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Med Sci (Paris). 32(8-9): 768–770.
doi: 10.1051/medsci/20163208026.

Vers une électrophysiologie optique in vivo

Laurie Lambot1* and David Gall2**

1Department of physiology, Feinberg school of medicine, Northwestern university, 303 East Chicago avenue, Chicago, IL60611, États-Unis
2Laboratoire de physiologie et pharmacologie (CP604), faculté de médecine, Université Libre de Bruxelles, route de Lennik 808, B-1070 Bruxelles, Belgique
Corresponding author.
 

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Mesures optiques du potentiel membranaire

Une approche expérimentale prometteuse, développée depuis plus de quarante ans, repose sur l’imagerie fonctionnelle basée sur l’utilisation d’indicateurs fluorescents sensibles au potentiel membranaire [1]. Cette technique permet potentiellement une mesure directe et simultanée de la dynamique spatiotemporelle de l’activité électrique d’un grand nombre de neurones et donc, de la connectivité des réseaux impliqués. Néanmoins, cette stratégie expérimentale était jusqu’ici en butte à des limitations techniques importantes, liées aux types de molécules fluorescentes utilisées. En effet, s’il existe des indicateurs fluorescents de synthèse ayant une résolution temporelle suffisante pour détecter les potentiels d’action, leur sensibilité est relativement faible [2] ; typiquement, une modification de 100 mV, ce qui correspond à l’amplitude d’un potentiel d’action, entraîne une modification de l’intensité de fluorescence de l’ordre de 2 à 10 %. Le marquage cellulaire par ces molécules est obtenu soit par micro-injection, soit par pré-incubation. Dans le premier cas, la difficulté technique inhérente à l’injection au niveau cellulaire rend impossible le marquage d’un grand nombre de cellules. Dans le second cas, la pré-incubation induit un marquage indiscriminé qui ne permet pas le ciblage d’un circuit neuronal précis. Récemment, une nouvelle classe d’indicateurs, codés génétiquement, a permis de dépasser ces limitations.

Une nouvelle classe d’indicateurs fluorescents codés génétiquement

Les indicateurs fluorescents codés génétiquement permettent de cibler des populations neuronales spécifiques en utilisant des techniques d’expression génique existantes et éprouvées comme le système Cre/Lox1 ou le recours à des vecteurs viraux. De premiers indicateurs performants ont été créés et ont déjà eu un impact majeur dans les neurosciences : des indicateurs fluorescents sensibles à la concentration en calcium [3]. Néanmoins, la mesure des signaux calciques ainsi obtenue ne constitue pas un reflet fidèle de l’activité électrique neuronale. En effet, faute d’une résolution temporelle suffisante, elle ne permet pas la mesure des potentiels d’action neuronaux, en particulier à haute fréquence2. De plus, elle ne peut détecter des modifications du potentiel membranaire n’entraînant pas d’entrée de calcium extracellulaire. Dès lors, le recours à des indicateurs codés génétiquement et sensibles au potentiel membranaire est nécessaire. Débutés à la fin des années 1990, les progrès dans le développement de ces indicateurs se sont avérés nettement plus lents que ceux réalisés dans la mise au point des sondes calciques codées génétiquement.

Quatre approches ont été utilisées dans la conception de ces indicateurs sensibles au potentiel membranaire (Figure 1). La première a consisté à fabriquer une protéine de fusion comprenant une protéine fluorescente et un domaine transmembranaire sensible au potentiel. Néanmoins, les indicateurs ainsi obtenus, dont l’un des plus récents est ASAP1 (accelerated sensor of action potentials 1) [4], se sont avérés peu performants tant en terme de sensibilité que de résolution temporelle. Dans une seconde approche, la protéine de fusion comprenait un domaine sensible au potentiel et une paire de protéines fluorescentes. Le potentiel de membrane pouvait ainsi moduler l’émission fluorescente par transfert d’énergie par résonance de type Förster (FRET, Förster resonance energy transfer) entre les deux fluorophores3 (pour plus d’explications voir [5]) ().

(→) Voir le Dossier technique de G. Trugnan et al., m/s n° 11, novembre 2004, page 1027

Ces sondes présentent une meilleure sensibilité au potentiel membranaire mais leur cinétique reste trop lente pour permettre une mesure fidèle des potentiels d’actions [6]. La troisième catégorie de sondes repose sur l’utilisation d’opsines4 bactériennes dont la fluorescence intrinsèque est sensible aux variations du potentiel membranaire. Cependant, même les variantes les plus brillantes et qui présentent une grande sensibilité de mesure sont faiblement fluorescentes [7]. Enfin, très récemment, des indicateurs utilisant le FRET entre une protéine fluorescente et une opsine ont été créés [8], dont les Ace-mNeon [9]. Les Ace-mNeon sont des protéines de fusion composées d’une rhodopsine provenant de Acetabularia acetabulum 5, et d’une protéine fluorescente mNeonGreen6, permettant une émission optimale par FRET. Ces sondes présentent à la fois une grande sensibilité aux variations du potentiel membranaire et une fluorescence intense.

Les données obtenues in vitro montrent que les Ace-mNeon permettent une détection des potentiels d’action avec une fidélité remarquable, mais également qu’elles s’avèrent capables de mesurer des modifications minimes du potentiel membranaire en l’absence d’activité électrique. Lors d’un saut du potentiel membranaire de 100 mV, cette sonde présente une variation de fluorescence, mesurée à l’état stationnaire, supérieure à 80 %, cette réponse présentant une dépendance linéaire au potentiel membranaire dans tout l’intervalle physiologique. La résolution temporelle obtenue est de plus inférieure à la milliseconde, permettant ainsi la détection des potentiels d’action neuronaux.

Application à l’étude de circuits neuronaux in vivo

Afin de pouvoir utiliser ces indicateurs, l’aspect le plus crucial est de vérifier si la sensibilité observée in vitro permet effectivement des mesures in vivo. Dans ce but, Gong et al. [9] ont sélectivement exprimé la sonde Ace-mNeon dans les neurones des couches 2/3 du cortex visuel7 de la souris. L’activité électrique de ces neurones marqués, situés à plus de 100 µm sous la surface du cerveau, a pu ainsi être mesurée optiquement dans le cerveau d’une souris anesthésiée. La résolution temporelle obtenue dans ces conditions a permis d’observer des potentiels d’action séparés par des intervalles allant jusqu’à 10 ms. Cette résolution temporelle est vingt fois meilleure que celle obtenue avec GCaMP6f, un indicateur codé génétiquement sensible aux variations de concentrations de calcium intracellulaire et possédant une cinétique rapide [10]. Ces résultats démontrent également que la capacité de détection des potentiels in vivo par Ace-mNeon est équivalente à celle obtenue par les techniques électrophysiologiques classiques.

Il est dès lors possible d’étudier directement l’activation in vivo de circuits neuronaux spécifiques activés lors de tâches comportementales. L’activité électrique de neurones exprimant l’Ace-mNeon dans les couches 2/3 du cortex visuel primaire a ainsi pu être enregistrée lors du traitement de l’information visuelle chez des souris éveillées. Cette méthode a également pu être utilisée pour la drosophile, chez laquelle les enregistrements électrophysiologiques in vivo sont difficiles à réaliser. Dans cette espèce, des mesures optiques ont pu être effectuées dans les neurones olfactifs exprimant l’Ace-mNeon. La détection optique des potentiels d’action in vivo a pu être ainsi corrélée à la présentation de stimulus olfactifs spécifiques. Au niveau subcellulaire, ces mesures ont également pu mettre en évidence la propagation des signaux électriques des dendrites vers l’axone, un effet que ni l’imagerie calcique ni l’électrophysiologie ne permettaient jusqu’à présent de mesurer in vivo.

Observer et manipuler les réseaux neuronaux in vivo

La mise au point d’indicateurs fluorescents codés génétiquement permettant la mesure fidèle de l’activité électrique ouvre la voie à une approche purement optique de l’électrophysiologie. En effet, l’utilisation de tels outils en combinaison avec l’optogénétique [11] va permettre à la fois de mesurer et de manipuler l’activité électrique au niveau cellulaire in vivo dans des circuits neuronaux spécifiques. Il ne fait aucun doute qu’une telle stratégie permettra de réaliser des progrès décisifs en neurosciences. ‡

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 Le système de recombinaison Cre-lox utilise l’enzyme recombinase Cre, une tyrosine recombinase issue du bactériophage P1, afin de cibler des séquences loxP (également issues du bactériophage P1), permettant ainsi d’activer, réprimer, voire même échanger, les gènes situés entre les séquences lox.
2 Les potentiels d’action sont des événements très courts et la fréquence de décharge d’un neurone peut être de l’ordre de 100 Hz.
3 Substance chimique capable d’émettre de la fluorescence après excitation.
4 Les opsines sont une famille de protéines capables de réagir à l’énergie lumineuse grâce à leur liaison avec un chromophore.
5 Algue commune sur les rochers, blanchâtre ou vert clair, en forme de parasol.
6 Qui dérive d’une protéine tétramérique fluorescente du Céphalocordé Branchiostoma lanceolatum.
7 Le cortex est composé de 6 couches cellulaires qui diffèrent par le type cellulaire et le type de connexions. La couche 2 est appelée couche granulaire externe et contient des cellules étoilées et des petites cellules pyramidales. La couche 3 est appelée couche pyramidale externe et contient des cellules pyramidales moyennes et des interneurones. L’ensemble de ces deux couches peut être désigné sous le terme couche 2/3. Les cellules pyramidales de la couche 2/3 ont leurs axones qui vont projeter (efférences) vers d’autres régions corticales.
References
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Carlson GC, Coulter DA. In vitro functional imaging in brain slices using fast voltage-sensitive dye imaging combined with whole-cell patch recording . Nat Protoc. 2008; ; 3 : :249.–255.
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4.
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Trugnan G, Fontanges P, Delautier D, Ait-Slimane T. FRAP, FLIP, FRET, BRET, FLIM, PRIM… De nouvelles techniques pour voir la vie en couleur ! Med Sci (Paris). 2004; ; 20 : :1027.–1034.
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