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Med Sci (Paris). 32(8-9): 696–699.
doi: 10.1051/medsci/20163208012.

Coronavirus respiratoires humains neurotropes
Une relation ambiguë entre neurovirulence et clivage protéique

Pierre J. Talbot,1* Marc Desforges,1 Mathieu Dubé,1 and Alain Le Coupanec1

1Laboratoire de neuroimmunovirologie, INRS-Institut Armand-Frappier, institut national de la recherche scientifique, université du Québec, 531 boulevard des Prairies, Laval (Québec), H7V 1B7Canada
Corresponding author.

MeSH keywords: Animaux, Coronavirus, Humains, Souris, Coronavirus du syndrome respiratoire du Moyen-Orient, Neurones, Protéolyse, Virus du SRAS, Tropisme viral, Virulence, métabolisme, pathogénicité, physiologie, virologie

 

Le système nerveux central (SNC) est un système biologique complexe responsable de la coordination des interactions avec l’environnement extérieur et de la communication rapide entre les différentes parties du corps afin d’assurer le maintien de l’homéostasie. Bien qu’il soit très bien protégé par divers mécanismes, le SNC n’est toutefois pas à l’abri d’infections microbiennes (aiguës ou persistantes), en particulier d’origine virale. Les virus qui atteignent le SNC vont pouvoir infecter diverses cellules et participer au développement ou à l’exacerbation de maladies neurologiques. Les coronavirus humains (HCoV) font partie de ces virus.

Les coronavirus : pathogènes respiratoires opportunistes

Parmi les divers virus respiratoires, les HCoV sont ubiquitaires et circulent constamment dans différentes régions du monde. Aujourd’hui, quatre souches différentes ont été identifiées : HCoV-OC43, HCoV-229E, HCoV-NL63 et HCoV-HKU1. Ces virus sont des pathogènes des voies respiratoires supérieures associés au développement de rhinites, de laryngites et d’otites. Dans certaines situations, ces virus adoptent un comportement opportuniste et peuvent infecter les voies respiratoires inférieures. Ils causent alors des bronchites, des bronchiolites ou des pneumopathies diverses, incluant l’exacerbation d’asthme et la pneumonie, principalement chez les nouveau-nés, les jeunes enfants, les personnes âgées et les individus immunodéprimés [1]. Deux autres coronavirus émergents peuvent aussi infecter l’humain et causer des syndromes de détresse respiratoire graves : le SARS-CoV, agent étiologique du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) ayant causé la première épidémie du XXIe siècle en 2002-2003 [2] () et le MERS-CoV (Middle East respiratory syndrome), découvert en septembre 2012 dans la péninsule arabique [3].

(→) Voir la Perspective de I. Tratner, m/s n° 8-9, août-septembre 2003, page 885

Des virus respiratoires neuro-invasifs et neurotropes à potentiel neurovirulent

Les HCoV ne sont pas confinés qu’aux voies respiratoires. Ils peuvent atteindre le SNC [4] possiblement via des nerfs connectant les voies respiratoires à l’encéphale, comme le nerf olfactif. En effet, suite à une infection par la voie intranasale, nous avons pu mettre en évidence, en utilisant un modèle murin, que la souche HCoV-OC43 atteint l’encéphale où il se dissémine, d’abord au niveau du bulbe olfactif puis dans plusieurs régions du cerveau et de la moelle épinière [5] (Figure 1). L’association directe entre les HCoV et les neuropathologies n’est pas établie à grande échelle. Mais le potentiel neuro-invasif de HCoV-OC43, l’une des souches les plus prévalentes, étant à l’origine du tiers des infections des voies respiratoires supérieures, a été souligné par de récents cas d’encéphalites [6]. Les capacités neuro-invasives naturelles des HCoV ont été confirmées, sans doute possible, par la détection dans les cerveaux humains de l’ARN viral des souches HCoV-OC43 (de façon plus significative chez les personnes atteintes de sclérose en plaques comparées aux témoins) et HCoV-229E, et de l’ARN du virus infectieux du SARS-CoV [7, 8].

La glycoprotéine S : un facteur de neurovirulence

La glycoprotéine virale S (spike), l’un des acteurs principaux de l’entrée des coronavirus, est un facteur important de neurovirulence de ces virus, en particulier pour HCoV-OC43 [3, 9]. Il est donc plausible que des mutations dans certains domaines importants de cette protéine influencent l’interaction du virus avec son hôte. Nous avons d’ailleurs déjà montré que l’infection persistante de lignées neurales humaines par la souche HCoV-OC43 mène à l’acquisition de mutations dans cette glycoprotéine, provoquant un changement de neuropathologie chez la souris [3].

Toutes les études menées sur HCoV-OC43 en laboratoire utilisent une souche virale de référence amplifiée à partir d’un isolat datant des années 1960, nommé ATCC (American type culture collection) VR759. L’étude sur la variabilité génétique du virus HCoV-OC43 au niveau de la protéine S, réalisée sur plus de 60 isolats cliniques, nous a permis d’identifier des différences prépondérantes au niveau du gène correspondant à cette protéine. Bien qu’une multitude de mutations aient été trouvées, seules quelques-unes se sont avérées conservées parmi les échantillons cliniques. Une mutation particulière, la substitution d’une glycine pour une arginine (G758R), a attiré notre attention car elle entraîne la création au sein de la protéine, d’un site potentiel optimal de clivage par des protéases cellulaires ayant un rôle important durant l’infection par certains coronavirus [5, 10]. En utilisant un clone moléculaire infectieux, nous avons montré qu’un virus portant cette mutation dans la protéine S envahit l’encéphale murin tout comme le virus de référence, ATCC VR759. La mutation G758R atténue néanmoins le virus, possiblement parce qu’il atteint moins efficacement la moelle épinière (Figure 1). Cette réduction de la neurovirulence représente vraisemblablement une adaptation permettant une survie accrue de l’hôte.

Clivage protéolytique de la glycoprotéine S

Le site de clivage optimal créé par la mutation G758R se situe à la jonction des deux sous-unités S1 et S21, qui forment la protéine S. Le clivage protéolytique par des protéases cellulaires, comme les proprotéines convertases (PC), est un processus d’activation typique des protéines de fusion de type I2,, comme la protéine S. Ce clivage permet l’exposition rapide du peptide hydrophobe dans des compartiments cellulaires propices à la fusion des membranes virales et cellulaires. Plusieurs études portant sur les coronavirus suggèrent d’ailleurs que les PC (ou d’autres protéases telles les cathepsines ou les TMPRSS [cell surface transmembrane protease/serine]) sont importantes pour l’entrée du virus dans les cellules hôtes et/ou pour le transport des virions nouvellement assemblés via la voie sécrétoire de la cellule infectée [10]. Notre étude, basée sur la séquence de la glycoprotéine S des isolats cliniques, démontre que le variant G758R est clivé plus efficacement que celui du virus ATCC VR759 et que cette simple substitution d’une glycine par une arginine à la position 758 suffit à activer le site de clivage sous-optimal qui est présent chez le virus de référence. Malgré l’implication de cette protéine dans l’entrée virale, l’altération de la morphologie de la couronne des virions que nous avons observée (Figure 2), probablement associée au clivage de la protéine S, ne module pas l’infectivité du virus. De plus, bien que nous ayons pu mettre en évidence une corrélation entre l’atténuation de la neurovirulence et l’introduction d’un site de clivage protéolytique optimal, cette mutation n’affecte en rien les capacités neuro-invasives du virus. Cette corrélation a déjà été suggérée pour un coronavirus félin, mais il s’agit d’une première dans le cas d’un coronavirus humain. Cette découverte est d’autant plus importante qu’habituellement, ce type de clivage de la protéine S chez les coronavirus est associé à une virulence exacerbée associée à une propagation plus efficace du virus chez l’hôte infecté.

Conclusion

Bien qu’étant des pathogènes respiratoires, nous savons depuis plus d’une décennie maintenant que les coronavirus humains sont naturellement neuro-invasifs et neurotropes. Nos résultats récents mettent en lumière que le HCoV-OC43, une des souches circulantes les plus prévalentes, possède également un potentiel neurovirulent associé, au moins en partie, à la conformation de la glycoprotéine virale S qui peut, ou non, subir un clivage protéolytique. Toutefois, il apparaît que le clivage de cette protéine représente une adaptation avantageuse pour le HCoV-OC43 puisqu’elle limite les conséquences néfastes de l’infection au niveau du SNC. En effet, ce virus moins « agressif » induit peu de symptômes neurologiques et n’a que peu d’impact sur la survie à court terme des souris infectées. Il est donc possible que cette adaptation favorise l’établissement d’une infection virale persistante au niveau du SNC. Les souris chroniquement infectées par HCoV-OC43 développent couramment des neuropathologies à long terme. On peut donc penser que la diminution de la virulence à court terme de la souche HCoV-OC43 en particulier, et des coronavirus humains en général, en cours d’évolution, pourrait survenir au prix de l’augmentation collatérale de son potentiel neurodégénératif sur une longue période. Au vu des capacités neuro-invasives des HCoV chez l’humain, il est par conséquent plausible de penser qu’un virus respiratoire, apparemment inoffensif et circulant bon an mal an à travers le monde entier, pourrait s’établir et persister au niveau du SNC humain en étant potentiellement associé au développement ou à l’aggravation de maladies neurologiques comme la sclérose en plaques, la maladie d’Alzheimer, ou encore des encéphalites récurrentes. Des études approfondies permettant à la fois de mieux comprendre les processus adaptatifs des coronavirus humains neuro-invasifs et leur potentielle association à diverses conséquences neurologiques, sont plus que jamais justifiées et nécessaires.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 S1 est impliquée dans le tropisme du virus. S2 est responsable de la fusion avec la membrane de la cellule hôte.
2 Deux classes de protéines de fusion virale ont été identifiées. La classe I regroupe les protéines de fusion des orthomyxovirus, des paramyxovirus, des filovirus, des coronavirus et des rétrovirus. Les protéines de cette classe subissent un clivage post-traductionnel qui génère un peptide de fusion aminoterminal. La classe II contient les protéines de fusion des alphavirus et des flavivirus. Elles ne sont pas clivées après leur synthèse et leur peptide de fusion est interne.
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