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Med Sci (Paris). 32(6-7): 563–565.
doi: 10.1051/medsci/20163206012.

Dissémination locale du cancer de la prostate
Un chemin pavé de gras

Victor Laurent,1 Adrien Guérard,1 Aurélie Toulet,1 Philippe Valet,2 Bernard Malavaud,3 and Catherine Muller1*

1Institut de pharmacologie et de biologie structurale (IPBS), université de Toulouse, CNRS, UPS, 205, route de Narbonne, 31077Toulouse, France
2Institut des maladies métaboliques et cardiovasculaires (I2MC), université de Toulouse, Inserm, UPS, 1, avenue Jean Poulhès, 31077Toulouse, France
3Département d’urologie, institut universitaire du cancer, avenue Irène Joliot-Curie, 31059Toulouse cedex 9, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Tissu adipeux, Adiposité, Humains, Mâle, Invasion tumorale, Récidive tumorale locale, Obésité, Prostate, Tumeurs de la prostate, Facteurs de risque, anatomopathologie, physiologie, étiologie, complications, métabolisme

Le pronostic du cancer de la prostate est aggravé par l’obésité

Malgré les progrès réalisés en termes de dépistage, de diagnostic et de traitement, le cancer de la prostate demeure, chez l’homme, le cancer le plus fréquent et occupe la deuxième place en termes de mortalité dans les pays développés. L’identification des facteurs de risque de développement de cette maladie, ainsi que des mécanismes impliqués, est un enjeu majeur dans la prise en charge de cette pathologie. La prévalence de l’obésité a plus que doublé au niveau mondial ces 30 dernières années et, si l’obésité n’augmente pas l’incidence du cancer de la prostate, elle est associée à l’apparition de cancers agressifs présentant une augmentation de la dissémination locale et à distance [1]. Comment expliquer ce lien ? Dans un contexte d’obésité, l’accumulation de tissu graisseux, en particulier au niveau viscéral, s’accompagne d’une modification du taux circulant de nombreuses molécules biologiquement actives sécrétées par le tissu adipeux (TA). Ces molécules, appelées adipokines et dont font partie la leptine, l’adiponectine et certaines molécules pro-inflammatoires comme l’interleukine 6 (IL6) [2], sont susceptibles d’affecter le comportement des tumeurs [3] ().

(→) Voir la Synthèse de V. Laurent et al., m/s n° 4, avril 2014, page 398

Dans le cancer de la prostate, aucune étude clinique robuste n’a associé les taux circulants de ces adipokines à l’apparition de cancers agressifs. Le mécanisme impliqué pourrait donc être de nature paracrine plus qu’endocrine. Ainsi, nos travaux associés à ceux d’autres équipes ont montré, en particulier dans le cancer du sein, le rôle déterminant que joue le tissu adipeux à proximité des tumeurs dans la progression tumorale (pour revue voir [3]). Si la proximité entre la tumeur et le TA est évidente dans le sein, qu’en est-il pour la prostate ?

La prostate : une glande dans un « îlot » graisseux

La prostate est entourée d’un dépôt graisseux appelé tissu adipeux périprostatique (TAPP), que l’on peut aisément visualiser par imagerie (Figure 1). Ce tissu adipeux est classé comme un tissu adipeux viscéral (TAV) bien que très peu d’études aient réellement caractérisé ses capacités fonctionnelles et sécrétoires. Cliniquement, l’infiltration du TAPP par les cellules cancéreuses est considérée comme un facteur de mauvais pronostic [4] et des études cliniques émergentes suggèrent qu’il pourrait exister un lien entre l’abondance du TAPP et l’agressivité du cancer de la prostate [5]. Ces études, bien que préliminaires, renforcent l’idée d’un rôle paracrine du TAPP dans la progression du cancer de la prostate, rôle qui pourrait être amplifié dans un contexte d’obésité. Les sécrétions du TAPP semblent avoir un effet sur le comportement des cellules prostatiques en stimulant leur prolifération ainsi que leurs capacités migratoires et invasives et cet effet est régulé par l’obésité [6]. De façon très intéressante, cette influence est moins prononcée pour les sécrétions du TAV que pour celles du TAPP suggérant, pour ce dernier, un profil de sécrétion spécifique. Parmi les acteurs impliqués dans cet effet, on retrouve principalement l’IL6 et les métalloprotéases1, 2 et 9 [6]. Les sécrétions du TAPP pourraient donc influencer les propriétés invasives des cellules tumorales bien que ce concept n’ait pas été validé in vivo. Dans ce contexte, nous avons émis une hypothèse originale sur le rôle du TAPP. En effet, il est connu que le TA, et en particulier les adipocytes, sécrètent des chimiokines, petites molécules capables de stimuler la migration dirigée de nombreuses cellules [2]. La sécrétion de certaines chimiokines est augmentée dans l’obésité et participe à l’état sub-inflammatoire du TA en permettant le recrutement de cellules du système immunitaire [7]. Les récepteurs à chimiokines étant exprimés par les cellules cancéreuses [8], ce mécanisme pourrait expliquer comment le TAPP favorise une étape clé dans le cancer de la prostate, le franchissement de la capsule prostatique et donc l’envahissement local de la tumeur, l’obésité favorisant ce processus.

L’axe CCR3/CCL7 est déterminant pour la dissémination locale du cancer de la prostate dans un contexte d’obésité

Dans un premier temps, nous avons montré qu’in vitro, les sécrétions adipocytaires sont capables de favoriser la migration dirigée de lignées de cancer de la prostate et que cet effet est amplifié par l’obésité. Cette migration dirigée dépend de l’axe CCR3 (chemokine [C-C motif] receptor 3), exprimé par les cellules prostatiques, et son ligand CCL7/MCP3 (chemokine [C-C motif] ligand 7, aussi appelé monocyte-specific chemokine 3) sécrété par les adipocytes. In vitro, l’effet de l’obésité est totalement aboli par des anticorps bloquants dirigés contre ces deux protéines. Ces résultats ont été confirmés in vivo. En effet, l’injection en intra-prostatique de cellules tumorales n’exprimant plus CCR3 inhibe très fortement la progression tumorale, surtout chez les souris obèses, préservant le TAPP d’une infiltration tumorale. Enfin, chez les patients, l’expression de CCR3 (régulée par l’obésité) est corrélée à l’apparition de tumeurs agressives présentant une extension locale, et est associée à une résistance au traitement chirurgical et à une rechute biologique plus précoce [9]. Ce travail confirme ainsi que l’infiltration des cellules cancéreuses prostatiques dans le TAPP environnant est sous le contrôle des sécrétions de ce dernier et que cet effet est amplifié dans l’obésité.

Conclusions et perspectives

Ce travail met en exergue un nouveau rôle du tissu adipeux dans la progression tumorale. Ce mécanisme, impliquant la migration dirigée dans l’envahissement local, pourrait être étendu à d’autres tumeurs qui présentent un TA de proximité, comme par exemple le cancer du sein, du côlon, du pancréas ou le mélanome. Il est intéressant de signaler que l’axe CCR3/CCL7 semble spécifique du cancer de la prostate [9] et que, si les adipocytes sont effectivement capables d’attirer de très nombreux types de cellules tumorales, les couples récepteurs à chimiokines/chimiokines impliqués restent à identifier et pourraient être différents pour chaque type de tumeur. Dans le cancer de la prostate, l’inhibition de CCR3 pourrait présenter un intérêt thérapeutique. En effet, bloquer l’infiltration du TAPP est d’autant plus important qu’une fois les cellules cancéreuses présentes dans le TA, un dialogue bidirectionnel s’instaure entre celles-ci et les adipocytes, favorisant ainsi l’invasion tumorale (et donc le processus métastatique) via la capacité des adipocytes à (1) sécréter des molécules pro-inflammatoires, (2) sécréter des protéines de la matrice extracellulaire, (3) remodeler la matrice extracellulaire, mais également (4) modifier le métabolisme des cellules tumorales (pour revue voir [3]) (Figure 2). Notre étude est une des premières à montrer le rôle de CCR3 dans le cancer. Jusqu’alors, ce récepteur, fortement exprimé par les polynucléaires éosinophiles et basophiles, a surtout été impliqué dans des maladies inflammatoires allergiques telles que l’asthme [10]. Des inhibiteurs de CCR3 étant en cours de développement dans cette indication, leur efficacité dans le cancer de la prostate, en particulier chez le sujet obèse, serait intéressante à évaluer.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Acknowledgments

Les travaux réalisés dans nos équipes ont bénéficié du soutien financier de l’INCA (INCA PL 2010-214, PV et CM), de la Ligue Régionale Midi-Pyrénées Contre le Cancer (CM), de la Fondation de France (PV et CM) et de l’Association pour la Recherche sur les Tumeurs Prostatiques ARTP (CM). Victor Laurent a bénéficié d’une bourse de thèse de l’ARC.

 
Footnotes
1 Famille d’enzymes de la classe des peptidases dont le nom vient de la présence d’un ion métallique dans leur site actif.
References
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