La tuberculose nous accompagne probablement depuis le début de l’humanité et a toujours représenté une des premières causes de mortalité. Curieusement, on pensait qu’elle avait disparu, mais, aujourd’hui encore, elle tue environ 1,5 millions de personnes par an. La méconnaissance de la tuberculose est peut-être liée au fait que, petit à petit, nous nous sommes habitués à vivre avec ce fléau et que nous évitons d’en parler, car il s’agit pour cette maladie souvent encore considérée comme « honteuse », d’éviter à tout prix tout contact.
Pendant des millénaires, l’homme a été relativement dépourvu de moyen de lutte contre la tuberculose. Jusqu’au début du XXe siècle, le seul remède était le repos dans un sanatorium, de préférence en altitude. Il est vrai que ce « traitement » a occasionnellement abouti à la guérison, peut-être parce que le repos, le calme, le bon air et la bonne nourriture contribuaient à renforcer le système immunitaire, lui permettant ainsi de quelque peu contrôler la maladie. Cependant, les rechutes étaient fréquentes, montrant que ces séjours en sanatorium ne permettaient pas, en fait, une vraie guérison, durable dans le temps.
Deux grandes avancées dans la lutte contre la tuberculose ont été réalisées dans la première partie du XXe siècle. Les années 1920 ont en effet vu naître le premier vaccin contre cette maladie, le bacille bilié1 de Calmette et Guérin (le BCG). Les premiers essais cliniques multicentriques d’efficacité réalisés en France entre 1924 et 1926 sur plus de 5 000 enfants ont montré une efficacité de 93 % contre la tuberculose mortelle chez le jeune enfant [1]. La vaccination avec le BCG a dès lors été recommandée afin de protéger les nourrissons, dès la naissance, contre les formes les plus graves de cette maladie. Aujourd’hui, le BCG, avec plus de 3 milliards de doses distribuées, est le vaccin le plus administré au monde. Alors qu’il est actuellement bien admis qu’il protège efficacement contre différentes formes de tuberculose chez le nourrisson, en particulier contre la méningite tuberculeuse, la tuberculose disséminée et mortelle [2], son efficacité contre la tuberculose pulmonaire, chez l’adulte, n’atteint guère qu’environ 50 % [3]. C’est pourtant cette dernière forme qui est la plus contagieuse et qui est responsable de la propagation de la maladie. Des tentatives d’une re-vaccination par le BCG, réalisées chez plus de 170 000 enfants âgés de 7 à 14 ans qui avaient été vaccinés, une première fois, à la naissance, n’ont pas montré de bénéfice substantiel [4], bien qu’une étude ultérieure ait montré un léger bénéfice de cette re-vaccination, surtout dans des régions à faible incidence d’infection à des mycobactéries atypiques [5]. Cependant, le léger bénéfice de cette vaccination de rappel n’apparaît pas suffisant pour prévenir la tuberculose et de nouveaux vaccins sont absolument nécessaires.
Depuis quelques dizaines d’années, de nombreux laboratoires, académiques et industriels s’attèlent à cette tâche et plusieurs candidats sont désormais à divers stades de développement pré-cliniques et cliniques [6]. Le candidat vaccin le plus avancé repose sur un virus recombinant qui est dérivé du virus de la vaccine contenant le gène codant l’un des antigènes majeurs de Mycobacterium tuberculosis, l’agent principal de la tuberculose humaine. Ce vaccin, appelé MVA85A, le seul pour lequel nous avons des données d’efficacité chez l’homme, n’a malheureusement pas permis d’augmenter la protection déjà induite par le BCG chez les enfants, ni celle contre la maladie ou contre l’infection à M. tuberculosis [7].
La deuxième grande avancée dans la lutte contre la tuberculose a été la découverte du premier antibiotique actif contre M. tuberculosis : la streptomycine. Découverte par Selman Abraham Waksman en 1943, la streptomycine a montré son efficacité en monothérapie dans un essai clinique randomisé 3 ans plus tard [8]. Cependant, dès les premières utilisations, les premières souches résistantes à cette antibiothérapie ont émergé, mais au vu du succès du traitement de la tuberculose par antibiotiques, un effort considérable a été déployé pendant une bonne dizaine d’années, entre 1950 et 1963. Cette période a vu naître l’ensemble des anti-tuberculeux encore aujourd’hui en usage, comme l’isoniazide (en 1952), le pyrazinamide (en 1954), l’éthambutol (en 1961) et la rifampicine (en 1963). Aujourd’hui, la tuberculose peut être efficacement traitée, pourvu que le patient observe le régime complet du traitement et ne rencontre pas de germe résistant [18, 19] (→).
(→) Voir la Synthèse de Nicolas Veziris et Jérôme Robert, m/s n° 11, novembre 2010, page 976 et le Faits et chiffres de D. Labie, m/s n° 2, février 2007, page 205
Cependant, le traitement est long et n’est pas dépourvu d’effets indésirables. Pour la tuberculose non résistante, le traitement standard consiste désormais en deux mois de prise quotidienne des quatre médicaments que nous avons cités, suivi de quatre mois de prise quotidienne d’isoniazide et rifampicine [9].
En raison de la lourdeur de ce traitement et de sa toxicité, la non-observance n’est pas rare. Elle entraîne l’émergence de souches résistantes à l’un de ces antibiotiques, voire de multi-résistances à plusieurs de ces médicaments. Le traitement de la tuberculose résistante, et en particulier la tuberculose multi-résistante, est encore plus lourd. Il fait appel à des médicaments de deuxième intention qui sont moins efficaces et plus toxiques que les médicaments de première intention. La durée du traitement s’échelonne alors souvent sur plusieurs années. Il peut, à son tour, engendrer des souches ultra-résistantes, voire totalement résistantes, ne répondant plus à aucun médicament anti-tuberculeux disponible. En conséquence, le succès thérapeutique va bien entendu en décroissant dans cette spirale infernale. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime actuellement à environ 500 000 le nombre de cas de tuberculose multirésistante parmi les 9 millions de nouveaux cas de tuberculose répertoriés dans le monde, et cette fréquence ne cesse d’augmenter [10].
Il est donc clair que de nouveaux médicaments sont absolument nécessaires. Pourtant, il est curieux de constater qu’après l’engouement des années 1950, très peu de nouveaux composés antituberculeux ont vu le jour. C’est seulement depuis une bonne dizaine d’années que de nouvelles molécules, comme la bédaquiline ou la délamanide, ont été mises à disposition, surtout pour le traitement de la tuberculose multi-résistante. Heureusement, une recherche intensive remplit actuellement le pipeline [11]. Plus diversifiée, elle s’appuie sur des technologies modernes de criblage à haut débit et elle est parfois basée sur des concepts originaux comme celui du boosting d’antituberculeux déjà existants [12].
Au-delà du problème du vaccin et du traitement, la tuberculose pose également le problème du diagnostic. Traditionnellement basé sur l’observation au microscope après coloration Ziehl-Neelsen2 ou sur la culture ex vivo d’échantillons, le diagnostic de la tuberculose fait désormais appel, de plus en plus, à des techniques moléculaires [13]. Cependant, même les nouvelles technologies ne permettent pas de détecter tous les cas de tuberculose, en particulier les formes paucibacillaires3, extrapulmonaires et latentes. Ces formes sont parfois détectables par des méthodes indirectes fondées sur la réponse immunitaire du patient, induite par l’infection à M. tuberculosis. La méthode la plus largement utilisée pour diagnostiquer l’infection à M. tuberculosis est le test d’hypersensibilité retardée, observée après injection d’une préparation d’antigènes du bacille, appelée tuberculine. L’injection sous-cutanée de tuberculine induit une induration chez les sujets qui ont été préalablement infectés. Cependant, ce test manque de spécificité, car il donne des résultats positifs également chez les sujets vaccinés avec le BCG et chez les sujets qui ont été en contact avec des mycobactéries atypiques [14]. Plus récemment, des tests de dosage d’IFN (interféron)-γ après stimulation des cellules sanguines par des antigènes spécifiques de M. tuberculosis ont été développés. Ces tests sont effectivement plus spécifiques que les tests utilisant la tuberculine, mais ils manquent de sensibilité pour la détection de la tuberculose latente [15].
L’OMS estime qu’actuellement plus de 2 milliards de personnes sont infectées par M. tuberculosis et développent une tuberculose latente. Alors que ces personnes ne souffrent d’aucun symptôme révélateur de la tuberculose, elles restent à risque de réactiver la maladie et constituent, dès lors, un énorme réservoir pour le bacille. Le contrôle ultime de la tuberculose devra donc également tenir compte de ce réservoir. Cela requiert la détection des tuberculoses latentes, leur suivi et également des moyens permettant d’éviter la réactivation de l’infection. De nouveaux tests diagnostiques et pronostiques sont aujourd’hui en développement [16].
Actuellement, il est admis qu’un meilleur contrôle de la tuberculose nécessite des efforts concertés pour le développement de nouveaux outils dans le domaine du diagnostic, du vaccin et du traitement, y compris contre la tuberculose latente. Une étude de modélisation mathématique indique clairement que seulement en combinant ces trois axes, on pourrait, un jour, espérer éliminer la tuberculose de la planète [17]. Il est clair également que ce développement nécessite une meilleure compréhension de la biologie du pathogène et de son interaction avec l’organisme hôte, des sujets de recherche qui, on l’espère, pourront être approfondis, dans les années à venir.