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Med Sci (Paris). 32(8-9): 699–703.
doi: 10.1051/medsci/20163208013.

Les guêpes parasites ont domestiqué des virus à plusieurs reprises au cours de leur évolution

Apolline Pichon,1 Annie Bézier,2 Valérie Barbe,3 Jean-Michel Drezen,2** and Anne-Nathalie Volkoff1*

1Diversité génomes interactions microorganismes insectes (DGIMI), UMR 1333 INRA, université de Montpellier, place Eugène Bataillon, CC101, 34095Montpellier Cedex, France
2Institut de recherche sur la biologie de l’insecte (IRBI), UMR 7261, CNRS-Université François Rabelais de Tours, Parc de Grandmont, 37200, Tours, France
3Commissariat à l’énergie atomique (CEA), institut de génomique (IG), Génoscope, 2, rue Gaston Crémieux, BP5706, 91057Évry, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Animaux, Évolution biologique, Femelle, Interactions hôte-parasite, Interactions hôte-pathogène, Ovaire, Phylogénie, Symbiose, Virus, Guêpes, virologie, immunologie

 

Les associations symbiotiques jouent un grand rôle dans l’évolution des organismes. Les mitochondries et les différents chloroplastes constituent ainsi des centrales énergétiques provenant de différentes bactéries qui ont été acquises par les cellules eucaryotes. Même si nous ne disposons que de peu d’exemples, nous savons aujourd’hui que des virus peuvent également établir des symbioses mutualistes avec des organismes eucaryotes. Nous avons montré récemment, chez des guêpes parasites, que des virus intégrés dans le génome sont nécessaires au développement de ces insectes, en leur permettant de prendre le contrôle de leur hôte. Ces guêpes pondent leurs œufs directement dans une chenille hôte (on parle d’endoparasite) dans laquelle les larves vivent alors que la chenille continue elle-même à se développer. Ces guêpes parasites sont ainsi confrontées, pendant leurs stades immatures, aux défenses immunitaires et aux fluctuations métaboliques et physiologiques de leur hôte. Pour manipuler finement la physiologie de leur hôte, ces endoparasites ont recours à des particules virales produites dans une région spécialisée de l’ovaire, le calice, qui sont ensuite introduites avec l’œuf parasite dans le corps de la chenille hôte.

Différentes particules immunosuppressives sont produites dans les ovaires des guêpes parasites

La première description de particules produites massivement dans les ovaires de guêpes remonte à la fin des années 1960 chez la guêpe Venturia canescens [1]. Connues sous le nom de VLP (virus-like particles), ces particules s’associent aux œufs de la guêpe lors de leur passage dans l’oviducte et assurent, après la ponte, la protection des œufs contre le mécanisme « d’encapsulement » des défenses immunitaires des chenilles, consistant en la formation d’une gangue de cellules immunitaires autour du corps étranger. Les premiers travaux effectués sur ce modèle ont montré que les VLP, contrairement à des particules virales classiques, étaient dépourvues d’acides nucléiques et renfermaient principalement des protéines codées par des gènes de la guêpe (pour revue voir [2]). Ceci jetait ainsi un doute sur la parenté des VLP avec le monde viral.

Peu après la description des VLP, d’autres particules ont été découvertes chez les guêpes endoparasites. Il s’agit des polydnavirus (PDV). Ces virus sont trouvés chez des milliers d’espèces de guêpes appartenant aux familles des Braconidés et des Ichneumonidés. Contrairement aux VLP, les PDV contiennent un génome complexe, formé de plusieurs dizaines de cercles d’ADN double brin, comprenant des centaines de gènes impliqués dans la réussite du développement des larves de guêpes dans l’hôte. Une fois injectées dans la chenille, les particules infectent les cellules de l’hôte dans lesquelles ces gènes sont exprimés. Les PDV comprennent les bracovirus (BV), associés aux guêpes braconides, et les ichnovirus (IV), associés aux guêpes ichneumonides. Nous avons précédemment montré que les BV provenaient de l’intégration d’un virus à grand génome d’ADN double brin, de la famille des nudivirus1, dans le génome d’une guêpe ancêtre [3, 4] ().

(→) Voir la Nouvelle de C. Dupuy et al., m/s n° 2 février 2010, page 125

Comme les BV, les IV proviennent également de l’incorporation d’un génome viral dans celui des guêpes [5]. Cependant la batterie de gènes codant les composants des particules d’IV ne correspond pas à un virus connu, suggérant que l’ancêtre des IV appartient à une nouvelle famille de virus qu’il reste à caractériser. Chez les guêpes étudiées, les séquences virales ne sont pas présentes dans les particules de PDV, contrairement à un virus classique. Elles résident de manière permanente dans le génome de la guêpe et sont transmises de façon héréditaire. Cependant, comme pour un virus classique, elles continuent à assurer la fabrication des particules, codant en particulier les protéines de structure et d’enveloppe de ces particules. Quant aux gènes qu’elles permettent d’introduire dans la chenille pour en contrôler sa physiologie, certains correspondent à des gènes d’insectes remaniés. Les guêpes portant des PDV étaient jusqu’à présent les seuls exemples d’organismes eucaryotes ayant conservé dans leur génome, une machinerie virale complexe leur apportant une fonction essentielle à leur cycle de vie, en l’occurrence la capacité de réaliser du transfert de gènes.

Les particules dépourvues d’ADN de la guêpe Venturia canescens sont des « liposomes » produits par un nudivirus endogène

Si les origines virales des PDV ont été démontrées, la nature des VLP de Venturia restait, quant à elle, encore à élucider. Cette question était au cœur de notre récent article [8]. La morphogenèse des VLP s’effectue au cours de la métamorphose des guêpes dans les noyaux des cellules du calice. Ces noyaux contiennent de nombreuses membranes et des régions très reconnaissables, appelées « stroma virogène », à la périphérie desquelles se forment les VLP, par incorporation de la matière dense du stroma dans une enveloppe (Figure 1A). Ces VLP bourgeonnent ensuite vers le cytoplasme, puis de la membrane plasmique vers la lumière de l’oviducte où elles s’associent avec le chorion des œufs du parasite. Le processus de morphogenèse au niveau des noyaux présente une ressemblance frappante avec celui des nudivirus [6] et des PDV. Quant au trafic cellulaire des VLP, il est proche de celui décrit pour les IV. Compte-tenu du fait que les espèces proches de Venturia [7] sont associées à un IV transmis verticalement, l’hypothèse la plus vraisemblable était que les VLP étaient produites par un IV ayant perdu la capacité de former des capsides virales, d’où l’absence d’ADN dans les particules.

Pour tenter de confirmer cette hypothèse, nous avons recherché si des gènes viraux étaient exprimés spécifiquement dans le tissu produisant les VLP. Pour cela, l’ensemble des ARN messagers du calice a été analysé par séquençage à haut débit. À notre grande surprise, nous avons identifié 51 ARN messagers différents qui correspondent à des gènes nudiviraux [8] au lieu de gènes d’IV pressentis. En vérifiant la présence des gènes correspondants chez des individus de provenance variée, nous avons pu conclure à l’association stable des gènes nudiviraux à l’espèce Venturia canescens. Nous avons ensuite montré que ces gènes étaient exprimés spécifiquement dans le calice, ce qui confortait l’hypothèse qu’ils étaient bien liés à la production des VLP.

Pour démontrer directement ce lien, les VLP ont été purifiées et analysées par spectrométrie de masse. Nous avons ainsi déterminé qu’elles contenaient les produits de 26 gènes nudiviraux, correspondant, d’après la fonction connue des protéines apparentées chez les baculovirus, principalement à des protéines d’enveloppes virales. Les VLP semblent donc être des protéines de guêpe enveloppées dans des membranes produites par un processus viral (Figure 1A). Elles peuvent ainsi être considérées comme des « liposomes » viraux assurant le transfert des protéines de virulence vers les cellules de l’hôte.

Les nudivirus endogènes ont été utilisés différemment par les guêpes, soit pour délivrer des protéines, soit pour transférer des gènes

En séquençant le génome de Venturia, nous avons constaté que les gènes nudiviraux sont organisés en six ensembles ne comportant que des gènes viraux, entourés de gènes de guêpe (Figure 1B). L’ensemble principal couvre 60 kilobases d’ADN et regroupe 26 des 51 gènes viraux. Cette organisation suggère un scénario évolutif au cours duquel le génome d’un nudivirus s’est d’abord intégré chez un ancêtre de la guêpe Venturia. Des remaniements se sont ensuite produits causant une fragmentation du génome viral et la perte de nombreux gènes. L’analyse du génome de la guêpe a permis en outre d’identifier plusieurs séquences profondément remaniées provenant de l’IV associé aux espèces proches de Venturia canescens. La détection de ces restes dans le génome de Venturia indique donc que l’ancêtre de cette guêpe était bien associé à un IV et que l’incorporation du nudivirus s’est traduite par son remplacement par les VLP. Il s’agit du premier exemple décrit de remplacement d’un virus endogène jouant un rôle fonctionnel dans le cycle de vie de l’organisme qui l’héberge.

Les VLP comme les bracovirus (BV) proviennent de l’intégration d’un nudivirus dans le génome des guêpes. Une étude phylogénétique a révélé que l’ancêtre des VLP est un nudivirus distinct de celui à l’origine des BV (Figure 1C). De plus, l’analyse de la nature des gènes nudiviraux présents dans le génome de Venturia et des espèces associées aux BV, révèle le maintien spécifique de certaines fonctions virales. Ainsi, les gènes impliqués dans la transcription des gènes viraux ainsi que ceux codant des protéines d’enveloppe, responsables de l’entrée des particules dans les cellules, sont conservés dans les deux cas. En revanche les VLP diffèrent des BV par la perte des gènes de structure et d’assemblage des nucléocapsides, ce qui explique leur incapacité à incorporer de l’ADN. Ainsi les deux évènements indépendants de capture de génomes de nudivirus ont conduit à deux modalités d’évolution des séquences virales endogènes, qui se traduisent par des stratégies différentes de contrôle de la physiologie de l’hôte : transférer soit des gènes (pour les BV), soit des protéines (pour les VLP) vers les cellules ciblées (Figure 2).

En conclusion

Nos données indiquent que la domestication de virus a eu lieu de manière récurrente au cours de l’évolution des guêpes parasites. Cette répétition suggère qu’il s’agit d’un mécanisme général de l’évolution. Dans ce cas, on peut prédire que des situations similaires pourront être décrites dans d’autres branches de l’arbre de la vie. Mais les virus endogènes de guêpes parasites ne sont pas uniquement fascinants pour les sciences de l’évolution. En effet, le parallèle que l’on peut établir avec les biotechnologies est saisissant. Une connaissance approfondie de tels systèmes de transfert sélectionnés pour leur efficacité au cours de millions d’années d’évolution pourrait certainement être une source d’inspiration pour la conception de nouveaux vecteurs à visées thérapeutiques.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun autre lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 Les nudivirus sont des virus à ADN circulaire double brin. Ils sont proches des baculovirus, bien connus des biologistes moléculaires pour leur utilisation dans la production de protéines.
References
1.
Rotheram S. Immune surface of eggs of a parasitic insect . Nature. 1967; ; 214 : :700..
2.
Reineke A, Asgari S, Schmidt O Evolutionary origin of Venturia canescens virus-like particles . Arch Insect Biochem Physiol. 2006; ; 61 : :123.–133.
3.
Bézier A, Annaheim M, Herbinière J, et al. Polydnaviruses of braconid wasps derive from an ancestral nudivirus . Science. 2009; ; 323 : :926.–930.
4.
Dupuy C, Periquet G, Bézier A, Drezen JM Les polydnavirus : des virus qui pratiquent le transfert de gènes depuis 100 millions d’années . MedSci (Paris). 2010; ; 26 : :125.–127.
5.
Volkoff AN, Jouan V, Urbach S, et al. Analysis of virion structural components reveals vestiges of the ancestral ichnovirus genome . PLoS Pathog. 2010; ; 6 : :e1000923..
6.
Crawford AM, Sheehan C Replication of Oryctes baculovirus in cell culture: viral morphogenesis, infectivity and protein synthesis . J Gen Virol. 1985; ; 66 : :529.–539.
7.
Quicke DL. The braconid and ichneumonid parasitoid wasps: biology, systematics, evolution and ecology . New York: : John Wiley and Sons; , 2014 : :704. p.
8.
Pichon A, Bézier A, Urbach S, et al. Recurrent DNA virus domestication leading to different parasite virulence strategies . Science Adv. 2015; ; 1 : :e1501150..