Logo of MSmédecine/sciences : m/s
Med Sci (Paris). 32: 57–59.
doi: 10.1051/medsci/201632s217.

Clin d’œil du Dinosaure émérite
Quand les parents DMD montent au créneau de la FDA…

Jean-Claude Kaplan1*

1Institut Cochin, Faculté de Médecine Paris Descartes, Paris, France
Corresponding author.
 

inline-graphic medsci2016322sp57-img1.jpg

Vignette (Photo © Dinosaure_Fotolia_3993924-V).

2000-2016 : seize ans pour aller de la paillasse au médicament

La stratégie du saut d’exon thérapeutique (SET) ciblant le transcrit primaire du gène DMD [13] a été imaginée il y a déjà 16 ans par G.J. van Ommen et son équipe [4]. Elle a donné lieu à des développements considérables visant à obtenir un produit efficace et inoffensif [5]. Comme je l’ai expliqué dans un Clin d’œil précédent [6], les concepteurs ne peuvent pas aller au-delà de l’obtention des Preuves de Concept, ou POC, et le développement en clinique des procédés inventés et testés de manière artisanale dans les laboratoires académiques relève des sociétés privées de type start-up ou de puissants groupes pharmaceutiques qui seuls disposent de l’infrastructure et de la logistique adéquates. Dans ces processus, les associations de malades (AFM-Téléthon, MDA, Duchenne Parent Project, etc.) jouent un rôle important, à la fois incitatif et lubrifiant.

Parmi les nombreuses variantes proposées pour le SET mono-exonique, les premières molécules ayant franchi une à une les étapes (essais cliniques de phases II et III) préliminaires à une éventuelle autorisation de mise sur le marché, figurent deux oligonucléotides antisens ou AON (Antisense Oligonucleotide) [1]. Tous deux sont destinés à faire sauter l’exon 51 pour rétablir le cadre de lecture chez les patients atteints de DMD par délétion génomique de type 45-50, 47-50, 48-50, 49-50, 50, 52, 52-63, ce qui représente au total 13 % des cas de figure. Ils diffèrent par leur squelette chimique : le premier en date, développé dans le groupe de GJ van Ommen (Leiden), est un dérivé de type 2’O-méthyl phosphorothioate administré par voie sous-cutanée ; l’autre, injecté par voie IV, est un dérivé de type phosphorodiamidate morpholino oligomer (PMO) réputé plus stable, développé ultérieurement sous l’impulsion de Steve Wilton (Perth) et Francesco Muntoni (Londres).

Le duel entre 2’O-méthyl phosphorothioate (Drisapersen) et phosphorodiamidate morpholino oligomer (Eteplirsen) a duré plus d’une décennie, au cours de laquelle les AON ont changé plusieurs fois de nom ainsi que les compagnies assurant leur développement, au gré de rachats successifs (Tableau I).

L’agrément accordé à Eteplirsen : une décision de la FDA obtenue à l’arraché [7]

Cette décision est intervenue le 19 septembre 2016 au terme d’une véritable bataille3, entre d’une part les partisans des deux produits, c’est-à-dire les compagnies Sarepta Therapeutics et BioMarin, et les associations de malades, et d’autre part les détracteurs, c’est-à-dire les experts de la FDA chargés de statuer. Dans un premier temps, en janvier 2016, ceux-ci ont retoqué l’AON historique, présenté par Biomarin sous le nom de Kyndrisa®, au motif d’une efficacité non convaincante (en termes de réexpression de la dystrophine) et d’une indéniable toxicité. Ce verdict a entraîné l’abandon du projet par Biomarin avec les conséquences boursières que l’on imagine. Le dossier du produit concurrent, présenté par Sarepta Therapeutics sous le nom d’Exondys 51® a bénéficié d’un sursis à statuer, pendant lequel la FDA a été soumise à un intense lobbying. En effet, au départ, l’opinion des experts était négative. Ceux-ci estimaient que sur le plan strictement scientifique les résultats de l’essai de phase 2 n’étaient pas concluants. Tout en reconnaissant que, contrairement à son concurrent malheureux, ce produit n’entraînait pas d’effets secondaires importants, ils considéraient que le bénéfice était modeste, variable et non scientifiquement objectivé, et que la cohorte était numériquement insuffisante (seulement 12 malades). Ces réserves ont été consignées dans un rapport préliminaire établi en avril 2016 et recommandant un rejet. Or certaines familles ayant participé à l’essai avaient constaté un effet clinique positif chez leur enfant ayant continué à recevoir ce produit. Une active campagne de la part des associations américaines de patients s’en est suivie, et l’affaire est remontée jusqu’au Sénat américain qui, un mois plus tard, intima à la FDA l’ordre d’approuver le médicament ! Celle-ci a fini par s’incliner dans un rapport signé par Janet Woodcock, Présidente du CDER (Center of Drug Evaluation and Research)4 [8]. Les commentaires sur le web vont bon train à propos de cet événement qui déborde largement le cadre habituel des essais thérapeutiques, puisqu’il introduit pour la première fois dans les attendus une notion éthico-sociétale. La plupart des commentateurs critiquent ce retournement de la FDA car ils y voient un dangereux précédent. Il me semble cependant que quiconque est impliqué dans le combat des familles se doit d’approuver cette décision, car après 30 ans de promesses non tenues et de lendemains qui n’ont pas chanté, on ne pouvait pas évacuer sans ménagement un espoir même ténu et même extrêmement coûteux (on évoque le chiffre de 300 000 $ par an et par patient).

S’agit-il d’une victoire du cœur sur la raison ou d’une victoire à la Pyrrhus ?  On devrait être assez rapidement fixé, en 1 à 2 ans peut-être. Signalons que l’action Sarepta s’est envolée de 120 % le jour de l’annonce5.

Liens d’intérêt

L’auteur regrette de n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 FDA : Food and Drug Administration : organisme fédéral des États-Unis autorisant la commercialisation des médicaments.
2 Les faits rapportés ici ne concernent que les États-Unis.
3 Les journalistes anglo-saxons ont utilisé le terme de « bickering », en français chamailleries.
4 En fait, on n’est pas encore sorti de l’auberge car cette décision est conditionnelle, étant subordonnée à la démonstration d’un effet bénéfique sur les fonctions motrices dûment objectivé chez les patients traités. Ceci implique la mise en œuvre d’un nouvel essai clinique… voir https://www.drugs.com/newdrugs/fda-approves-exondys-51-eteplirsen-duchenne-muscular-dystrophy-4430.html
5 Trois semaines plus tard, elle n’avait fléchi que de 14 %.
References
1.
Kaplan JC. DMD et saut d’exon thérapeutique : tout ce qu’il faut savoir en deux leçons . Les Cahiers de Myologie. 2011; ; 5 : :46.–47.
2.
Kaplan JC. DMD et saut d’exon thérapeutique. Leçon n° 2 : réalisation et perspectives . Les Cahiers de Myologie. 2012; ; 6 : :45.–46.
3.
Aartsma-Rus A, Van Ommen GJB. Antisense-mediated exon skipping: a versatile tool with therapeutic and research applications . RNA. 2007; ; 13 : :1609.–1624.
4.
Van Putten MDWC, Heemskerk H, De Kimpe S, et al. Systemic delivery of antisense oligonucleotides restores dystrophin expression and functionality in the mdx mouse . Nice: : Congrès AFM-Myologie; , 2000, Poster PW26-322.
5.
Bilan de l’European Medicines Agency (EMA) établi en avril. 2015. Antisense oligonucleotide-mediated exon skipping therapy development for Duchenne muscular dystrophy (DMD) . http://exonskipping.eu/wp-content/uploads/2015/04/Briefing-Document-COST-and-SCOPE-DMD-EMA-meeting-April-2015-FINAL-VERSION.pdf
6.
Kaplan JC. L’enfer du génothérapeute est pavé de POC . Med Sci (Paris). 2015; ; 31 ((hs3)) : :41.–44.
7.
Voir l’historique sur le site de Drugs.com : Exondys 51 Approval History. https://www.drugs.com/history/exondys-51.html.
Pour en savoir plus