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Med Sci (Paris). 32(8-9): 663–664.
doi: 10.1051/medsci/20163208001.

Le financement de la recherche : un levier nécessaire pour la croissance économique

Pierre-Olivier Couraud1*

1Institut Cochin
Inserm U1016-CNRS UMR8104
Université Paris Descartes22, rue Méchain, 75014Paris, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Recherche biomédicale, Développement économique, Gestion financière, France, Agences gouvernementales, Humains, tendances, organisation et administration

 

La création de la Délégation générale à la recherche scientifique et technique (DGRST) en 1961 a marqué une étape importante de la recherche en France, en ce qu’elle témoignait pour la première fois de la volonté politique de l’État d’organiser et de financer la recherche sous ses différentes formes, fondamentale et appliquée, au niveau national et dans le contexte de la recherche internationale, en associant étroitement les chercheurs aux choix de ses orientations [1]. Pendant une vingtaine d’années, la DGRST a démontré son efficacité ; elle a en effet financé chaque année près de 600 projets et une centaine de dépôts de brevets. Aujourd’hui, 55 ans plus tard, de nombreux gouvernements se sont succédés. L’Agence nationale de la recherche (ANR) et ses « défis nationaux » ont remplacé la DGRST et ses « actions concertées ». Cependant, la question du financement de la recherche française, non seulement demeure, mais apparaît même de plus en plus pressante et ce, malgré la volonté affichée au début des années 2000, au niveau européen (« la stratégie de Lisbonne »), d’accroître les dépenses en recherche et développement de chaque état partenaire.

Le financement de la recherche constitue à l’évidence un enjeu national majeur : bien sûr, pour les professionnels de la recherche (chercheurs, enseignants-chercheurs, cliniciens-chercheurs, ingénieurs, techniciens et administratifs), qui ont choisi de faire l’acquisition de nouvelles connaissances et de leurs applications éventuelles un objectif prioritaire de leur activité ; pour les jeunes scientifiques également (étudiants, doctorants, post-doctorants et autres personnels contractuels), qui sont formés dans nos laboratoires et dans nos universités et bénéficieront grandement de cette formation par la recherche pour leur orientation professionnelle future ; enfin, beaucoup plus largement, pour l’ensemble de la population qui, elle, attend légitimement des « retombées » concrètes de nos recherches dans sa vie quotidienne, notamment pour sa santé. Pourtant, ce qui nous semble une évidence n’apparaît pas aussi clairement à nos dirigeants, quelle que soit leur couleur politique.

On comprend, bien sûr, que la crise économique mondiale qui sévit depuis 2008 a sensiblement compliqué l’équation politique gouvernementale, a attisé les tensions sociales et les revendications catégorielles et a conduit, trop souvent, à une gestion à court terme, dans l’urgence. Or on sait bien que la recherche est lente. Elle ne se planifie pas, ou très peu. Ses applications ne peuvent, bien souvent, s’envisager que sur le long terme…

Les programmes d’investissements d’avenir (PIA-1 lancé en 2010 et PIA-2, en 2014) ont permis, il est vrai, de financer un nombre élevé d’initiatives dites « d’excellence » (Labex1,, Equipex2,, Idex3, cohortes, infrastructures, etc.). En favorisant la création de réseaux locaux de laboratoires sur des thématiques communes, notamment via les Labex, ou en permettant l’acquisition d’équipements sophistiqués et coûteux utilisés par différentes équipes (via les Equipex), les PIA ont certainement joué un rôle favorable pour la structuration de la recherche au niveau national. L’annonce du PIA-3 rassure sur la stabilisation de certaines infrastructures devenues essentielles. Mais les PIA ne constituent cependant pas, en soi, une réponse exhaustive, au quotidien, à la question du financement de la recherche. En effet, la plupart des équipes, même impliquées dans ces structures n’ont, le plus souvent, bénéficié directement qu’à la marge de ces financements pour le développement de leurs projets de recherche.

L’ANR, qui a été créée en 2005, avait précisément pour mission de financer et de promouvoir les recherches fondamentales et finalisées sur des projets identifiés. Malheureusement, son budget a été régulièrement réduit depuis dix ans, passant de 850 M€ à un peu plus de 500 M€, ce qui a rendu cet objectif initial totalement irréaliste. Avec un ciblage de ses appels à projets souvent trop restrictif sur le plan thématique et un taux de sélection généralement inférieur à 10 %, il est clair que l’ANR ne peut pas remplir sa mission de manière satisfaisante, laissant un grand nombre d’équipes, pourtant de bon ou très bon niveau, dans l’impossibilité de mener les projets innovants qu’elles proposent. Une augmentation sensible du budget de l’ANR, son doublement sur quelques années (ce qui permettrait d’atteindre un taux de sélection de l’ordre de 20 % constituant un seuil « raisonnable » pour tous les comités scientifiques) apparaît donc, aujourd’hui, comme une nécessité absolue afin d’atteindre un niveau « acceptable » de financement de la recherche. Notons que le gouvernement actuel en est conscient, puisque le secrétaire d’état chargé de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Thierry Mandon, évalue l’enveloppe nécessaire pour l’ANR entre 0,8 et 1 milliard d’euros et que son budget 2016 a été abondé in extremis pour obtenir un taux de succès de 12,5 % [2, 3].

Dans le même temps, les universités et les organismes de recherche, Inserm et CNRS notamment, sont confrontés à une stagnation, voire une diminution de leurs budgets. Cet état les contraint à limiter à la fois les financements de projets scientifiques réalisés sur appels d’offres mais aussi le taux de recrutements de chercheurs, ingénieurs, techniciens ou administratifs qui sont actuellement à des niveaux historiquement très bas. Une exception notable cependant : le programme conjoint Atip-Avenir4. Ce programme de soutien à la création de jeunes équipes, à un haut niveau international, dont il faut souligner le succès, constitue aujourd’hui l’un des meilleurs facteurs d’attractivité des laboratoires français pour de jeunes scientifiques, qu’ils soient français ou étrangers. Les organismes de recherche, en partenariat avec les universités, ont su restructurer de manière efficace la recherche française. Ils ont cependant clairement besoin de moyens qui sont nécessaires non seulement pour accorder, chaque année, aux laboratoires et centres de recherche, les budgets associés aux frais d’infrastructure et de maintenance technique, mais aussi et surtout pour jouer pleinement leur rôle dans le financement de projets de recherche qui s’inscrivent dans leurs priorités respectives, pas obligatoirement ciblées par d’autres sources financières, et le recrutement nécessaire des acteurs qui feront la recherche de demain.

En complément de ces graves difficultés d’ordre budgétaire, nombre d’équipes et de jeunes chercheurs doivent affronter les effets pervers de la loi Sauvadet telle qu’elle est appliquée dans le monde de la recherche. En effet, cette loi limite à 6 ans (dans la pratique, souvent plutôt 5 ans) la durée des contrats à durée déterminée afin de modérer l’emploi précaire, alors que, simultanément, la raréfaction des postes de jeunes chercheurs offerts aux concours par les organismes de recherche (mentionnée plus haut) conduit de facto à un allongement de la période post-doctorale… Comment, dans ces conditions, continuer d’attirer vers la recherche nos étudiants les plus brillants ? Et, pour les jeunes ingénieurs et techniciens, qui font actuellement tellement défaut aux laboratoires pour assurer un soutien efficace à la recherche, comment leur permettre d’intégrer les structures de recherche ?

De ce constat d’insuffisance flagrante du budget de l’ANR et d’une stagnation préoccupante de celui des organismes de recherche et des universités, il découle que le rôle des fondations et associations caritatives est allé croissant au cours des dernières décennies, tant pour un soutien pluriannuel aux équipes de recherche, particulièrement utile, essentiel même en cette période difficile, que pour le financement de projets ou de salaires de jeunes chercheurs et ingénieurs. C’est dire que le succès d’une part de plus en plus importante des projets de recherche menés dans les laboratoires français repose désormais sur la générosité publique. Cette situation n’a en soi rien d’exceptionnel par rapport à des pays voisins, ni d’anormal, mais elle suscite deux types de remarques : d’abord, la plupart des fondations et associations caritatives, à l’exception notable de la Fondation pour la recherche médicale (FRM) qui a une vocation généraliste, ont fait le choix très compréhensible de cibler leur soutien sur une pathologie particulière (cancer, maladie d’Alzheimer, maladie de Crohn, etc.) ou sur un groupe de pathologies (maladies génétiques, par exemple) en fonction des motivations des patients qu’elles représentent ; certaines équipes de recherche n’ont donc que peu accès à ces soutiens pourtant importants (on pense notamment aux équipes travaillant en biologie végétale, biologie structurale, reproduction, etc.), quelle que soit la qualité de leurs projets. Par ailleurs, malgré la mobilisation remarquable de ces fondations et associations caritatives, on ne peut s’empêcher de craindre dans les années à venir, dans un secteur devenu aussi concurrentiel que l’est le secteur caritatif, un essoufflement de la générosité publique, à cause notamment d’une crise économique toujours vive ou de nouvelles mesures fiscales qui pourraient être moins incitatives vis-à-vis des dons pour la recherche (une éventuelle réforme de l’impôt sur la fortune par exemple), ce qui aurait pour conséquence évidente d’accentuer encore les difficultés actuelles quant au financement de la recherche.

Dans ce contexte globalement difficile, le financement des applications de la recherche peut apparaître comme un îlot privilégié, l’œil du cyclone en quelque sorte, même si la réalité est sensiblement plus complexe. Les nouvelles sociétés d’accélération de transfert de technologies (les SATT) issues du PIA, dans un partenariat qui a été négocié avec des structures plus anciennes, comme Inserm-transfert (pour l’Inserm), ou FIST5 (pour le CNRS), contribuent activement à la détection de projets de recherche présentant des possibilités de transfert de technologies, ainsi qu’au financement de leur maturation. Même si l’efficacité réelle de ces nouvelles structures (qui n’ont que 3 ou 4 ans d’existence) en termes de valorisation (créations de start-up et prises de licences par des industriels) reste à démontrer sur le long terme, elles participent à la création ou au renforcement de réseaux d’interactions entre les chercheurs académiques et la R&D industrielle ; en cela, elles jouent pleinement leur rôle aux côtés d’autres structures comme les pôles de compétitivité ou les instituts Carnot. L’ANR et la Communauté européenne soutiennent aussi les partenariats public-privé. Elles encouragent également des initiatives comme le crédit d’impôt recherche (CIR), souvent décrié par de nombreux chercheurs parce qu’il représente des sommes considérables (plus de 5 Md€ par an) au regard des budgets actuels de la recherche alloués pourtant sans beaucoup de discrimination, sur des critères souvent très larges. Il constitue cependant un soutien important aux industriels, qu’ils soient petits ou gros, et plusieurs études ont démontré son rôle très positif dans le transfert de technologies [4]. Pourtant, ne pourrait-on pas envisager, ou rêver peut-être, d’une réforme de ce dispositif ? Elle viserait, par la mise en place de critères d’éligibilité ou de contrôles a posteriori plus stricts, à limiter quelque peu le montant global du CIR (10 à 20 % par exemple, soit 500 M€ à 1 Md€ environ), afin d’abonder d’autant le financement global de la recherche en France, via l’ANR ou les organismes de recherche. En effet, rappelons qu’une augmentation de 500 M€ du budget de l’ANR représenterait un doublement de son budget actuel. Cela permettrait un financement des projets de recherche qui pourrait atteindre un niveau qui serait satisfaisant.

La stratégie européenne de Lisbonne, énoncée en 2000, a donc échoué. Elle visait à « devenir l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde, capable d’une croissance économique durable accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale ». La politique européenne de la recherche a également échoué, sans doute pour des raisons multiples, en particulier d’ordre politique, mais aussi parce que les efforts budgétaires nécessaires pour dynamiser la recherche ont été insuffisants ; au sein de l’Europe, la France a fait encore moins bien que d’autres pays, comme l’Allemagne ou la Suède, sans parler, toutes proportions gardées, du Japon ou des États-Unis. Aujourd’hui, la stratégie Europe 2020 [5] a repris l’objectif de la stratégie de Lisbonne, celui d’un budget de la recherche équivalent à 3 % du produit intérieur brut et elle a réaffirmé que l’innovation constitue, avec l’accroissement du taux d’emploi et la durabilité de la croissance, l’un des trois piliers de son développement. Or, c’est bien de la recherche que dépend l’innovation : au-delà des mots, il semble donc urgent que l’Europe et notamment la France prennent la mesure du retard que leur recherche a pris, y compris la recherche médicale, et qu’elles sont en train de prendre face à un nombre croissant d’autres pays dans le monde. Il est urgent qu’elles décident enfin d’investir largement dans leur recherche.

Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 Laboratoires d’excellence.
2 Équipements d’excellence.
3 Initiatives d’excellence.
4 Depuis leurs créations, ces deux programmes (ATIP [action thématique et incitative sur programme] au CNRS et Avenir à l’Inserm) ont permis aux jeunes chercheurs de constituer leur propre équipe de recherche dans les domaines des sciences de la vie et de la santé. En 2009, dans le cadre d’un partenariat, l’Inserm et le CNRS ont réuni leurs 2 programmes en un seul : ATIP-Avenir.
5 France innovation scientifique et transfert.
References
1.
Duclert V. La naissance de la délégation générale à la recherche scientifique et technique. La construction d’un modèle partagé de gouvernement dans les années soixante . Revue Française d’Administration Publique. 2004; ; 4 (n°(112)) : :224. p. http://www.cairn.info/le-gouvernement-de-la-recherche-9782707148100-p-132.htm
2.
Thierry Mandon : les moyens de l’ANR devraient augmenter de 10 % en 2016 puis de 20 % en 2017. René-Luc Bénichou . Dépêche AEF. n°536006, Paris, 06/04/2016..
3.
Appel à projets générique de l’ANR 2016 : 801 projets sélectionnés, soit un taux de sélection de 12,5 %. Julien Jankowiak . Dépêche AEF. n°542505, Paris, 22/07/2016..