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Med Sci (Paris). 32(5): 431–432.
doi: 10.1051/medsci/20163205001.

La médecine plébiscitée ? Vaccins et démocratie

Anne-Marie Moulin1*

1Présidente du comité d’éthique de l’IRDSPHERE, UMR 7219/CNRS/ universités Paris Diderot et Paris 1 Panthéon-Sorbonne4, rue Elsa Morante, 75013Paris, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Démocratie, Comportement en matière de santé, Humains, Législation médicale, Médecine, Obligations morales, Autonomie personnelle, Types de pratiques des médecins, Autonomie professionnelle, Santé publique, Vaccination, Vaccins, tendances, éthique, législation et jurisprudence, psychologie, usage thérapeutique

 

La ministre de la Santé, Marisol Touraine, a pris acte d’une certaine désaffection de la population vis-à-vis des vaccins. Pire, il y aurait aussi une certaine désaffection des médecins eux-mêmes [1] ().

(→) Voir la Perspective de D. Floret, m/s n° 12, décembre 2010, page 1087

Oubli des grands fléaux comme la diphtérie, terreur des familles à la fin du XIXe siècle, du tétanos, de la poliomyélite ? Attirance pour les puissances obscures de la nature humaine, celle que les Anciens prescrivaient au médecin de respecter : Primum non nocere 1, ? Inquiétude devant les entreprises prométhéennes2 de la médecine et de l’industrie pharmaceutique ? Tant de choses se conjuguent dans un monde qui se dit globalisé et unifié, mais qui encourage l’individu à planter son drapeau et à revendiquer le droit de donner son avis pour tout ce qui touche à son corps, même sur ce qui est qualifié par la ministre de « plus grande avancée médicale » [2] ().

(→) Voir la Perspective de A.M. Moulin, m/s n° 4, avril 2007, page 428

Suite au rapport de la sénatrice Sandrine Huret sur la politique vaccinale du pays, la ministre a annoncé, en janvier 2016, son plan d’action. Quatre axes : informer, sécuriser, coordonner et débattre. C’est le dernier, débattre, qui me retient ici : en appeler au peuple et recueillir ses opinions, afin de préparer la nouvelle loi de santé publique pour 2017. Un essai de démocratie directe, où les citoyens contribueraient non pas seulement à la politique mais à la science qui la fonde.

Notre ministre veut rendre la politique vaccinale plus lisible et plus transparente, afin, et c’est l’enjeu, de regagner à la cause tous ceux, y compris les médecins, qui sont gagnés par l’hesitancy (dit en anglais, « hésitation » fait plus sérieux), en particulier à l’égard des vaccins les plus récents, contre le virus de l’hépatite B [3] (), contre la grippe [4] (), et contre les papillomavirus (HPV, human papillomavirus) [5] ().

(→) Voir la Perspective de O. Launay et D. Floret, m/s n° 5, mai 2015, page 551

(→) Voir la Nouvelle de C. Dreyfus, m/s n° 1, janvier 2013, page 22

(→) Voir le Forum de I. Heard et D. Floret, m/s n° 12, décembre 2013, page 1161

L’obligation serait une vieillerie incompatible avec la liberté des individus qui sont, ou devraient être, informés pour décider en connaissance de cause d’adopter le calendrier élaboré par les experts : ce calendrier encadre désormais les citoyens, de la naissance à la mort, ou presque. L’obligation varie aussi au-delà des Pyrénées et, là encore, l’Europe ne parle pas d’une seule voix. En fait, le tour de passe-passe envisagé est d’instituer une forte recommandation, en supposant (espérant) que la recommandation, ou l’obligation morale sans la contrainte, rétablira la couverture vaccinale nécessaire, aux dires des épidémiologistes, pour interrompre la transmission des maladies concernées. Mais rien ne prouve que ce changement ne va pas être considéré comme un retrait de l’État vis-à-vis de ses obligations, encore rappelées en 2001, de garant de la santé publique, voire comme un aveu de certains doutes rétrospectifs ; peut-être désire-t-il aussi s’exempter des indemnisations (par l’ONIAM3…) dont il est redevable au moindre incident suivant les vaccinations obligatoires.

Or, le débat semble engagé essentiellement sur la question de l’obligation « résiduelle » de la vaccination : diphtérie, tétanos, poliomyélite. C’est dire que les choses sont peut-être déjà entendues et, qu’au fond, il ne s’agit pas de repenser radicalement la politique vaccinale, mais de cautionner un choix historique. L’immunologiste Jean-Pierre Revillard remarquait, avant sa disparition en 2003, que ce choix n’avait jamais été validé, et pour cause, par des études cliniques comparatives : comment imaginer une expérience à l’échelle de la planète, permettant de suivre et de comparer une population non vaccinée et une population vaccinée pendant des générations ? L’Histoire ne joue aucun rôle dans la perspective de la ministre, qui entend d’abord informer, dans l’espoir que l’opinion des experts va rassurer les esprits : la démocratie ayant besoin, avant tout, d’être éclairée pour faire les bons choix, ceux-ci étant déjà prêts.

Le débat public qui s’engage risque donc d’enflammer les esprits en mettant le doigt sur les rapports problématiques entre expertise, administration et politique. Il devrait d’abord réexaminer le dossier historique de la vaccination, y compris ses particularités dans un pays comme la France, où l’épopée pastorienne est encore omniprésente : ses succès, ses échecs, ses revirements, dont la complexité n’échappe pas aux spécialistes d’un monde microbien qui, loin de céder du terrain, se transforme face aux systèmes immunitaires des animaux et des hommes [6] ().

(→) Voir l’Éditorial de O. Launay et O. Lortholary, m/s n° 4, avril 2007, page 339

Dans un contexte mouvant, les vaccins doivent-t-ils être considérés comme un bien public accessible gratuitement à tous ou laissés au choix individuel ?

Pendant des siècles, les vaccinations, avant même Jenner4 et surtout après lui, ont été des instruments du pouvoir [7] (). En ouvrant le débat, la ministre invite le peuple à se prononcer sur la politique, mais aussi sur la science. Test redoutable pour la démocratie qui cherche à concilier les droits des individus et le maintien d’une volonté générale orientée vers le bien commun. Comment concilier la transparence nécessaire d’une large consultation populaire avec la prééminence des experts dans un domaine qui peut paraître ésotérique ? La médecine est-elle plébiscitée d’avance ? Ou le débat, s’il prend la forme d’une authentique conférence de consensus, ne va-t-il pas à la fois montrer les scissions irréconciliables entre les citoyens et les incertitudes de la vaccinologie ? L’examen de la politique vaccinale ne va-t-il pas révéler l’affaiblissement d’une communauté unie autour d’une histoire trop longtemps déclamée sur le mode mythique ? Les vaccins derniers nés encore à l’étude chez les compagnies pharmaceutiques (pneumocoques, rotavirus, malaria, dengue, etc.), protègeraient entre 50 et 60 % des sujets, estiment les spécialistes [8]. Comment partager avec le public la notion que le vaccin n’est pas une arme absolue, mais un outil à combiner avec d’autres moyens préventifs ou curatifs ?

(→) Voir l’article de J.B. Fressoz, page 509 de ce numéro

La modernité scientifique peut-elle faire l’objet d’un vrai débat public ou se contentera-t-on d’un plébiscite de la vaccination, emblème de la médecine moderne, avec quelques retouches, en mettant fin notamment à l’exception française de l’obligation ? Les jugements des citoyens sur le fonctionnement d’un système immunitaire dont ils ont appris l’existence à l’école, leurs aspirations à la maîtrise de leur destin biologique peuvent-ils aider les politiques et les experts à poser et résoudre les bonnes questions, y compris au niveau international ?

La démocratie, chacun sait, est créative, mais cette créativité en inquiète plus d’un. En matière de science, que sortira-t-il des urnes ? Surtout si le vote n’a pas été précédé d’une vraie discussion et d’une exploration d’une histoire souvent escamotée, qu’il s’agit de regarder dans les yeux. Nos politiques auront-ils le courage de poser toutes les questions auxquelles les citoyens souhaitent les réponses ?

À suivre de près, pour voir si la science est un atout pour la démocratie.

Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 « Primum non nocere », attribué à Hippocrate : en médecine, le premier devoir est de ne pas nuire au malade.
2 Héros de la mythologie grecque ayant dérobé le feu aux dieux pour le donner aux hommes.
3 Office national d’indemnisation des accidents médicaux.
4 Edward Jenner (1749-1823), médecin anglais, a observé qu’une maladie du bétail, le cow-pox ou « vaccine », communicable à l’homme, protégeait contre la variole. Le terme générique de vaccin est dû à Pasteur.
References
1.
Floret D. Les résistances à la vaccination . Med Sci (Paris). 2010; ; 26 : :1087.–1093.
2.
Moulin AM. Les vaccins, l’État moderne et les sociétés . Med Sci (Paris). 2007; ; 23 : :428.–434.
3.
Launay O, Floret D. Vaccination contre l’hépatite B. Med Sci (Paris). 2015; ; 31 : :551.–558.
4.
Dreyfus C. Vers un vaccin universel contre la grippe ? . Med Sci (Paris). 2013; ; 29 : :22.–25.
5.
Heard I, Floret D. Vaccins contre les papillomavirus humains (HPV). Dernières recommandations du Haut conseil de la santé publique, et premiers résultats cliniques et virologiques . Med Sci (Paris). 2013; ; 29 : :1161.–1166.
6.
Launay O, Lortholary O. Vaccination préventive et approches innovantes . Med Sci (Paris). 2007; ; 23 : :339.–341.
7.
Fressoz JB. Les « bébés éprouvettes » de 1800: enfants trouvés et expérimentation humaine aux débuts de la vaccination en France . Med Sci (Paris). 2016; ; 32 : :509.–514.
8.
Saadatian-Elahi M, Horstick O, Breiman RF, et al. Beyond efficacy: the full public health impact of vaccines . Vaccine. 2016; ; 34 : :1139.–1147.