidémiologique commune a été mise en évidence pour un grand nombre de ces pathologies : une forte prévalence féminine [1] (Tableau I). Cette prédominance féminine connue depuis des décennies demeure inexpliquée bien que de nombreuses hypothèses aient été émises impliquant l’environnement hormonal, le microchimérisme fœtal, l’inactivation et/ou des anomalies du chromosome X.

Le système immunitaire a pour fonction de protéger l’organisme contre des infections à travers des réponses innées et/ou adaptatives. Toutefois, il est clairement établi que les maladies auto-immunes se développent suite à une rupture dans les mécanismes de tolérance centrale ou périphérique du système immunitaire. Dans chacune de ces pathologies, une inflammation chronique ou périodique contribue à perturber le fonctionnement d’un organe ou d’un système tissulaire dont des protéines spécifiques sont considérées par le système immunitaire comme appartenant au non soi et, de ce fait, sont la cible d’une réaction auto-immune.

Le thymus : organe de tolérance, mécanismes de sélection

La réponse immunitaire adaptative est construite sur la diversité du répertoire antigénique des lymphocytes T et B qui se met en place, respectivement dans le thymus et la moelle osseuse.

Dans le thymus, les lymphocytes T immatures (thymocytes) se différencient en lymphocytes T matures, acquérant un récepteur de surface spécifique, le récepteur des cellules T (TCR). Des recombinaisons de l’ADN contribuent à produire une très grande diversité de TCR, ce qui permet aux lymphocytes T de reconnaître de nombreux antigènes. Un processus de sélection en deux étapes permet de conserver les lymphocytes présentant un TCR capable de reconnaître avec une bonne affinité le complexe majeur d’histocompatibilité (CMH) qui est exprimé par les cellules corticales du stroma thymique (sélection positive dans la zone corticale), et d’exclure les lymphocytes autoréactifs qui reconnaissent les antigènes du soi (sélection négative dans la zone médullaire). Plus de 90 % des lymphocytes T seront éliminés soit parce que leur TCR présente une trop faible affinité pour les molécules du CMH, soit, au contraire, parce que leur TCR présente une trop forte affinité pour un antigène du soi présenté par une molécule du CMH [2]. Certains antigènes sont des peptides exclusivement exprimés dans des organes ou des tissus spécifiques et sont définis comme des antigènes spécifiques de tissus ou TSA (tissue-specific antigens). L’insuline produite spécifiquement par le pancréas ou le récepteur nicotinique de l’acétylcholine, protéine exprimée dans les synapses neuromusculaires et neuronales, sont deux exemples de TSA. Au début des années 2000, il a été montré que l’expression d’une majorité des TSA dans les cellules épithéliales thymiques médullaires (CETm), était régulée par le facteur de transcription AIRE (autoimmune regulator) [3]. Le gène qui code cette protéine de 552 acides aminés, est situé sur le chromosome 21 et est constitué de 14 exons. Des mutations de ce gène sont à l’origine d’une pathologie à transmission autosomique récessive, la polyendocrinopathie auto-immune de type 1 ou syndrome APECED (autoimmune polyendocrinopathy-candidiasis-ectodermal dystrophy) [4]. Les patients qui souffrent de ce syndrome développent différentes maladies auto-immunes résultant d’une sélection négative défectueuse des lymphocytes T autoréactifs [5]. Néanmoins, l’APECED est cliniquement défini par la présence d’au moins deux des maladies suivantes : la candidose cutanéo-muqueuse, l’hypoparathyroïdie ou l’insuffisance surrénale auto-immune.

Les liens établis chez l’homme entre le défaut d’expression de AIRE et le développement de syndromes auto-immuns illustrent le rôle majeur que joue cette protéine dans les mécanismes de tolérance centrale. De plus, des souris invalidées pour le gène Aire présentent un profil clinique similaire à celui des patients atteints du syndrome APECED avec, entre autres, des infiltrats immuns dans divers tissus [3].

Récemment un autre facteur de transcription, FEZF2 (FEZ family zinc finger 2), a été identifié. Activé par la voie de transduction du récepteur de la lymphotoxine β, FEZF2 contrôlerait, dans les CETm, l’expression de certains TSA qui ne sont pas régulés par AIRE [6]. AIRE et FEZF2 contrôleraient l’expression de la grande majorité des protéines spécifiques de tissu et participeraient ainsi à la mise en place effective de la tolérance immune.

Néanmoins, le thymus n’exprime pas tous les antigènes du soi. L’élimination des clones de lymphocytes T autoréactifs n’est donc pas parfaite. Une petite partie de ces lymphocytes peut ainsi échapper à la délétion thymique et se retrouver dans la circulation périphérique. Pour pallier les effets délétères de ces lymphocytes T autoréactifs en périphérie, différents points de contrôle permettent de limiter leur activation et leur expansion par des mécanismes comme la suppression induite par les cellules T régulatrices, le privilège immunitaire, l’ignorance clonale ou la régulation des signaux de co-stimulation [7]. Les cellules T régulatrices qui expriment le facteur de transcription FoxP3 (forkhead box P3), contrôlent ainsi l’expansion périphérique des lymphocytes T helper en inhibant leur prolifération. Les cellules stromales, situées dans les ganglions lymphatiques, peuvent également neutraliser la prolifération des lymphocytes autoréactifs via l’expression de TSA AIRE-dépendants [8].

Diminution de l’expression de AIRE chez les femmes

Le thymus étant le siège des mécanismes de tolérance centrale, l’hypothèse de différences, d’ordre génomique, existant entre femmes et hommes qui pourraient contribuer à la susceptibilité féminine aux maladies auto-immunes a été émise. Afin d’explorer cette hypothèse, une étude comparative du transcriptome thymique a été réalisée chez l’homme en fonction du sexe [9]. L’analyse par familles de gènes a ainsi révélé une différence importante, en fonction du sexe, du nombre et du niveau d’expression des gènes codant les TSA. Cette différence est retrouvée essentiellement pour les TSA dont l’expression est régulée par AIRE. En effet, dans le thymus, les femmes, comparées aux hommes, sous-expriment significativement les TSA dépendants de AIRE. Ces différences d’expression ne sont toutefois pas liées à des modifications de la diversité intra-thymique des populations cellulaires et/ou de la nature de leur interaction. Aucune différence d’expression significative des gènes codant des clusters de différenciation (CD) ou des molécules du CMH, inclus dans l’étude, n’a en effet été identifiée entre les hommes et les femmes. L’expression thymique de AIRE au cours du vieillissement est pondérée par le sexe (Figure 1) : chez les femmes, elle diminue de manière drastique à la puberté alors que, pour les hommes, la diminution s’opère au stade adulte. Le nombre total de CETm, et le pourcentage de cellules CETm CMHhigh (à forte expression du CMH) [3], ne diffèrent cependant pas entre l’homme et la femme. Toutes les différences de niveaux d’expression intra-thymique de AIRE et des TSA AIRE-dépendants ne seraient donc induites que par des facteurs intrinsèques au sexe. Chez la souris, l’expression différentielle de AIRE en fonction du sexe est corrélée à la susceptibilité des lignées murines à développer des maladies auto-immunes. Ainsi dans le thymus de souris SJL et C57BL/6, qui sont susceptibles aux maladies auto-immunes, une expression différentielle de AIRE est retrouvée : les mâles expriment significativement plus de AIRE que les femelles. En revanche, chez les souris C3H, qui sont résistantes aux maladies auto-immunes, aucune différence d’expression de AIRE qui soit liée au sexe n’est retrouvée. Ces observations ont été récemment confirmées par Zhu et al. qui, en utilisant des CETm murines purifiées, ont également mis en évidence une expression thymique différentielle de AIRE et des TSA en fonction du sexe [10].

L’ensemble de ces données suggèrent donc qu’une modulation à l’adolescence de l’expression de certains facteurs, comme AIRE, pourrait participer à une diminution de l’expression des TSA. Ceci serait à l’origine d’une élimination des lymphocytes T autoréactifs moins sélective chez la femme, la rendant plus sensible aux maladies auto-immunes. Par contre, chez l’homme, le maintien avec l’âge du niveau d’expression des TSA contribuerait à préserver la sélection thymique limitant la migration de lymphocytes autoréactifs vers la périphérie.

Rôle des hormones sexuelles dans la régulation de AIRE

L’expression de AIRE est exclusivement retrouvée dans certains types cellulaires comme les CETm [3], les cellules B thymiques [11], les monocytes [12] et les cellules hépatiques fœtales [13]. Plusieurs études ont permis d’appréhender les mécanismes de contrôle basal de l’expression de AIRE dans les CETm. Pendant longtemps, il était admis que l’expression de la protéine était contrôlée par différents facteurs en fonction du stade pré- ou post-natal du thymus. Ainsi, la cytokine RANKL (receptor activator of nuclear factor kappa-B ligand) secrétée par une petite population de cellules CD4+CD3 (liées au développement de structures lymphoïdes secondaires organisées et appelées CD4+3 inducer cells) est capable d’induire l’expression de AIRE dans le thymus fœtal [14, 15]. Chez l’embryon, une population de progéniteurs cellulaires, les invariant Vγ5+ dendritic epidermal T cell progenitors, qui, avec les cellules CD4+CD3-, produisent Rankl, participerait au développement des CETm exprimant AIRE [16]. Dans le thymus post-natal, l’induction de l’expression de AIRE par les CETm serait contrôlée par deux voies de transduction : l’une activée par RANKL et l’autre par la cytokine CD40L (ou CD154), une molécule sécrétée par les lymphocytes T CD4+ [15, 1719] ().

(→) Voir la nouvelle de M. Irla, m/s n° 2, février 2012, page 146

Ces signaux sont délivrés lors des interactions entre CETm et thymocytes.

La brutale diminution d’expression de AIRE, observée à l’adolescence chez les filles, n’est liée ni à un changement majeur des populations de lymphocytes CD4+ simple-positives [20], ni à une expression dépendante du sexe des cytokines CD154 et RANKL [21]. Elle semble correspondre à une période du développement (l’adolescence) qui s’accompagne de changements hormonaux majeurs et, de manière intéressante, à une période de forte incidence des pathologies auto-immunes.

Si l’impact des hormones sexuelles sur les différents acteurs du système immunitaire est connu, leur rôle dans la prévalence féminine aux maladies auto-immunes a longtemps été difficile à mettre en évidence en raison de la complexité des modèles d’études disponibles, intégrant le choix de la lignée de souris à utiliser, l’âge auquel la castration ou la supplémentation hormonale, doit être réalisée et, enfin, la cinétique de changement de statut hormonal. Néanmoins, il ressort des différentes études que la modulation des hormones sexuelles par la castration physique des souris mâles peut favoriser l’induction de pathologies auto-immunes comme le lupus [22] ou la thyroïdite auto-immune [23], alors que l’ovariectomie produit des effets qui ne sont pas toujours convaincants [24]. En revanche, une supplémentation androgénique des femelles les protège des maladies auto-immunes [22].

La castration physique de souris mâles induit une diminution de l’expression de AIRE [9]. L’œstradiol contrôle négativement les niveaux d’expression de la protéine et ceux des TSA AIRE-dépendants dans les CET. Au contraire, la dihydrotestostérone (DHT), métabolite actif de la testostérone, les stimule [9, 10] (Figure 2). Il apparaît donc que les hormones stéroïdiennes, en modulant l’expression de AIRE, jouent un rôle actif dans la mise en place ou le maintien de la tolérance centrale thymique, dans l’efficacité de la sélection négative et, par conséquent, dans l’échappement des lymphocytes autoréactifs thymiques vers la périphérie. L’équilibre du taux des hormones stéroïdiennes pourrait donc déterminer la sensibilité des tissus à une réaction auto-immune.

Mécanismes moléculaires régulant l’expression de AIRE

Les hormones sexuelles régulent l’expression de gènes en activant leurs récepteurs nucléaires : ERα et ERβ (isotypes α et β des récepteurs des œstrogènes) et AR (récepteurs des androgènes). Ces récepteurs agissent comme des facteurs de transcription en se liant à des éléments spécifiques de régulation retrouvés au niveau du promoteur de gènes, notamment ERE (élément de réponse aux œstrogènes) et ARE (élément de réponse aux androgènes). Ces récepteurs peuvent également agir sur l’expression génique de manière non génomique en activant différentes voies de signalisation intracellulaire ou en induisant des modifications épigénétiques [41] ().

(→) Voir la Synthèse de M. Adlanmerini et al., m/s n° 12, décembre 2015, page 1083

Dans les CETm produisant AIRE (les cellules CMHIIhigh), les récepteurs nucléaires ERα/ERβ et AR sont exprimés [25]. In vitro, les effets de l’œstradiol sur l’expression de AIRE dans les CETm, sont également bloqués par l’antagoniste des récepteurs ERα, le ICI 182,780. De même, dans le modèle murin invalidé pour les récepteurs ERα, l’expression thymique de AIRE n’est plus liée au sexe. Pourtant, aucun élément de réponse aux œstrogènes (ERE) n’a été identifié dans le promoteur de AIRE. En revanche, des éléments de réponses aux facteurs de transcription qui se dimérisent avec les récepteurs des œstrogènes (comme AP-1 [activator protein 1], SP1 [specificity protein 1] ou NF-Y [nuclear transcription factor Y]) [26] y sont présents. Dans des CETm primaires humaines, l’œstradiol n’induit cependant pas de modifications impliquant les voies de transduction activées par ces facteurs de transcription. En revanche, il favorise l’hyperméthylation [9] des îlots CpG (cytosine-phosphate-guanine) présents dans le promoteur de AIRE [26], à l’origine de sa répression. Ainsi, dans les thymus, l’œstradiol activerait par son récepteur alpha une cascade de réactions, non identifiées pour l’instant, qui conduirait à des changements épigénétiques sensibles, responsables de la modulation du niveau d’expression de AIRE dans les CETm. Ceci est cohérent avec l’observation qu’une hypométhylation globale du promoteur de AIRE peut induire son expression [26]. À noter que des lignées cellulaires déficientes en ADN méthyltransférase, enzyme catalysant les méthylations des cytosines des îlots CpG, présentent une augmentation de l’expression de AIRE, démontrant ainsi qu’un mécanisme épigénétique peut effectivement jouer un rôle majeur dans le contrôle de l’expression de cette protéine [27].

Les androgènes ne sont pas en reste. S’ils ne régulent pas l’expression de AIRE par des modifications épigénétiques, ils activent les voies conventionnelles de régulation génique. Des éléments de réponse aux androgènes (ARE) ont récemment été identifiés dans le promoteur de AIRE et leurs fonctionnalités ont pu être montrées. Ainsi, la testostérone, ou au moins son métabolite actif, le dihydrotestostérone (DHT), stimule directement l’expression de AIRE en se liant à son récepteur nucléaire. L’analyse histologique de sections thymiques murines révèle une colocalisation partielle de AIRE et des récepteurs des androgènes [10]. Le niveau d’expression thymique de AIRE serait donc la résultante des effets de la balance hormonale dans laquelle les cellules se trouvent. La variabilité des niveaux d’expression basale de AIRE observée chez l’homme comme chez la femme, pourrait être le reflet des variabilités des balances hormonales (œstrogènes versus testostérone) de chaque individu et du polymorphisme d’enzymes de conversion comme l’aromatase [28].

Liens entre faible expression de AIRE et auto-immunité

Les études réalisées récemment suggèrent que le niveau d’expression de AIRE par les CETm pourrait être un indicateur du statut de susceptibilité individuelle aux pathologies auto-immunes (Figure 3). Ce concept, non manichéen mais plus fondé sur la notion de dose/réponse, transparaît dans de nombreuses publications. Ainsi, dans des modèles murins, Liston et al. ont montré l’existence d’une corrélation positive entre le niveau d’expression de AIRE et celui des TSA mais aussi la délétion d’une population de lymphocytes T spécifiques d’antigènes, impliquée dans le développement du diabète [29]. Dans le modèle expérimental d’arthrite induite par une immunisation avec du collagène chez la souris, les profils cliniques de la pathologie dépendent du degré d’invalidation de l’animal pour le gène Aire [30]. En d’autres termes, les souris semi-déficientes pour Aire ont un profil clinique intermédiaire entre les animaux totalement déficients et les animaux non modifiés.

Dans les modèles animaux, la présence d’infiltrats de cellules immunes dans les organes endocriniens, ou d’auto-anticorps, reproduit dans une certaine mesure ce qui est observé chez l’homme. Une déficience fonctionnelle, ou quantitative, touchant AIRE, est à l’origine du syndrome APECED. À ce jour, environ 100 mutations différentes dans le gène codant AIRE ont été répertoriées. Elles se caractérisent par une divergence des profils auto-immuns retrouvés chez les patients. Ainsi, lorsque la mutation est hétérozygote, les patients présentent un retard dans l’apparition des signes cliniques caractéristiques du syndrome et une pénétrance incomplète [31]. Si les mutations dans le gène Aire sont associées à des profils d’auto-immunité, il apparaît aussi qu’en l’absence de mutations identifiées, une faible expression de la protéine soit également associée à des perturbations du système immunitaire. Ainsi, les patients atteints du syndrome d’Omenn, un déficit immunitaire sévère résultant de la mutation du gène codant RAG (recombination activating gene), présentent une diminution de l’expression de AIRE accompagnée de troubles auto-immuns [32]. De même, chez les patients atteints d’une tumeur thymique, des défauts d’expression de AIRE sont corrélés à des troubles auto-immuns comme la myasthénie auto-immune [33]. Enfin, dans deux cohortes de patients atteints de syndrome de Down, ceux qui souffrent de thyroïdites auto-immunes correspondent aux personnes qui présentent une réduction du nombre de cellules exprimant AIRE dans leur thymus [34, 35].

Conséquences en pathologie humaine

La plupart des pathologies auto-immunes résultent de la convergence de facteurs individuels internes (génétique, sexe, etc.) et de facteurs environnementaux. Une déficience en AIRE est donc un moteur pour le développement de réactions auto-immunes : les lymphocytes T présentant une forte avidité et une autoréactivité peuvent être activés par les protéines du soi. Guerau-de-Arellano et al. ont suggéré que l’expression de AIRE, durant une courte période correspondant à une fenêtre post-natale, était une condition nécessaire et suffisante pour permettre une tolérance efficace à long terme et ainsi éviter l’auto-immunité : le pool de lymphocytes T « tolérants » générés dans cette période pourrait contrecarrer les lymphocytes T autoréactifs susceptibles d’émerger par la suite [36]. La régulation de l’expression de AIRE par les hormones sexuelles au moment de la puberté renforce également la notion de fenêtre de temps de sensibilité dans la susceptibilité féminine aux pathologies auto-immunes (Figure 3).

Des questions subsistent encore : la susceptibilité aux maladies auto-immunes au cours du vieillissement pourrait-elle être en partie corrélée à la baisse d’expression de AIRE, et éventuellement de FEZF2, induite par les modifications hormonales qui apparaissent à ce moment ? Est-il plausible que le maintien ou l’entretien du processus de tolérance dépende de l’équilibre de facteurs liés à l’âge au cours du vieillissement ?

Si, ces dernières années, de nombreuses équipes se sont attachées à comprendre le rôle régulateur de AIRE dans la mise en place de la tolérance centrale via la régulation de l’expression des TSA, il a également été montré que AIRE joue un rôle majeur dans la maturation des CETm, dans la sélection des lymphocytes T régulateurs et dans la sécrétion de cytokines [37, 38] ().

(→) Voir la Synthèse de N. Lopes et al., m/s n° 8-9, août-septembre 2015, page 742

L’ensemble de ces études a mis en exergue un mécanisme subtil de promotion de tolérance centrale. Il a aussi ouvert la possibilité de traduire AIRE en outil thérapeutique capable de traiter ou de prévenir les maladies. Ainsi, Khan et al. ont montré qu’une modulation sélective et temporaire des acteurs de la tolérance centrale (AIRE et TSA) via RANKL pouvait modifier ou altérer la sélection des lymphocytes T de manière ciblée et donc fournir un outil thérapeutique intéressant pour l’immunité anti-tumorale [39]. Une déficience de AIRE conduit à un défaut de tolérance et, en conséquence, à des réactions d’auto-immunité mais sa surexpression peut également se traduire par une tolérance accrue vis-à-vis de facteurs délétères comme des protéines tumorales. Ces données illustrent à nouveau le lien étroit entre le maintien d’un équilibre dans les processus de tolérance et la pathologie.

Récemment, le VGLL3 (vestigial-like family member 3), a été identifié comme un facteur de transcription régulant, d’une manière sexe-dépendante, l’expression d’un ensemble de gènes fortement impliqués dans des processus inflammatoires [40]. Ce nouveau réseau de gènes, indépendant des hormones sexuelles, est actif dans diverses pathologies auto-immunes à forte prévalence féminine. Cette étude intéressante apporte un nouvel élément dans la compréhension des mécanismes impliqués dans le développement des pathologies auto-immunes. Elle confirme que divers facteurs sont imbriqués et contribuent, à différentes étapes, à accroîre la susceptibilité féminine aux pathologies auto-immunes.

L’incidence des maladies auto-immunes est en nette augmentation dans les pays occidentaux. Des études géo-épidémiologiques les relient à la présence de bassins industriels, environnement riche en perturbateurs endocriniens. Mieux appréhender l’impact des changements hormonaux et l’incidence de l’environnement (en particulier le rôle des phyto-œstrogènes) dans les maladies auto-immunes pourrait permettre une meilleure prise en charge et prévention de ces pathologies.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

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