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Med Sci (Paris). 32(12): 1130–1134.
doi: 10.1051/medsci/20163212018.

« Nudges » : validité, limites et enjeux éthiques, notamment en santé

Caroline Huyard1*

1CERAPS (Centre d’études et de recherches administratives, politiques et sociales), UMR CNRS 8026, université de Lille, 59000Lille, France
Corresponding author.
 

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Vignette (Photo © Inserm/Musée Jules Verne – Ville de Nantes/Éric Dehausse).

Dès la parution en 2008 de l’ouvrage de Richard H. Thaler et Cass R. Sunstein [1], le concept de « nudge »1 a retenu l’attention des professionnels des politiques publiques [2]. Depuis lors, il a suscité de nombreuses réflexions, notamment en santé [35]. Cependant, l’imprécision de la définition donnée par les auteurs, ainsi que les questions méthodologiques et éthiques qu’il pose, ont suscité un foisonnement de controverses qui peuvent rendre sa compréhension et son appréciation difficiles. C’est pourquoi cet article propose d’en cerner la portée et les limites.

Qu’est-ce qu’un « nudge » ?

Dans leur ouvrage séminal, Richard H. Thaler et Cass R. Sunstein n’ont pas proposé de définition technique du « nudge », mais ont simplement considéré que ce terme désignait tout aspect de l’architecture ou, plus exactement, de la mise en scène des choix qui modifie de façon prévisible le comportement des gens sans interdire aucune option ni modifier de façon significative les incitations financières ([1] p. 25). Si les nudges fonctionnent, c’est parce que, contrairement à ce que postule l’analyse économique la plus classique, nous cherchons rarement à optimiser nos décisions, et nous nous contentons généralement d’obtenir des résultats qui nous satisfont en nous laissant porter par l’habitude et en minimisant nos efforts intellectuels. Les nudges exploitent cette tendance en agissant sur notre système cognitif automatique plutôt que sur notre système cognitif réflexif, afin d’orienter notre comportement. L’efficacité potentielle des nudges repose donc précisément sur le fait qu’ils visent de façon privilégiée le système cognitif automatique.

Cette observation n’est pas nouvelle en économie (la notion de rationalité limitée est établie depuis les années 1970 grâce aux travaux de Herbert Simon2,). En santé publique, le slogan proposé par Nancy Milio3, dès les années 1970, « making healthy choices the easy choices4 » repose sur la même intuition [6]. La nouveauté du propos de Richard H. Thaler et Cass R. Sunstein tient à sa dimension politique et à l’inscription de l’action publique dans une démarche qu’ils nomment le « paternalisme libertaire ».

Le paternalisme libertaire

Le paternalisme libertaire est une vision du politique qui combine deux postulats ([1] p. 23). Elle est « paternaliste » en ce qu’elle repose sur l’idée qu’il est légitime d’influencer le comportement des gens pour les aider à vivre plus longtemps, mieux et en meilleure santé. Ces objectifs seraient implicitement partagés par chacun(e), tout en étant régulièrement contrecarrés par des erreurs de jugement et des biais psychologiques. Cette vision est « libertaire » en ce que la liberté de choix des personnes doit néanmoins ne jamais être limitée. En cela, les outils classiques de la réglementation et de la taxation sont, pour les tenants du paternalisme libertaire, à éviter.

Cette vision a suscité de vives réactions [7, 8]. Comment préserver la liberté des personnes en les amenant néanmoins à se conformer à un objectif défini par un tiers ? Symétriquement, comment un tiers peut-il obtenir des personnes qu’elles fassent un choix donné sans pour autant porter atteinte de quelque manière que ce soit à leur liberté ? Bien que ces questions renvoient à des problématiques classiques et anciennes en philosophie politique, les auteurs n’avaient jusqu’alors jamais envisagé qu’une construction telle que le paternalisme libertaire puisse avoir un sens. Ils s’accordent en effet à donner la priorité soit à un même bien visé par tous (par exemple, la santé), soit à la liberté (ce qui implique que les individus peuvent poursuivre des biens différents), mais pas aux deux simultanément [9, 10]. De fait, plusieurs failles dans la proposition de Thaler et Sunstein sont évidentes et ont amené certains auteurs à en contester le caractère libertaire. Par exemple, le jugement du concepteur du nudge se substitue à celui des personnes visées, ce qui ne saurait être compatible avec la préservation de leur liberté [11] ; et de même, le nudge privilégie le système cognitif automatique par rapport au système cognitif réflexif, qu’il contourne parfois, ce qui est là aussi une forme d’atteinte à la liberté [6].

L’important ici n’est toutefois pas tant un débat philosophique sur le concept de liberté dans le paternalisme libertaire que les enjeux éthiques et méthodologiques des nudges, notamment en santé publique. Avant toute chose, il est essentiel de comprendre plus finement comment fonctionnent les nudges. Conrad Heilman [12] fournit un cadre analytique très utile de ce point de vue, à partir d’une description en quatre étapes du processus d’action des nudges (Figure 1).

Étape 1 : il relève que les nudges sont indiqués dans l’hypothèse où, initialement, le système cognitif réflexif des personnes accepte le choix que l’on qualifiera de raisonnable tandis que leur système cognitif automatique ne le fait pas. Si les deux systèmes cognitifs étaient d’emblée alignés sur le choix raisonnable, l’intervention serait inutile, et si les deux systèmes cognitifs étaient au contraire d’emblée opposés au choix raisonnable, l’intervention aurait peu de chances de réussir à les y amener sans recourir à une forme de contrainte. Cette hypothèse est fondamentale pour bien comprendre le mode d’action des nudges. En outre, elle doit être vérifiée pour qu’ils soient acceptables aussi sur le plan éthique, et ne se réduisent pas à une simple manipulation.

Étape 2 : le nudge vise alors concrètement à faire que le système cognitif automatique accepte lui aussi le choix raisonnable, par une mise en scène des choix qui active des mécanismes comportementaux spécifiques.

Étape 3 : la revendication de préservation de la liberté des personnes implique ensuite que les personnes puissent corriger le choix qu’elles ont fait sous l’influence du nudge. Cette étape est là aussi cruciale si le paternalisme doit être libertaire.

Étape 4 : enfin, les personnes décident, idéalement en optant volontairement pour le choix raisonnable, mais sans avoir eu à engager une réflexion complexe, chronophage ou coûteuse.

Les étapes 1 et 3 permettent de distinguer les nudges canoniques des autres techniques d’action sur le comportement humain. Les nudges canoniques portant sur l’ignorance, l’inertie, le manque de maîtrise de soi, et autres biais et erreurs dans le jugement, fonctionnent, conformément à la description idéale, sur les quatre points. Ce sont par exemple les informations nutritionnelles ou le choix d’une taille par défaut pour les produits alimentaires. Dans d’autres modes d’action sur le comportement, il y a un problème à l’étape 1 (hypothèse fondamentale non vérifiée) ou à l’étape 3 (correction de la décision impossible). Ce sont notamment :

  • les techniques qui poussent la personne à agir contre ce qu’elle juge être son intérêt : elles interviennent alors que la personne ne choisirait pas nécessairement l’option raisonnable (problème à l’étape 1). Thaler et Sunstein évoquent le don d’organes. L’organisation du dépistage du cancer du sein au Danemark [13] est un autre exemple de ce type d’intervention. Un nudge présenté comme l’un des plus efficaces est la définition de la « bonne » option par défaut [14]. Lorsqu’elles doivent faire un choix, les personnes tendent en effet à accepter facilement l’option par défaut. Cette technique est utilisée pour ce dépistage, dans lequel l’option par défaut est le consentement. Les femmes reçoivent donc une convocation accompagnée d’un livret qui leur décrit de façon orientée pourquoi elles devraient accepter le rendez-vous fixé, alors que, sur 2 000 femmes qui passent cet examen, 200 auront un résultat faussement positif, source d’inquiétudes fortes, 10 auront un traitement lourd qui n’aurait peut-être pas été nécessaire, et 1 bénéficiera effectivement d’un traitement précoce utile.
  • le dispositif d’influence non détecté : il est tellement discret que la personne ne le remarque pas et n’a pas la possibilité de corriger sa décision (problème à l’étape 3). Les bandes blanches disposées sur la chaussée de façon à donner aux conducteurs l’illusion que la vitesse de leur véhicule augmente et les amener ainsi à ralentir sont un exemple de ce type d’intervention ([1], p. 76).
  • la manipulation : elle intervient à l’insu des personnes, comme le dispositif d’influence non détecté (problème à l’étape 3), et bien souvent parce que la personne n’aurait pas accepté le choix raisonnable (problème à l’étape 1). En théorie, la manipulation n’est pas compatible avec un bon usage des nudges. En pratique, la frontière est moins nette, par exemple dans le cas du nudge consistant à indiquer à la personne que la plupart des gens font le choix que l’intervention veut l’amener à faire, nudge qui est lui aussi considéré comme l’un des plus efficaces [14]. Le problème est bien sûr que, en réalité, la plupart des gens ne font pas le choix raisonnable. C’est justement ce qui motive l’intervention. Il faudra alors trouver une formulation adaptée. Si elle ne peut pas être « 90 % des gens paient leurs impôts dans le délai imparti », elle sera « 90 % des gens pensent qu’il est important de payer ses impôts ». Le décalage entre la situation réelle et la manière dont les personnes comprennent le message qui leur est adressé peut alors être important.

Cette analyse souligne que, bien que Thaler et Sunstein parlent systématiquement des nudges en décrivant les dispositifs matériels, ce n’est pas l’efficacité potentielle ou la simplicité de mise en œuvre qui permettent d’identifier le nudge canonique, mais le déroulement du processus de décision. Dans ce déroulement, deux points devraient systématiquement être clarifiés par les concepteurs d’un nudge : Comment établissent-ils que le système cognitif réflexif de la personne accepterait effectivement le choix raisonnable ? Comment garantissent-ils à la personne la possibilité de corriger sa décision ?

L’apport des recherches sur la manipulation et le design

Le riche héritage conceptuel et théorique des sciences de la communication et de l’information n’apparaît que très peu dans les réflexions suscitées par les nudges. Deux notions liées aux nudges y figurent pourtant en bonne place : la manipulation (dont l’importance a bien été perçue [15]) et le design (ou conception).

Comme le nudge, la manipulation vise à induire un comportement donné. À cette fin, elle « s’appuie sur une stratégie centrale, parfois unique : la réduction la plus complète possible de la liberté de l’auditoire de discuter ou de résister à ce qu’on lui propose » et surtout, « cette stratégie doit être invisible » ([16], p. 24). Techniquement, pour manipuler, il faut donc identifier la résistance qui pourrait être opposée, la neutraliser et masquer la démarche elle-même. Souvent, la manipulation comporte une part de mensonge, elle fait croire ce qui n’est pas, de façon à vaincre une résistance. Mais elle peut également utiliser d’autres ressorts, comme la séduction. La frontière entre nudge et manipulation est souvent bien mince. Comment les distinguer ? Philippe Breton [16] fournit un critère important et simple : la manipulation ne résiste pas à l’épreuve du temps. Avec le recul, la personne manipulée se rend compte qu’elle n’aurait pas pris de son plein gré la décision à laquelle la manipulation l’a amenée, et elle la regrette. Cela signifie que, au contraire, un nudge canonique doit fonctionner avec succès de manière répétée auprès des mêmes personnes, attestant ainsi que le système cognitif des personnes accepterait le choix raisonnable. Si ce n’est pas le cas, le nudge se ramène à une manipulation.

Dans les environnements techniques, un certain nombre d’outils ont été développés au fil du temps pour assurer la sécurité ou la fiabilité des opérations de production, ou la réalisation d’autres fonctions, à travers la notion de design with intent 5 [17]. Les techniques les plus connues sont celles qui ont été inventées dans les années 1980 par les ingénieurs japonais pour éviter les erreurs en production, par exemple avec la mise au point de détrompeurs ou poka-yoke (dispositifs mécanique visant à éviter les erreurs lors d’un assemblage, d’un montage ou d’un branchement, et permettant d’effectuer tout de suite la bonne action, sans qu’il soit besoin de corrections ultérieures) [18]. Ces recherches ont évolué récemment, avec l’émergence, au carrefour de la psychologie et de l’informatique, de travaux centrés sur la notion de persuasive technology, qui désigne tout système d’information interactif utilisé pour modifier les attitudes ou les comportements des utilisateurs, souvent dans le sens de l’utilité sociale [19] et sur la base d’une volonté de changement exprimée par les personnes [20]. Elles soulignent l’intérêt de bien définir le point de départ de l’intervention, à partir du constat que les personnes accordent de l’importance à la cohérence et la continuité de leur vision du monde. Dès lors, il est possible de les inciter à changer en leur montrant leur incohérence (plutôt que d’entretenir leur inertie), et de les aider à maintenir le changement en soutenant les engagements qu’elles ont déjà pris [19]. En outre, les personnes changeront d’autant plus facilement et fortement leur comportement qu’elles souhaitaient le faire et qu’elles rencontraient des difficultés à enclencher ou à maintenir le changement [21]. Au rebours de certaines affirmations des promoteurs des nudges [14], les travaux en matière de persuasive technology insistent sur le fait que les enjeux éthiques doivent faire l’objet d’une vigilance constante et que la complexité des environnements dans lesquels vivent les personnes doit être prise en compte [20]. Dans ce contexte, les études menées rappellent que la persuasion intervient généralement de manière progressive, qu’elle demande du temps et un accompagnement [19]. De la même manière, en fonction des personnes, des groupes ou des dispositifs, les stratégies de persuasion peuvent prendre une voie directe (plus réflexive) ou une voie indirecte (plus automatique), la voie directe étant cependant plus pérenne [19], et l’une comme l’autre pouvant être adoptée selon son adéquation avec le contexte. Ces apports sont importants pour concevoir des nudges ou outils analogues qui permettent effectivement aux personnes de corriger leur décision.

Les contributions de ces deux courants de recherche permettent d’aller au-delà d’une évaluation de la seule efficacité des nudges, mesurée par exemple par le pourcentage des personnes qui prennent la « bonne » décision [1], et de s’assurer aussi de leur caractère véritablement non-manipulateur et non-coercitif.

Une utilisation potentielle limitée

On comprendra à ce stade de l’analyse que le contexte d’utilisation des nudges est en fait très restreint. Que l’on souscrive ou non au paternalisme libertaire, la manipulation, l’influence non détectée ou la pression exercée discrètement sur une personne pour l’amener à une décision qu’elle ne souhaite pas, sont problématiques d’un point de vue éthique. En outre, le fait de privilégier les nudges, comme le font les tenants du paternalisme libertaire, introduit plusieurs limitations importantes à l’action en santé publique.

Les études recourant aux résultats de l’économie comportementale sont maintenant nombreuses. Certaines rapportent des effets positifs des nudges : en matière de vaccination contre la grippe, un simple courriel de rappel permet d’augmenter de 36 % le taux de vaccination et une simple carte sur laquelle les patients notent eux-mêmes le moment où ils souhaitent venir pour se faire vacciner augmente la probabilité qu’ils le fassent effectivement de 12 % [22] ; un repositionnement stratégique des produits vendus dans un commerce alimentaire permet d’augmenter les ventes des produits plus sains (sans pour autant baisser celles des produits moins sains) [23] ; augmenter la taille des assiettes dans une cafétéria permet d’augmenter la quantité de légumes consommés [24]. Cependant, malgré une base scientifique plus solide que pour d’autres démarches interventionnelles, les améliorations escomptées ne sont pas toujours obtenues [25] et des modifications de comportement autres que celles qui étaient anticipées sont parfois relevées, comme dans une étude visant à faciliter la scolarisation des adolescentes au Malawi qui se trouve en fait avoir réduit leur exposition au VIH (virus de d’immunodéficience humaine) et au virus de l’herpès [26]. Cette approche n’a pas encore fait ses preuves dans la durée, et il semble qu’elle convienne mieux à des décisions prises une fois pour une longue période qu’à des décisions répétées et rapprochées dans le temps [27]. L’inégale répartition des comportements à risque n’est pas prise en compte, alors qu’elle est bien établie, de même que la nécessité de réfléchir à des approches qui ne pénalisent pas les victimes [2]. Les nudges peuvent répondre à ce besoin, mais ils peuvent aussi renforcer la stigmatisation, comme en témoigne le vocabulaire de certaines publications qui incriminent la paresse ou le manque d’autocontrôle des personnes obèses [28]. Enfin, il paraît contradictoire de chercher à changer durablement et massivement les habitudes au moyen de nudges lorsque l’on a fait le constat de la préférence pour le statu quo, du poids des comportements grégaires et de l’aversion à la perte, tout en renonçant à des possibilités d’intervention, plus complexes et plus lentes, qui font une plus large part à l’éducation ou à l’évolution des personnes [11].

L’efficacité comparée des nudges reste également à démontrer. L’orientation idéologique forte des promoteurs des nudges se marque nettement dans leur manière d’évaluer différents outils d’action publique. Les nudges sont ainsi systématiquement préférés à la réglementation ou à la taxation pour des raisons de principe, et non pas pour des raisons d’efficacité intrinsèque. Il est cependant établi que la réglementation ou la taxation peuvent être efficaces, et la comparaison peut être à leur avantage : par exemple, la consommation quotidienne de sel au Royaume-Uni a été réduite de 0,9 g sous l’effet d’efforts consentis par les industriels en réponse à la menace de mesures réglementaires contraignantes, alors qu’au Japon et en Finlande, la diminution obtenue a été de 5 g, précisément grâce à la réglementation [29]. Un obstacle important à une utilisation des nudges en santé publique tient à ce que les éléments à modifier pour agir sur les comportements (emballage, taille, positionnement des produits, etc.) hors d’un cadre expérimental sont généralement définis par des acteurs économiques privés. La mise en œuvre effective d’incitations à une consommation plus conforme à des objectifs de politique publique, sous forme de nudges par exemple, demande donc à agir sur ces éléments contrôlés par les acteurs privés. Il serait en théorie possible de compter sur l’autorégulation de ces acteurs. Cependant, l’expérience historique démontre, pour l’industrie du tabac, de l’alcool ou de l’alimentation, que cette autorégulation a été moins efficace que la réglementation [29]. Une application efficace des nudges appelle donc souvent la mise en œuvre des outils classiques de l’action publique, ne serait-ce que pour amener les acteurs privés à mobiliser les nudges dans le sens souhaité.

Enfin, de nombreux auteurs soulignent que les nudges ne doivent être qu’un outil parmi d’autres en santé publique [2], et non pas l’outil principal de modification des comportements. Bien qu’ils soient peu coûteux et souvent simples à mettre en œuvre, les nudges ne sont pas un outil très accessible pour l’action publique qui repose essentiellement sur la réglementation, la taxation et l’information. L’utilisation de nudges ne recoupe que partiellement ce troisième outil, lors de campagnes d’information, et peut éventuellement être complétée par une refonte de certaines procédures administratives (options par défaut, lisibilité, messages, etc.) [14]. Si de nombreux aménagements de l’environnement des personnes constitueraient des nudges potentiellement intéressants [30], ils ne peuvent être envisagés à grande échelle qu’à la condition de réglementer différemment l’activité des entreprises qui organisent cet environnement, voie que les tenants du paternalisme libertaire se refusent à envisager.

Une perspective prometteuse : l’encadrement des nudges privés

C’est pourtant un aspect tout particulièrement intéressant des nudges, que Theresa Marteau souligne bien [29] : ce type de technique est extrêmement efficace et a été mobilisé avec beaucoup de succès par les acteurs économiques, par exemple pour augmenter notre consommation alimentaire ou la consommation d’alcool chez les adolescents. L’identification et l’encadrement de ces techniques par des agents privés, et en particulier par les entreprises dans le cadre de la publicité ou du marketing, serait selon certains chercheurs une voie de recherche et d’action publique effectivement innovante et prometteuse [30], exempte de risques de manipulation. C’est ce que montrent d’ailleurs déjà des travaux en ce sens sur le conditionnement des produits alimentaires [31] ou du tabac [32] ().

(→) Voir le Forum de A. Soriano et al., m/s n° 11, novembre 2013, page 1042

Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 Nudge peut être traduit par l’expression française « pousser du coude ».
2 Herbert Simon (1916-2001). Économiste américain, prix Nobel d’économie en 1978.
3 Nancy Rosalie Milio est professeur émérite de politique de la santé et de l’administration, École de santé publique, Université de Caroline du Nord. Elle est un précurseur en matière de politique et d’éducation de la santé publique, à l’origine de la notion de politique de santé publique.
4 « Faire que des choix sains soient les choix faciles ».
5 Conception avec intention.
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