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Med Sci (Paris). 32: 17–21.
doi: 10.1051/medsci/201632s206.

Premiers chaussages orthétiques dans la maladie de Charcot-Marie-Tooth

Patrick Sautreuil,1* Michèle Mane,1 Besma Missaoui,1 Samy Bendaya,1 and Philippe Thoumie1

1Service de Rééducation Neuro-orthopédique, Hôpital Rothschild, AP-HP, 5, rue Santerre, 75012Paris, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Cheville, Maladie de Charcot-Marie-Tooth, Humains, Orthèses, Chaussures, complications, thérapie

 

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Vignette (Photo © Patrick Sautreuil).

La maladie de Charcot-Marie-Tooth (1886) est une neuropathie héréditaire. Elle débute dans l’enfance ou à l’âge adulte. L’atteinte est périphérique, sensitive et motrice. Elle est liée à une atteinte de la myéline (CMT 1 : la vitesse de conduction est inférieure à 35 m/s) ou de l’axone (CMT 2 : la vitesse de conduction est supérieure à 40 m/s). Une troisième forme, liée à l’X, associe une myéline anormale et des vitesses de conduction légèrement ralenties.

La maladie commence par les extrémités des membres et progresse vers les racines le plus souvent lentement, sur des décennies.

Le chaussage adapté prévient les déformations, garantit la qualité de la marche, participe à la prévention des chutes [1].

Dans le parcours de soins, préférence du prescripteur ou du patient, l’alternative offerte par les systèmes releveurs peut être choisie. Ils sont présentés brièvement en fin d’article.

Rappel clinique

L’atteinte concerne les membres inférieurs et les membres supérieurs. L’atrophie musculaire commence par les muscles intrinsèques (Figure 1). L’atteinte sensitive est au deuxième plan. Elle concerne la sensibilité superficielle et profonde.

L’extenseur propre du gros orteil est modérément et plus tardivement atteint et compense partiellement le jambier antérieur dans sa fonction de releveur de l’avant-pied.

Avec l’évolution, le pied creux s’accentue. Il est le plus souvent varus mais parfois valgus quand l’atteinte est précoce et a lieu dès l’adolescence.

La podoscopie permet une visualisation des défauts d’appui (Figure 2).

L’équin du pied creux neurologique entraîne un déséquilibre postérieur (risque de chute en arrière) ainsi qu’une impossibilité à se mettre et à marcher sur les talons qui doit être compensé au niveau du talon des chaussures. En revanche, la marche sur la pointe des pieds reste possible.

Troubles de l’équilibre

Les troubles de l’équilibre et les chutes sont un des signes d’aggravation : le signe de Romberg devient positif (le patient ne peut se tenir debout, talons au contact, les yeux fermés) ; l’équilibre monopodal devient précaire (inférieur à 10 secondes) ou impossible. La conséquence est par exemple l’incapacité à se laver les cheveux debout sous la douche car cela nécessite de fermer les yeux. Elle rend dangereuse la marche dans un environnement sombre, mal éclairé ou la nuit. En pratique, se lever la nuit impose d’allumer la lumière. La qualité de vie est impactée par l’aggravation des déficits [1].

Adaptation du chaussage à l’évolution clinique du pied creux neurologique
L’enjeu est la qualité de la marche et le périmètre de marche. Il s’appuie sur la prise en charge des pédicures, des podologues et des podo-orthésistes.
Soins de pédicurie
La surveillance des pieds est une nécessité dès le début de la maladie. Il faut traiter toute induration et prévenir les conséquences du pied creux neurologique par un chaussage adapté.
Chaussage de série
Au début de la maladie, des chaussures basses de série, avec un talon large donc stable en matériau un peu souple, des contreforts assez forts pour tenir l’arrière pied peuvent être suffisantes. Dès ce stade, l’association à des orthèses plantaires et des orthoplasties doit être envisagé. Le déficit des muscles releveurs peut être compensé par un releveur élastique (Boxia).

Des CHUT (chaussures thérapeutiques à usage temporaire) dont le volume est adapté à la présence d’orthèses plantaires peuvent être prescrites. Elles font le lien avec le chaussage sur mesure.

Ultérieurement, dès que nécessaire, on choisira des chaussures à tige montante.

Les orthèses plantaires
Le premier élément d’appareillage du pied, ce sont les orthèses plantaires. Elles sont fabriquées par un podologue sur prescription médicale et portées dans des chaussures de série du commerce. Il s’agit de compenser l’équin (également par le talon de la chaussure qui peut être surélevé) ; d’amortir les zones en sur-appui (sous les têtes métatarsiennes des I et Ve rayons) ; de disposer d’une barre d’appui rétrocapitale (située en arrière des têtes métatarsiennes) pour soulager cet hyper appui et d’un coin postéro-externe pour contrôler le varus de l’arrière-pied (Figure 3).

Les orthèses actuelles sont réalisées en associant plusieurs matériaux mousse de densité différentes (dureté shore), collées en « sandwich » pour répartir les charges à l’appui du pied au sol et au cours du déroulement du pas.

La nécessité de porter un chaussage adapté (capable de recevoir une orthèse plantaire efficace) amène à des sacrifices esthétiques difficiles pour certaines patientes (Figure 4).

Les orthèses d’orteils ou orthoplasties
Ces petits appareils sont faits sur mesure en élastomère de silicone par les podologues. Ils sont « injectés » en position debout après correction des déformations et des anomalies d’appui puis meulés pour une parfaite adaptation. La préparation semi-liquide durcit en quelques minutes. Ils sont indispensables pour lutter contre tous les conflits entre les orteils ou entre les orteils et les appuis au sol et/ou la chaussure (durillons à l’extrémité des orteils, parfois sous-unguéaux). Ils modifient le déroulement du pas digitigrade (Figure 5).

Non inscrits à la Liste de Produits et Prestations Remboursables (LPPR), ils ne sont pas pris en charge par la Sécurité sociale ni par les mutuelles.

Le chaussage sur mesure
Quand les orthèses plantaires et/ou les orthoplasties placées dans des chaussures du commerce deviennent insuffisantes, il faut envisager des chaussures faites sur mesure par un podo-orthésiste, sur prescription médicale.

La chaussure « orthétique »1 doit être réalisée de façon à compenser les insuffisantes articulaires, motrices et sensitives profondes en gênant le moins possible le déroulement de la marche. Elle doit ne pas limiter l’activité musculaire restante, ne pas contraindre les mouvements du pied en particulier dans la flexion dorsale de cheville (pas postérieur, digitigrade).

Pour cela, nous préconisons des chaussures à tige montante avec un baleinage semi rigide pour la raidir (Figure 6).

Il faut éviter lors de la première prescription un chaussage avec des contreforts ou tuteurs rigides qui dépassent les besoins des patients. Cela peut les détourner longtemps d’un chaussage adapté.

Détaillons les différents éléments composant la chaussure sur mesure
1. La tige est montante. Sa hauteur est proportionnelle au déficit musculaire : plus le déficit moteur est important, plus la tige doit être haute.

2. Le baleinage. Ce sont deux à quatre ressorts aplatis (Figure 7) qui sont placés dans des goussets latéraux dans la doublure de la chaussure en avant et en arrière des malléoles externe et interne. Leurs qualités mécaniques suffisent au début de la maladie à compenser le déficit moteur des releveurs (du jambier antérieur surtout). La souplesse relative assure une moindre gêne dans le demi-pas postérieur où le pied est en flexion dorsale.

3. L’orthèse plantaire de la chaussure sur mesure. Elle est proche dans sa structure de celle décrite plus haut. La réalisation d’un chaussage sur mesure permet de ne plus avoir la contrainte du volume de l’orthèse (difficulté rencontrée avec les chaussures du commerce) puisque la chaussure sur mesure est fabriquée autour de l’orthèse plantaire. Elle comprend les différents éléments permettant la répartition des charges, l’amortissement des hyperappuis et le contrôle des aplombs. Point particulier : le réglage de la compensation de l’équin, au niveau de la partie talonnière de l’orthèse plantaire et/ou du talon de la chaussure : on suit sa progression au cours de la maladie, on ne le précède pas pour ne pas l’accentuer. Il doit être réglé pour garantir la stabilité antéro-postérieure debout et à la marche.

4. Le contrefort. Il n’est pas envisagé dans le chaussage initial. Il est ajouté quand le déficit musculaire et l’instabilité latérale deviennent importants. Il est en matériau plastique thermoformé, en cuir ou en métal. Sa rigidité et sa hauteur doivent être adaptées aux besoins du patient. Il offre une fonction « releveur » plus puissante que le baleinage mais il est plus contraignant.

5. L’étai talonnier frontal. Il s’agit de donner un peu de largeur au talon de la chaussure surtout en externe pour bloquer la composante varisante de l’arrière-pied et l’instabilité latérale. Il est complémentaire et en synergie avec le coin postéro-externe de l’orthèse plantaire.

6. La chaussure sur mesure comprend également un cambrion pour éviter les déformations de la semelle de marche de la chaussure.

7. Une ouverture « derby » peut être avancée (ouverture cycliste) en cas de difficultés de chaussage (pour pouvoir passer un doigt et redresser un orteil qui se place mal).

8. Un bout dur est parfois en conflit avec des orteils en griffe.

9. Une fermeture qu’il faut adapter aux préférences du patient mais aussi à ses capacités de préhension quand les mains sont sévèrement touchées (laçage, crochets, velcros, glissière).

La couleur, les décorations et autres éléments esthétiques ne concernent pas le prescripteur.

La fabrication de la première paire de chaussure sur mesure est précédée d’une prise de moulage qui peut comprendre une étape numérique (prise de forme et réalisation du positif par ordinateur) et de l’essai d’une ébauche réalisée en matériau plastique transparent (équipée de l’orthèse plantaire définitive) qui permet de vérifier les aplombs, le confort, l’efficacité du chaussage.

Prise en charge

La Sécurité Sociale prend en charge la première année deux paires de chaussures sur mesure (environ 800 €). Les patients en affection longue durée (ALD) sont pris en charge à 100 %. Les mutuelles remboursent le reste à charge pour les patients qui ne sont pas en ALD. Ensuite, le renouvellement est annuel.

Le patient, à son initiative, celle de son médecin ou du podo-orthésiste, peut choisir pour une dotation annuelle une chaussure sur mesure d’intérieur où le cuir est remplacé par un matériau tissé faisant ressembler ses chaussures à des chaussons. Les composantes techniques et les performances à la marche sont identiques à celles des chaussures sur mesure décrite plus haut (ainsi que leur coût et remboursement).

Les appareils releveurs : petit et grand appareillage orthopédique

Dans le premier groupe, on dispose de matériel de série. On distingue les orthèses passives (releveur plastique standard, releveur carbone) et les orthèses dynamiques (Liberté, Boxia, Pneumaflex). Nous prescrivons surtout le Boxia : il comprend une guêtre sur laquelle se fixe par Velcro un puissant élastique qui s’accroche au niveau de crochets passés dans les Ĺ“illets de la chaussure tennis ou basket. Il permet un certain ajustement du varus (ou du valgus), ce que ne contrôle pas le Pneumaflex. Ces appareils sont disponibles dans certaines pharmacies et auprès des podoorthésistes (Pneumaflex) ou des orthoprothésistes. Ils ont la préférence dans certains pays qui ont moins que le nôtre la culture du chaussage sur mesure [2, 3].

Les releveurs du grand appareillage sont réalisés sur prescription spécialisée et sur mesure par un orthoprothésiste, ils sont une solution en cas d’échec des autres propositions.

Conclusion

Une prise en charge précoce centrée sur le chaussage associée à la rééducation fonctionnelle (traitée dans un article à venir) permet de retarder et de limiter les déformations des pieds (et des mains) dans la maladie de Charcot-Marie-Tooth [4]. La qualité et la quantité de marche donc qualité de la vie sont ainsi longtemps préservées. Il ne faut plus voir des situations difficiles avec pieds creux majeurs, pris en charge trop tardivement, le plus souvent par le chaussage orthétique seul (Figure 8).

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article

 
Footnotes
1 Le terme « orthétique » n’est pas homologué par la nomenclature. Il remplacerait cependant efficacement l’ancien terme « orthopédique » en précisant le rôle d’orthèse complexe du pied que représente la chaussure sur mesure avec tous ses composants spécifiques et évolutifs.
References
1.
Johnson NE, Heatwole CR, Dilek N, et al. Quality-of-life in Charcot-Marie-Tooth disease: the patient’s perspective . Neuromuscul Disord. 2014; ; 24 : :1018.–1023.
2.
Dufek JS, Neumann ES, Hawkins MC, O’Toole B. Functional and dynamic response characteristics of a custom composite ankle foot orthosis for Charcot-Marie-Tooth patients . Gait Posture. 2014; ; 39 : :308.–313.
3.
Ramdharry GM, Pollard AJ, Marsden JF, Reilly MM. Comparing gait performance of people with Charcot-Marie-Tooth disease who do and do not wear ankle foot orthoses . Physiother Res Int. 2012; ; 17 : :191.–199.
4.
Bensoussan L, Jouvion A, Kerzoncuf M, et al. Orthopaedic shoes along with physical therapy was effective in Charcot-Marie-Tooth patient over 10 years . Prosthet Orthot Int. 2016; ; 40 : :636.–642.