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Med Sci (Paris). 33(2): 126–130.
doi: 10.1051/medsci/20173302004.

Sans lamine A, la chromatine s’emballe

Eldad Kepten1 and Judith Miné-Hattab2*

1Institut Curie, PSL Research University, CNRS, Génétique et biologie du développement, UMR 3215, 26, rue d’Ulm, F-75005, Paris, France
2Institut Curie, PSL Research University, CNRS, Dynamique du noyau, UMR 3664, 26, rue d’Ulm, F-75005, Paris, France
Corresponding author.
 

À l’intérieur du noyau de nos cellules, la chromatine est organisée à différentes échelles, allant du nucléosome jusqu’à l’assemblage de larges territoires chromosomiques, en passant par des structures intermédiaires dont la nature reste mal comprise. L’organisation de la chromatine ainsi que sa dynamique ont un rôle essentiel pour le bon fonctionnement de la cellule. Il est donc fondamental de mieux comprendre ces mécanismes. Différents modèles d’organisation ont été proposés : certains s’inspirent de la physique des polymères [1, 2], d’autres sont structuraux. Les modèles structuraux décrits dans la littérature s’appuient sur l’observation de protéines de la membrane nucléaire maintenant la chromatine [3] ou bien sur l’existence d’une « matrice nucléaire » faisant office de structure à la chromatine [4, 5]. Cependant, aucun modèle ne se suffit à lui-même et ne fait actuellement consensus.

Pour mieux comprendre les mécanismes régissant l’organisation nucléaire, l’équipe de Yuval Garini a choisi d’étudier l’effet de la lamine A sur la dynamique de différentes régions génomiques dans des cellules mammifères. Dans un article récemment publié dans le journal Nature Communications, Bronshtein et al. ont ainsi montré que l’absence de lamine A entraîne une augmentation spectaculaire de la mobilité du génome [6].

Les lamines A, B et C forment la lamina nucléaire, une structure marquant la membrane intérieure du noyau et participant aux liaisons chromatine/membrane nucléaire (Figure 1A). Des mutations de ces protéines laminaires ont un impact sévère sur la plasticité du noyau [7] et sur l’organisation de la chromatine [8] et sont associées à de nombreuses maladies telles que la progéria1, ou les laminopathies2 [911] ().

(→) Voir la Synthèse de C.L. Navarro et al., m/s n° 10, octobre 2008, page 833

À la périphérie nucléaire, la lamine A se trouve sous forme de filaments (Figure 1B). Cependant, une quantité importante de lamine A est également localisée à l’intérieur du noyau [12] ; son rôle reste inconnu et, même s’il est possible d’observer la lamine A par microscopie sous forme de fond diffus dans le noyau, sa structure et ses interactions potentielles avec la chromatine n’ont jamais été élucidées [8]. Deux modèles non exclusifs ont été proposés : (1) la lamine A diffuserait à l’intérieur du noyau sans interagir avec la chromatine ( Figure 1B , hémisphère supérieur) ; (2) la lamine A serait attachée à la chromatine et lui servirait de matrice structurante ( Figure 1B , hémisphère inférieur). Comme nous allons le détailler dans le reste de cette Nouvelle, l’étude de Bronshtein et al. montre qu’en l’absence de lamine A, la chromatine passe d’une diffusion lente et très localisée à une diffusion libre, soulignant le rôle clé de la lamine A dans l’organisation dynamique du génome [6]. Les résultats de cette équipe montrent également que 40 % de la lamine A se trouvant à l’intérieur du noyau serait en fait immobile. Cette lamine pourrait ainsi être liée à la chromatine de façon à freiner sa dynamique, comme proposé dans le 2e modèle ( Figure 1B, hémisphère inférieur ; Figure 1C ).

Comprendre la diffusion de la chromatine dans le noyau de cellules

L’attachement des télomères à la lamina nucléaire contraint leur diffusion. Il est cependant peu probable que cet attachement à lui seul puisse contraindre la chromatine à l’intérieur du noyau. Un ou plusieurs autres mécanismes permettent donc de contrôler la dynamique du génome dans le noyau. Un de ces mécanismes pourrait impliquer la lamine A, dont la fonction à l’intérieur du noyau était jusqu’à présent inconnue. Bronshtein et al. ont ainsi testé son rôle potentiel dans le maintien de la dynamique chromatinienne au sein du noyau [6].

Afin d’élucider le rôle de la lamine A, les auteurs de cette étude ont caractérisé la diffusion de différents locus marqués par fluorescence dans des cellules mammifères vivantes. Grâce à l’évolution récente des techniques de microscopie et d’analyse d’images, il est en effet possible de suivre en temps réel le mouvement d’une région génomique spécifique, appelée locus, à l’intérieur du noyau de cellules vivantes. Le mouvement d’un locus peut être déterminé à partir de ses positions au cours du temps en calculant une fonction mathématique appelée déplacement quadratique moyen3 (mean square displacement, MSD). La forme de la MSD révèle alors le type de diffusion du locus observé. Lorsqu’un locus évolue librement dans le noyau, son mouvement est une « diffusion brownienne3 libre » aussi appelée « diffusion normale ». À l’inverse, lorsqu’un locus est ralenti par l’environnement qui l’entoure, on observe une sous-diffusion. Un mouvement sous-diffusif indique par exemple qu’il existe des interactions entre les constituants du nucléoplasme et le locus étudié, empêchant ainsi la chromatine de bouger librement en freinant son mouvement. Lorsqu’un mouvement est caractérisé par l’équation MSD = A tα + b, la diffusion est qualifiée d’anormale. Le coefficient anormal α permet de quantifier la contrainte exercée par le milieu entourant le locus observé : pour un mouvement sous-diffusif, α est toujours compris entre 0 et 1, 1 indiquant une diffusion libre. Une faible valeur de α indique que le locus, même s’il se déplace, a tendance à revenir proche de sa position précédente, restant ainsi longtemps dans le même environnement et interagissant souvent avec les molécules voisines ; au contraire, une valeur de α élevée indique qu’un locus est capable d’explorer de nouvelles régions.

Dans les cellules mammifères, la diffusion de la chromatine est anormale, avec des coefficients variant de 0,4 à 0,7 selon la position des locus observés [6, 13] (Figures 2A et 2B). Ce type de diffusion reflète un mouvement très lent et localisé : typiquement, cela prendrait plusieurs jours à un locus pour diffuser à travers un territoire chromosomique faisant plus de 1 µm.

En l’absence de lamine A, la chromatine diffuse librement dans le noyau

Afin de tester la fonction de la lamine A dans l’organisation de la chromatine, Bronshtein et al. ont mesuré la diffusion de plusieurs locus dans différents types cellulaires en l’absence de lamine A. L’effet obtenu est spectaculaire : dans des cellules de fibroblastes embryonnaires de souris déplétées en lamine A (MEF Lmna-/-), la diffusion des télomères devient libre pour des temps supérieurs à 7 secondes, avec un coefficient α atteignant 1 ± 0,2 (Figures 2C et 2D). Le même effet est visible dans des cellules U2OS dans lesquelles l’expression de la lamine A a été réduite par siARN (small interfering RNA). Ce changement de mode de diffusion de la chromatine est réversible puisqu’après transfection de pré-lamine A4 dans des cellules MEF Lmna-/-, le mouvement de la chromatine redevient anormal (α = 0,6 ± 0,1).

Il faut souligner que l’absence de lamine A affecte aussi bien la dynamique des télomères que celle des centromères [6]. Les télomères interagissant avec la lamine A au sein de la lamina nucléaire, un changement de mobilité de ces derniers en l’absence de lamine A était attendu. Cependant, le détachement de ces télomères à la membrane nucléaire ne permet pas, à lui seul, d’expliquer la mobilité des autres sites du génome testés, en particulier les centromères. Bronshtein et al. ont donc proposé une nouvelle fonction de la lamine A présente au sein du noyau : celle-ci pourrait interagir directement ou indirectement avec la chromatine en créant des liaisons structurantes entre fibres de chromatine, comme illustré dans la Figure 1C .

Une nouvelle fonction pour la lamine A : le contrôle de la dynamique chromatinienne à l’intérieur du noyau

Afin de tester les interactions possibles entre la lamine A et la chromatine au sein du noyau, Bronshtein et al. ont utilisé une technique de microscopie appelée photo-blanchiment en continu5,. Ils ont montré que 40 % de la lamine A se trouvant à l’intérieur du noyau est immobile [6]. Cette fraction de lamine A pourrait alors interagir directement ou indirectement avec la chromatine en freinant sa diffusion de manière à passer d’une diffusion libre à une diffusion anormale (Figure 1B). Afin de mieux comprendre la nature des interactions entre la lamine A et la chromatine, ces chercheurs ont ensuite testé la mobilité de différents locus en présence de lamine A mutante (lignées cellulaires Lmna-/- transfectées avec un mutant de la lamine). En présence de lamine A mutée, on observe une diffusion anormale assez rapide (0,61 < α < 0,85) et non une diffusion libre, comme c’était le cas en l’absence totale de lamine A (Figure 2E et F). Les mutants de lamine A sont ainsi capables de contraindre l’organisation dynamique de la chromatine, mais seulement de manière partielle. Les mutations testées se situent dans le domaine « tête » (mutants L85R et N195K) ou « queue » (mutants R482W et L530) de la lamine A, indiquant que ces domaines ont un rôle essentiel dans le maintien de l’organisation du génome. Le domaine « tête » intervient dans la dimérisation de la lamine A, alors que le domaine « queue » interagit directement avec les histones et l’ADN. Ces résultats suggèrent donc l’existence d’un mécanisme de liaison entre la chromatine et les oligomères de lamine A [6].

Perspectives

L’équipe de Yuval Garini a mis à jour une nouvelle fonction de la lamine A dans la régulation de la dynamique de la chromatine, avec un rôle essentiel des domaines « tête » et « queue » de la lamine A [6]. Leur modèle présente une vision nouvelle de la chromatine, proposant qu’une structure rigide puisse émerger à partir d’un polymère flexible dont la diffusion est contrainte par des liaisons transverses6 (Figure 2C). Leurs observations ont été validées dans les différents types cellulaires testés. De nouvelles questions quant à la fonction de la lamine A se posent désormais. Il sera intéressant d’étudier son rôle au cours du cycle cellulaire, lorsque les chromosomes se condensent puis se décondensent, ainsi qu’à différents stades de différenciation. L’étude des relations entre la lamine A et la cohésine ou la condensine, qui jouent aussi un rôle fondamental dans l’organisation du génome, est également un défi excitant pour de futures recherches [14].

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Acknowledgments

Ce travail a été financé par l’ANR-12-PDOC-0035-01 (J.M.H.) et par une bourse EMBO Long-Term Fellowhip (E.K). Nous remercions Antoine Coulon pour ses commentaires et discussions sur ce travail.

 
Footnotes
1 Maladie génétique, également appelée syndrome de Hutchinson-Gilford, responsable de modifications physiques comparables à un vieillissement accéléré.
2 Ensemble de maladies dues à une mutation dans le gène codant pour la lamine, comprenant par exemple certaines cardiomyopathies.
3 Dans le cas d’un mouvement brownien à une dimension (ligne droite), le déplacement d’une particule peut se faire soit en « pas » en avant, soit en « pas » en arrière. Il est impossible de prédire cette direction, l’une (avant) et l’autre (arrière) étant équiprobables. Si l’on essaye de calculer la distance parcourue par cette particule en additionnant un à un les déplacements effectués à chaque pas (en prenant en compte que le déplacement à chaque « pas » arrière est soustrait de la distance totale parcourue), on arrive à la conclusion que la distance probable parcourue par cette particule est proche de zéro. Cependant, si au lieu d’additionner les déplacements, on additionne les carrés de ces déplacements, alors on ajoute une quantité positive à la distance totale qui croît donc à chaque pas. Ceci permet donc d’obtenir une meilleure évaluation de l’espace exploré par la particule. Le « déplacement carré (ou quadratique) moyen » est défini par une relation mathématique établie par Louis Bachelier en 1900 dans sa thèse intitulée « théorie de la spéculation ». Suivant la forme de la courbe de déplacement carré moyen, on peut ensuite déterminer si le mouvement de la particule observée est directif, brownien, confiné, etc. (d’après la thèse de Sébastien Le Roux, 2008).
4 La pré-lamine A est un précurseur de la lamine A, codé par le gène LMNA. Après sa traduction, la pré-lamine A subit une série de modifications avant de prendre sa forme finale appelée lamine A. La pré-lamine A est localisée dans l’enveloppe nucléaire : ce n’est qu’une fois clivée en lamine A qu’elle diffuse dans le noyau.
5 Le « photo-blanchiment en continu » est une technique de microscopie permettant de mesurer la diffusion de molécules dans des cellules vivantes. L’idée principale est de focaliser un rayon laser sur une petite région d’une cellule vivante concernant la protéine d’intérêt, marquée par fluorescence. En quantifiant le photo-blanchiment de cette région, il est possible d’accéder au pourcentage de protéines mobiles par rapport aux protéines immobiles. En effet, les protéines mobiles sont constamment en mouvement et s’échangent avec les protéines du milieu environnant : cette dynamique produit une décroissance de la fluorescence beaucoup plus lente que dans le cas des protéines immobiles. En ajustant à un modèle la décroissance temporelle de fluorescence ainsi mesurée, on peut calculer la fraction de protéines mobiles et immobiles dans la région de la cellule observée.
6 Une liaison transversale (cross-linker en anglais) est un lien qui relie une chaîne de polymère à une autre chaîne.
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