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Med Sci (Paris). 33(2): 136–139.
doi: 10.1051/medsci/20173302007.

Réguler l’expression d’un transgène thérapeutique par un régime alimentaire carencé en un acide aminé indispensable

Alain Bruhat,1 Cédric Chaveroux,1 Valérie Carraro,1 Céline Jousse,1 Julien Averous,1 Anne-Catherine Maurin,1 Laurent Parry,1 Florent Mesclon,1 Yuki Muranishi,1 Patrick Baril,2 Anh Do Thi,3 Philippe Ravassard,3 Jacques Mallet,3,4 and Pierre Fafournoux1*

1Unité de nutrition humaine, UMR 1019, INRA de Clermont-Theix, Université Clermont-Ferrand 1, 63122Saint Genès Champanelle, France
2Centre de biophysique moléculaire, CNRS UPR4301, Université d’Orléans, Inserm, Orléans, France
3CNRS UMR7225, Inserm U1127, Université Pierre et Marie Curie, Institut du Cerveau et de la Moelle (ICM), Biotechnology and Biotherapy Team, Paris, France
4Department of neurological surgery, University of California San Francisco (UCSF), San Francisco, CA, États-Unis
Corresponding author.
 

La thérapie génique consiste à apporter un gène au sein des cellules pour soigner ou prévenir des maladies. Ce gène peut alors remplacer un gène défectueux, dans le cas d’une maladie génétique, ou permettre de fabriquer et diffuser localement une molécule thérapeutique. Une des limites importantes de l’utilisation de la thérapie génique est l’absence de contrôle de l’expression du transgène (le gène introduit dans l’organisme) [1]. Les seuls systèmes inductibles actuels décrits chez la souris nécessitent l’expression de protéines régulatrices exogènes (récepteurs) ainsi que des molécules chimiques inductrices (comme la doxycycline1,, l’ecdysone2,, la rapamycine3, etc.). Or, les effets secondaires potentiels de ces systèmes empêchent leur utilisation en médecine humaine.

Nous présentons ici un système, que nous venons de mettre au point, dans lequel l’expression d’un transgène est contrôlée par la consommation d’un régime alimentaire particulier où un acide aminé indispensable (AAI) est absent [2].

De la nutrition à la thérapie génique
L’homéostasie des acides aminés
Chez les adultes sains en bonne santé, neuf acides aminés (valine, isoleucine, leucine, lysine, méthionine, phénylalanine, thréonine, tryptophane, histidine) sont indispensables (AAI), c’est-à-dire qu’ils ne peuvent pas être synthétisés de novo par l’organisme et doivent être impérativement apportés par l’alimentation. De plus, les acides aminés ne possèdent pas de système de stockage dédié, comme c’est le cas pour les lipides (triglycérides du tissu adipeux) ou le glucose (glycogène). Par conséquent, en cas de déficit alimentaire en AAI, des mécanismes permettant d’adapter l’homéostasie des acides aminés à cette nouvelle situation nutritionnelle sont obligatoires [3].

Une situation nutritionnelle très fréquente chez les omnivores à l’état sauvage est la consommation d’un régime alimentaire déficient en un ou plusieurs AAI. Un animal n’ayant à sa disposition qu’une seule source protéique d’origine végétale a de fortes chances d’être carencé en un ou plusieurs AAI [3]. Il a été montré, chez les rongeurs et les omnivores (rat, souris, cochon, poulet, etc.), que la consommation d’un tel régime entraîne une diminution rapide et nette de la prise alimentaire. Ce phénotype résulte de la détection par le cerveau de la diminution de la concentration plasmatique de l’acide aminé limitant. Ce comportement permet de rejeter un régime déséquilibré et de favoriser la recherche d’une nourriture équilibrée [4]. Cet exemple montre que l’organisme est capable de détecter le manque d’acide aminé et de réguler certaines fonctions physiologiques permettant l’adaptation à une nouvelle situation nutritionnelle. Pour cela, il active une voie de signalisation spécifique qui entraîne la régulation de l’expression de certaines protéines impliquées dans les mécanismes d’adaptation à des apports nutritionnels inadaptés.

La voie de signalisation GCN2/eIF2a/ATF4 est activée par un manque d’acide aminé
Notre équipe a démontré qu’un manque d’AAI peut réguler des fonctions physiologiques au travers de la régulation de l’expression de gènes cibles. Nous avons identifié un élément de réponse aux acides aminés (AARE) localisé dans les promoteurs de ces gènes [5]. Nous avons également contribué à la caractérisation de la voie de signalisation activée par la carence en AAI et conduisant à la surexpression de gènes cibles. Le détecteur de la carence en acide aminé est la protéine kinase GCN2 (general control nonderepressible 2) qui, en phosphorylant le facteur d’initiation de la traduction eIF2α (eukaryotic initiation factor 2a), va induire la traduction du facteur de transcription ATF4 (activating transcription factor 4 ; voir Figure 1 pour plus de détails) [6] ().

(→) Voir la Nouvelle de A. Bruhat et al., m/s n° 12, décembre 2015, page 1057

Nous avons également montré que cette voie est fonctionnelle in vivo. Elle est activée suite à la consommation d’un régime déséquilibré en AAI et permet l’adaptation de certaines fonctions physiologiques. Par exemple, l’activation de GCN2 dans le cerveau, met en route un mécanisme d’inhibition de la prise alimentaire chez la souris [7].

Concept

Nous avons utilisé les propriétés de cette voie de signalisation pour générer un système de régulation constitué d’un promoteur artificiel, fortement inductible par une limitation en AAI, et d’un inducteur, un repas carencé en un AAI [2]. Ce système est fonctionnel in vivo, et pourra être utilisé pour contrôler l’expression d’un transgène dans des protocoles de recherche ou dans des essais de thérapie génique.

Promoteur
Le promoteur utilisé comprend des éléments de réponse aux acides aminés (AARE) du gène TRB3 (Tribbles homolog 3) fusionnés au promoteur minimum thymidine kinase (TK), qui apporte un site d’initiation de la transcription. Plusieurs copies de l’AARE ont été clonées en tandem afin d’obtenir une induction maximale. En réponse à une carence en un AAI, la voie de signalisation GCN2/ATF4 est induite, ATF4 est alors surexprimé et va se fixer sur les copies de l’AARE pour activer la transcription.
Inducteur
L’activation transcriptionnelle du promoteur décrit ci-dessus est réalisée en provoquant une diminution de la concentration sanguine en un AAI suite à l’ingestion d’un repas carencé. Il faut préciser que la concentration sanguine en acides aminés est particulièrement sensible à un régime déséquilibré en AAI, alors qu’elle n’est que peu affectée par un jeûne total (pour explications voir [3]).

Un tel régime doit être administré après un jeûne de courte durée et peut être apporté sous forme d’un « cocktail » d’acides aminés libres ou d’un repas complet dans lequel les protéines sont remplacées par un mélange d’acides aminés libres. La déplétion sanguine en AAI survient quelques minutes après la prise du repas carencé, et peut être arrêtée très rapidement par l’administration de l’AAI manquant. La carence en n’importe quel AAI est fonctionnelle. Il est donc possible, pour un traitement à moyen ou long terme, d’alterner la carence en différents AAI de façon à éviter des manques nutritionnels.

Preuve de concept

Dans un premier temps, nous avons testé la régulation de l’expression d’un gène rapporteur (la luciférase) chez la souris. La construction a été transduite dans différents tissus : foie, pancréas ou dans une région particulière du cerveau, l’hippocampe. Nous avons montré qu’un repas dépourvu d’un AAI induit très rapidement l’expression du transgène (Figure 2).

Dans un second temps, nous avons évalué l’efficacité d’un gène thérapeutique régulé par notre système dans un modèle de xénogreffe sous-cutanée de cellules de glioblastome chez la souris nude (présentant un système immunitaire déficient). Un vecteur lentiviral contenant une construction permettant l’expression régulée de la protéine pro-apoptotique TRAIL (tumor-necrosis-factor related apoptosis inducing ligand) a été injecté dans la tumeur. Les souris ont alors été nourries soit avec un régime contrôle soit avec un régime carencé (Figure 3). Nos résultats montrent clairement qu’une expression intermittente et contrôlée de TRAIL a pour conséquence une inhibition de la croissance tumorale [2]. Il est important que son expression soit localisée sur le site de la tumeur et très finement régulée. En effet, (1) TRAIL pourrait être potentiellement toxique pour des cellules non-quiescentes (cellules souches neurales) en cas d’administration forte et prolongée ; (2) de plus, la protéine TRAIL a une demi-vie très courte.

Caractéristiques et avantages

Notre système d’expression génique régulé par la nutrition possède plusieurs avantages : (1) il utilise des mécanismes moléculaires endogènes. Par conséquent, son induction n’est pas conditionnée par l’expression de protéines régulatrices exogènes susceptibles de générer des problèmes immunologiques chez l’hôte ; (2) il ne présente aucune toxicité. Nous avons vérifié que l’alternance entre des régimes carencés en différents AAI n’affecte pas la masse maigre ; (3) il présente une réversibilité totale et rapide de l’expression du transgène permettant une délivrance de la protéine thérapeutique par « pulse » ; (4) l’expression du transgène peut être répétée dans le temps via la consommation alternée de régimes carencés en différents AAI ; (5) la chute de concentration plasmatique de l’acide aminé limitant se répercutera au-delà de la barrière hémato-encéphalique et pourra cibler directement un site d’intérêt dans le cerveau.

En conclusion

La découverte d’un moyen simple, fiable et sans risque pour réguler l’expression des gènes constitue une avancée essentielle dans le domaine de la thérapie génique et ses multiples champs d’application. En effet, l’expression du gène-médicament nécessite souvent une régulation fine et un dosage précis. Ce système va ainsi permettre de mettre en place de nouveaux traitements par thérapie génique jusque-là inenvisageables [8].

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Acknowledgments

Ce travail a été financé par l’ANR « Programmes émergence » (ANR-12-EMMA-0024) et STRESSOR (ANR-12-BSV2-0025-03).

 
Footnotes
1 Molécule de la famille des cyclines utilisée comme médicament antibiotique.
2 Hormone stéroïde d’insecte.
3 Molécule produite par la bactérie Streptomyces hygroscopicus possédant des propriétés immunosuppressives.
References
1.
Misra S. Human gene therapy: a brief overview of the genetic revolution . J Assoc Phys India. 2013; ; 61 : :127.–133.
2.
Chaveroux C, Bruhat A, Carraro V, et al. Regulating the expression of therapeutic transgenes by controlled intake of dietary essential amino acids . Nat Biotechnol. 2016; ; 34 : :746.–751.
3.
Chaveroux C, Lambert-Langlais S, Cherasse Y, et al. Molecular mechanisms involved in the adaptation to amino acid limitation in mammals . Biochimie. 2010; ; 92 : :736.–745.
4.
Maurin AC, Jousse C, Averous J, et al. The GCN2 kinase biases feeding behavior to maintain amino acid homeostasis in omnivores . Cell Metab. 2005; ; 1 : :273.–277.
5.
Bruhat A, Jousse C, Carraro V, et al. Amino acids control mammalian gene transcription: activating transcription factor 2 is essential for the amino acid responsiveness of the CHOP promoter . Mol Cell Biol. 2000; ; 20 : :7192.–7204.
6.
Bruhat A, Jousse C, Carraco V, et al. L’activation de la voie eIF2α-ATF4, une réponse adaptative au stress cellulaire . Med Sci (Paris). 2015; ; 31 : :1057.–1060.
7.
Maurin AC, Benani A, Lorsignol A, et al. Hypothalamic eIF2α signaling regulates food intake . Cell Rep. 2014; ; 6 : :438.–444.
8.
Anguela XM, High KA An edible switch for gene therapy . Nat Biotechnol. 2016; ; 34 : :824.–825.