2009


ANALYSE

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Formation et recherche en éducation pour la santé

La structuration du milieu de la formation et la recherche constitue un enjeu majeur pour le développement de l’éducation pour la santé. En 2001, le Ministère de l’Emploi et de la Solidarité relevait l’insuffisance de formation des professionnels impliqués dans ce domaine. Il soulignait également l’insuffisance de la recherche française en éducation pour la santé, ainsi que l’inadéquation des modèles biomédicaux de recherche dans la perspective d’une conception globale de la santé.
Dans son rapport de 2002 sur la prévention1 , l’Académie de médecine insiste sur la nécessité de développer les recherches en prévention (recherches psychosociologiques, épidémiologiques, physiopathologiques) et sur la coordination d’une recherche opérationnelle pour l’évaluation de l’efficacité des actions, la détection et la correction de leurs insuffisances.

Structurer le milieu de la recherche et de la formation
en éducation pour la santé

En 2001, le plan national d’éducation pour la santé (ministère de l’Emploi et de la Solidarité, 2001renvoi vers) proposait le développement d’une recherche interdisciplinaire, tant dans le champ de l’éducation pour la santé, que dans celui de l’éducation thérapeutique du patient. À cette fin, il recommandait notamment de « désigner l’éducation pour la santé et l’éducation thérapeutique comme des champs prioritaires de recherche » et de « créer une ou des écoles doctorales dédiées à l’éducation pour la santé et à l’éducation thérapeutique ».
Pour soutenir ce développement, il était préconisé la création d’un fonds de recherche, géré par un organisme chargé de définir « la politique et la stratégie de recherche, en privilégiant notamment l’aspect interdisciplinaire des projets et des équipes ».
Parallèlement, l’expertise collective « Éducation pour la santé des jeunes » (Inserm, 2001renvoi vers), partant du même constat, a recommandé de développer et structurer le milieu universitaire de la recherche en éducation pour la santé, singulièrement peu développé et reconnu en France. Le groupe d’experts a préconisé la création de chaires universitaires inter-UFR spécialisées en éducation à la santé. Il a recommandé que ces chaires soient interdisciplinaires pour coordonner les acteurs et les instances impliqués dans la recherche et la formation en éducation pour la santé, sans exclusive disciplinaire (santé, sciences de l’éducation…). L’enjeu de cette structuration est la création et la coordination d’un tissu universitaire français susceptible de concevoir, mettre en œuvre, valider, évaluer et valoriser un ensemble cohérent de recherches en éducation pour la santé. Cette recommandation n’a pas encore été suivie d’effet tangible.
L’expertise collective avait en outre proposé la création d’une agence qui aurait la mission de fédérer les équipes et les compétences nécessaires pour mettre en œuvre des projets de recherche dotés de moyens adaptés. Cette recommandation a été prise en compte avec la création de l’Inpes. Toutefois, les missions de l’Inpes en matière de recherche sont assez peu explicites à l’heure actuelle (« L’Institut soutient, effectue ou participe à des formations, études, recherches et évaluations en rapport avec ses missions », loi du 5 mars 2002).
En résumé, le groupe de travail réitère ses recommandations pour le développement volontariste d’une politique scientifique structurée en éducation à la santé. Un financement spécifique et des appels d’offres privilégiant des équipes pluridisciplinaires en constituent le support.

Développer des nouveaux outils d’évaluation

L’expertise collective (Inserm, 2001renvoi vers) avait préconisé la création et la validation d’outils d’évaluation adaptés à ce champ. En effet, les évaluations des programmes de prévention présentées dans la littérature portent essentiellement sur des résultats sanitaires, épidémiologiques, voire économiques. Les évaluations des interventions éducatives se sont longtemps centrées sur les aspects quantitatifs et les changements de savoirs, plutôt que sur les compétences et les processus qualitatifs. Le groupe d’experts avait recommandé de conjuguer les approches quantitatives et qualitatives de l’évaluation afin d’apporter un éclairage sur les besoins, les processus et les effets des programmes d’action. À cette fin, il a plaidé pour le développement d’outils d’évaluation et d’échelles adaptés au contexte français, dans une acception positive de la santé et de l’éducation à la santé (empowerment, enabling). Il n’est pas suffisant, ni pertinent, compte tenu des temporalités, de limiter l’évaluation à la mesure des aspects négatifs ou des aléas de santé. Dans ce domaine, il existe un besoin pour une batterie d’indicateurs qui mesurent la « qualité de la santé ». Dans le champ de la santé mentale, et particulièrement dans les programmes qui visent le renforcement des compétences psychosociales, on mesure la nécessité de définir des indicateurs de sentiment d’efficacité personnelle, de capacité d’action, d’ajustement, d’adaptation, de recours…, et d’échelles de compétences tant psychologiques que sociales.
En résumé, dans une même perspective de structuration de la recherche et de ses outils, le groupe de travail préconise la création d’un groupe de travail pluridisciplinaire qui s’attache à adapter ou créer, valider et diffuser une batterie d’outils d’évaluation qui couvrent les différents domaines d’intervention et d’effets de l’éducation à la santé.

Evaluer l’impact des programmes sur les comportements
de consommation

Les professionnels de l’industrie alimentaire déploient des moyens importants pour influencer l’alimentation des enfants et des adolescents. Face à ces pressions, le groupe de travail demande l’ouverture d’un programme spécifique de recherches en sciences sociales : il s’agit d’analyser et mettre à jour les stratégies et les interventions des acteurs économiques qui tendent à modifier les comportements alimentaires des enfants et des adolescents. Dans la même perspective, il propose d’étudier les stratégies des acteurs économiques qui incitent à la consommation de tabac et d’alcool, ou encore tendent à diminuer l’activité physique et à accroître la sédentarité.
De telles recherches seraient utilement complétées par des travaux anthropologiques sur l’alimentation dans les milieux défavorisés, qui, à l’heure actuelle, sont les plus atteints par « l’épidémie de surcharge pondérale ».
Des mesures très concrètes ont été proposées, tant sur le plan alimentaire que sur celui de l’activité physique. Le groupe de travail recommande d’en évaluer la mise en œuvre, ainsi que l’impact sur l’évolution de la prévalence du surpoids et de l’obésité des enfants. Cette dernière mesure peut se faire sur la base du cycle triennal d’études effectuées par la DESCO (Direction de l’enseignement scolaire) et la DREES (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques) auprès des élèves de grande section de maternelle, de CM2 et de troisième.

Réaliser des recherches dans le champ de la prévention
en santé mentale

À l’heure actuelle, comme le rappelait récemment le rapport « Santé des jeunes. Orientations et actions à promouvoir en 2002 » (Pommereau, 2002renvoi vers), la prévalence de la souffrance psychique et des troubles mentaux dans la population scolarisée n’est pas connue. Quelles sont les prévalences des dépressions et des troubles anxieux, ou encore des troubles du comportement manifestant des troubles de l’humeur ou de la personnalité ? De telles données seraient pourtant nécessaires pour envisager, et organiser, leur repérage ainsi que les interventions de prévention précoce en santé mentale, qu’elles soient universelles, sélectives ou indiquées.
Du fait de ses missions et de son organisation (un seul enseignant pour une classe), l’école primaire relève très naturellement d’approches éducatives généralistes. La revue de Greenberg et coll. (2001renvoi vers) montre un avantage sensible des approches précoces (dès l’école primaire). Les approches de prévention universelle sont susceptibles d’avoir un impact sur les problèmes émotionnels et de comportement des enfants. Les évaluations des programmes I can do (Dubow et coll., 1998renvoi vers) ont montré que les jeunes participant à ces programmes témoignaient d’un plus grand sentiment d’efficacité dans leurs capacités à résoudre des problèmes et à faire face aux événements stressants.
En France, des séquences de développement des compétences psychosociales sont mises en œuvre dans un certain nombre d’écoles. Il paraît maintenant urgent de capitaliser les enseignements de ces expériences et d’en évaluer les acquis. Il faudrait réaliser une évaluation quantitative et qualitative des programmes de développement des compétences psychosociales mis en place en écoles primaires. Cette évaluation devrait prendre en compte l’implantation effective des programmes (nombre de séances, contenus, compétences visées, durée des programmes annuels ou pluriannuels, adhésion et coopération des enseignants, information et implication des parents, cohérence avec le projet d’école, voire avec le « programme caché » de l’école…). Il y a probablement beaucoup à en apprendre : quels en sont les effets sur la socialisation, la scolarité, la structuration de la personnalité ? Il est en effet nécessaire d’élucider leurs apports respectifs pour y intéresser tant les acteurs du système éducatif, que ceux du secteur sanitaire ainsi que les parents.
À partir de ces enseignements, et compte tenu des apports de la littérature (Greenberg et coll., 2001renvoi vers), il faudra réfléchir à l’opportunité de réaliser un programme ambitieux, soutenu et durable de recherches sur la prévention universelle à l’école maternelle et élémentaire (voire jusqu’au début du collège) en matière de santé mentale, dans le contexte socioculturel de la France. Il semble qu’il y ait un réel besoin de développer des connaissances dans ce domaine (US public health service, 2000renvoi vers). Mais cela ne pourra pas se faire sans une attitude volontariste et sans moyens pour explorer efficacement et durablement cette piste prometteuse. Par ailleurs, le groupe de travail rappelle la nécessité d’impliquer activement les familles, tant pour des raisons éthiques que sur la base d’arguments d’efficacité.
Enfin, dans une perspective de réduction des inégalités en matière de santé, on peut aussi proposer de développer de telles recherches en ciblant préférentiellement les élèves des zones d’éducation prioritaire.
En résumé, le groupe de travail recommande d’étudier les conditions propices au développement et à l’évaluation de programmes de promotion de la santé mentale en milieu scolaire.

Bibliographie

[1] dubow ef, schmidt d, mc bride j, edwards s, merk fl. Teaching children to cope with stressful experiences : implementation and evaluation of a primary prevention program. J Clin Child Psychol. 1993; 22:428-440Retour vers
[2] greenberg mt, domitrovich c, bumbarger b. The prevention of mental disorders in school-aged children : current state of the field. Prevention and treatment. 2001; 4:1-52Retour vers
[3]inserm. Éducation pour la santé des jeunes. Démarches et méthodes. Expertise collective Inserm. les éditions Inserm; Paris:2001; 247 pp. Retour vers
[4]ministère de l’emploi et de la solidarité. Plan national d’éducation pour la santé. janvier; 2001; Retour vers
[5] pommereau x. Santé des jeunes. Orientations et actions à promouvoir en 2002. Rapport. avril; 2002; 33 pp. Retour vers
[6]us public health service. Report of the surgeon general’s conference on children’s mental health : a national action agenda. Department of health and human services. Washington:2000; Retour vers

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