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Med Sci (Paris). 32: 29–33.
doi: 10.1051/medsci/201632s108.

Table ronde 4
Réalité et pérennité du modèle économique des maladies rares

MeSH keywords: Découverte de médicament, France, Humains, Modèles économiques, Médicament orphelin, Maladies rares, Traitements en cours d'évaluation, tendances, épidémiologie, thérapie

 

Participent à la table ronde :

Christian Deleuze, Genzyme

Bruno Detournay, CEMKA EVAL

Christophe Duguet, AFM-Téléthon

Valérie Handweiler, CHRU de Montpellier

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La table ronde est animée par Christian Deleuze (Genzyme)

Table ronde 4
Christian Deleuze
Les acteurs réunis autour de cette table ronde interviendront sur le thème de la réalité et de la pérennité du modèle économique des maladies rares. Des représentants des payeurs, comme le CEPS et la Direction de la Sécurité sociale (DSS), ont été invités à participer, mais ils ont décliné notre invitation. Nous le regrettons puisque 6 900 des 7 000 maladies rares n’ont pas de traitement spécifique. Pour autant, ces maladies ont besoin d’un modèle et d’un système pérenne qui leur permettraient d’être prises en charge.
Christophe Duguet
La question de la pérennité se pose particulièrement dans notre pays parce que le modèle fonctionne de manière relativement satisfaisante. Jusqu’à présent, la France est le seul pays européen à offrir à tous les patients qui en ont besoin un accès à tous les médicaments orphelins, sans restant à charge, et ce y compris pour un grand nombre de médicaments pour lesquels les conditions d’accès au marché ont été facilitées afin de les adapter à la spécificité des maladies rares. Nous devons garder en mémoire cet élément positif au cours de nos discussions.

Ce modèle présente toutefois quelques zones d’ombre. Ainsi, le nombre de médicaments en cours de développement est très largement insuffisant au regard du très grand nombre de maladies orphelines de traitements. En outre demeure le problème d’errance diagnostique et d’impasse de diagnostic pour un grand nombre de malades. De plus, la question des maladies rares ne peut être déconnectée de la problématique plus large du financement de l’innovation thérapeutique par notre système de santé.

Le modèle français des maladies rares a réussi à construire un consentement collectif à payer. Ce modèle n’a pas d’équivalent dans d’autres domaines de la santé. Il permet à l’ensemble des partenaires concernés de travailler de manière constructive. La tenue du colloque RARE depuis un certain nombre d’années en est un exemple.

Aujourd’hui, le consentement collectif à payer est cependant en danger. La contrainte économique est devenue majeure. Pour permettre la pérennité de notre modèle, l’enjeu est de reconstruire les moyens d’organiser ce consentement. Pour cela, il me semble important de ne pas pas perdre de vu certaines clés de la réussite.

Le premier élément est la construction d’outils permettant d’éclairer le paysage et de répondre à des questions essentielles comme l’impact économique des maladies rares. Dans ce domaine, la situation actuelle s’apparente à un désert. Nous ne disposons pas d’études ou d’outils satisfaisants permettant d’éclairer correctement et de préparer les nécessaires décisions politiques.

Inscrit dans le PNMR1, l’Observatoire économique des médicaments orphelins n’a toujours pas vu le jour. Le ministère n’a organisé qu’une seule réunion sur ce sujet qui présente pourtant un enjeu fort. Les données permettant d’alimenter le débat public restent opaques et partielles.

Le second élément est celui de la transparence dans la construction des prix du médicament. Ce point est essentiel car notre système est en difficulté. Un nouveau modèle qui permettrait la fixation de prix justes et maîtrisés, prenant en compte les coûts d’invention, de production et de distribution est absolument nécessaire. Au-delà des problèmes communs avec de nombreuses maladies sur les niveaux excessifs de certaines innovations thérapeutiques, nous avons des spécificités dans le domaine des maladies rares. Certains médicaments peuvent présenter un faible niveau d’efficacité, alors qu’ils sont absolument nécessaires pour les patients atteints de maladies rares pour lesquelles il n’existe aucune alternative. Il faut donc convaincre la société de payer des médicaments pour lesquels le niveau d’effet n’est pas très important et le niveau de preuve parfois incertain. Face au risque financier pris par la société, de nouveaux outils devraient assurer une plus grande transparence dans le mécanisme de construction des prix afin de garantir l’accès des patients aux médicaments.

Enfin, pour pérenniser le modèle, il faut veiller à ne pas trop se réfugier derrière l’Europe. Dans de nombreux domaines de l’action publique, l’acteur public se déclare souvent impuissant face à une Europe dont il subirait les décisions. Dans le cas présent, le raisonnement inverse semble être mis en avant en reportant la responsabilité de l’action sur l’Europe (c’est à l’Europe de faire). Pour autant, les autorités françaises ne se mobilisent pas suffisamment pour porter la voix de la France au niveau européen et défendre ses spécificités. Par exemple, le système de santé français présente des avantages indéniables, dans le domaine de l’accès anticipé aux médicaments pour tous les patients. Toute harmonisation européenne risquant de se faire sur le plus bas dénominateur commun doit être absolument évitée.

Christian Deleuze
Les médicaments orphelins représentent une dépense d’environ un milliard d’euros, soit 4 % de l’enveloppe du médicament. Celle-ci représente environ 15 % du budget total de la Sécurité sociale. Les médicaments des maladies rares représentent donc 0,6 % du budget de la Sécurité sociale. Le fait de réduire de moitié le coût de traitement des maladies rares résoudrait ainsi pour 0,3 % le problème du budget de la Sécurité sociale ! Dans les progrès apportés par les médicaments, un nouveau regard devrait être porté sur la prise en charge des thérapies pour lesquelles il n’y a pas de médicaments spécifiques, et sur les modèles de filière.
Bruno Detournay
Les questions posées par les maladies rares sur le plan économique portent sur la mesure du fardeau économique et social associé à ces maladies, l’évaluation de l’efficience des interventions visant leur prévention, leur diagnostic, leur traitement ou l’accompagnement des patients, la résolution des problèmes d’équité sous-jacents, et les questions de financement de la recherche et de la production des biens et services lorsque ces derniers contribuent avec un niveau de preuve suffisant à l’amélioration de la santé des personnes.

Mon intervention d’aujourd’hui portera essentiellement sur le fardeau économique et social, également appelé « études de coût de la maladie ». Celles-ci visent à identifier les ressources mobilisées par la prise en charge d’une pathologie particulière (ou d’un groupe de pathologies) et par ses (leurs) conséquences.

Ces études visent à la fois à aider à la détermination de priorités à l’échelle nationale ou régionale en complétant la mesure du fardeau épidémiologique et clinique des pathologies, à aider à justifier du besoin d’interventions en santé dans un domaine particulier (notion d’intérêt de santé publique), et à contribuer aux arguments à prendre en compte dans les politiques d’investissement public comme dans les échanges portant sur la fixation des prix des interventions relevant d’un financement collectif.

Deux grandes approches sont utilisées. L’approche descendante (top-down) cherche à répartir l’ensemble des dépenses de santé entre les maladies, puis entre les malades. À l’inverse, l’approche ascendante (bottom-up) consiste à étudier la consommation moyenne de soins de personnes malades pour définir les dépenses liées à chaque maladie, et retrouver finalement l’agrégat macro-économique des dépenses de santé. En pratique, selon les méthodologies utilisées, les résultats obtenus peuvent être très variables. Cette hétérogénéité est liée aux choix effectués sur le point de vue (collectif, assurance-maladie, patient, producteur de soins, etc.), la période de l’étude (coûts annuels, vie entière), la prise en compte ou non des coûts directs ou indirects (c’est-à-dire des coûts directement liés à la pathologie et les conséquences de la maladie sur l’économie générale, liées par exemple au fait que les malades ne peuvent plus travailler), aux objectifs poursuivis (consommation de soins par les personnes malades versus coût de la maladie elle-même, de ses complications et pathologies liées), et au périmètre du panier de soins pris en compte (remboursable/non-remboursable ; quelles sont les limites de la santé ?).

En France, ces études reposent habituellement sur des enquêtes sur des populations identifiées comme présentant la maladie avec un recueil prospectif ou rétrospectif des consommations de soins et des conséquences indirectes puis des valorisations secondaires.

Ces études peuvent reposer également sur l’exploitation de bases de données médico-administratives (en particulier celles de l’assurance-maladie). Cette approche limite certains biais (mémorisation, valorisation), mais en introduit d’autres (identification algorithmique des patients, non-prise en compte de certaines conséquences directes [aidants] ou indirectes).

L’idéal serait de combiner une démarche médicale permettant d’identifier les patients présentant la maladie d’intérêt et d’aller chercher dans les bases de l’assurance-maladie les consommations de soins de ces mêmes patients.

Dans le contexte des maladies rares, si ces principes restent applicables, différents obstacles spécifiques peuvent être rencontrés :

  • Seules les approches de type bottom-up peuvent être conduites.
  • L’identification des patients concernés (et des groupes témoins) est particulièrement complexe, surtout dans les bases de données (diagnostics incertains ou particulièrement tardifs [errance diagnostique], codes CIM imprécis ou inexistants, actes ou médicaments traceurs pas toujours disponibles).
  • Les paniers de soins à considérer sont difficiles à définir.
  • Le champ du remboursable ne couvre pas tous les besoins.
  • Un accompagnement des patients est souvent indispensable (le rôle des aidants est essentiel dans la vie quotidienne mais également pour les soins) d’où l’importance de ne pas oublier ces coûts qui sont, de fait, des coûts directs.
  • Les coûts indirects, quant à eux, peuvent être très importants, bien que l’on ne sache pas très bien les évaluer à l’heure actuelle.
  • Enfin, les flux financiers entre agents économiques sont souvent complexes à appréhender (allocations pour handicap, aides sociales, etc.).

Des enquêtes sur échantillons de patients identifiés dans les centres de référence, les registres, les associations de patients, etc. sont donc indispensables. Peu d’études de ce type ont été conduites en France et à l’échelle internationale.

Une revue des études économiques conduites pour dix pathologies rares dans le cadre d’un projet européen sur le fardeau économique et social des maladies rares en Europe a montré que 51 des 77 études identifiées sur ces dix pathologies portaient sur deux maladies (l’hémophilie et la mucoviscidose), les autres maladies ayant fait l’objet de très peu de travaux. En outre, les auteurs de cette revue ont constaté que les différentes méthodologies rendent difficiles les comparaisons. Ils ont toutefois conclu que la plupart des maladies rares examinées étaient associées à un fardeau économique « significatif », à la fois sur le plan des coûts directs et indirects.

Techniquement, l’étude des coûts des maladies rares reste difficile en France. La loi de santé devrait ouvrir l’accès aux données de l’assurance-maladie, ce qui facilitera peut-être la conduite de ces analyses. Il y a là un enjeu possible pour l’orientation des politiques de santé futures. Mais il s’agit également d’aider la société à clarifier ses valeurs dans le domaine de la santé. Consciente de ces enjeux, la Fondation maladies rares tente actuellement de lancer un projet autour de l’évaluation économique dans ce domaine.

Christian Deleuze
Mme Handweiler va maintenant nous parler des financements européens en matière de développement de la connaissance dans les maladies rares.
Valérie Handweiler
Je travaille à la Direction de la Recherche et de l’Innovation au CHU de Montpellier ; je suis chargée d’accompagner les investigateurs dans le montage de leurs projets européens. Je vais vous présenter Horizon 2020, la programmation de R&D de la Commission Européenne (CE), qui bénéficie d’une enveloppe de 9 milliards d’euros destinée aux projets santé sur la période 2014-2020. Il fait suite au 7e programme-cadre.

J’interviendrai aujourd’hui au titre du Point de Contact National (PCN) Santé de Horizon 2020. Cette programmation européenne est en effet organisée avec l’appui des États membres. Ainsi, en France, le ministère de la Recherche a constitué pour chaque thématique des groupes de personnes qui sont chargées de vous informer sur les appels à propositions. Elles sont votre relais avec la Commission européenne pour toutes les questions relatives aux projets ouverts au financement. Lorsque vous vous organisez pour répondre à des appels à propositions, le PCN peut vous guider et vous confirmer que votre projet cadre bien avec les attentes de la CE. Le coordinateur du PCN Santé, piloté par l’Inserm, est Nacer Boubenna. Le PCN regroupe une ressource de l’Institut Pasteur, des universités, du CNRS, de BPI France, du CEA et un représentant hospitalier au titre du Comité National de Coordination de la Recherche (CNCR).

L’Europe est une échelle adaptée pour la recherche sur les maladies rares. La programmation de Horizon 2020 a été bâtie sur des enjeux sociétaux (dont le Challenge Santé), sur lesquels sont positionnés - 2 fois par an - des appels à propositions : projets collaboratifs le plus souvent. Dans le cadre de ce dispositif, des études cliniques sont développées à l’échelle européenne, sur un plus grand nombre de patients. Des cohortes existantes peuvent être fusionnées, et les registres peuvent être mis en commun. La dimension européenne répond à la segmentation des connaissances en réunissant différents acteurs dans le cadre de divers projets.

Horizon 2020 repose sur trois piliers : l’Excellence scientifique, la Primauté industrielle et les Défis sociétaux. Les projets « Santé » se retrouvent dans le 3e pilier qui regroupe les « Défis sociétaux ».

Toute entité légale (laboratoire, PME, groupe industriel, association, etc.) peut répondre aux projets collaboratifs menés dans le cadre de Horizon 2020. Trois entités de trois États différents au minimum doivent participer à un même projet. Les partenaires américains peuvent participer aux projets du Défi Santé, tout en bénéficiant de financements, grâce à un accord bilatéral avec le NIH américain. En outre, 15 % du budget de Horizon 2020 est dédié aux PME.

Le programme de travail défini dans le cadre de Horizon 2020 s’organise sur deux ans. Certaines lignes de la programmation 2016-2017 ciblent directement les maladies rares. Un appel à projets sur la caractérisation et le diagnostic des maladies rares sera lancé en 2016. Cependant, un seul projet est attendu sur cette ligne. Ce projet recevra 15 millions d’euros de financement. L’appel à projets concernant les nouvelles thérapies pour les maladies rares s’organisera en deux temps (le 4 octobre 2016 et le 11 avril 2017). Cette ligne bénéficie de 60 millions d’euros de financement, pour des projets de 4 à 6 millions d’euros. Lancé en février 2016, un appel à projets portera sur les TIC permettant au patient de s’approprier davantage sa maladie et de communiquer des informations au médecin.

Le portail http://ec.europa.eu/research/participants/portal présente les financements et les lignes thématiques. Comme le dispositif est complexe, il ne faut pas hésiter à s’appuyer sur les relais présents dans les établissements.

D’autres possibilités existent en marge de Horizon 2020. E-Rare est une initiative qui regroupe des agences de financement européennes et lance des appels à projets visant à promouvoir des collaborations transnationales dans le domaine de la recherche sur les maladies rares. Il sera ouvert le 7 décembre 2015.

Dans le cadre de l’appel ANR dédié au montage de réseaux scientifiques européens et internationaux, des propositions de montage de réseau scientifique européen ou international devront être déposées le 12 janvier 2016.

Le programme COST (European Cooperation in Science and Technology) permet de monter des réseaux, pour ensuite travailler ensemble dans un contexte européen. La prochaine « collection date » a été fixée au 9 février 2016. À cette date, les lettres d’intention qui auront été déposées seront analysées par les experts et certaines équipes seront invitées à poursuivre leur demande avec un dossier complet.

Les Points de Contacts Nationaux en Santé des différents pays européens (réseau européen HNN2.0) ont mis sur pied un brokerage event, qui se tiendra le 13 janvier 2016 à Paris. Cette initiative permettra aux équipes de mettre en ligne leur carte de visite et de participer à des rendez-vous présélectionnés avec les structures ayant envie de postuler sur une certaine ligne dans les programmes-cadres européens.

Christian Deleuze
Après la table ronde sur les registres, au cours de laquelle il a été rappelé que l’État français se désengageait, il est appréciable d’entendre que l’Europe prend le relais. J’espère que cette orientation constituera un appel d’air et une ressource pour les acteurs concernés par la collecte de données.
ÉCHANGES AVEC LA SALLE
De la salle
Les études médico-économiques présentent-elles un intérêt lorsque l’absence de traitement de certaines maladies entraîne rapidement et malheureusement le décès des patients ?
Bruno Detournay
Les économistes considèrent généralement la fin de vie comme une période quelque peu indépendante des pathologies qui sont à l’origine de cette fin de vie. Les coûts les plus élevés sont toujours enregistrés durant les derniers mois de la vie. Ce sujet n’est donc pas forcément rattaché à une pathologie particulière.
Christian Deleuze
Le médicament est toujours regardé sous ses aspects coûts. Or, le traitement de certaines maladies, comme la maladie de Pompe, permet d’éviter des complications graves ou de retarder de manière importante le développement de la maladie. Cette réalité n’est jamais prise en compte dans un modèle économique du coût du médicament.
Bruno Detournay
C’est bien sûr faux puisque les études économiques sur l’efficience des traitements – obligatoires pour l’enregistrement et l’accès au marché – prennent en compte les coûts et les bénéfices induits par le traitement.
Christophe Duguet
Les études sont nécessaires, car elles peuvent apporter un éclairage, mais il n’existe pas de modèle unique permettant de calculer le prix du médicament en fonction des coûts évités. Dans le domaine des maladies rares, l’intérêt pour le patient et pour la société d’améliorer la qualité de vie et un certain nombre de fonctions ne se raisonne pas en études économiques. La construction d’un rond-point fleuri dans un centre-ville ne résulte pas d’une mesure de l’amélioration du bien-être et des conséquences économiques de cette construction ; elle correspond plutôt à une décision politique. Pour le financement d’un certain nombre de médicaments orphelins, un choix politique doit également être opéré. Cette logique de décision ne doit pas pour autant permettre à l’industriel de demander un prix exorbitant.
Christian Deleuze
Je m’inscris en faux avec ce que vous dites, M. Detournay, non pas sur l’existence des études économiques, mais dans leur mise en Ĺ“uvre parce que les modèles prédictifs sur des médicaments liés à des maladies rares ne fonctionnent pas. J’espère que nous serons capables de concevoir de tels modèles à l’avenir.
Bruno Detournay
J’ai entendu des erreurs de part et d’autre. Une évaluation économique n’est pas un bilan financier ; elle permet de mettre en rapport un différentiel de coût et des résultats de santé. L’évaluation économique se base sur des données cliniques d’efficacité comme de tolérance. La réflexion économique s’inscrit donc en complément des données médicales et épidémiologiques et aide les décideurs politiques.
Christophe Duguet
Une autre erreur serait de penser que la rationalité des hypothèses et de la rigueur de la méthode des économistes lorsqu’ils mènent leurs études soit comprise de cette façon par les décideurs publics. Les études économiques sont réalisées avec cohérence, mais elles ne sont pas toujours facilement utilisables par les décideurs publics. Nous voyons aujourd’hui toutes les limites dans l’utilisation par le payeur des travaux de la CEESP. Celle-ci, avec l’aide de méthodologies rigoureuses, montre dans trois quarts des cas que les problèmes méthodologiques rencontrés ne permettent pas de vraiment conclure. De son côté, le payeur ne sait pas quoi faire de tels résultats. L’essentiel ne réside pas dans la qualité de l’étude et de sa méthodologie, mais dans ce qu’en comprend le décideur et dans sa façon de l’interpréter. Aujourd’hui, le risque est que le payeur interprète une étude économique dans une logique financière et budgétaire, et non dans une logique de comparaison économique et d’efficience.
De la salle
Quelle est la proportion de projets retenus dans E-Rare ?
Valérie Handweiler
Sur les deux premières années de programmation, un projet sur deux ou trois a été retenu de la première à la deuxième étape. Environ 10 % des projets sont retenus à l’étape suivante. Il existe d’autres financements intéressants qui permettent de créer des réseaux scientifiques qui peuvent ensuite préfigurer le montage de projets européens. L’Agence Nationale de la Recherche (ANR) a mis sur pied un appel à projets « Montage de Réseaux Scientifiques Européens ou Internationaux (MRSEI) : un premier appel a été lancé en en 2015 ; un second a été lancé le 19 novembre pour un dépôt en janvier 2016. Il est donc tout à fait opportun de postuler pour mieux se positionner ensuite en Europe.
François Meyer
Je partage les propos de M. Detournay. Il y a une mécompréhension totale des études d’efficience. Celles-ci permettent justement la prise en compte de données sur le rapport entre le prix du médicament et les progrès qu’il va apporter aux malades. Elles évitent donc les choix guidés par des questions financières. Je sais toutefois qu’une pression financière de diminution des budgets va peser sur le prix des médicaments, et va donc interférer. Les données d’efficience donnent du sens aux progrès thérapeutiques et cliniques. Il ne faut pas faire d’erreur de concept sur ces études.
Bruno Detournay
Au-delà du consentement collectif à payer, il y a toujours un renoncement à payer d’autres choses. Par conséquent, un arbitrage doit être établi. De l’argent alloué aux maladies rares n’ira pas à la vaccination ou à d’autres actions préventives ou curatives. L’arbitrage est complexe, mais il doit être pris en compte pour repenser le modèle économique des médicaments.
Christophe Duguet
Des arbitrages sont effectivement opérés entre différentes dépenses, qui ne sont pas uniquement liées à la santé. Les arbitrages ne mettent pas en concurrence différentes maladies, mais différentes dépenses publiques. Le consentement collectif doit s’appuyer sur des arbitrages globaux. En tant que patients, nous pouvons considérer que le fait d’apporter une amélioration pour des personnes aujourd’hui sans traitement ni perspective mérite d’être placé à un niveau de priorité assez important dans les dépenses publiques.
Liens d’intérêt

B. Detournay déclare avoir une participation financière dans le capital de l’entreprise CEMKA-EVAL et déclare avoir des liens durables avec l’entreprise CEMKA-EVAL.

C. Deleuze déclare avoir des liens durables avec l’entreprise Sanofi-Genzyme.

V. Handweiler, C. Duguet déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.