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Med Sci (Paris). 32(5): 447–449.
doi: 10.1051/medsci/20163205007.

De nouveaux types cellulaires identifiés par séquençage haut débit sur cellule unique

Stanislas Quesada1,2,3 and Philippe Jay1,2,3*

1CNRS, UMR-5203, Institut de Génomique Fonctionnelle, 141, rue de la Cardonille, Montpellier, F-34094, France
2Inserm, U1191, Montpellier, F-34094, France
3Université de Montpellier, Montpellier, F-34000, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Cellules souches adultes, Séparation cellulaire, Cellules épithéliales, Séquençage nucléotidique à haut débit, Humains, Muqueuse intestinale, Intestins, Analyse de séquence d'ADN, Analyse sur cellule unique, classification, cytologie, méthodes

 

Une récente étude [1] a permis de mettre à jour de nouveaux types cellulaires au sein de l’épithélium intestinal. Au-delà de son intérêt en physiologie digestive, ce travail princeps ouvre une voie nouvelle dans la caractérisation de l’identité cellulaire qui pourrait se révéler féconde tant en recherche fondamentale que pour la meilleure compréhension des processus pathologiques.

L’épithélium intestinal : tissu complexe et outil de recherche

L’épithélium intestinal constitue la principale interface de l’organisme avec son environnement extérieur. Sa surface totale atteint les 200 m2. Il s’agit du tissu disposant du plus haut taux de renouvellement de l’organisme, avec un cycle de renouvellement de 3 à 5 jours [2].

Au niveau de l’intestin grêle, l’épithélium présente une structure en cryptes et villosités (Figure 1). Les cryptes qui sont des invaginations dans le stroma sous-jacent, constituent le compartiment de prolifération. Les villosités, qui sont des protrusions dans la lumière intestinale, ne portent, quant à elles, que les cellules différenciées exerçant des fonctions particulières. Le renouvellement de l’épithélium s’effectue selon un schéma en tapis roulant, du fond des cryptes, où se concentrent les cellules souches, jusqu’à l’apex des villosités où les cellules différenciées se détachent par exfoliation. Les cellules souches donnent naissance à des cellules progénitrices. Ces cellules prolifèrent de manière très active au niveau du compartiment d’amplification transitoire, dans les parois des cryptes. Les cellules produites cessent de proliférer et se différencient à la jonction entre la crypte et la villosité. Elles sont alors à l’origine de plusieurs types cellulaires différenciés, poursuivant leur migration vers l’apex des villosités (Figure 1).

Classiquement, quatre types de cellules différenciées sont décrits. Les entérocytes, majoritaires, exercent une fonction d’absorption des nutriments. Les cellules de Paneth, impliquées dans la défense antimicrobienne, sont localisées en fond de crypte où elles constituent aussi une niche pour les cellules souches intestinales. Les cellules caliciformes, elles, sécrètent le mucus nécessaire à la protection de l’épithélium. Enfin, les cellules entéro-endocrines, représentées par de nombreux sous-types, régulent le métabolisme en produisant plus d’une dizaine d’hormones, chaque sous-type n’en sécrétant qu’un nombre restreint [3, 4]. En sus de ces quatre types principaux, d’autres types existent. Nous avons ainsi caractérisé au sein de notre laboratoire, un cinquième type de cellules [5], les cellules dites tufts d’après leur morphologie particulière (en « touffes ») qui expriment certains marqueurs de l’inflammation [6]. Notons également l’existence des cellules M (pour microfold) qui sont impliquées dans la capture des antigènes luminaux et des cellules cup décrites seulement dans quelques espèces et dont les fonctions précises restent à déterminer [6].

Concernant les cellules souches intestinales, la détermination de la, ou plutôt des cellules à l’origine de l’ensemble de l’épithélium intestinal a fait l’objet de nombreux débats [2, 7] ().

(→) Voir la Nouvelle de D. Joubert et al., m/s n° 5, mai 2009, page 441

Actuellement, il est généralement considéré que les cellules columnaires situées à la base des cryptes (les cellules CBC, crypt base columnar cells) et exprimant LGR5 (leucine-rich repeat-containing G-protein coupled receptor 5), constituent les cellules souches pluripotentes. Elles prolifèrent de manière active et sont à l’origine de l’ensemble de l’épithélium intestinal dans la souris adulte. Les cellules dites +4, en raison de leur position au quatrième rang depuis la base des cryptes, joueraient le rôle soit de cellules souches quiescentes, soit de progéniteurs précoces, aptes à repeupler le contingent de cellules souches en cas de lésions. Loin d’être achevée, l’histoire des acteurs de l’épithélium intestinal est donc toujours en pleine écriture.

La découverte de nouveaux types rares de cellules intestinales

L’étude que nous allons décrire [1] est innovante tant au niveau conceptuel que du point de vue des approches technologiques déployées et/ou développées. Afin de pouvoir déceler de nouveaux types cellulaires, le transcriptome de cellules isolées provenant d’organoïdes, sans sélection préalable, a d’abord été déterminé par séquençage ARN [8]. Les organoïdes utilisés sont des structures purement épithéliales développées in vitro. Elles sont initiées à partir d’une seule cellule souche CBC exprimant Lgr5, et reproduisent à la fois la structure et la diversité cellulaire de l’épithélium intestinal, en l’absence du tissu conjonctif sous-jacent présent in vivo.

Les données du séquençage ont ensuite été exploitées avec un logiciel spécialement conçu pour l’occasion, RaceID, permettant d’effectuer un regroupement hiérarchique mettant en évidence les types cellulaires rares (c’est-à-dire représentés par une seule cellule au sein de l’échantillon de départ). À partir de ces données, il a été possible de mettre en exergue REG4 (regenerating islet-derived protein 4), un nouveau marqueur commun à l’ensemble des cellules entéro-endocrines. Ce marqueur REG4 a ensuite permis d’isoler les cellules entéro-endocrines et d’en caractériser de nouveaux sous-types, en fonction du sous-ensemble d’hormones exprimées. L’existence de ces nouveaux sous-types a été validée in vivo chez la souris (Figure 2).

Cette approche ouvre donc des perspectives innovantes engendrant de nouvelles questions. En effet, l’expression d’un panel distinct de gènes par une cellule à un instant précis n’implique pas nécessairement une pertinence d’un point de vue physiologique, et il reste à démontrer si l’ablation sélective de ces sous-types cellulaires conduit à un phénotype altéré. D’autre part, cette approche par séquençage ARN représente un «instantané » de la dynamique d’expression génétique, et n’exclut en rien la possibilité que les cellules entéro-endocrines puissent permuter d’un sous-type à un autre, par exemple au cours de leur maturation.

Une nouvelle approche conceptuelle ?

Ces travaux s’inscrivent dans une nouvelle forme de recherche, permise par la démocratisation du séquençage à haut débit à l’échelle de la cellule et de la molécule uniques [9]. Il est possible d’y voir un parallèle avec la génétique classique et la génétique inverse (ou moléculaire). De manière simplifiée, la génétique classique s’attelle, à partir d’un phénotype altéré et étudié exhaustivement, à remonter à un génotype associé. En revanche, la génétique inverse part du gène, que l’on va muter, pour ensuite évaluer l’impact sur le phénotype. Il en va de même ici, puisque contrairement à l’approche descriptive classique (depuis le macroscopique vers le microscopique), nous partons du séquençage à l’aveugle d’un ensemble de cellules hétérogènes provenant d’un tissu pour, ensuite, grâce à des données d’expression génétique, en extraire une classification moléculaire.

Ces nouvelles techniques ont déjà promu une caractérisation sans précédent de la diversité de phénotype existant au sein d’un tissu sain [10, 11] ou tumoral, contribuant au concept d’hétérogénéité intra-tumorale [12]. Elles ont également permis la reconstruction de la généalogie des cellules cancéreuses, par l’accumulation de mutations au gré des divisions cellulaires, et du processus de dissémination métastatique, étayant au niveau moléculaire, le concept clinique d’histoire naturelle de la maladie [13]. À l’avenir, cette approche pourrait permettre de déceler une hétérogénéité fonctionnelle au sein de cellules indiscernables jusque là. Les blastomères, dérivant des premières divisions du zygote et pensés comme homogènes, en sont un exemple. Les concepts d’engagement cellulaire et de dynamique de différenciation, usuellement décrits comme une séquence d’activations et/ou d’inhibitions de facteurs de transcription particuliers, pourraient être revisités. En cancérologie, le couplage du séquençage de cellules uniques et d’algorithmes capables d’identifier des états cellulaires minoritaires, tels que les cellules souches cancéreuses, devrait faciliter des avancées majeures en physiopathologie.

Cette approche conduira nécessairement à de nouvelles couches de complexité. Par conséquent le concept même de type cellulaire, une entité regroupant un certain nombre de cellules selon des critères prédéfinis, pourrait être réévalué. Par reductio ad absurdum 1, l’hyper-classification pousserait inexorablement à définir chaque cellule prise individuellement comme une classe per se.

Pour aller encore plus loin, ces perspectives basées sur des données de transcriptome pourraient être élargies par la recherche de nouveaux types cellulaires via d’autres approches de type -omics telles que le protéome, l’épigénome ou le métabolome, et l’inclusion des fluctuations temporelles d’expression génétique, afin d’appréhender les notions de plasticité cellulaire et de transdifférenciation. À plus grande échelle, et à l’image du connectome décrivant les réseaux d’interactions neuronales [14], un nouveau concept dit « ecolomics » pourrait être défini, combinant une approche quantitative (de type données -omics sur cellule unique) et une approche qualitative (la cellule au sein de son écosystème cellulaire et tissulaire).

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 Raisonnement par l’absurde.
References
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